vendredi, décembre 31, 2010

5-4-3-2-1 Ignition

Bilan 2010, exercice classique dont les chefs d'Etat se sortent avec plus ou moins de bonheur, d'Adolf Oggi et son sapin à Jacques Chirac et son horloge à voeux ... Allons-y, cher lecteur, pour ce passage en revue de l'année écoulée. Je vais procéder de manière thématique plutôt que chronologique.

Commençons par les voyages, d'un week-end ou plus. J'ai bien passé cinq ou six semaines à Berlin ... mais ce n'est pas du voyage, j'y suis chez moi. Dans ma chère Allemagne, j'ai renforcé mon attachement au Bodenseekreis. Avec Cy, nous avons séjourné à Constance, Friedrichshafen, Saint-Gall, Bregenz. Cette région à cheval sur trois frontières est pleine de charme. On y mène une vie plaisante, discrète, confortable et aimable. Nous avons poussé un peu plus loin à Stuttgart, une belle cité commerciale, sa gare monumentale d'un style un rien fasciste, la grande avenue bordée de commerces, le château, son petit parc, le Kunstmuseum et cette bonne vie opulente qui s'offre à chaque terrasse, dans chaque café, dans les rues, les places. Je suis aussi allé "redécouvrir" Münich en solitaire (j'y suis passé il y a plus de quinze ans), la ville de l'adolescence de Thomas Mann, de ses premiers succès. On y trouve de beaux cafés. Je retiens particulièrement le Hermann, à l'étage, en face de l'hôtel de ville, et le Puck, près de la neue Pinakothek. J'ai aussi découvert Malte avec Cy, un pauvre caillou recouvert de vieilles briques où l'on fait payer les catholiques pour visiter les églises. Le tourisme fait vivre l'île et la tuera certainement ... Autre destination touristique, la côte dalmate en Croatie. Je garde depuis que nous y sommes allés quelques impressions, quelques images de Hvar, sur l'île du même nom, et le fabuleux palais de Dioclétien à Split, les quais, la villa Mestrovic. Nous avons encore passé quelques jours à Lyon et Zürich.
En matière d'art, j'ai fort goûté une belle exposition Vallotton au salon du livre de Genève, particulièrement un "Paysage, soleil couchant" de 1919, un horizon de feu, d'or, de turquoise, de rose, beauté indescriptible de la mélancolie du couchant, arbres et bosquets, et les promesses de l'enfance. Beau à pleurer. Il y a aussi ma visite de la Neue Pinakothek, pas envie de citer une toile en particulier. Tout comme le Staatmuseum de Stuttgart. De belles institutions.

Question littérature, 2010 sera l'année de ma rencontre avec Julien Green, Léviathan, Adrienne Mesurat, son journal ... Quel choc ! J'ai lu Adrienne en pleine canicule berlinoise et j'en suis resté frappé, interdit. J'ai terminé l'année sur la lecture des Buddenbrook, un nouveau choc. J'ai approfondi ma relation à François Mauriac, Un Adolescent d'autrefois, Le Baiser aux lépreux et une bonne biographie que je n'ai pas terminée.
Quant à ma "production", j'ai fait publier Les Âmes galantes en mai et, fin novembre, les Mémoires d'un révolutionnaire. J'ai surtout mis la dernière main à La nouvelle Fuite à Varennes. J'attends les propositions de correction de mon éditeur. J'ai aussi achevé la rédaction de deux brefs textes qui m'ont beaucoup tenu à coeur, Slideshow (impubliable car fondamentalement scandaleux et amoral) et Tous les Etats de la mélancolie bourgeoise, un petit essai pertinent un rien fielleux.

Je n'ai manqué qu'une ou deux messes dominicales mais aucun des grands rendez-vous liturgiques de l'année. Je suis allé d'un paroisse à l'autre, toujours dans le regret de ce que j'avais connu à Saint-Joseph. En 2012, je compte me rapprocher de la paroisse Saint-André, y retrouver l'abbé Pittet.

Un dernier mot, de cinéma; il y a eu la révélation esthétique et artistique d'un Single man de Tom Ford. Je n'entrerais pas dans le détail, je vous laisse regarder dans les billets de cette année. Un coup de projecteur sur Io sono l'amore, de Luca Guadagnino, une tragédie wagnérienne dans un Milan post-mussolinien. Tilda Swinton y est sublime.

Et quant à ce blog ? Stop ou encore ? Mon éditeur et les journalistes me forcent la main. On m'a collé une étiquette de blogueur. Je voulais mettre un terme à cette aventure; vais-je revenir sur ma décision ?

jeudi, décembre 30, 2010

6. "Le Nom des gens"


Un film, un film français, une friandise, un bonbon acidulé, une perle, un petit rien d'une élégance incongrue de Michel Leclerc. Il m'est souvenu ma période française, quand je n'avais d'yeux que pour Paris et le "miracle mitterrandien". C'était il y a longtemps ... C'était quand j'avais vingt ans. Tout le monde était persuadé que les matins clairs commenceraient à se lever sur la Ville Lumière, sur la France.

"Le Nom des gens" donne envie de voter socialiste, de croire au modèle républicain, au joyeux métissage black-blanc-beur autour d'un coup de rouge. Bahia Benmahmoud (Sara Forestier) est une jeune fille délurée, touchante et désinhibée. Un peu folle ... Arthur Martin (Jacques Gamblin) est son parfait contraire et comme tout le monde le sait, les contraires s'attirent. Le scénario est un habile prétexte à une galerie de portraits et une collection de situations cocasses. Bahia nue dans le métro - elle a oublié de passer un vêtement - reluquée par un musulman traditionaliste (ça, aussi, se voit à la tenue). Bahia ne trouve qu'à lui répondre "bon, ben ça suffit, t'as jamais vu une femme à poil ?".

En gros, "les origines, on s'en fout" et quelque soit le tragique du parcours de chacun, ce n'est pas une raison pour se faire la tête, la guerre, se détester. Il y aura toujours une table à laquelle s'asseoir, un repas à partager, une bouteille à ouvrir ... La belle fraternité ! que je n'ai jamais rencontrée ni au POP (j'ai été membre de ce parti), ni dans le milieu gay (j'ai aussi fréquenté cette chapelle-là) mais que je retrouve à chaque fois que je fréquente "notre sainte mère l'Eglise" ! La messe est bien le seul instant, le seul lieu (la manifestation spatio-temporelle de la communauté catholique) où l'on ne m'a pas fait sentir que j'étais soit trop ceci, soit pas assez cela !

P.S. Avec Cy, mon homme, nous avons assisté à une très belle veillée de Noël à Saint-André.

vendredi, décembre 17, 2010

7. Tony, Thomas, Christian et les autres


Tony, Thomas, Christian et les autres ... Buddenbrook évidemment ! En ce momement, en ce temps de l'Avent, je partage mon temps de loisir entre la promotion des "Mémoires d'un révolutionnaire", la lecture du Pentateuque (Genèse, Exode, Lévitique, Livre des nombres, Deutéronome) et les Buddenbrook, effets du hasard. Ce sont deux lectures que j'ai longtemps repoussées. Les deux sont "impressionnantes". L'Ancien Testament brille de l'éclat baroque d'un or ancien et les Buddenbrook, un récit familial d'un veine quasi biblique, quelle peinture édifiante et sensible !

Je retrouve à travers le personnage du sénateur Thomas Buddenbrook toute la démission d'une nature insatisfaite et hésitante, un trait contre lequel je passe beaucoup de temps à me défendre, tout comme le sus-désigné personnage. Il y a aussi la notion du masque ... Au risque de déplaire et de me faire chapitrer par quelque autorité, je préfère paraître toujours au plus près de moi. Je pourrais encore évoquer l'hypersensibilité de Christian, la dignité de Tony, ses à prioris enfantins et sa patience face aux contradictions de la vie. Je suis les Buddenbrook.

J'ai coutume de dire en interview que j'aurais aimé jouer les Thomas Mann mais que, ne provenant pas d'un milieu suffisamment bourgeois, je me suis rabattu sur Thomas Bernahrd ! Derrière le bon mot, je conserve toutefois la nostalgie de cette bonne vie allemande qui m'attire tant et m'appelle depuis ma rencontre avec Berlin.

dimanche, décembre 05, 2010

8. Chez les Buddenbrook

Enfant, je me rappelle avoir été fasciné par une série télévisée, l'histoire d'une famille allemande au XIXème siècle. Je n'entrais pas encore dans les méandres et les enjeux du récit mais j'en gardai une sorte de connaissance intuitive, une collection d'impressions, de sensations très prenantes. Adolescent, mon père m'emmenait parfois en voiture au collège de l'Elysée - j'ai fait la "primsup" puis une année de "rac" au collège de l'Elysée. Nous passions devant un bon bâtiment très "dix-neuvième-siéclard" que je surnommais la "Buddenbrookshaus" ...

Lorsque, simultanément à Berlin, je connus Thomas Mann, il me souvint la fameuse série télé. Je ne fis pas immédiatement le lien; je ne connaissais rien de l'oeuvre de l'intéressé. Depuis, j'ai lu du Heinrich, du Klaus, des biographies, du Golo, du Erika et, enfin, du Thomas ! Les Buddenbrook, déclin d'une famille. Ce récit n'a rien de monstrueux, le genre de pavé-pensum que l'on traîne des mois durant. Je suis entré dans le récit comme je suivrais mes histoires de famille (élargie). C'est avec un certain effroi que je découvre que des principes bourgeois surannés guident encore tant les moeurs contemporaines. Je ne parle pas de tempérance, de retenue, de bonne vie mais de ce souci panique du "qu'en dira-t-on". Le couple est le lieu de la réalisation sociale et de l'accession à un certain niveau matériel, y compris le couple gay ... surtout le couple gay ! Aujourd'hui, Antonie Buddenbrook serait un jeune homme passant d'un mauvais pacs à l'autre.

vendredi, novembre 26, 2010

9. Laharpe, héros méconnu

Laharpe ou l'histoire d'un homme insoumis, insurgé, un peu orgueilleux et parfois de mauvaise foi ... Laharpe ou le héros méconnu. J'ai passé ses "pantoufles" et ai rédigé ses confessions en "je", un constat de fin de vie qu'il aurait rédigé fin 1837, début 1838. Je laisse le soin à mes lecteurs de se faire une idée, lire les "Mémoires d'un révolutionnaire". Ils peuvent aller glâner des informations sur le site et la page "facebook" des éditions Morattel.
Le travail de promotion a cela d'étrange qu'il faut se remettre en phase avec le texte, un texte "accouché", le travail serait terminé. Je relis l'un ou l'autre passage des "Mémoires ..." et me surprend à le ... découvrir. Le texte est sorti de moi, il vit sa vie et je le lis comme je lirai n'importe quel texte qui ne serait pas de moi. Les "Mémoires ..." ont été relus, corrigés, mis en forme et imprimé, tant d'autres les ont portés; à présent, ils sont aux lecteurs.

Agréable interview vendredi matin, sur Couleur 3, menée par Catherine Fattebert. Les trottoirs de la Sallaz étaient encore un peu enneigés, une belle lumière rase, un temps d'Avent ... Le rendez-vous n'avait rien d'inquiétant. Je me suis demandé si je percevais le paysage différemment, à présent que je le perçois avec les yeux d'un auteur "reconnu". Mes précédentes sorties ont toutes été si discrètes que j'avais à peine l'impression à mes propres yeux d'être écrivain !

jeudi, novembre 18, 2010

10. Potiche et autres nids à poussière


On n'en finit pas de vivre avec son passé ... L'autre jour, je suis allé voir "Potiche", le dernier film de François Ozon, avec Catherine Deneuve. Je suis allé le voir pour la grande Catherine, un peu trop étroitement sanglée dans sa gaine, le souffle court, la réplique parfois hésitante, grand paquebot du cinéma français ... une légende toujours sur le point de prendre l'eau de partout mais ça flotte encore.

J'y ai retrouvé une esthétique, un charme propre à mon enfance, le chic du skaï crème, les couleurs acidulées et un ton, une vision du monde qui confine à la non-vision ... Ah ! le charme d'antan, quand on pouvait cloper, forniquer et polluer sans arrière-pensée. On jouait à la vie en laissant l'avenir régler les vrais problèmes.

Je vous écris - évidemment - planté derrière la télévision. Et je regarde une émission sur la pop et les stars des années quatre-vingts, du "cheni" fluo qui a aussi mal vieilli que ma madone de plastic phosphorescent achetée par correspondance chez Védia, mon premier objet de piété ! De la bimbloterie à laquelle je ... nous restons tous attachés. On ne peut tout de même jeter de pareilles choses, ce serait se couper un bout de l'âme.

D'une certaine manière, les "Mémoires d'un révolutionnaire", les confessions de mon Laharpe tiennent du même fétichisme passéiste, le kitsch en moins. La promotion de mon dernier roman a déjà commencé, vernissage le 23 novembre de 18h30 à 21h30 au café le Sycomore à Lausanne, 31 rue de l'Ale. Olivier Morattel est un éditeur très actif et efficace. Il vient de la finance, il sait vendre "le produit" et j'aime cela. Il a ma totale confiance. Petit rappel de la teneur de mon dernier roman dans mon prochain billet.

vendredi, octobre 29, 2010

11. On ne change pas ...


... une équipe qui gagne surtout quand elle perd ! Je vais donc encore parler de Berlin - où je me trouve - je vais encore évoquer Mauriac, Green, Thomas Mann et Bernhard et mon catholicisme, je vais "tirer" un message de plus afin d'honorer ma promesse comme un époux honore son épouse après vingt ans d'épousailles et de routine. Je baille ... non, je ne suis pas fatigué, je m'ennuie, voici un mot que lâchait Lucien Guitry lorsqu'il baillait en public. Je le sortais aux aspirantes infirmières dont j'avais la charge, des élèves d'une école de soins infirmiers (une école privée et pathétique dont la direction est frappée d'alcoolisme) mais les demoiselles manquaient d'humour et ont répété au seul membre non-alcoolisé de la direction que je m'ennuyais. C'était une dame qui ne supportait les hommes qu'émasculés et/ou alcooliques ... ça laisse songeur et qui, de nos jours, connaît encore Lucien Guitry. Bref. Je peux me perdre rêveusement dans la contemplation de la vue (voir illustration) que m'offre la vaste baie vitrée de l'appartement que j'ai loué pour ce séjour, un grand appartement décoré avec goût dans lequel je flotte au-dessus de la ville qui s'offre à moi sur près de trois-cents degrés.

A propos de Mauriac, mea culpa, il me semble que j'avais insinué une légère vacherie quant à l'origine de son succès, ce dernier coïncidant avec son mariage; l'élue était une demoiselle Lafon, demoiselle dont le père aurait été un auteur reconnu et primé en ce temps. J'avais pourtant lu la chose. En fait, le beau-père de Mauriac était banquier et le Lafon auteur et primé était gay, aussi peu assumé que Mauriac dont il était un ami proche (ne me demandez rien quant au niveau de proximité).

Autre vacherie. J'ai, dans un essai intitulé "Tous les états de la Mélancolie bourgeoise", taillé quelques costumes à L.B., cinéaste romand reconnu. Il s'était complaisamment étalé dans une sorte d'article hommage à un grand auteur romand fraîchement décédé dans lequel il alignait mensonge sur cliché. J'ai lu dimanche dernier une chronique de sa main et ai hurlé de rire. Cet homme a du talent et je sais l'apprécier. Qu'on se le dise et le répète lorsque mon essai sortira.

Pour le reste, ça attendra demain, je suis fatigué pour l'instant...

samedi, août 28, 2010

12. De la pudeur selon Mauriac


François Mauriac avait une pratique de la pudeur ... à la limite de l'hypocrisie. Il était gay, passionnément attaché à la perfection de la jeunesse, à la beauté masculine. Il passa sa propre jeunesse à papillonner autour de Cocteau et de Lucien Daudet. Toutefois, il ne se départit jamais de sa foi catholique ... Jean-Luc Barré, dans le premier volet de la biographie qu'il lui consacre, expose avec habileté la double influence qui régit l'intimité de l'auteur.


Je n'arrivais pas, jusqu'à il y a peu, à me faire une "religion" à propos de la discrétion mauriacienne. L'a-t-il fait ou pas ? Je pense que oui, une fois au moins oui, preuve à l'appui. Aurait-il dû assumer ? Oui, trois fois oui et qu'importe si une tripotée de vieilles filles racornies de partout en eussent fait une attaque. Nous avons tous le devoir d'assumer ce que nous sommes et encore plus particulièrement lorsque nous faisons partie de la grande famille des intellectuels. Julien Green ne renia rien de sa jeunesse et n'en perdit pas pour autant la foi. Le Seigneur nous aime tel qu'il nous fit : libres et très différents les uns des autres.


Après une récente conversation avec une connaissance, je compris la délicate position du Mauriac privé face au Mauriac public, l'auteur reconnu. Cette connaissance, que je n'avais pas revu depuis avant les vacances s'enquit de ce que j'avais fait ces derniers temps, mes voyages, etc. A brûle-pourpoint, il me lança "je viens de me taper une jeunette de vingt-deux ans sur la plage d'Epesses" et de rendre précisément compte de sa rencontre, avec tous les détails. Nous n'étions pas au chapitre des confidences égrillardes. Je subis poliment ce récit et repensai à Mauriac, le discret Mauriac qui tenait la jeunesse, la beauté, l'attirance sexuelle en trop haute estime pour les salir par des allusions grossières qui n'auraient eu, pour seul but, que de vaniteusement faire valoir son auteur. Pour preuve, le séducteur dut tout de même s'enquérir de l'âge de son gibier ...




vendredi, juillet 09, 2010

13. Emma, Julien, Adrienne et les autres

Vous ai-je déjà parlé des bruits de la nuit alors que, à Morges, dans un quartier périphérique de Morges, un quartier populaire, à la lisière de villages cossus, dans mon lit, la fenêtre grande ouverte sur les parfums et les sons de cette campagne alentour je lisais "Madame Bovary" et le "Rouge et le noir". C'était l'été, j'avais ... quatorze ou quinze ans et je lisais en me forçant un peu ces "grands" romans. Quelques beaux passages mais, particulièrement avec "Madame Bovary", une compréhension intuitive de l'ennui et de la pusillanimité de cette femme. Julien, à l'époque, me parlait bien plus ! Que de fois, alors que je tentais de séduire maladroitement un garçon, je pratiquai sur un mode Sorel. "quand l'heure pleine sonnera, je lui prendrai la main".

Jamais je ne fus un bon "chasseur". Soit l'on plaît, soit l'on ne plaît pas ... et pour ce genre de choses, les finasseries ne sont pas de mises, on sait très bien de quelle façon ça se finira. J'aurais quarante ans le 20 juillet et, de mon adolescence, je ne retiens pas quelques boulimies sensuelles ou d'inoubliables "foirées", je garde le souvenir exact d'Emma, de Julien, il me souvient un été avec la vaste saga de Dumas (de son nègre plutôt), de "Joseph Balsamo" au "Collier de la reine". Je me souviens aussi du premier roman que j'écrivis, un roman historique ! qui, de dépit, finit à la poubelle. J'avais écrit ce texte pour les 700 ans de la commune de Morges. Je livrai un manuscrit, le jury lui préféra et de loin de jolis travaux besogneux. On ne me remercia pas même de l'effort.

Ce soir, je suis à Berlin, Schöneberg, quartier gay. Il n'est pas tard pour Berlin mais j'ai préféré profiter du calme exceptionnel de mon logement, un "obergeschoss" au-dessus d'un bordel où des filles qui ne savent pas marcher avec des talons trop hauts ramènent le client racolé dans la rue. J'entends la rumeur de conversations lointaines, la circulation comme le flux d'une rivière, le vrombissement des bus, "Ersatzverkehr", les U-Bahn s'arrêtent tout de même trois-quatre heures durant la nuit. Je perçois aussi de jeunes gens turcs et la scansion saccadée de leur allemand, ils sortent peut-être du bordel. Je retrouve avant tout la nuit et ses miracles, une nuit pareille à celles que je connaissais à quatorze-quinze ans. Il y a un roman posé près de moi, un texte que je dévore dans les transports, à la plage, au parc, au lit, "Adrienne Mesurat" de Julien Green. Tout le poids de l'ennui et de l'enfermement se retrouve chez cette jeune fille, une vie à passer à côté de la vie ...

Je me persuadai longtemp d'être passé à côté de la vie, je ne vis sincèrement pas passer les vingt-cinq dernières années. Il y a bien ce corps plus aussi fringant que je le souhaiterais, son usure, ses paresses alors que je serais libre de faire la tournée de tous les pince-fesses gay du coin, et il y en a mais le charme discret de la littérature et cette nuit, à mille kilomètres et plus de vingt ans de celles que je connus à Morges, cette nuit me retient, lire encore quelques pages d' "Adrienne Mesurat".

dimanche, juin 06, 2010

14. Carrie et moi


Je n'ai jamais cessé de balancer entre Carrie Bradschaw et ... Thomas Bernhard ! Cela tient d'un grand écart magistral. Rajoutez à cela mon catholicisme, mes "difficultés" à vivre simplement une relation de couple, quelques fantômes dans le placard, la crise de la quarantaine et les facéties de Cy; je tiens là le strory-board le plus "branque" d'un improbable épisode de Sex and the City joué sous exta. J'avais prévu un autre petit billet charmant sous le chiffre 14, un mot à propos de ma Pentecôte, à Münich, Thomas Mann, ma chère Allemagne wilhelminienne et deux ou trois considérations moroses de fond mais je sors à peine du cinéma avec Cy (pour ceux qui tomberaient sur ce blog par hasard, Cy est un garçon, mon compagnon depuis bientôt trois ans et, oui, je suis gay).

Nous avons passé un formidable moment avec Carrie, Samantha, Charlotte et Miranda, Sex and the City 2, des histoires, une histoire belle comme la vie et je me suis souvenu pourquoi j'avais déjà traversé tant de crises avec Cy, pourquoi cela valait la peine, et je me suis aussi souvenu que, lorsque j'ai commencé ce blog, j'avais un voeu, très simple et très compliqué à la fois. Je voulais d'un mari ... un garçon qui m'aimerait. Cet après-midi, j'ai pu me dire ce que j'ai su dès le premier instant : c'est lui, c'est Cy et qu'importe si parfois il ne me comprend pas, je ne suis pas toujours facile à suivre. Je ne vais pas devenir un auteur sirupeux enrubanné de rose bonbon, je ne vais pas quitter mon "réalisme désabusé" mais je vais tâcher de me souvenir à chaque fois que je serai trop acerbe de cette après-midi au cinéma.

Encore deux mots de ce film, son intelligence, la qualité de sa photographie, des images belles comme une relation idéale, un mariage gay de conte de fée, une promenade sur la plage dans une atmosphère à la Shérazade, juste retrouver un peu du plaisir que j'avais à vous écrire depuis mon vieil appartement, la fenêtre ouverte à la belle saison, le bruissement de la nuit, ou depuis mon lit, de lourds flocons s'écrasant sous le faisceau orangé des réverbères de l'avenue de Morges en hiver ...


P.S. Le précédent billet n°14 deviendra le billet n°13 et sera posté fin juin, ce sera notre Pentecôte différée.

vendredi, avril 09, 2010

15. Impressions berlinoises


A Berlin, je ne suis pas en vacances, je mène ma vie ... berlinoise, faite de courses à travers la ville, de visites à des oeuvres; j'entretiens un commerce amical avec les oeuvres d'art de ma connaissance, je vais trouver les Carus et les Friedrich de l'Alte nationale Galerie, ou l' "Amour als Sieger" du Caravage à la Gemälde Galerie, les Otto Müller du Musée Die Brücke, les Nolde de la Neue nationale Galerie. Il y a aussi Ch., Li. et la mère de cette dernière. Il y a les bistrots, les salons de thé où j'ai mes habitudes en dépit des changements perpétuels. Je me suis surpris, l'autre soir, à cheminer sur un trottoir de luxe dans cette ville, un trottoir parfaitement terrassé, avec la bordure de petits pavés, les pavés plus larges pour le bas-côté où se garent les voitures, et les plaques de béton moulé pour le revêtement central, un carrelage parfaitement ajusté. Tout ce luxe, derrière les voies de trains et de S, à trois cents mètres de l'Ostbahnhof. Un lieu que j'ai connu autrefois dépourvu d'éclairages, au sol criblé d'ornières vaseuses et, partout, des ruines post-industrielles. Aujourd'hui, on y trouve LA BOITE de Berlin, le Berghain, un lieu qui a perdu son âme alors que les rues qui l'avoisinent se sont couvertes de réverbères high-tech et de mégastores du jardinage, du bricolage et de la mangeaille.

Je décolle dans quelques heures. Je rentre satisfait. J'ai passé ma dernière soirée avec Berlin - jusqu'à mon prochain séjour - au cinéma, l'Odeon sur la Hauptstrasse. Je suis allé voir "A single Man" de Tom Ford avec Colin Firth et Julianne Moore. J'ai failli manquer ce film si mal vendu en Suisse et en France. A aucun moment, je n'ai entendu dire que le principal protagoniste était gay, qu'il vivait le deuil de son ami. J'étais persuadé d'avoir affaire à une bluette académique. Je n'irai pas jusqu'à parler d'une conspiration du silence ... Toutefois, je constate que j'ai vu ce film à Berlin, tout comme j'ai vu "Lourdes" de Jessica Hausner avec Sylvie Testud. Silence radio dans les salles romandes. La religion poserait-elle autant de problème que l'homosexualité ? Sous des dehors de tolérance bonnasse, ne se cacherait-il pas une volonté de nivellement des particularismes et différences ? Cette tolérance n'est que le fruit blet d'une impéritie crasse.

Je pars dans quelques heures, j'emporte le souvenir de la visite au Neues Museum, le nouvel ancien musée égyptien que l'on a remis à peu près en état dans un goût et une mise-en-scène dignes des trottoirs d'un luxe inutile aux abord du Berghain ... L'endroit est si chic, qu'il faut acheter son billet à l'avance et pénétrer le saint des saints à une heure dite. Il y a deux ou trois beaux effets pour un ensemble assez peu intéressant. On en vient presque à regretter son précédent état et les bombes alliées. Qu'importe, Berlin se situe à un autre niveau. Son snobisme muséal lui passera aussi vite que la nouveauté de la chose.





dimanche, mars 28, 2010

16. Endlich zu Hause


Le dimanche des Rameaux n'est pas très festif à Berlin. On annonce les souffrances du Christ, on s'appesantit sur sa mort prochaine, sur le déchirement des derniers instants et on oublie son entrée triomphale dans Jérusalem et La Promesse dont il est porteur ! Je me souviens d'un dimanche des Rameaux à Barcelone lumineux, d'une procession et de la messe donnée à une foule enthousiaste sur le parvis de San Augustin. Les catholiques berlinois se roulent dans un victimisme hors de propos, incompréhensible ... En fait, ils pratiquent la foi hors les églises, quelles qu'elles soient. "Ni Dieu, ni Maître" pourrait être peint en lettres capitales sur tous les panneaux annonçant l'arrivée à Berlin.

samedi, février 27, 2010

17. Temps de carême


Dans l'attente du printemps - quoique je ne sois pas un fétichiste de la belle saison et de ses débordements obligatoires - il nous est donné un temps de carême, un moment de repli, ou plutôt de retour à soi avant le miracle pascal. Je vis ce temps dans la compagnie de Mauriac et de son "Adolescent d'autrefois", une envie subite après ma longue parenthèse littéraire germanique, près d'une année en compagnie de Thomas Bernhard. Je retrouve la morale scrupuleuse de Mauriac le catholique, dont la personnalité est tout enroulée autour d'un secret "inavouable". Je retrouve un Paris qui n'existe plus et une région bordelaise toujours aussi bien élevée, fière et discrète. En compagnie de Mauriac, j'attends Pâques et Berlin, j'y passerai le dimanche des Rameaux, et le Vendredi Saint. La veillée pascale aura lieu en Suisse, je ne manque jamais le dîner de Noël et de Pâques chez ma mère en compagnie de ma soeur, mon neveu, ma nièce et, peut-être, Si. si son horaire le lui permet.

L'édition d'un "Adolescent d'autrefois" que je me suis procurée - une édition de poche - est augmentée d'un appareil critique, ça sent la lecture studieuse et le programme de bac. Toutefois, le propos y est intelligent. J'ai même parcouru un bio-bibliographie express dans laquelle j'ai appris l'existence des "blocs-notes" de Mauriac. Je savais qu'il avait publié des textes personnels, de la réflexion sur l'actualité et l'époque mais cet intitulé de "Bloc-notes" m'a frappé, cinq volumes, du blog avant l'heure ! Mauriac tiendrait-il un blog s'il était vivant aujourd'hui ? Ce n'est pas improbable. Jean-Louis Kuffer tient lui-même un blog sagace et érudit. Je m'interroge sur les moyens de diffusion de la "chose" littéraire. Madame de Sévigné fut sacrée autrice du fait de sa correspondance. Du vieux ragot mondain, un travail surfait selon mon avis; on y apprend ... rien et tout à propos de M. de Truc, Mme de Bidule, la princesse de Chose ... Un pensum ! On aurait mieux fait de laisser son caractère privé à cette ennuyeuse correspondance. Le trois-quarts des blogs ne sont pas plus intéressants et nettement moins bien écrit !

Question diffusion de mon travail, j'ai donné une interview sur Espace 2, "Entre les lignes", une série d'émissions consacrée à un numéro du journal littéraire "Le Persil", un numéro portant sur le "Tiers participant" ou comment les autres interviennent dans le texte. Évidemment, mes "collègues" auteurs ont rendu des hommages en long, en large et en travers à Pierre, Jacques ou Jean; quant à moi, j'ai expliqué à quel point l'autre, en général, "me les brise". Pour les besoins de l'émission, un acteur a lu mon texte et j'ai répondu à quelques questions par la suite. Au cas où cela vous dirait, vous pouvez écouter mon intervention et la lecture du texte sous le lien donné au début de ce message, en date du 8 février, cliquez le petit logo juste à côté de la date et vous me trouverez entre la minute 15 et la minute 30.

samedi, janvier 09, 2010

18. Coco Chanel et Igor Stravinsky


La liaison est présumée, elle reste dans le cadre du vraisemblable, Coco Chanel et Igor Stravinsky, un film, la peinture d'une époque, le premier quart du XXème, des images d'un graphisme parfait, d'une élégance léchée et la musique, le ballet, le service impérieux de l'art, une Anna Mouglalis dans la peau de Coco encore plus Chanel que Gabriel ... Stravinsky n'a pas eu peur d'affronter la nouveauté radicale à laquelle son talent l'a ouvert, pareil pour Chanel; le réalisateur Jan Kounen s'inspirant d'un roman de Chris Greenhalgh a merveilleusement rendu cette époque contradictoire, séduisante et inique, le glissement d'un monde de traditions vers ... autre chose. L'oeuvre est esthétiquement aboutie, froide comme la réussite et attirante comme un garçon inaccessible. J'ai, le temps d'une séance, retrouvé ce cinéma d'atmosphère qui n'a guère plus court aujourd'hui.


Sitôt sorti de la salle, j'ai tout de suite voulu écrire un billet. Accessoirement, cela fait plus de cinq jours que je repousse le moment de vous parler. La semaine dernière, Avatar avait suscité mon enthousiasme, voire même mon ravissement; j'avais pensé en dire quelque chose et, finalement, la nécessité m'en a passé. Je n'ai pas envie de surfer sur la vague d'un engouement général quand bien même il est légitime. Je ne suis pas fait pour ça. Mon travail d'auteur m'entraîne ailleurs ... ailleurs que sur un blog ! Je suis donc venu vous dire que je vais m'en aller, que "Le Monde de Frevall" ne va pas durer pour la simple raison que je n'en vois plus l'intérêt. Je suis quelque peu mieux établi dans ma "carrière" d'auteur. Soit, je suis peu publié, encore moins lu mais, dans les deux cas, je le suis, tout de même.


J'ai adoré vous écrire, vous parler de ce que j'aime, vous faire partager mes préoccupations et mes "coups de coeur". Avec vous, j'ai fait face aux critiques, à la tentative de censure ... A présent, mon blog est un pauvre îlot perdu dans la toile, il représente toujours un investissement de ma part (temps, effort) mais sa forme n'est de loin pas à la hauteur de son contenu. Vanité ?! oui, peut-être mais mon travail d'auteur mérite un certain cadre et du respect. Je ne suis pas programmateur, je ne vais pas transformer mon blog en un sapin de Noël internautique, avec plein de gadgets qui lui assureraient un minimum de visibilité.


Nous n'allons pas nous quitter comme ça ... Je vais encore tenir ce blog jusqu'au 31 décembre 2010. J'ai décidé de vous offrir dix-huit articles pour cette année, encore dix-sept, le dernier au 1er décembre 2010. Et, pour 2011, vous retrouverez peut-être ma plume sur la toile, ou non ... A moins que vous ne retrouviez mes billets internautiques dans un florilège publié ?! Je ne sais pas, pas encore. Encore tous mes voeux pour cette nouvelle année.