lundi, mars 25, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 3


Sa couverture est minable, ou totalement branque. Heureusement qu’ils ne sont pas trop dégourdis dans les parages sinon il aurait été percé à jour après quelques semaines. Il préférait sa précédente identité de « marchand d’art ». Il en connaît tout de même un rayon sur le sujet, à présent. Et il trouvait ça un rien plus chic que « flic retraité », et pourquoi pas les pieds plats, tant qu’on y est ! Il est devenu un peu snob, ma foi, avec le temps, une certaine conscience de soi et comme l’envie d’arranger son image. Il a repris l’appartement du type gazeux et de son conjoint, et les tableaux, les tapis, la vaisselle, le décor de vieille fille, et les petits chiens sont en pension, pour un bon mois ; pour le reste, c’est une sous-location, deux ans, on verra pour la suite. En haut lieu, au plus haut, on a voulu compenser les menus désagréments causés par l’état de collaborateur externe informel et non-consentant du type … gazeux de ce fait. On en a fait un élu du parlement et conseiller spécial auprès du département fédéral des affaires étrangères. Il a pris le mandat au vol, vient-ensuite. En ce moment, il est en vacances, avec son homme, une croisière, peut-être gay, histoire qu’ils se détendent un peu en couple … ou se retendent à plusieurs, question de point de vue. Stéphane vient de rentrer de Berlin, l’un des petits chiens, le mâle, inspecte son bagage, la petite femelle pour fêter son retour lui montre comme elle danse bien, une vraie petite ballerine les pattes avant relevées dans un ovale gracile au-dessus de sa tête, et elle tournoie. Stéphane ne sait jamais trop s’il doit croire tout ce qu’il voit. Le petit mâle lui apporte un mot, dans sa gueule, le responsable local des services « impériaux » qui s’est occupé de les garder, arroser les plantes. Il souligne en PS que la petite Jade est très douée pour la danse. Stéphane se dit qu’il n’a pas survécu pour rien, ç’aurait été dommage de quitter ce monde sans avoir été le témoin des talents chorégraphiques d’une femelle chihuahua ! Et comme il est bon publique, et qu’il les aime bien, ces deux agents canins d’un genre particulier, il a applaudi Jade. Lou’, le mâle, a fait les saluts.

Le séjour ou la serre abrite des succulentes et d’autres variétés arborescentes dont les feuillages s’écartent au passage de Stéphane qui se laisse tomber sur le canapé. Il défera les bagages plus tard, à moins qu’il ne trouve ses affaires retournées seules dans les tiroirs, sur les rayonnages et dans la penderie.

Son modèle, son idéal était plus eigthies’, plus jazzy, plus « sexy ». Il se serait bien vu en Remington Steel, la très belle gueule de Pierce Brosnan, sa taille étroite de fille, les costumes toujours élégants, des brushings impeccables et la répartie assortie. Et les voitures, des cabriolets, les décors, de la moquette beige, partout. Son truc n’a rien à voir avec les belles bacantes de François-Joseph. Stéphane a toujours nourri son « rêve américain », un ailleurs où tout est possible, sur le papier du moins. Il en était resté à une scène façon Sissi revival, un bastringue très officiel où l’assistance recouverte de passementerie à rideaux attendait l’entrée de l’empereur, un trône, la salle du trône, et tout un palais en faux vieux « à l’identique » autour. C’était à Berlin. Il y avait … cette femme. Il se souvient de la jeune fille qu’elle fut, il ne s’appelait pas encore Stéphane, il était encore normal. Ça lui a tout de même fait quelque chose de la voir ; on lui a expliqué qu’ils avaient eu une histoire, du très sérieux. On ne lui a rien dit d’autres. Ça ne changerait rien à la situation, de toute manière. Ça ne ferait que lui compliquer la vie et l’alourdir de quelques regrets supplémentaires.

1 commentaire:

jmi a dit…

Que de rêves et images passantes, des situations romanti-réalistes avec une approche frisant de vécus mélangés de la couleur des songes. Bravo