dimanche, juin 24, 2007

Le corps du texte


Aujourd'hui encore, j'ai donné la Communion, à la messe : présenter l'hostie à mes coreligionnaires, "Le corps du Christ", avec ce geste si particulier à la fois d'exposition et d'offrande. Je suis touché par l'honneur que me fait l'abbé en me demandant d'assister la communauté de la sorte. Pourtant, il n'ignore rien de ma vie ... Il peut l'imaginer. Il m'en trouve digne.

J'ai aussi travaillé à la correction et à la relecture de La Dignité, quelle horrible chose ... Jamais je ne me suis senti plus seul qu'en présence de cet essai égocentrique et geignard, de cette affreuse peinture qui, pourtant, tombe si juste à propos de ma vie, de Lausanne, et de l'état de déréliction de la culture ambiante. Je voulais écrire "occidentale" plutôt qu' "ambiante" mais le jugement est trop solennel, trop lourd : je ne suis pas un mandarin. Je ne vais pas imposer mes intuitions de façon verticale et péremptoire.

Avec La Dignité, je présente une anti-communion à mes "coreligionnaires", on aurait beau la tremper dans quelques litres de vin de messe que ça ne ferait pas descendre le morceau. Je ne renie toutefois pas ce texte, je vais l'assumer, je lui reconnais des qualités en dépit de tout et je ne suis pas du genre à (me) cacher la vérité.

samedi, juin 23, 2007

Le crépuscule d'une reine


J'ai observé le jour glisser depuis le balcon, le vaste panorama, la splendeur toujours égale et renouvelée du lac, le Jura, le ciel, immense, les Alpes voisines ... Intacts, inchangés, à croire que rien ne pourrait toucher tant de perfection. J'oublie parfois et trop souvent la magnificence qui s'offre à ma fenêtre, tant de délicate mélancolie à chaque crépuscule. Cela donne envie d'oublier discordes, discutailleries et toute implication sociale, laisser aller les choses sur la pente de leur perte naturelle, comme l'intuition d'une faillite à venir et de combats politiques ... de croisades politiques à mener mais pas ce soir, pas encore ... pas encore.

Je sais ne pas être un "homme de lettres" très classiques dans ses sources d'inspiration ni de par son milieu d'origine. J'ai grandi à côté d'un téléviseur allumé et ne me départirai jamais de mon affection pour "la petite lucarne", pour ma boîte à rêves, à débats, à récits. Je sors d'un documentaire historique, une vie de Marie-Antoinette, l'une des figures de ma mythologie personnelle. Grâce et tragédie, et cet orgueil insensé qui seyait tant à la fille des Césars. Etrange que je me glisse dans la peau de Laharpe, du "Jacobin" comme disait ses contempteurs, afin d'écrire ses mémoires. Pourtant mon attachement à Frédéric-César est sincère. J'aurais voulu être soit Marie-Antoinette soit Frédéric-César : du coeur et du caractère, et une forme de courage insensé ... Peut-être une certaine légèreté vis-à-vis des contraintes de la réalité dans laquelle ils vivaient.

Il y a bien des débats qui éveillent mon intérêt, ma curiosité ... J'ai failli écrire un billet l'autre soir, après avoir vu la dernière de la saison de "Ce soir ou jamais", un plateau mi-culturel, mi-politique, des échanges de bons niveaux, de la conviction, de l'opinion et du panache, celui de l'intelligentsia parichienne qui sait si bien faire le beau devant la caméra. J'ai aimé voir Jean-Jacques Beineix mettre en boîte Frédéric Mitterrand pour son gauchisme caviar, pour ses chaussettes rouges et son égocentrisme ... Je n'ai pas écrit le billet; les entrelacs des développements évoqués s'étaient défaits dans mon souvenir et ne restait plus que le long ruban plat d'une certitude plus qu'évidente : nous sommes sortis de la guerre froide ! Mais cela avait plus de force parmi le feu des échanges. Je ne peux m'empêcher de glisser un mot quant à la germanophobie de la Pologne des jumeaux Kaczynski, une paire d'homophobes racistes et rétrogrades; je les soupçonne d'être d'une inculture crasse par-dessus le marché. L'Allemagne du XXIème siècle aurait beaucoup à leur apprendre en matière de démocratie et de respect des différences.

A présent que la hargne, le dépit et la colère sont passés, que je ne me sens plus dans l'obligation de "me justifier", je veux dire par là de faire de la pédagogie quant à ma démarche, je n'ai envie d'écrire que des billets sur le coucher du soleil et la musique baroque, sur la richesse de l'univers sensible qui nous entoure ... Rien que de l'inutile ...


mercredi, juin 20, 2007

Le rideau jaune


Une lumière méditerranéenne, ondulation et le rai fulgurant du reflet solaire sur l’extrême rebord du cadre de la fenêtre : invitation au voyage … ou miette lyrique, fragment de ce qui a été beau, infime partie d’un tout perdu, dépiécé, que seule la littérature – selon une méthode guiberto-proustienne – est capable de rendre dans son idée première. Vous me suivez ?! Nous en revenons à l’autofiction, au chant intime, antiphoné en sourdine avant de se répandre en mélodies colorées, repeindre le scénario, dépasser l’adversité et les contingences crasses de la vie au milieu des bœufs …

Une lumière méditerranéenne, le simple appel de l’été, ondulation sur un rideau de vieille tulle jaune délavé et cette fulgurance, presqu’incongrue, à croire que le cadre écaillé de la fenêtre rayonne de l’intérieur, l’histoire des petites choses et toutes les mythologies qu’on y attache. A quatre ans, assis sur la banquette arrière de molesquine rouge de la 127 bleu marine de ma mère, j’étais persuadé que les glissières de sécurité, le long des autoroutes, étaient un effet d’optique issu de la vitesse-même. Ce ruban mouvant, rapide et continu ne pouvait pas être associé au concept de la rambarde inerte. Et quand on ralentissait, près des sorties, les glissières disparaissaient ; elles s’éteignaient d’un mouvement brusque et courbe vers le sol.

Retour sur ma triple référence guiberto-prousto-mannienne (Thomas, Klaus, Heinrich, Erika, Golo et Katia Pringsheim tout à la fois). Des auteurs gays (pour la tribu Mann, je ne retiens que le père et le fils), un rien Ancien Régime, un peu rigides dans leur système de valeurs bourgeoises, valeurs qu’ils n’ont jamais remises en cause du fait des milieux aisés dont ils étaient issus. Aisés et en voie de déroute, juste ce qu’il faut de laisser aller… Je cultive aussi la tentation walsérienne du lâcher prise, régresser, ne plus écrire, poser les plaques, et le goût du fragment cingriesque, comme un bref morceau de bravoure ouvragés de phrases précieuses et drôlatiques. J’espère parfois sur une fuite à la Borgeaud, entre Paris et la prise de l’habit – oui, une carrière ecclésiastique, je suis catholique croyant et j’ai même donné la Communion lors de la messe samedi passé.

Une lumière méditerranéenne, les rideaux du séjour, la simple expression de ma lecture du réelle, mon travail d’auteur à propos duquel personne ne poussera à la honte. Je l’ai compris hier soir, enfin, au fil de la lecture du journal en ligne de Jean-Louis Kuffer.

Sans titre lausannois

Ne croyez jamais un auteur, ne vous attachez pas aux ingrédients de sa cuisine : il n'y a que le geste qui compte, le mouvement ample et souple de la phrase qu'il délie au fil de sa pensée, dans l'intimité de ce lieu qu'il offre aux regards et qu'il dérobe à la compréhension d'autrui tour à tour. Je pourrais être à la cafétéria si chic du Bon Génie, en plein après-midi ensoleillée, pas même dérangé par le souffle de la climatisation. Je pourrais être au café Schilling à Barcelone ou au Bério, à Berlin ... Je suis tout du moins dans le texte, je fais corps avec lui et lui insufle une vie propre, effet du talent. Vantard ? Non, conscient de ma valeur n'en déplaise aux vilains qui m'ont si mal lu.

Ne croyez pas tous les mensonges que l'écriture exige, toutes ces contorsions permettant le rendu savoureux d'une banalité "aussi plate qu'un trottoir de rue sur lequel les idées communes défilaient dans leur habit de tous les jours." (Madame Bovary, première partie, une description de Charles Bovary que je cite de mémoire) Je n'ai pas le courage de me lever rechercher l'une ou l'autre édition - dépenaillée - de ce roman; j'en ai plusieurs exemplaires en format de poche, employé chacun dans l'un ou l'autre des cours que j'ai pu donner sur Flaubert jusqu'à présent. Et si je vous racontais la touffeur de cette nuit lausannoise, cette moiteur dilatée qui pèse sur toute chose et gonfle nos membres, nous rend ivre et maladroit, vous ne pourriez que me croire.


Ce soir, j'ai donc retrouvé cette Lausanne anciennement aimée, je l'ai retrouvée bruissante d'intrigues et d'ambition, de jeunesse et de séduction; comme une épouse qui orgueilleusement compte s'affirmer dans la réussite de l'époux. Belle et attentionnée tant que cela participe à son ascension, à l'ascension de celui à qui elle s'est donnée, donc à son ascension en retour. Elle se rappellera -même - la timidité de vos dix-huit ans, à l'époque quand vous ne saviez pas mentir, quand vous étiez tout entier dans la moindre virugule.

lundi, juin 11, 2007

"Les Barricades mystérieuses"

J'avais oublié mon credo : "Nous sommes tous des étoiles, nous sommes tous des empereurs". J'avais oublié jusqu'à la mélodie charmante d'Angélique que j'avais coutume de siffler sous la douche du fitness de l'université. Cela m'est revenu ce dimanche, alors que je sortais de chez G., à Zürich, pas très loin de la Badenerstrasse où il y a justement un fitness de la chaîne à laquelle je suis abonné; je suis allé m'y entraîner.
Que Zürich est belle, et ses garçons plus encore. Et on sait se tenir ... Rien, absolument rien n'est laissé au hasard. Sitôt dans l'espace public, le Zürichois s'oblige à adopter une attitude digne et aimable. Les transports sont propres, les ados ne mettent pas les pieds sur les sièges, on ne laisse pas les dames debout. Je pense que Thomas Mann - cher modèle - devait particulièrement apprécier tant de correction. Jusqu'aux détestables bobos qui, sur les rives de la Limmat, ont un petit rien de franche élégance et ne renient pas leur extraction bourgeoise ce qui les rend fréquentables.

J'avais oublié cela ... Et la considération que l'on porte aux gens de lettres dans cette Suisse-là, et le respect de la chose publique, et le cas que l'0n fait de la politique. Je devrais m'y installer. Lorsque, en contrepoint, je pense aux pauvres gamins que je trouve dans mes classes, je me dis que personne ne leur a jamais dit qu'ils étaient des étoiles, qu'ils étaient des empereurs. Personne ne leur a appris à se rêver une couronne sur la tête ou sur les marches à Cannes, personne ne leur a appris la dignité. Ils ne savent qu'essayer de s'imposer par une contestation brouillonne et sans fond, un rien procédurière sur les bords.

Un peu d'air passe par la fenêtre ouverte, il pleuvine, j'ai l'impression d'être revenu d'un assez long voyage et de tout retrouver à peu près à sa place. D'être en tout cas à ma place, en écrivain attentif aux événements quoiqu'un peu au-dessus ou à côté. J'ai eu le plaisir, tout à l'heure, installé à la cuisine, exactement de la même façon que mon grand-père maternel, de lire le journal, Le Matin Dimanche en l'espèce. Les chroniques s'y enchaînent avec piquant et pertinence; tout esprit critique n'est pas mort en Suisse romande. Je me sens moins seul ... Ce soir, je retrouve presque le plaisir que j'ai eu à venir vivre à Lausanne ...

dimanche, juin 03, 2007

Dans dix ans, dans vingt ...


... je n'ai pas eu le courage de m'asseoir au clavier, travailler de suite en ligne à ce journal ... Je m'y sens salement épié et je n'ai pas à commettre mon talent - oui, mon talent, reconnu officiellement, et je n'ai pas à me le cacher - je n'ai donc pas à commettre mon talent dans une entreprise de dénigrement. Mes amis attendent la prochaine publication de "La Dignité" (les deux journaux et le "Récit de la Vie d'un jeune homme vaudois à la dérive") et retrouvent ma plume acerbe dans le webzine (magazine en ligne) dont je suis le rédacteur en chef. Je dirige ma petite équipe avec entrain, cela me change des chausses-trappes administratives et de la malveillance provinciale que je méprise au passage.
En attendant F., sur une terrasse ensoleillée et crasseuse de la Riponne, je profite de la dernière page d'un cahier pour rédiger mon message dominical ... Peu avant, j'ai "rencontré", j'ai plutôt vu M.B., installé au fond de la voiture de son ami, serrant une béquille contre lui, l'air vague et maussade. Il a détourné les yeux alors que je lui faisais un salut de la tête. Cela n'a rien à voir avec moi en particulier, M.B. ne doit pas se rappeler de moi, il ne m'a rencontré que deux ou trois fois et du fait de son immense notoriété, de sa carrière encore plus grande, on a dû lui présenter des centaines de garçons dans mon genre. Connaissant sa psychologie, le regard fuyant exprimait plutôt la honte de la déchéance physique, du temps qui passe et détruit. M.B. n'avait pas envie d'être vu ainsi, d'être reconnu.
Cette "rencontre" inopinée éclaire ma relation déçue à Lausanne. Dès son installation en 1987, M.B. a beaucoup contribué au prestige de la ville. J'aimais tant, en ce temps-là; je cherchais un certain regard turquoise et trouvais que la capitale vaudoise lui faisait un parfait écrin ... C'était sans compter ce mal sans nom, virulent et létal, plus avilissant que le temps : le syndrome intellodéficitaire acquis. Il réduit les facultés de ceux qu'il touche; ces derniers attrapent alors la première idéologie venue et, en l'absence de défense, en meurent, psychologiquement du moins ...
Mais on se fout de ces belles théories, quel que soit son âge, sa "condition" ou son état de santé; on ne cherche jamais qu'à être dans la plénitude de sentiments et de sensations. On n'attend jamais que l'étreinte de bras forts et souples, un regard franc, tout ce qu'ignore les pisse-froids, les pauvres petites victimes d'une crétinerie institutionnalisée. Le grand M.B. se traîne avec une béquille, Jean-Claude Brialy est mort et une caricature présidentielle s'agite à l'Elysée ! Ma jeunesse est belle et bien morte et le talent, si grand soit-il, ça ne vous enlace pas dans le secret de la nuit. J'aurais beau courir de Berlin à Barcelone, à Zürich, ça ne fera pas revenir l'horloge en arrière, si bénis aient été les temps passés. A chaque déchéance, à chaque décès, on devrait oublier ... A trente-huit ans, mes morts me pèsent et mes "avant, c'était mieux" aussi; comment vais-je faire dans dix ans, dans vingt ...