lundi, février 24, 2014

"Musique dans la Karl-Johan Strasse", extrait 4


Berlin, un café, se dire des choses ...
On aimerait se réinventer tous les jours, se renouveler sans cesse, et avec talent. On aimerait, de l’intérieur, jouir de ce sentiment confortable de « rénovation », une sorte de travail cosmétique qui devrait vous laisser plus beau, plus propre, plus sage, plus heureux et vous permettrait de retrouver la ligne de vingt ans. Comme si … - ah ! tous les « comme si … » de nos existences – comme si l’on remarquait les murs défraîchis du hall et que, hop, on se décidait à faire repeindre et installer de jolies appliques par la même occasion, et réaménager le salon dans la foulée, faire d’une situation contraignante une opportunité. A chaque fois que j’ai pris « les difficultés de la vie » sur ce ton-là je n’ai fait que désespérément me mentir et me suis retrouvé parmi le sordide de la douleur, des maux sans raison qui finissent par … disparaître après m’avoir laissé ravagé et plus malheureux qu’avant leur survenue. Au milieu de cette débandade, j’ai appris à me consoler avec ce que je trouvais, de restaurer un tant soit peu mon image auprès de moi-même : un rien de donjuanisme, un rien de jeunisme, l’orgueil d’un corps travaillé, à raison de séances de fitness de plus en plus longues et nombreuses, jusqu’au prochain « pépin », encore plus sérieux, plus incompréhensible, plus entravant que le précédent. Peut-être moins grave aussi, mais l’usure et la peur rendent plus sensible, plus douillet, geignard … Et il faudra encore souffrir, se mentir, rebondir une énième fois pour avoir l’immense privilège de poursuivre une vie de moins en moins satisfaisante, et avec le sourire s’il vous plaît ! Il en faudra de la mauvaise foi, des séances de shoping, de cinéma, de bons romans et des expositions de peinture pour surmonter cette nouvelle « épreuve ». Il y a les brefs épisodes de rémission, quand le trouble s’en est allé et que règne  enfin la paix sur votre intériorité ravagée. Vous vous dites que ce n’est pas grave, c’est terminé, un encouragement intime aussi vain  que de ramasser un vase roulé par terre, intact étonnement, parmi votre appartement mis à sac. Et quand vous aurez, enfin, réussi à tout remettre en état, et mieux même, vous replongerez pour un mot de travers de votre hiérarchie, un accident parmi vos connaissances, un peu de jeu dans le scénario ou le suicide d’un élève.

dimanche, février 16, 2014

American Bluff

Christian Bale : chauve et gras
Au mauvais goût des tenues, à la morale défaillante des protagonistes, à leur absence d’hygiène de vie, de sens du ridicule et de toute décence répond la lumière dorée et pleine de promesses d’une merveilleuse époque quand on savait ce qu’était une « belle bagnole », une tenue sexy et une élégance masculine sophistiquée. « American Bluff » raconte cette époque quand une réussite éclatante était à la portée de chacun, qu’importent les petits accommodements avec la loi. Le scénario repose sur le motif de l’arnaqueur arnaqué qui arnaque en retour car il n’est pas le plus malhonnête de l’histoire … Histoire qui serait en partie vraie. Qu’importe.

Qu’importe de savoir si le réalisateur David O. Russell nous développe un récit véridique aux arguties pointues et aux contorsions scénaristiques moyennement crédibles, les vertus de ce film résident dans son « historicité » décomplexée. C’est un conte en vestons à carreaux géants et décolletés vertigineux. La grande vedette de cette production : Michael Wilkinson, le costumier qui impose le ton et donne la réplique aux acteurs. En gros, Irving (Christian Bale), ventripotent faiseur à moumoute,  lors d’une piscine party, séduit Sidney (Amy Adams), provinciale montée à New York et prête à tout. Irivng dévoile toutes ses petites arnaques à la belle qui va lui donner la réplique. Petit couac, Irving est marié à une cruche extravertie et névrosée (Rosalyn/Jennifer Lawrence). L’embrouille fait un tour de plus avec l’intervention de Richie DiMaso (Bradley Cooper) pseudo candidat à l’arnaque et agent du FBI aux dents longues. Quiproquos et rebondissements à tous les étages, c’est Feydeau version rêve américain.


Spectacle assuré, beau moment de cinéma, la machine à remonter le temps nous renvoie la durée d’une séance à cette époque quand la justice et l’honnêteté n’avaient pas encore le tranchant péremptoire de notre temps procédurier et affuté comme un scalpel de chirurgien esthétique. Le bonheur rimait (pouvait rimer) alors avec clopes, kilos en trop et angine de poitrine. 

mardi, février 11, 2014

"La Montagne magique", suite et fin

Vous aurez reconnu une œuvre de Hodler
Il faut éloigner de prime abord la question qui, habituellement, se pose à propos de tout travail littéraire : est-ce bon ? Une œuvre de mille pages  et d’une telle portée morale dépasse de loin les critères d’évaluation traditionnelle. Soit, Thomas Mann se regarde parfois écrire, les disputes qu’il met en scène entre Settembrini et Naphta sombrent dans les arguties absconses ; d’autres fois, il se laisse aller au lyrisme de descriptions pompières de la montagne, sa beauté, etc. Mais il y a la petite musique d’un jour après l’autre, la personnalité de Hans Castorp, l’honnête homme version wilhelminienne, un « Wanderer » modéré transitant d’un siècle à l’autre. Le sanatorium, la tuberculose ne sont qu’une excuse, un mal dont on mourrait honnêtement chez soi avant qu’il n’ait un nom. Cette affection n’a pas encore disparu mais les deux guerres mondiales l’ont reléguée au rang d’avatar sanitaire. Hans se laisse prendre aux bobards scientistes des médecins entrepreneurs qui tiennent le sanatorium du Berghof. Et dans ce XIXème qui n’arrive pas à finir en ce jeune début du siècle suivant, on s’ennuie tant, on se cherche des maladies, des troubles, on se bricole sa croix et on fourbit les clous pour une crucifixion entre gens du monde. Hans n’échappe pas à cette marotte, il se laisse prendre par naïveté.

Thomas Mann, entre le mémorialiste et le fabuliste, raconte les quelques années qui précèdent la Grande Guerre sur un mode allusif. Chaque personnage prend une dimension allégorique, représentant soit une identité nationale, un groupe culturel, une communauté religieuse, une classe sociale. Ils se rencontrent tous quatre fois par jour au moins, dans la salle à manger où ils s’installent à l’une  ou l’autre des sept tables, comme autant de pays. Un individu, pour peu que son séjour dure suffisamment longtemps, passera par chacune de ces tables. Valse des étiquettes, des identités sociales. Les empires centraux étaient bien plus cosmopolites – et démocratiques – que ce que l’on veut bien croire au regard de nos étroits Etats. Et l’Union européenne ne retricotera pas le lien rompu après la dissolution de l’Autriche-Hongrie et le dépeçage du reich allemand, le second, celui des empereurs Guillaume à moustaches. Tout un monde a été sottement liquidé avec l’armistice et, sur ce miraculeux alpage, on n’est pas fichu de goûter honnêtement aux derniers instants de cette bonne vie à laquelle chacun aspire. Le récit se termine quasi en pétard mouillé, le brave Hans, la queue entre les jambes, pas vraiment guéri, après avoir approché le grand amour idéal, s’en repart pour le champ de bataille sans la moindre « connaissance biblique » de la dame russe. On ne sait pas même s’il s’en est sorti ou pas, indemne ou quelques membres en moins. On ne peut garder à l’esprit que le bon garçon bien nourri jouissant de son tub en caoutchouc lors de sa toilette matinale.

Ce cher « enfant difficile de la vie », selon l’expression du pédagogue franc-maçon prosélyte Settembrini était en fait l’enfant docile d’une vie difficile. Orphelin très jeune, recueilli par son grand-père puis par un oncle à la mort du précédent, il se voit contraint à une carrière en dépit de sa sensibilité et de quelques dons artistiques.  Il doit mériter sa « bonne vie » et la gagnera comme ingénieur jusqu’à la parenthèse curative, son séjour sur les pures hauteurs, et ce jusqu’à l’oubli du peu de famille et de relations qu’il avait en bas, du côté de Hambourg. Du danger de sortir de nos routines, nous crie Thomas Mann. Et la guerre comme une ultime lubie, une crise bien plutôt, un coup de sang, une congestion, une fluxion ! le genre de chose à l’origine du décès du sénateur Thomas Buddenbrook. Un mal aussi inexplicable, spontané que ravageur. Après mille pages, trois mois de lectures lors de déplacement de toute sorte (Berlin, New York, Münich, Zürich – tiens, tiens, des destinations très « manniennes »), j’ai envie de connaître la suite, d’écouter les conclusions que Castorp tire de son expérience, de savoir comment il a fait après sa démobilisation car je suis persuadé qu’il a survécu. Je ne sais pas s’il a été blessé, j’attends des nouvelles, je vous les communiquerai dès réception.

mercredi, février 05, 2014

Retour de Barcelone


Regarder l’horizon, à la limite de la mer et du ciel, remplit l’âme de douceur et les yeux de larmes. Merveilleux ailleurs à vue et, pourtant, inatteignable. Retourner à la mer primordiale signifierait devenir partout l’horizon, être l’ici et le là-bas, l’alpha et l’oméga, quitter sa finitude humaine pour s’associer à son Créateur. Heureux les peuples en bord de mer. Ils connaissent l’exaltation innocente du beau temps, un soleil toujours aussi jeune à chacune de ses apparitions. Et le vent, léger, qui joue avec les voiliers.