mardi, avril 19, 2016

A propos de "Escales", mon dernier texte publié chez Olivier Morattel

Vous reprendrez bien un peu d’autofiction ? Rebelote cette année avec un récit de voyages quelque peu plus riant que « Journal de la haine et autres douleurs », ma publication morattelienne de l’année dernière. Vous y retrouverez mes marottes, mes goûts de vieille fille, ma langue de vipère. Au cours de ces « Escales », nous allons prendre le thé, médire un peu, visiter des expositions de peinture et vous aurez l’immense plaisir de m’entendre me plaindre des masses, de la mauvaise éducation des foules, de l’artificialité de la jeunesse, de la cuisine française, italienne, etc. Vous aurez droit à votre ration de germanophilie avec énumération des merveilleux mérites de ma chère Allemagne. Et comme si cela ne suffisait pas, je vous ferai – en bonne ménagère – la visite in-té-grale de notre logis, à Cy., Lou’(notre chien) et moi. Le moindre bibelot vous y sera détaillé, les habitudes de la maison, le voisinage, la vue, et tous les buts de promenades de Morges et environs.

Dans « Escales », vous ne trouverez ni turlute sauvage, ni méga-teuf, ni name-droping prestigieux, tirage de coke, suspens insupportable, voiture rouge qui fait vroum, success story ou intrigue policière. Et en plus, je vais vous assommer avec des expressions consacrées totalement tombées en désuétude, un vocabulaire vieilli qui vous forcera à jouer du dictionnaire, sans parler des douze-mille-cinq-cent-soixante-quinze (soixante-quinze, oui, et pas septante-cinq, et je suis un pur produit vaudois, d’une souche remontant à 1491, première citation de mes ancêtres de Veley dans le cartulaire de Romainmôtier, ils étaient au service de Notre sainte Mère l’Eglise, et je dis soixante-quinze), bref des très, très, très nombreuses références culturelles qui me sont régulièrement contestées par de vieux peigne-culs soixante-huitards hugolâtres.


Mais pourquoi acheter « Escales » ?! Vous ne serez pas plus beau, plus séduisant, plus intelligent, plus prompt à rencontrer le succès après sa lecture. Toutefois, vous serez peut-être « affranchi » ; peut-être aurais-je réussi à vous glisser dans une poche ce qui m’a été offert messe après messe, un peu de cette confiance, de cette paix qui découlent de la Foi. Je ne chercherai ni à vous convaincre, encore moins à vous convertir : juste vous raconter ma boussole, un petit accessoire bien commode lorsqu’on ne cesse d’aller de ci, de là. Et je vous livre mes secrets de maquignon, de quelle manière je vous soupèse une pétasse – homme ou femme, le terme est épicène, n’en déplaise à certaines féministes, comment contrer le bestiau, se payer sa fiole pour de vrai ou symboliquement, comment contrer sa délétère influence et rester libre. Etre libre !

mardi, avril 12, 2016

"Montecristo" de Martin Suter

J’avais beaucoup aimé « Le dernier des Weynfeldt », excellente peinture – sans jeu de mot – de la bonne société discrète et compassée zurichoise, une saveur bien particulière, une sorte de prolongation du « Mars » de Fritz Zorn. Erreur d’aiguillage pour ne pas dire déception avec « Montecristo », divertissement à caractère littéraire de bien 500 pages, aux éditions Bourgois pour la version française. A ce propos, la traduction doit être aussi lourde que la version originale, vous entendez presque le gros accent râpeux du züüüüritütsch, on n’est pas dans Goethe, de loin pas.

Le pitch, en deux mots, un journaleux vidéo qui nourrit quelque espoir de réalisation (du cinéma suisse, vous voyez le niveau du talent …) se trouve – Oh ! – par hasard en possession de deux billets de 100.- dont le numéro de série est identique et se retrouve – re-Oh ! – témoin d’un accident de personne dans le train Bâle-Zürich et, bingo, les deux faits auront un lien. Le protagoniste s’appelle je ne sais plus comment, il est le prototype du néo-bobo cool dans la comm’ et la culture, il en a tous les accessoires et Suter nous assomme de descriptions inutiles quant à son intérieur de bobo de base, résultat de la fréquentation intensive de broki-shops. Et, histoire de remplir les 500 pages susmentionnées, durant tout le récit, le lecteur a droit à un catalogue de binches, blondes, brunes, exotiques, etc. et comment boire cette foutue bière, sans parler du menu détaillé de tous les personnages et le tout n’apportant strictement rien à la narration. Le pompon, la rencontre du journaleux-vidéo dont j’ai oublié le nom avec une blonde charmante dans la comm’ et l’event, le couple phare zürichois par excellence. Le lecteur aura aussi droit à l’amorce de quelques scènes proto-torrides.

Evidemment, il y a une histoire de conspiration, à un très haut niveau, tout le monde y trempe, même les sept, au sommet, on touche au thriller politico-financier dont la morale est … « vouais, vouais, vouais, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes confédéraux ! » La chute n’est même pas drôle, banalement immorale, condamnable, entendue. J’ai néanmoins passé d’excellents moments avec ce titre ; j’ai, à plusieurs reprises, mouillé la chemise, suspens garanti, car le propos général est bof mais le savoir-faire de l’auteur certain. C’est ici qu’il faut rager du gâchis de tant de talent pour une visée aussi commune. J’ai passé une semaine et demie, deux semaines sur ce livre mais, au final, que m’a-t-il apporté ? Rien. Néant. Pour le même résultat, je regarde M6 en faisant mon repassage.


J’ai trouvé dans ma bonne librairie d’occasions et d’antiques de la Hauptstrasse, Schöneberg, Berlin, « Lila, Lila », un Martin Suter que je n’ai pas encore lu. Dans le U, j’ai commencé à le lire, tout de suite pris dans l’action, la description talentueuse, le mouvement du texte. Arrivé à mon logement, j’ai jeté ce volume. J’allais passer une douzaine d’heures de lecture à un divertissement sans suite alors que m’attendent le journal de Sándor Márai ou le second volume de 800 pages de « L’Homme sans qualité ». Je suis lassé que l’on confonde sans cesse littérature et divertissement (même à caractère littéraire). La littérature vous nourrit, vous appelle à une réflexion, témoigne de son temps, de problématiques universelles et vous rend plus … intelligent, éveillé et pas simplement distrait !

mercredi, avril 06, 2016

Extrait de "La Lumière des Césars", troisième épisode de la série éponyme.

Il y est arrivé, il y arrive toujours, de manière moyennement peu glorieuse ou héroïque mais qu’importe. Il a pris un paquebot à peine rouillé jusqu’en Islande, puis un zeppelin pour Friedrichshafen. Le brouillard était profond en-dessous, tant mieux, cela évite de se faire tirer comme une perdreau ; Wesley n’a pas perdu les bonnes habitudes de Steeven, à savoir ne jamais avoir l’air surpris – rapport à son inculture d’antan – au risque de passer pour un imbécile à longueur de journées. Il a donc vite déduit que la ville natale du dirigeable était devenue un  « hub », un super aéroport avec ses tours d’amarrage en mini « tour Eiffel », ses ascenseurs à cabine lambrissée, et un nœud ferroviaires par la même. Steeven ne connaissait pas le lac de Constance, Wesley découvre. Ça n’a rien du brillant de l’univers de ses songes, c’est même un peu pouilleux sur les bords. Il concède un sens certain de la mise-en-scène mais pour le reste, c’est prolo-land comme dans son enfance et, ici, il est un mec lambda, pas moyen de se repeindre le plafond en rose après un petit somme, transit consécutif. Il est même un sans-papiers, ou papiers pas vraiment vrais, il a fait « un peu » chanter Richie, en toute amitié, après leur nuit de gonflée. Ça sert d’avoir potassé des livres d’histoire ; ça lui donne aussi un rien de référence dans cette vieille Europe ravagée, plus vieille que ravagée selon ce qu’il observe. Il descend dans le grand hôtel Zeppelin, un gratte-ciel renaissant aux façades recouvertes de fresques. Richie lui a négocié un super-forfait avec la traversée et son vol. Le sommet de la tour est perdu dans la brume, la pluie sent les eighties’ en banlieue et un vague espoir derrière. Wesley a voulu passer à travers, comme à l’habitude de Steeven, mais, là, il est au bout, face à un mur, celui de ses fuites métaphysiques. Il s’attendait vraiment à du balaise avec vaisseaux intergalactiques et pétoires laser, au risque de se répéter, le tout en combi moule-burnes avec des pratiques sexuelles inédites, des hybrides à triple sein, des trucs festifs mais on baise pareil de ce côté-ci de l’univers, peut-être un peu moins. Le sommet de la subversion consiste à danser sur de l’acid-schlager en culotte de peau et chaussettes fluo ! Wesley se sent à la fois pris d’un vertige et d’une sorte de constipation psychique, il ne voit pas quoi faire d’autres … Il a voulu ce monde, il l’a eu ! Il voulait être seul dans lui-même, fatigué des sauts temporels, des histoires de résistance, de l’Agence, complots, etc. Il a tout bien tout fermé toutes les portes et balancé la clef, évidemment. Il n’a pas même envie de se mettre la tête en dedans, rien, le gris et la pluie, et ce petit lac calme et étale, quelques flots aciers. Wesley occupe une jolie chambre Art Déco, comme il se doit, au 18ème étage, sous les appartements impériaux, au cas où Sa Majesté ferait un petit saut dans le coin, ou l’un de ses représentants à la cour. L’empereur ne se déplace plus que pour des visites d’Etat. La presse le dit à Saint-Pétersbourg, parti rencontrer le prince régent et tuteur de son cousin le jeune tzar … « Mauvais plan » se dit Wesley, il aurait dû rester à Neu York, à faire vrombir sa voiture rouge avec Rick Astley, fitness, restau’, son joli triplex à Süd Harlem. « Quelle quiche » se dit-il encore, « pas une de droite » et son scaphandre qui décolore, qui devient aussi manche et irrésolu que Steeven, quel était l’intérêt à changer de corps, de vie, de dimension. Y’a pas à dire, c’était mieux avant, même un avant jamais advenu. Pour se distraire, Wesley descend de sa tour, faire une promenade en ville, voir comme on vit dans l’empire. […]