mercredi, janvier 31, 2018

Le quai sous les livres

Depuis 2010, lors du dernier week-end d’août se tient le « Livre sur les quais », le salon qui réunit auteurs et lecteurs dans un cadre exceptionnel. Peut-on parler de patrimoine immatériel comme dans le cas du jumelage Morges-Vertou ? Huit éditions ont suffi à rendre la rencontre incontournable. Elle fait partie du paysage de la rentrée. Les questions qui se posent aujourd’hui : comment pérenniser l’événement, comment le renouveler sans perdre la ferveur des débuts ?

Pratiquement, Morges a gagné une fantastique renommée à travers « Le livre sur les quais ». Jamais nous n’aurions eu les moyens de payer une campagne de promotion comparable à la publicité que nous offre notre salon littéraire. A ce propos, une commission du Conseil Communal réfléchit à l’opportunité d’octroyer un nouveau subventionnement extraordinaire de 100'000.- Entre le plaisir de la population, les retombées en matière de tourisme et d’image, ce ne serait pas cher payé.

Personne n’ignore les difficultés que la manifestation a traversée ni le risque de la voir disparaître. Aujourd’hui, une société dans l’événementiel est venue remettre à flots l’association du « Livre sur les quais ». Evidemment, cette société ne l’a pas fait par philanthropie ; elle s’attend à dégager si ce n’était sur l’édition 2017 du moins dans un délai raisonnable, elle s’attend donc à faire du bénéfice. Cette année, léger faux pas, elle a demandé un prix d’entrée à celles et ceux qui souhaitaient assister à une table ronde, un débat. Ce n’est pas dans l’esprit de la manifestation, du reste la  fréquentation en a souffert. En 2018, l’événement devrait retrouver son caractère complètement gratuit.

Le patrimoine immatériel peut disparaître du jour au lendemain pour cause de désintérêt, pour raison financière mais aussi par rapport à l’image véhiculée. Le livre, la littérature ont et auront toujours une image positive. Les grands noms drainent la foule qui, parfois, s’attarde devant les ouvrages d’auteurs moins connus. « Le livre sur les quais » est à la croisée des chemins. Soit il devient un événement institutionnel qui rapporte, où l’on défraie les auteurs, on paie le personnel d’accueil et les subventions servent à garantir la gratuité au public ; soit il reste un événement de qualité, à dimension humaine, où l’accueil est assuré par des bénévoles, la fréquentation reste gratuite et les subventions  serviraient à payer la prestation de la société d’events et le défraiement de tous les auteurs ayant participé à une table ronde, un débat, etc., histoire que ces derniers ne soient pas les dindons de la farce.


Article paru dans le bulletin 76 de l'Association de Sauvegarde de Morges

dimanche, janvier 21, 2018

"Barbara, la vraie vie" de Jean-François Kervéan

Je ne suis pas « barbarophile », je ne suis pas particulièrement versé dans la chanson à texte, je suis encore moins rive gauche ou droite, ou … je les confonds et je m’en fous. La gloriole gauloirisante de l’après-guerre me laisse de marbre, je ne peux m’empêcher de penser aux foules pétainistes et collaborationnistes. La mentalité en cul de sac des années 50, 60. La chanson, oui, pourquoi pas, de la variétoche, Cloclo, Dalida bien sûr, Annie Cordy, Carlos, Joe Dassin, le Big Bazar de Michel Fugain, du popu, de la paillette et de la gaudriole pour prolo, je retrouve mon jus. Donc Barbara, la grande dame brune. Jusqu’à son surnom éveille chez moi une certaine suspicion. Ma mère nourrissait contre l’artiste des préventions, quasi les mêmes que pour Jeanne Moreau. Ce n’est pas que je n’aime pas Barbara. J’ai quelques souvenirs de chansons bêlées par la dame dans le grand âge, le fameux hymne pour bar lesbien, et le reste de chansons à clefs pour des serrures qui m’indiffèrent. De plus, « Barbara » est le prénom d’une pouffe de ma connaissance, pas une mauvaise fille, une pouffe de l’entourage de mon ex’, mon Dieu, quelle période. Je n’avais pas 30 ans et j’étais pourtant loin du bonheur.

Bon, avec un livre, même s’il porte le titre de « Barbara, la vraie vie », pas besoin de l’écouter et la biographie est signée Jean-François Kervéan. J’ai eu le plaisir d’offrir un verre de vin au monsieur à la maison lors d’une édition du festival « Le Livre sur les Quais » ; Christophe Girard me l’avait présenté. Nous nous sommes échangés nos volumes respectifs du moment et j’ai découvert un grand auteur, une manière d’appréhender la matière littéraire qui me plaît, avec sincérité, sans toile peinte derrière laquelle planquer la personne de l’auteur. Authenticité, donc, et une plume déliée, un style souple, de l’originalité mais rien de forcé, de bonnes trouvailles plutôt, une véritable élégance. Evidemment, j’eusse préféré qu’il m’envoyât une biographie de Julien Green, de Truffaut ou de Montserrat Caballé mais la dédicace est si charmante, elle m’interdit de sortir l’une de mes excuses bidons, « ça n’est jamais arrivé », « on me l’a emprunté et je ne l’ai pas encore revu », « il est passé par la fenêtre ouverte du train dans un cahot ».  En plus, le bouquin est épais, il va encore me traîner aussi longtemps que le Onfray, écrit à l’arrache et d’un antichristianisme qui confine à la connerie, qui encombre une chaise depuis bientôt cinq mois en compagnie d’« Un Président ne devrait pas dire ça » et, sous la chaise, une tripotée de trucs romands illisibles. Kervéan a le mérite d’être toujours parfaitement lisible, et j’ai promis un billet ; l’auteur manque de publicité selon moi. Ce sont toujours les mêmes vantards du marigot littéraro-parigo-parisien qui l’ont ouverte, occupent le champ médiatique et ne laissent pas tant de place aux autres. Je vais tout de même corriger le tir auprès de la petite douzaine d’improbables lecteurs qui jetteront une œil sur ces lignes.

Vous ne devinerez jamais quoi ?! Comme on le dit par ici, j’ai été déçu en bien ! Jean-François Kervéan donne/re-donne une voix à la chanteuse à la rose, brosse un portrait vivant de la chanteuse de minuit, et s’entrecroisent les témoignages de ceux qui fréquentèrent la dame brune. Kervéan paie de sa personne, il n’a pas choisi de pondre une biographie de l’artiste parce que l’on célèbre les 20 ans de sa disparition. Il a cherché à aller au-delà d’une émotion, un concert à Pantin, en 1981, sous un chapiteau, les promesses de la mitterrandie et tout ça. Je n’ai pas envie de casser l’ambiance mais on est bien revenu de l’euphorie de cette époque, comme disait grand-maman « les belles paroles, ça rend les fous joyeux ». Bref, Kervéan avait 19 ans, à Paris, on promettait de changer le monder, réinventer la société. A son âge et à sa place, j’aurais peut-être aimé Barbara et j’aurais eu envie de raconter sa vie au plus proche de l’émotion qu’elle m’offrit lors de ce concert, à Pantin. Attention, ce n’est pas une hagiographie pour fans qui nous est proposée mais une enquête au cours de laquelle Monique Serf cherche sa voie, cherche à exprimer, à évacuer cet orage d’émotions qui parfois l’étouffe. Elle ne veut pas finir comme sa mère, elle est royale, elle veut un destin, son royaume, une couronne. Elle veut être libre, aimer librement, se réchauffer auprès de tous les hommes dont elle aurait envie.

Après le cul de sac des années 50, 60, Kervéan nous déroule la « success story » d’une diva de la chanson dont la seule vraie histoire d’amour c’était lui, son public. Françoise Sagan est aussi invitée à ressusciter, nous raconter avec drôlerie et un cathare du fumeur les hauts et les bas d’une amitié avec Barbara. Après avoir refermé le livre, je comprenais mieux les préventions de maman tout en les trouvant sans fondement. J’avais surtout envie de réécouter « Il pleut sur Nantes » ou « Göttingen ».