dimanche, février 26, 2017

Retour de Paris, février 2017

Rien à déclarer, ou si peu … La fête parisienne est belle et bien finie, depuis longtemps déjà mais la nouvelle donne sécuritaire a fini de plomber l’ambiance. Arrivée gare de Lyon, des policiers, quatre réservistes en treillis pas très réglementaire, chaussures sales et pantalons trop longs, quelques doutes quant à leur efficacité si l’arme est aussi en ordre que la tenue ! L’exposition Frédéric Bazille au Musée d’Orsay m’a attiré dans la ville ex-Lumière. Un peu plus de trois heures en TGV, un trajet agréable, collation, service impeccable, en première, soit, mais je n’ai jamais eu le souvenir d’avoir été tant considéré sur le chemin de Paris. L’impression va perdurer dans le métro, à la réception de l’hôtel, place de la Bastille, dans les grands magasins, au restaurant.

Les rues sont plutôt propres, pas une poubelle ne déborde, rien ne traîne, la voirie semble efficace et très discrète mais persiste une impression de crasse. Je n’ai jamais vu les rames de métro aussi bien  tenues et, pourtant, cela me dégoûtait de tenir les barres de sécurité. La foule n’existe plus à Paris, même aux heures de pointe, un peu de presse mais rien à voir avec la cohue du M2 lausannois ou des grandes gares romandes. La baisse du tourisme est visible, on soigne le client du reste, j’ai eu droit à une suite junior en lieu et place de mon placard à balai standard. L’agence franco-suisse auprès de laquelle j’avais réservé m’a un peu « baladé », j’ai fait montre d’un certain mécontentement, concluant que, la prochaine fois, je ferais comme d’habitude, je réserverais via Booking. Résultat : un généreux surclassement.

Partout, de manière compassée, lassée : serviabilité et amabilité ; parfois de la bonne humeur, de l’enthousiasme de la part d’une surveillante du musée ou d’un garçon de buffet à l’hôtel. Les parigots ont les pattes cassées, il n’y a que les touristes asiatiques qui vous marchent dessus et se montre sans égard comme la foule d’antan. Et au musée, inutile d’acheter des tickets coupe-file, il n’y a plus de file, vous n’en avez pas pour plus de trois minutes d’attente. Un tout prochain billet suivra à propos de la rétrospective Bazille. Au retour du musée, beaucoup de sirènes, lointaines, tournoyantes, comme une vieille urgence. J’ai appris le soir, en regardant les nouvelles, qu’il y avait eu « une manifestation monstre et des violences du côté de la place de la Nation », quasi hors les murs, rien qui ne semblait frapper les passants lors de ma promenade. Du reste, je trouve le commentaire alarmiste totalement décalé face à la réalité que j’ai perçue. Et il y a aussi Bobigny, au bout de la ligne 5, mais les automobiles incendiées sont déjà froides.

Deux jours, deux nuits, quelques courses, une belle exposition, un déjeuner, deux dîners, pas l’énergie d’aller au cinéma, le confort de ma suite m’a retenu derrière un téléviseur HD, Canal Cinéma en clair et « Le Professionnel » avec Belmondo au programme. Une promenade, tout de même, du côté du boulevard Saint-Antoine, une matinée ensoleillée, attraper encore quelques conversations par-ci, par-là, banalisation des rapports conflictuels. Par exemple, un type dans un café raconte à deux amis son arrestation par une dizaine de policiers, plaqué au sol, menotté, alors qu’il sonnait à la porte de celui qu’il croyait encore son petit ami, étrange façon de signifier sa rupture ?! Deux adolescents, sur un banc, place des Vosges, derrière moi, sans complexe, l’un parle de son cousin, de ses trafics, de sa fiancée que le cousin a mis sur le trottoir, et l’autre ado’ de demander si le cousin a déjà été en « garde-à ». Quant à monsieur et madame Tout-le-Monde, ils échangent beaucoup sur les moyens de frauder le fisc, d’économiser, d’acheter à bon prix, de vivre mieux pour pas cher …


Etrange vertige dans le train du retour, impression d’avoir erré dans le scénario d’un film catastrophe, l’introduction, on pose le décor, l’action ne va pas tarder, comme l’incendie qui roule discrètement sous la cendre.

jeudi, février 09, 2017

"Rebecca" de Daphné du Maurier

Ce récit m’avait frappé, très vivement frappé, je devais avoir … douze ans, peut-être treize, nous étions à la fin de l’été, début de l’automne, le dernier épisode coïncidait avec l’ouverture du comptoir. C’était une production de la BBC, les couleurs passées, poudrées de l’image, une atmosphère très particulière, très prégnante, on reconnaît ce genre de série au premier coup d’œil. J’avais été totalement subjugué par l’intrigue, le poids du non-dit et cet impératif de dignité imposé à chaque personnage. J’aurais aimé, aussi, être attaché à une tradition, une grande maison, Manderlay …

Plus de trente ans plus tard, une nouvelle traduction du chef-d’œuvre de Daphné du Maurier m’a décidé d’entreprendre cette lecture : Rebecca ! Quel choc, quelle expérience, quel suspens ! et pourtant, je connaissais l’intrigue, je vous vends la mèche, cela se termine par l’incendie du château après mille et uns rebondissements à fleuret moucheté entre la narratrice et cette garce de Mme Danvers, la camériste, la confidente, la nounou de l’absente à tout ce texte puisqu’elle est déjà morte lorsque débute le roman, à savoir Rebecca. Quel tour de force pour l’autrice, quelle habileté dans la construction. Figurez-vous que la narratrice – nous avons à faire à un roman en « je » - nous reste anonyme de la première phrase au point final. Elle devient assez rapidement Mme de Winter, seconde épouse de Maxim de Winter, veuf apparemment inconsolable de sa belle et brillante épouse (grande, brune, athlétique, charmeuse, excellente cavalière, marin aguerri, hôtesse remarquable, éduquée, cultivée, drôle, etc. et parfaitement insupportable au final et grosse p… à ses heures). Rebecca est de quasi toutes les pages, elle a tout fait à Manderlay, la grande demeure enchanteresse que toute la Grande-Bretagne admire. Elle a fait aménager les jardins, elle a redécoré l’ensemble du château, le meublant de pièces remarquables, fauteuils aux tapisseries anciennes, buffets sculptés, vases d’albâtres, bibelots de porcelaine précieux, tapis, tableaux, tentures etc. Et parmi tout ça, débarque une godiche à cheveux mous !

Et la godiche, récit en « je » oblige, c’est vous, c’est moi ! Je conçois que le roman plaise et frappe avant tout un public féminin ; les hommes ont beaucoup de peine à se glisser dans la place d’un autre, ils se croient … uniques ?! Il était quasi impossible à l’époque de Daphné  qu’un homme jeune épouse une femme bien plus âgée que lui, une maîtresse-femme, et enfile les pantoufles de son mari défunt. Aujourd’hui encore, il y aurait une sorte de « renouveau » du récit, même si cela se déroulait dans une noble demeure pétrie de traditions. Par contre, les femmes sont socialement coutumières de ce genre de situation (phallocratie et blablabla, on aura compris le laïus féministe). Toutefois, il existe une catégorie d’hommes capables de se retrouver dans une telle situation, de s’ébaubir sur de la brocante, des chevaux et des parterres d’hortensias, une catégorie à laquelle j’appartiens : les gays ! J’ai commencé ma vie amoureuse avec des hommes plus âgés que moi (recherche du père ? merci, Dr. Freud, vous pouvez disposer), je venais forcément à la suite de … , devant subir la comparaison avec mon prédécesseur, devant supporter sous un cheveu flagada et sapé comme une godiche (et une pauvresse) les soirées organisées par ma moitié du moment ; et les autres qui, en dépit de votre air emprunté, vous en veulent de votre jeunesse.  Pas une page, pas une phrase, pas un mot de ce roman que je ne porte et dans ma chair et dans mon histoire !

Rebecca paraît pour la première fois en 1938. Je ne connais pas les détails de sa réception par  le public mais je ne peux qu’imaginer l’engouement des lectrices d’alors. Ce titre figure dans le palmarès des romans … policiers ? Décidemment, je suis brouillé avec les étiquettes de genres. Il est vrai que le suspens n’est toujours pas éventé, que vous avez de la peine à lâcher le livre, que vous êtes sur les rotules après les mille et un rebondissements de l’intrigue (un chouïa trop alambiquée mais qu’importe). Oui, qu’importe au regard de la psychologie ciselée des personnages, les femmes surtout, les hommes ont tendance à être monolithiques et inexpressifs. Vous avez la puissance tutélaire et maléfique de Rebecca, son suppôt, l’irascible Mme Danvers et la narratrice, un hybride de Jeanne la pucelle et de David, armé de sa seule fronde. D’autres personnages féminins valent le détour : la grosse van Hopper (la narratrice était sa dame de compagnie au début du texte), la sœur et la grand-mère de Maxim et Clarice, la petite bonne. Maxim semble bien gentil  mais si inexpressif, comme pétrifié. Franck Crawley, le régisseur, a la souplesse d’un bout de bois, il y a tout de même du progrès par rapport à son patron. J’oubliais le beau-frère, un rondouillard jovial à qui Rebecca, alias super-salope, avait fait une gâterie alors qu’ils faisaient seuls un peu de voile sur le bateau de celle-ci. Le seul individu de sexe masculin qui ne semble pas avoir abdiqués de ses attributs, c’est le salaud de service, un butor nommé Favell, cousin et amant de super-salope, maître chanteur accessoirement, porté sur la bouteille et incendiaire présumé.

Je terminerai avec un mot sur Manderley, personnage non-humain, entité indépendante sur laquelle va se greffer l’expression de la volonté de Rebecca. Pour Maxim, il devient une prothèse à son orgueil défaillant. Il s’agit quasi d’une métaphore des mœurs bourgeoises britanniques. Maxim savait qu’il avait épousé une nymphomane ; en échange de ses incartades et autres parties de jambes en l’air, elle lui avait promis de faire de sa maison un lieu très en vue, le joyau du West Country. Pari tenu. Et une jeune femme amoureuse, sincère finira par crever tous ces faux-semblants.