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lundi, novembre 21, 2022

 


Il faudrait que je donne des nouvelles, dire que tout va bien, finalement, outre la colère, le dégoût, le mépris … Je ne citerai pas de noms, à peine quelques circonstances : le collaborationnisme des bistrotiers, des espaces culturels, des autorités de la bonne ville que nous avons quittée. La résistance d’une poignée aussi. Vous me direz que notre nouveau séjour rural a certainement été touché par les mêmes maux, la même petitesse, le même délire nasitaire. Soit. Nous n’y étions pas. Ce village est une page blanche, une sorte d’armistice. En attendant. Godot ? la vérité ? le grand soir ? la résurrection des boutons de guêtres comme le disait grand-maman ? En attendant que les salauds, demi-salauds, demi-sel et autres seconds couteaux soient traînés devant les tribunaux. En attendant un timide « nous nous excusons », « nous avons eu tort » et, peut-être, reprendre là où on en était resté. En attendant, les promenades le regard courant sur les crêtes du Jura, le silence de la nuit, les étoiles, l’odeur de l’air, autant de remèdes dans ce qui ressemble à une convalescence. Même les tableaux ont l’air plus heureux aux murs de la ferme Bally ; nous louons des comble chez le paysan poète. Selon le trajet de la balade avec les chiens, je passe trouver le défunt homme au cimetière, j’ai trouvé sa tombe, qu’il partage avec sa soeur et son épouse.

samedi, novembre 02, 2013

The bonfire of vanities


Le bûcher des vanités, Florence, le 7 février 1497


Ne pas tout ramener à soi ou l’égo surdimensionné des auteurs … dont on parle, des leaders d’opinion, des gens en vue. Ne devrait-on pas dire plutôt des gens qui bouchent la vue ?! J’ai pourtant tant aimé l’autofiction, sa vitalité incoercible, son éclat sauvage, ses fulgurances prophétiques. J’ai tant aimé les témoignages à la première personne pour leur sincérité. I’m fed up. Je suis barbouillé par cette perpétuelle foire aux vanités, comme un chewing-gum métaphorique qui vous colle à la culture, un truc mâchouillé, recraché et qui ne m’inspire pas la moindre dévotion ; j’ai passé l’âge de jouer les groupies.

Le « je » n’est plus cette bannière à tête de mort flottant sur un bastion pirate, c’est un bandeau publicitaire, une réclame vantant la jeunesse, le sex-appeal, le look, la réussite de faiseurs aussi passionnants qu’une dosette de lessive. La bonne gueule de l’intelligentsia néo-peoplesque et la fulgurance de son succès en vertus cardinales et commerciales. Et le talent ? Tout tient à l’emballage, et puis c’est jeune, c’est neuf, ça occupe le terrain, ça fait vendre à défaut de faire réfléchir.

J’ai plaisir à parler d’auteurs, d’artistes dont l’œuvre me touche, à témoigner de mes inclinations mais je refuse de servir la soupe. Jamais un Mauriac, un Green, un Mann (père ou fils) ou même un Morand ne se seraient affichés avec la complaisance de nos peoples culturels. Ni même un Bonnard, un Nolde, un Balthus, un Satie, un Béjart ou un Truffaut. Tous les précités n’étaient pas forcément des parangons d’humilité, ils avaient des usages …

Tant pis pour le « main stream » et la mode, vous allez continuer de lire de vieilles choses dans ces lignes. Je ne veux plus même donner d’importance aux cuistres qui font l’actualité, leur faire la moindre publicité. Je m’abstiendrai avec regret, je suis si bon dans la critique.

samedi, août 28, 2010

12. De la pudeur selon Mauriac


François Mauriac avait une pratique de la pudeur ... à la limite de l'hypocrisie. Il était gay, passionnément attaché à la perfection de la jeunesse, à la beauté masculine. Il passa sa propre jeunesse à papillonner autour de Cocteau et de Lucien Daudet. Toutefois, il ne se départit jamais de sa foi catholique ... Jean-Luc Barré, dans le premier volet de la biographie qu'il lui consacre, expose avec habileté la double influence qui régit l'intimité de l'auteur.


Je n'arrivais pas, jusqu'à il y a peu, à me faire une "religion" à propos de la discrétion mauriacienne. L'a-t-il fait ou pas ? Je pense que oui, une fois au moins oui, preuve à l'appui. Aurait-il dû assumer ? Oui, trois fois oui et qu'importe si une tripotée de vieilles filles racornies de partout en eussent fait une attaque. Nous avons tous le devoir d'assumer ce que nous sommes et encore plus particulièrement lorsque nous faisons partie de la grande famille des intellectuels. Julien Green ne renia rien de sa jeunesse et n'en perdit pas pour autant la foi. Le Seigneur nous aime tel qu'il nous fit : libres et très différents les uns des autres.


Après une récente conversation avec une connaissance, je compris la délicate position du Mauriac privé face au Mauriac public, l'auteur reconnu. Cette connaissance, que je n'avais pas revu depuis avant les vacances s'enquit de ce que j'avais fait ces derniers temps, mes voyages, etc. A brûle-pourpoint, il me lança "je viens de me taper une jeunette de vingt-deux ans sur la plage d'Epesses" et de rendre précisément compte de sa rencontre, avec tous les détails. Nous n'étions pas au chapitre des confidences égrillardes. Je subis poliment ce récit et repensai à Mauriac, le discret Mauriac qui tenait la jeunesse, la beauté, l'attirance sexuelle en trop haute estime pour les salir par des allusions grossières qui n'auraient eu, pour seul but, que de vaniteusement faire valoir son auteur. Pour preuve, le séducteur dut tout de même s'enquérir de l'âge de son gibier ...




mardi, juillet 24, 2007

Mein Schatz


J’ai vu … j’ai vu des choses bien trop précieuses pour les livrer ici. Je vais les garder dans le secret momentané des chroniques berlinoises, je vais les garder pour moi, à moi, encore un peu, juste le temps d’en croire la mémoire de mes yeux, de me remémorer la saveur si rare de cet instant, de cette situation pourtant banale au demeurant ; pensez donc, une scène de bus ! Je regrette presque d’avoir tant fait de bruit autour de Berlin, de l’avoir galvaudée alors qu’elle est faite pour l’entre-deux somptueux de révélations entre gens introduits, je veux parler de la porte entrouverte sur un ailleurs à propos duquel les connaisseurs s’entendent … Ensuite viennent les considérations du vrai et du faux Berlin mais les quartiers à touristes noceurs, buveurs et vomisseurs de bière font partie de la réalité, du lyrisme de la ville. Tout cela n’a, toutefois, rien à voir avec mes précieuses chroniques … L’authenticité : du blabla d’hebdomadaire sans imagination au mieux, avec tests comparatifs de prix et deux ou trois choses tout aussi inintéressantes et pas même l’adresse de la kneippe où l’on sert la bière la moins chère. Tenez, je ne suis pas avare, ça, je vous le donne, Die Franken, un stübli en face du SO-36, en plein Kreutzberg.
Ne pas en rester là … Imaginez ce qui, un roman de Walser à la main, dans le bus 240, au retour de Friedrischshain, a bien pu me frapper. Essayez de concevoir, avec ce que je porte, avec mes romans (pour ceux qui les auraient lus), ma situation, la politique allemande, les particularités berlinoises, le poids historique de la société wilhelminienne, de ses vestiges, essayez donc de concevoir le trésor qui m’a été confié. Ç’aurait presque pu être tiré des Enfants Tanner, ma lecture du moment.
Je tiens mon motif, quelque chose de discret, de subtil. On pourra dire « mais oui, c’était le séjour, celui de six semaines avec l’histoire du bus », tout le reste en banal, une vraie vie avec des caddies que l’on remplit pour rien chez Kaufland, avec des meublés tout en Ikéa, avec la rencontre de F. et le courrier, et les affaires qu’un homme de lettres est toujours obligé de régler même à distance.

jeudi, avril 26, 2007

Subversion blanche


Il pleut, une jolie pluie nocturne qui lustre les trottoirs et donne envie d'allumer une cigarette, commencer un roman, texte banal de prime abord, une histoire de rien, un homme car j'ai - en dépit de mon orientation sexuelle - beaucoup de peine à me glisser dans la peau d'une femme, à moins qu'elle ne soit totalement aliénée et/ou sortie d'une tragédie antique. L'homme marcherait le long de la rue, allumerait une cigarette et s'abriterait un instant dans une guérite de bus avant de pousser la porte d'un bistrot sale et anonyme. Il prendrait une pression, fumerait tranquillement une nouvelle cigarette avant de sortir un livre, Le Commis de Robert Walser. Il lirait pendant un instant, suffisamment longtemps pour allumer une troisième cigarette et boire une seconde bière. Au bout d'un instant, le patron - un homme d'une mise débraillée évidemment - se frayant un chemin entre les clients, des habitués pour la plupart, à la mine hâve à peine rehaussée par la rougeur d'une ivresse légère, ce patron donc s'approcherait de l'homme et lui demanderait de bien vouloir lui tendre le livre, lire un passage, ce que l'homme accepterait dans un sourire mi-étonné mi-gêné. Le patron lui dirait qu'il aurait reconnu le nom de l'auteur, tracé en grand (pas très discret relèverait-il pour lui-même) ... Un écrivain pas encore à l'index mais néanmoins indisponible en bibliothèque et plus encore en librairie ... Le bistrotier aurait déjà lu une telle chose, par hasard. Il aurait vidé l'appartement de sa tante morte à quatre-vingt-quinze ans l'an dernier. En attendant le camion d'Emmaüs, pas moyen d'allumer la télé, plus d'électricité, il aurait pris un livre Les enfants Tanner et aurait compris des choses, pour la première fois de sa vie. Un peu gêné par le flot de ses propres paroles, le patron aurait brutalement conclu par "je vous offre les consommations" et serait reparti d'un pas décidé vers sa cuisine graisseuse, comptant sur l'intelligence d'un lecteur de Robert Walser, de l'homme forcément assez subtil pour comprendre qu'il lui faudrait quitter le café maintenant ...

Robert Walser (1878-1956), après une vie chahutée, mourut dans un asile. Il aurait souffert d'une schizophrénie ... Il passa vingt-six ans en institution psychiatrique, dont les vingt-deux dernières sans plus écrire une ligne. Walser représente une sorte de double inversé de Thomas Mann (1875-1955). Les deux hommes proviennent d'un bon milieu social en passe de déchoir. L'un était allemand, issu d'une culture fière de ses auteurs, capable d'intégrer et de recevoir la critique, une culture qui n'a jamais craint ni le changement ni la passion - Leidenschaft - jusqu'aux plus douloureuses dérives. Walser, en dépit de son talent et de quelques jolis succès, n'accéda jamais au statut d'homme de lettres, d'auteur en tant que tel. Il raconta le monde plat et stérile de la suissitude : l'éradication de la passion et sa prophylaxie. Il saisit le douloureux paradoxe d'un pays d'une beauté quasi irréelle, de la douceur d'y vivre et de l'impossibilité pour ses citoyens d'y développer une vie émotionnelle mature. A croire que la paix sociale et le bien-être économique retiennent les esprits dans un état larvaire ...

L'asile, l'exil ou la chasse aux sorcières pour qui ne respecterait pas cet accord tacite, ce pacte social que l'on inculque à chacun dès sa naissance par mille demis interdits implicites. Et le poids de la tradition est tel qu'il entraîne l'habitude qui fonde quasi la loi mais rien n'est écrit, rien n'est dit. Walser perdit la tête plutôt que de rompre la conspiration du silence. Reste l'oeuvre, le livre, une voix que l'on bâillonne maladroitement par la censure, que l'on couvre de la rumeur grossière des divertissements populaires ... A ce propos, savez-vous qu'à force de crier sur mes cancres, à C., village vaudois où vécut qui vous savez, ma voix s'est formidablement développée ! Sans que cela ne viennent malmener mes cordes vocales, j'arrive à la projeter jusqu'à une telle puissance que les lamelles métalliques des cache-néons vibrent sur leur tringle ! M'avez-vous bien entendu ?