samedi, juin 21, 2014

"Morose foncé" de Daniel Fazan

Revenir sur un texte, un roman de Daniel Fazan, le très prolixe homme de radio, l’auteur trublion dont la plume paradoxalement verdit sous l’effet du temps. Je ne veux pas parler de Millésime ou Vacarme d’automne, ses derniers succès moratteliens mais de  Morose foncé, un roman noir de 2007 en compagnie de qui j’avais passé de très bons moments à Barcelone.

Quelques mots de méthode. J’associe l’auteur au lieu dans lequel je fais la lecture la plus marquante de son œuvre. Dans cette même logique, ceux qui me suivent depuis, Ohhh ! décembre 2005, savent que Mauriac est un auteur … berlinois et Fontane, un auteur pullérian ; Pierre Fankhauseur, depuis le week-end de la Pentecôte, m’est  un auteur francfortois. Donc, Fazan, Barcelone  (comme Golo Mann). Logique. C’était quelques jours durant les vacances de Pâques 2011, un hôtel près de l'hôpital universitaire, de belles promenades en perspective et un joli pavé de plus de deux-cent-cinquante pages pour compagnie. Je me souviens d’avoir traîné durant quatre jours l’épais volume à travers toute la ville dans un petit cabas de toile (il ne passait pas dans ma sacoche ; la plupart de mes sacs m’ont été offerts par mon homme, il sont des accessoires élégants et, donc, d’une contenance limitée). Je me souviens que, dans le feu de la lecture, au moment du dénouement, je dînais près de l’hôtel, j’ai liché une bouteille entière d’un vin capiteux qui en rajoutait à la densité de l’intrigue.

Le propos du roman peut se résumer par « peinture d’une époque » avec, par-ci, par-là quelques éléments biographiques de l’auteur, des clefs que possède le cercle élargi des connaissances (Daniel Fazan fait partie de mon ex-belle-famille). Morose foncé ou l’analyse du mécanisme perverti du marché de l’art contemporain, analyse servie dans une intrigue efficace. Des personnages bien campés, à valeur allégorique, et la voix de l’auteur, sa conversation, sa conception de la création, des rapports interindividuels. Je ne saurais vous raconter l’intrigue. Je crois à l’Immaculée Conception, à la Transsubstantiation, à la manifestation de l’Esprit Saint et à tout le reste du Crédo mais pas tant à l’intrigue telle que l’on conçoit la chose en littérature. C’est en général un tour de passe-passe qui, en dépit de son adresse, me laisse toujours sur la conclusion « c’est du chiqué ». Je crois aux atmosphères, au travail de recréation du monde par l’auteur et Fazan est un orfèvre. Je sais même – mais chuuuuut – que l’un des passages poignants de l’un de ses titres, passage qui a tout de l’instant véridique, authentiquement vécu n’est qu’une invention ; le magnifique Daniel me l’a confié.

Pourquoi revenir sur ce titre de 2007 ? Ce sera mon conseil « lecture de plage/vacances » de l’été 2014. Je pense que ce roman n’a pas eu la carrière qu’il méritait. Il s’agit d’un texte à ranger parmi les nouveaux classiques de la littérature romande, tout comme l’œuvre de Lador, Dubath, Verdan ou Faron. Je veux pour preuve de ce que j’avance le fait que mon « Morose foncé » a disparu, comme la plupart de mes Lador et de mon dernier Dubath. Je suis obligé de planquer mes romans romands que famille et amis m’empruntent et se laissent emprunter, résultat des courses je les retrouve une année, deux ans plus tard après un périple par monts et par vaux !


Dis voir, Daniel, tu n’en aurais pas encore un exemplaire à me passer ?

Morose foncé, éd. Publi-Libris, 2007

lundi, juin 16, 2014

Wikitractus d'André Ourednik

Le volume est épais, impressionnant, non-linéaire, multi référencé et d’un lyrisme aussi frais que son auteur. N’oublions pas que ce dernier pratique le japonais, la géographie et la poésie. Ceci expliquant cela, il ne faut pas s’étonner qu’il ait produit cette vaste partie jeu de l’oie version cache-cache de plus de trois cents pages.

Au chapitre des références, il est plus que nécessaire de citer Wittgenstein avec son Tractatus logicophilosophicus dans lequel le philosophe autrichien développe sa mystique du langage. André Ourednik se réfère encore à Freud, Leibnitz, Lévinas ou Ricoeur, et Spinoza, évidemment, pour son Tractatus theologicopoliticus. Que le lecteur ne se laisse pas impressionner par l’éclat d’une telle bibliographie : Ourednik, en sus de sa culture encyclopédique, jouit d’un humour desprogien propre à dégeler la plus arctique des banquises. Il a, de plus, ce quelque chose de délicat et d’amical qu’il sait faire passer dans son texte : sourires, clins d’œil, petits gestes complices.

Wikitraktus ou le goût de l’assemblage à la manière de Wikipédia, sans la sècheresse experte et l’ouverture d’une nouvelle fenêtre en un clic. Comment ça marche ? un mot, sa définition personnelle, d’autres mots, en gras, un renvoi à une nouvelle définition, et ainsi de suite. C’est à lire n’importe où, un volume à laisser près du lit, à la salle de bain, sur la table basse du salon. Il faut procéder d’une manière impressionniste, par touches successives et, de lectures en lectures, après quelques semaines, on voit apparaître un motif complexe et délicat, tout un réseau cryptique qui se laisse découvrir.

Livre expérimental, recueil de poèmes en prose, jeu culturel amusant, mise en abîme de notre consommation du savoir via la toile ? Et, même, théorie philosophique en trait tillé, pointillé mais point pointilleux, plutôt très imagé et circonvolu, révolutionné, en rien tordu. Wikitractus n’est pas un volume à laisser dormir dans une bibliothèque mais à laisser à portée de main, un texte vivant. Ne manquez pas de compléter votre expérience papier par une visite sur le site de l'auteur  http://wikitractatus.ourednik.info/



lundi, juin 09, 2014

"Sirius" de Pierre Fankhauser

Pierre Fankhauser signe avec Sirius un texte dense et poétique, un objet littéraire d’une rare qualité et d’une force discrète. La trame n’est pas sans rappeler un épisode particulier de l’affaire du Temple Solaire, un fait divers qui avait marqué les esprits il y a une vingtaine d’années. Près d’une centaine de fidèles en tout avaient trouvé la mort à Cheiry, Salvan, au Canada et dans le Vercors. Dans ce dernier cas, il s’agissait de 16 personnes dont les corps avaient été en partie incinérés dans une clairière retirée, épisode à la base de l’intrigue de notre roman. La secte incriminée pratiquait un culte de pacotille fait de trompe-l’œil en carton-pâte, de rites ramassés dans des séries B et autres romans de gare, le tout agrémenté de parties fines et de trafic d’argent sale. Le décors est planté.
 
Pierre Fankhauser va toutefois plus loin qu’une simple enquête romancée. Il a su exemplifier un certain nombre de nos interrogations, de nos craintes fondamentales à partir d’un récit sordide et banal à la fois. Il aborde le thème de la maladie, de la souffrance, de la foi (qu’elle qu’en soit la forme), du sacrifice, de la place du corps dans le processus créatif ou comment ce corps participe aux rites. Il ne faut pas oublier que notre auteur et son épouse ont passé de longues années au pays du tango, à Buenos Aires, capitale qui compte la plus grande concentration de psychanalystes au monde. Sirius est donc porteur de ces influences. Le lecteur doit se laisser conduire, faire confiance à l’auteur dans des guidages complexes qui le laisseront surpris de sa propre adresse. Le récit n’est pas d’une trame linéaire. Par contrecoup, Pierre place aussi toute sa confiance dans son lectorat ; il parie sur sa sagacité et son sens de l’enchaînement.
 
 
Le texte s’offre dans une polyphonie narrative : rapports d’enquête, de contre-enquête, lettres circulaires aux membres de la secte, témoignage de la chorégraphe en interview, lettres intimes de cette dernière au père de son enfant, voix off du journaliste (peut-être le père de l’enfant). Les éléments se recoupent, s’additionnent, se contredisent ou semblent se contredire. L’hybridation des techniques narratives y répond, ce qui fait de chaque chapitre une surprise et laisse la part belle au lecteur.  De toute manière, la vérité est ailleurs, dans un interstice étroit entre meurtre et illumination, entre espoir et combine. Pas même besoin d’arrêter précisément son opinion, l’auteur glisse une hypothèse alambiquée pour ceux qui tiennent à savoir mais ce n’est que très secondaire.
 
 
Une petite musique un peu lassée se laisse entendre, un air à deux temps marqué par de petits riens et repris par la mélodie d’un discours indirect libre magistral. Les mots de « celle qui danse », ainsi que la chorégraphe signe ses lettres, glissent et balancent avec la force d’une parole vivante. Il y a là un vrai grand travail de style, à des kilomètres de la facilité de ceux qui se réclament de l’héritage de Céline parce qu’il ont placé une onomatopée entre deux grossièretés. De toute manière, Pierre Fankhauser n’a pas besoin de se prévaloir du moindre modèle, il a la maestria et le ton singulier d’un véritable auteur.