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dimanche, mai 10, 2020

Fin de partie ( covid -19 etc. )



L’air sent bon, l’air sent bon comme dans mon enfance, un mélange d’herbe fraîchement coupée, de fleurs, de murs recuits par le soleil sous le piaillement des moineaux, le roucoulement des tourterelles. Il est trop tôt dans la saison pour entendre le cri cinglant du martinet haut dans le ciel. Peut-être que le shampoing du sarough mir récemment acheté et installé dans le salon d’été contribue-t-il aussi au « parfum de l’enfance, matinée de mai ensoleillée »? Accessoirement, je vais bien. Plutôt bien. J’ai dans mon état normal toujours un truc qui foire un peu comme avec les voitures italiennes, celles d’avant les fusions-acquisitions, quand les voitures italiennes étaient vraiment italiennes dans l’apparence et la technique, et le plaisir de les conduire. A cinquante ans, je me porte bien. Lorsque je passe voir un généraliste pour des histoires de voies aériennes supérieures enflammées, engorgées, entre asthme et sinusite, avec quelques ramifications parfois dans la sphère auditive, je le vois étonné à la mesure de ma pression artérielle, à l’écoute de mon rythme cardiaque ou, suite à une prise de sang, à la lecture de mon taux de sucre et de cholestérols (oui, il y a plusieurs cholestérols), le tout indiquant les valeurs médianes parfaites comme dans les ouvrages médicaux de référence. Il se trouve que je fais du sport (fitness, 3-4 fois par semaine) et je mange – un peu trop – des produits de qualité, beaucoup de fruits, peu de junk-food et, quand je bois, assez souvent, ce n’est jamais du  tord-boyaux. Pour revenir au « parfum d’enfance », compléter la bande son, j’ai omis le passage occasionnel et paresseux d’un petit avion vrombissant qui me fait toujours penser aux albums de Tintin.

Quand je ne vais pas bien, ce qui arrive régulièrement, de la bobologie moyenne dont je me remets, je peux toujours me consoler à l’idée du monde autour de moi qui tourne et vit, et croît, et forcit et parfois meurt, renaît, etc. Mais c’était avant. La partie vient de se terminer et je me retrouve à aller bien inutilement. Je n’écoute plus les nouvelles, je ne regarde plus la télévision du reste, à part la diffusion de films ou de séries, policières avant tout. Je coupe le son pour tout le blabla annexe, j’ai honte pour cette société alentour sur laquelle je devrais pouvoir m’appuyer, à laquelle je contribuais par toute sorte d’activités, l’idée de « payer mon écot » comme on dit ici. C’est la honte que l’on éprouve pour un proche ou une autorité, un parent, un aîné qui suscitait notre respect même lorsqu’on n’était pas d’accord avec lui, avec qui il arrivait que l’on se dispute avant de comprendre son point de vue sans forcément l’accepter. Aujourd’hui, c’est fini. Une sorte d’Alzheimer métaphorique et viral l’a emporté. Paradoxalement, ça ne m’empêche pas d’aller bien, ça n’empêche pas le « parfum d’enfance » de se répandre dans la pièce, une voile sur le lac, quelques nues accrochées à la crête de l’alpe composant le panorama, la vue du salon d’été.

Je me disais, « c’est bien, on y arrive », entre l’expérience, une certaine sagesse venue avec l’âge et le fait de participer activement au système, je pouvais y croire, même quelqu’un sans fortune, sans titre ronflant, sans grande influence (je parle de moi et sans fausse modestie) arrivait à faire bouger un peu les choses, la politique des petits riens pour le bien collectif. C’était avant. Fin de partie. Le papier-peint s’est mis à décoller. Avec les « événements », je refuse de les nommer autrement, ce serait leur donner une réalité qu’ils n’ont pas, avec « les événements » donc, je m’aperçois que les sans-grades avec ou sans syntaxe, nous n’avions jamais rien été d’autre que des petits chiens qui bougent la tête pour plage arrière de voiture. Même si tout cela, notre bonne vie néo-bourgeoise, les cafés, les spectacles, les journaux, les dernières collections, les expositions de peinture, même si tout cela n’était qu’un simulacre, je l’aimais bien cette mise-en-scène. Nous avions des projets. Deux éditeurs me promettaient des publications prochaines reportées au mieux et désormais aux calendes grecques. Cy. s’apprêtait à monter et à jouer une pièce  au off d’Avignon. Il y avait Pâques dans  ma bonne paroisse … C’est ici le point le plus douloureux, l’abandon des serviteurs de Notre très Sainte Mère l’Eglise catholique qui, lorsque des fidèles dans mon genre ont regimbé devant ce jeûne forcé de la Communion, ont lâché un « la Communion n’est pas un dû mais un don », comme un pet à la face des fidèles et autre « Communion de désir », à savoir tu y penses très fort et ça finira par arriver !!! Je dois écrire une lettre ouverte à notre évêque au sujet de la lâcheté et du manque d’imagination de ses troupes, peut-être parce que rémunérées massivement par l’Etat dans notre diocèse et puisque qui paie commande …

Le papier peint  a complètement décollé, l’air sent bon, comme dans mon enfance, je vais bien, tous nos projets sont caduques ou à foutre aux chiottes, le Seigneur saura nous en rendre grâce et, heureusement, il y les réseaux sociaux. Alors que des proches cèdent à l’hystérie grossièrement orchestrée par les médias et les autorités, il y a des voix que se sont fait entendre dans mon fil d’actualité, d’autres sans-grade et sans plus de projets qui vont bien, ni pire ni mieux qu’avant, qui se sont signalés, avec qui partager si ce  n’est un verre en terrasse du moins notre stupéfaction, notre indignation et de l’amitiés au passage. Heureusement, chers amis du grand réseau, heureusement que vous êtes là et l’espoir de re-bricoler un truc entre nous et d’autres, un truc qui ressemblerait à cette bonne vie néo-bourgeoise multipartite, multinationale, riche de saveurs et de caractère.

dimanche, novembre 18, 2018

"Construction", premier extrait


« Libérer la parole !», berk, concept de loosers geignards, là où la victime devient le héros, un héros en crotte de nez, en nouilles trop cuites, en algues moisies. Instinctivement, il est permis de supputer qu’il y a manipulation, une façon d’enfermer une fois pour toute la victime dans son rôle. Le seul état de victime acceptable, être victime du sort, du « destin », « des dieux » mais les dieux sont morts, emportés par leurs affaires de turlutes foireuses, leurs petites jalousies, leurs manies sacrificielles, leur amour immodéré de l’or, des honneurs. Il n’y a plus de « victimes » qui soient depuis que l’Autre, Celui qui mangeait des galettes de blé et un peu de poisson grillé, Celui qui a foutu dehors les prévaricateurs du Temple, Celui qui, un jour, a planté ses parents pour aller faire la leçon aux ergoteurs de la loi alors qu’il n’était encore qu’un gamin, Celui qui s’est laissé insulter, malmener, épingler sur du bois, est mort, est descendu aux enfers, est ressuscité d’entre les morts, est monté aux Cieux, est assis à la droite du Seigneur (et pas « saigneur ») (Son Père soit dit en passant) d’où il viendra juger les vivants et les morts. Il paraît du reste que nous sommes fait à l’image de ce Père et que, par extrapolation, nous sommes tous des étoiles, nous sommes tous des empereurs. Je n’ai pas de compte à régler, je gère mes finances à vue. Il y a eu des circonstances qui ont fait que … et voilà, à l’approche de la cinquantaine, je me retrouve parmi plein de toiles achetées sur ricardo et anibis, à regarder « Le jour du Seigneur », dimanche matin, avec deux petits chiens  dans le lit alors que j’entends Cy. prit, une fois de plus, de déménagite aigüe qui pousse les meubles.

mercredi, avril 11, 2018

De trois choses l’une : retour de Cologne, Ueli Maurer, Alexandre Astier (Kaamelott)



Cela fait bien deux semaines que je réfléchis à un billet à propos de notre dernière Assemblée des délégués à Klosters, évoquer le discours d’Ueli Maurer, le discours d’un chef puis la rediffusion de Kaamelott, livre VI m’en a distrait, envie d’écrire à nouveau quelque chose à propos du génialissime Alexandre Astier et, finalement, Cologne, cinq jours, une respiration, le Wallraffs Museum, le Dom, les 12 basiliques romanes qui ceinturent la ville.

De retour de Cologne, six heures de tain porte à porte, largement le temps de rédiger ce billet, parmi le panorama de la vallée du Rhin, ses châteaux, ses légendes, l’Allemagne de toujours, celle que personne n’a mis ni ne mettra à genoux, une certaine idée de la civilisation occidentale qui rayonne loin à l’aronde. Cologne, donc, second voyage, pas envie de me faire marcher dessus dans un aéroport de brousse (Cointrin/Schönefeld) pour avoir l’immense plaisir de devoir quasi me mettre à poil afin d’accéder à l’immense honneur de voyager plié en 26 dans une bétaillère volante d’une compagnie plus que trop orange. Et trouver des hordes de touristes à Berlin … Il faut dire que, entre les obligations de ma présidence et de mon emploi, je me suis préoccupé trop tardivement d’un billet dans une vraie compagnie, là où on dit bonjour au monsieur et où on a la décence d’offrir une tasse de thé ou un verre de vin au voyageur.

Cologne, donc, une garnison romaine, devenue vraie cité selon la volonté de l’impératrice Agrippine qui y vit le jour, le lieu du martyr de sainte Ursule puis la ville franque, la fondation de la Cathédrale, le diocèse dirigé par saint Kunibert, les basiliques romanes, un Moyen Age brillant, une bonne ville commerçante, l’occupation française sous Napoléon puis la destruction par les « chevaliers blancs de la démocratie », l’esprit revanchard des anglo-américains ; les naïfs États-Uniens s’étant laissé embobiner par la perfide Albion ont « détruit leurs murs mais pas leurs cœurs » et encore moins l’âme de la ville. Le travail de reconstruction a été admirable, tenant de la restitution historique, de la réinterprétation et de la construction libre, une patte fifties’ dans ce dernier cas, un vieil avant-gardisme élégant qui laisse la part belle à l’antique dans un dialogue créatif, voir l’exemple de l’Hôtel de Ville. Où que l’on soit, domine la silhouette du Dom, une figure bienveillante au-dessus des quais et son atmosphère balnéaire, un perpétuel air de vacances ou de foire dans l’hyper-centre, la Hoch Strasse, succession de grandes enseignes, boulimie consommatrice écœurante mais la cité très catholique appelle, rappelle ses filles et ses garçons – si souvent effrontés – dans ses églises. Quelle que soit l’heure ou la paroisse, on trouve toujours des Colonois sur un banc, une prière en passant, une respiration dans l’attente de la prochaine messe.

Rien d’exotique, Cologne a des airs morgiens, le délire bétonnesque des autorités de la ville lémanique en moins. A Cologne, tout comme à Morges, on aime les salons de thé, l’antiquaille et le dormir tranquille. Néanmoins, on connaît la valeur du passé, on en prend soin, le soubassement de cette bonne vie, chaque pierre préservée représente une victoire sur les forces du néant, le mal quel que soit son déguisement, certainement un effet de la présence de Notre très Sainte Mère l’Eglise. Et comme souvent dans les centres catholiques, on rencontre un milieu universitaire et un milieu gay épanouis. Je suis passé d’une basilique à l’autre chapelle, Mittagsgebet à St-Martin, messe du deuxième dimanche de Pâques à la cathédrale, vénération des reliques de saint Kunibert et de sainte Ursule, présence de la sainte dans l’église du même nom, littéralement la « petite ourse » en latin, Bärlin pourrait-on dire en allemand , une certaine ville à laquelle je suis attaché et mon animal totem.
Fin mars, les Grisons, Klosters, assemblée des délégués de l’UDC. L’occasion était plaisante d’aller jouer à Thomas Mann (référence à son roman Zauberberg dont l’action se déroule à Davos, tout à côté). Nous y sommes allés pour le week-end avec Cy. et les petits chiens. Personnellement, l’alpage me laisse de marbre … de granit, enfin de glace. Cette manie d’aller se briser des membres et d’attraper la mort au-delà de mille mètres m’est incompréhensible. Je suis persuadé que l’on envoyait les malades en altitude pour les achever et non pour les soigner. L’assemblée valait largement le déplacement, il était question de l’élection de la direction du parti, du départ de certains et surtout de la prestation d’un chef, Ueli Maurer, Ulrich de son vrai prénom, comme le personnage du grand roman de Musil, quelques traits de caractère en commun avec ce dernier. Le Conseiller fédéral Maurer aime observer, écouter, comprendre les autres, une attitude dynamique aussi, c’est d’un pas élastique qu’il est monté à la tribune, plaisantant sur le fait qu’il avait besoin d’une petite estrade afin d’être à la bonne hauteur derrière le pupitre. Je n’avais jusqu’alors aucune opinion particulière quant à lui, quelques vagues préventions nourries par la presse. Il a énoncé un discours drôle, érudit et sensible, un petit triptyque oratoire d’un gros quart d’heure dans lequel il a évoqué la qualité de l’eau, en métaphore de la qualité de nos institutions démocratiques, qualité qui n’a cessé de croître en un siècle, puis ce fut l’évocation d’un tube alpestre en dialecte, « Ewige Liebe », gros succès dans les charts allemands. Ueli Maurer illustrait par là l’amour inconditionnel des Suisses pour leur démocratie directe. Il a conclu par la légitimité de nos institutions politiques, légitimité fondée sur la qualité du système (première partie) et l’attachement de la population (deuxième partie), CQFD. De plus, le Conseiller fédéral Maurer s’est attaché à la seule référence historique légitime quant à la Nation suisse : la Constitution de 1848 ! Combien d’autres se seraient perdus dans les brumes légendaires un rien vaseuses de la pseudo-Suisse de 1291, de la résistance à l’étranger, le méchant Habsbourg, une dynastie qui a régné sur le plus grand empire au monde de 1273 à 1918, une dynastie … suisse. Habsbourg est un village d’Argovie et le berceau de la famille du même nom. Le clou du discours, une phrase, presque anodine à force de bon sens : « … n’ayons pas peur de nous ouvrir aux bonnes idées qu’elles viennent de gauche ou de droite, et de les soutenir ». Je vous l’ai dit, le discours d’un chef !

« Kaamelott, Livre VI », après la gaudriole, la gaudriole grinçante, la tragi-comédie, la tentative de suicide du roi Arthur, sa quasi agonie et le récit ultime qu’il livre à propos de sa vie, un flash-back qui vient éclairer avec tendresse et justesse l’épopée du roi de Bretagne. Que dire de la prestation, de l’intelligence du jeu d’Alexandre Astier. Un jour prochain, je vais lui adresser une lettre ouverte pour lui dire toute mon admiration. Il est un peu le grand frère que j’aurais aimé avoir, l’ami idéal, le complice dont j’aimerais parfois recueillir l’avis. Rien ne sonne faux dans sa saga, surtout pas la musique, de lui. J’ai déjà dû l’écrire. J’ai aussi loué le glissement épisode court/divertissement vers épisode long/émotion. A chaque fois que je « tombe » sur le Livre V ou le Livre VI, je ne peux m’empêcher de regarder encore et encore alors que je connais chacune des répliques. Et le récit pénètre plus profond, le sens fondamental de l’œuvre s’impose à moi. Arthur, le Graal, la Table Ronde, le royaume de Logres … une métaphore de notre vie, avec ses aspirations, ses manquements, une fin, inéluctable, un échec ? Nous sommes tous Arthur, nous avons tous été choisis par « les dieux » afin de retirer l’épée du rocher de notre existence, d’en prendre le pouvoir, de l’unifier, de lui donner un but. Combien de fois allons-nous nous trahir, pire, trahir nos idéaux, compromission, fatigue, lâcheté … Reste la foi, dans notre propre histoire, des principes ou un Messie, l’amour. Ça n’excuse rien. Les dernière paroles de la série : Arthur sera de nouveau un héros. Relever la tête, une évidence. Plus encore pour le croyant ou le politique, ou le croyant en politique. Un jour, le bon candidat triomphera, la bonne idée l’emportera sur les petits calculs et l’électoralisme. Les menteurs seront confondus. Un jour, les vrais fautifs seront désignés, un jour … Et, pour terminer, la confidence de l’empereur romain au centurion Arturus (Astier souscrit en partie à l’option romaine de l’origine d’Arthur, option soutenue par certains philologues), plus qu’un mot d’ordre, quasi une profession de foi politique . «  Des bons, des mauvais, des pleines cagettes il y en a mais une fois de temps en temps il en sort un, exceptionnel. Un héros, une légende, il y en a presque jamais, mais tu sais ce qu’ils ont tous en commun, tu sais ce que c’est leur pouvoir secret, ils ne se battent que pour  la dignité des faibles."

vendredi, août 11, 2017

L'honneur des plus faibles (3ème extrait de "Credo")

Hier soir encore, je regardais un épisode de « Maigret » intitulé « Le témoin récalcitrant ». Il y avait Paris, sous la pluie, l’inspecteur, sa pipe et son pardessus ; il y avait la musique de la ville, le chant des pneus sur l’asphalte mouillé. L’histoire était sordide, affaire de gros sous, de paraître et de bonne famille. Maigret a pris un blanc sec, un cassoulet en plat du jour, quelques reproches d’un juge d’instruction, un monsieur qui dîne en ville et, en échange, il a donné de la voix, dans la finesse, le tact et beaucoup de commisération, quasi de la tendresse. J’ai toujours trouvé mes modèles chez des enquêteurs, parfois de super-enquêteurs, Steed, Poirot et Maigret. Ce dernier s’impose à moi à postériori ; il diffère du fait de son humilité, des ses manières communes et de sa non-élégance. Il est au-delà. Bruno Kremer le fait toujours avancer d’un pas égal et pesant, quelque chose de terrien et de confiant. Maigret ne rentre pas dans le moule ce qui ne fait pas avancer sa carrière. Ça ne le touche pas plus que tant. De même, il n’est pas attaché à la vérité de façon névrotique. Il résout des situations plutôt que de traquer le coupable. Et toujours la toute petite musique du monde tel qu’il tourne pour les négligés, les pauvres, les demi-déclassés. Le vrai luxe tient dans un lit profond, nombreux oreillers, une couche matrimoniale en faux Louis XV avec le sommeil du juste qui va de pair. Maigret, si moche soit le monde et discutable la vie de son auteur, nous parle de douceur, un tout petit geste, des riens tels qu’apporter des cigarettes à un détenu, retourner pour rien auprès d’un témoin, le laisser épancher sa peine, se soucier des canaris d’un défunt ou, pour Madame Maigret, donner un petit rien à un père divorcé qu’il pourra offrir à sa fille. Nous avons besoin de douceur, de ces gestes qui ne sauvent pas mais apaisent et accordent le pardon, comme l’invitation à sommeiller dans une couche céleste, le grand repos et tant pis pour ce qui n’est pas achevé, pour ce qu’il faut faire, sortir de l’urgence par une caresse, la main compatissante et invisible qui absout tout et couche dans le même lit de tendresse le lion et l’agneau, la victime et l’assassin, le condamné et le bourreau. « Ils ont brisé leurs glaives en charrue », traduction des plus libres et de mon cru (j’ai très peu fait de latin), voilà qui ouvre de belles perspectives mais « ils ont déchiré leur orgueil en une couche », ils ont réduit en petits morceaux, en charpie la précieuse étoffe de leur orgueil pour en bourrer le matelas, l’édredon et l’oreiller d’un lit idéal, le repos des pauvres, des boiteux, des esseulés compose le véritable mot d’ordre auquel notre cœur doit s’attacher.


Paradoxalement, Berlin m’a offert la bonhommie de Maigret. Paris, l’occupée, la libérée, la vainqueur  n’a jamais pu offrir ne serait-ce qu’un peu de soulagement. Le triomphe, si maigre soit-il, interdit ce genre de charité. Berlin l’humiliée, la ravagée, la divisée a, dès la réunification, tourné son attention vers les « petits », les plus faibles, soigner leur honneur piétiné, offrir enfin le repos que n’osaient plus espérer les cœurs fatigués.

mercredi, novembre 16, 2016

Motif - évocation en filigrane du 13 novembre

L’autre soir, la lumière orangée d’un haut réverbère, le froid léger et pénétrant, la triste guérite d’un arrêt de bus, le temple de Morges, un croisement. Je porte Lou’ dans son sac, je suis en retard, préparation du Conseil Communal au bar de l’Hôtel de la Fleur du Lac. Je tiens là un « motif », moins qu’un instant, au-delà de la banalité. Pourquoi en dire plus ? Il suffirait d’allumer une clope mais j’ai arrêté de fumer, c’est con. Même si j’en rallumais une, cela n’empêcherait pas que j’ai arrêté, j’ai rompu avec une certaine qualité de désespoir. Le crépitement du tabac, la moiteur d’une salle bondée, un sous-sol quelconque, une boîte, et la musique qui noie et agglomère tout : l’envers du susmentionné motif. Eviter le pire, car il y a pire, le désespoir d’un boulanger d’origine maghrébine, sa boutique dans le quartier du Bataclan, son incrédulité, sa foi douloureuse, la posture sordide de la double … de la triple victime innocente ! Violence aveugle, honte des siens, honte de ses propres limites à comprendre le monde. Quoiqu’il arrive, je sais qu’il y aura dans l’air nocturne piquant de l’hiver, la lumière orangeasse écrasante d’un réverbère au-dessus de l’affreuse guérite d’un arrêt de bus, l’arrêt « Temple », desservi par le 701 et le 702. A quoi bon comprendre monde, dans la fatigue de la fin du jour, le début de la nuit, lorsque les rues se sont vidées. L’heure de la prière pour le boulanger maghrébin ? Trop tard ? je n’en sais rien, ça change tous les mois, la sixième prière doit avoir lieu peu avant la fermeture des commerces quoiqu’à Morges les magasins ferment à l’ancienne, à 18h30, 20h le vendredi. Puis la solitude de la guérite, le temple en arrière plan, sa silhouette élégante, clocher à bulbe, façades néo-classiques, de belles proportions, un  édifice protestant authentique et pas l’une des églises catholiques captées et détournées par l’occupant bernois, les pasteurs à sa botte. J’y venais enfant, quand on me comptait encore parmi les fidèles à temps très partiel de la foi réformiste. Je n’étais pourtant pas baptisé.

            A l’heure de mon « motif », le boulanger maghrébin doit se morfondre chez lui,  derrière le téléjournal, goûtant au réconfort d’une cigarette, un café ou un thé trop sucré, un cachet et hop au lit. J’ai aussi été désespéré étant jeune, quand je fumais encore, et parfois l’angoisse cédait parmi l’oubli de la musique, les corps qui se frôlent et vibrent, à moins que ce ne fussent les cachets qui faisaient effet. Séduire, danser, se faire aimer, sur place ou chez lui, celui qui … mieux que moi et à ma place, et peut-être ne plus avoir peur. Mon « motif » ne me fait pas peur. Je goûte de manière perverse à sa banalité, sa solitude, je partage ce « non-instant » qui ne connaîtra jamais de suite de soirée en boîte, les corps, l’oubli. Je peux faire une place dans ma vie à de tels motifs, je peux les accueillir, j’arrive même à faire redémarrer mon récit intime à partir de ce léger sordide. J’ai de la religion, comme le boulanger maghrébin, je n’ai pas besoin d’un almanach pour connaître les horaires de ma pratique religieuse, je sais que Saint-François de Sales est ouvert, et bien jusqu’à 19 heures le vendredi, il y a vêpres comme je l’ai appris. Par le même hasard qui m’a fait rencontrer mon « motif », j’ai voulu m’asseoir dans la pénombre enveloppante de la nef. J’ai hésité dans le vestibule, la procession des offrandes venait juste de se terminer. Je suis tout de même entré, me suis assis parmi l’assistance, suivre la fin de la célébration. C’était la chose la plus naturelle à faire, la plus évidente : vivre la gratuité de la foi, son évidence. N’importe où, dans n’importe quelle ville, quel pays, je me serais assis de la même manière, avec le même naturel et j’aurais suivi la fin de la messe quelle que fût la langue du prêtre. Quoiqu’il arrive, même si des attentats venaient à me réduire au désespoir du boulanger artisanal des alentours du Bataclan, je saurais trouver le banc d’une église, le miracle de la Communion.

mardi, mai 24, 2016

Nouveau retour de Berlin (et un mot sur Mannheim)

On ne mesure jamais le monde qu’à l’aune de nos propres perceptions ; le sédentaire concevra le lointain selon ses craintes, ses sympathies et une bonne dose de clichés … Quoique, dans la grande tradition des « anthropologues en chambre », il est possible d’avoir une idée précise de l’ailleurs sans y avoir mis les pieds. Personnellement, je crois au génie de l’instant, à la rencontre, au ressenti comme instrument de précision. Il y a dix ou douze ans, je rencontrai Berlin. Je ne peux articuler une date exacte : la capitale allemande est entrée dans ma légende, tant personnelle que littéraire. Les circonstances sont toutefois précises, je peux revivre mentalement mes premiers pas dans la ville, les premières heures, les premiers jours, de quelle manière s’est nouée notre relation.
 
Retour de Berlin, un de plus, le lien est indéfectible, le rite est installé, et je mène dans la capitale allemande une vie qui évolue dans des formes sans cesse renouvelées. De nouveaux points de chute, de nouveaux cafés, de nouvelles priorités. Je me refuse à la complainte du « c’était mieux avant ». Soit, la ville se normalise, enfin ! je me permets de rappeler que la guerre est finie depuis 1945, un peu plus de soixante ans, il est donc temps pour Berlin de retrouver un tissu urbain « raccommodé », « reprisé » dans le respect de sa structure d’avant les bombardements. Tout ne me plaît pas, la spéculation immobilière tient absolument à refaire d’Alex la brocante urbanistique qu’elle était avant 42. Cette même spéculation multiplie les appartements de luxe, rase les habitations populaires ou rénove à grands frais pour une clientèle étrangère aisée qui regarde Berlin comme un vaste parc d’attraction pour adultes.
 
Il y a les mieux évidents, le secteur de Nordbahnhof par exemple, sinistre il y a quatre-cinq ans, quelques bâtiments d’habitation limite sordides, ni café, ni commerce, un désert social sur lequel aujourd’hui a refleuri un quartier peuplé de vraies gens, des Berlinois de souche ou débarqués. Néanmoins, peu de touristes, il n’y a rien à voir, il y a tout à vivre, la banalité de la grande ville, la petite musique de l’anonymat confortable, si loin de la période héroïque de la reconstruction, les grands chantiers, l’espace, la créativité brouillonne. Moins de panache. C’eût été parfait pour moi, je n’ai plus trente ans, ni même trente-cinq, terminé le petit genre « jeune adulte » à fond dans l’événement. Cette fois-ci, je suis descendu dans un hôtel dans Schöneberg, un établissement … « hétéro-friendly », une chambre noiraude, une sorte de grande salle de bains avec jeux de transparence et le lit dans un coin. Effet grotesque garanti … ou en néo-lupanard. Mauvais choix.
 
Oserai-je évoquer mon séjour à Mannheim il y a quelques semaines de cela, une ville qui ne va pas si bien en dépit de son aisance économique. Un centre-ville abandonné par les classes moyennes, une place historique et centrée, rien que des restaurants turcs ou quasi, il est 23h, envie d’un künefe, avec un verre de blanc. Je rentre dans l’un de ces restaurants, je m’installe, peu ou pas de femmes dans la salle, un serveur aimable, je passe ma commande et demande un verre de vingt blanc sec. « Quelle eau minérale voulez-vous ? » Je répète, « VIN BLANC SEC ». Le serveur attrape rageusement une carte des boissons, le doigt sur la liste des eaux minérales. Je cherche une page consacrée aux vins, rien, je comprends que je suis dans un restaurant sans alcool, un établissement tenu par un patron pieux, destiné à une clientèle pieuse, même le fait d’évoquer le nom du breuvage interdit est péché ! Je commande donc un thé turc et soupire après Hasir, ma bonne cantine turque de la Maassenstrasse, Berlin, où l’on prend un peu le client occidental de haut mais où coulent le vin rouge, blanc et la bière. Je repense à un mot de Chris., une citation « baise la main que tu ne peux éloigner de toi », un conseil de réalpolitique qui en dit long sur la situation à Mannheim. 
 
Retour à Berlin, le temps se couvre, la météo l’avait prévu ; la ville offre de nombreux abris, des restaurants confortables et honnêtes, regarder tomber une pluie métaphorique depuis l’une des banquettes de velours cramoisi du Kant Café, bonne carte et nombreux journaux. La spéculation et les touristes compliquent la vie des Berlinois, dénaturent le charme de la ville mais elle y retrouve de sa nature cosmopolite, un phare pour tout l’Est du continent, une certaine pensée du monde et de la bonne vie, celle que nous finirons par mener à nouveau, attablés en terrasse, sous un soleil renouvelé.

samedi, mars 05, 2016

Elections communales vaudoises 2016 ou la veste

Plus jamais je ne pourrai relire froidement le récit de l’armistice de 18, signé par un petit matin brumeux, glacial : Erzberger, von Oberndorff, von Winterfeldt, von Grünnel et Vanselow, reçus avec hauteur dans le wagon de l’état-major français, la forêt de Compiègne, reddition sans condition. Ne nous cachons pas la vérité, j’ai pris une veste aux dernières élections communales, et pas sûr qu’elle ne soit bien taillée. Il faisait froid de même, devant l’hôtel de ville. Il a fallu attendre, un verre à la main tout de même, et des résultats d’abord publiés sur le site de l’Etat de Vaud, allez donc consulter la chose sur l’écran d’un smartphone, et pas de classement par partis, un classement par candidats dans l’ordre des résultats. 1, 2, 3, 4, 5, 6 … 10 sièges pour le parti sous la bannière duquel je me suis présenté, il faut chercher parmi des cohortes de socialistes, de libéraux-radicaux, d’écolos … Et il m’en manque un, refaire le tour du listing déroulant, parmi les cris de joies et les trépignations d’élus verts découvrant leur accession au législatif communal. Je ne serai pas des leurs. Je ne suis pas élu. Je me demande si les verts triomphants feront montre d’autant d’allégresse lorsqu’ils seront retenus, otages, d’une commission bout de tuyau avec des commissaires tatillons qui n’en finissent pas d’ergoter sur rien. Je me vois remplacé par des nouveaux venus, des potes de copains de connaissances de candidats (tout parti confondu) , une joyeuse clique que l’on rencontre collée sur toutes les terrasses de la Grand-Rue. Je tiens cette révélation de mon assistant lors du dépouillement, s'esclaffant à plus d'un bulletin, me signalant "Truc, Chose et Machin, et encore Bidule" qu'il croise parmi les habitués de tel ou tel débit de boissons. C’est ici qu’il faut s’avouer que la fréquentation de la messe et du fitness rendent nettement moins populaire que la fréquentation de bistrots de traîne-patins. Désolé, je n’ai pas de réseau de serveuses ou de potes de bitures pour doubler mon nom (et/ou biffer celui des autres; pratique à propos de laquelle j'ai été affranchi il y a peu).

L’électeur a toujours raison et s’il est mauvais, la faute aux politiques ! Mon homme, fraîchement élu au sein d’un parti en vogue, m’explique encore que les Morgiens veulent de nouvelles têtes, ou qu’ils ont voté bidule parce qu’il est beau, ou parce que tout le monde le connaît … Je résume, je n’ai pas été réélu parce que je suis un cageot que l’on ne connaît pas mais que l’on n’a plus envie de voir ?! Un détail m’échappe … Il paraît que c’est un plus, pour un parti, que de renouveler ses troupes, ses élus; et, me dit-on encore, les proches viennent-ensuite finissent toujours par siéger quand les nouveaux-venus jettent l’éponge, rapport aux commissions bout de tuyaux trépidantes, ou quand partent les vieux du parti qui ne se sentent plus chez eux. Dans les deux cas, le signal n’est pas très engageant, cela fait légèrement « roue de secours », ou pauvre à qui l’on fait la charité de ses vêtements vieux ou passés de mode. Il faut encore affronter la tête des candidats qui vous connaissent et qui, après s’être assurés de leur propre réélection, vous saluent avec ce petit quelque chose de particulier que l’on adresse aux faillis ou aux perdants. Jusqu’à l’hypocri... euh, la diplomatie de certains qui hésitent avant de monter dans leur voiture, se ravisent tout de même, s’en tiennent à des propos d’une grande banalité, faisant mine de ne pas connaître les résultats, ne s’étonnent même pas lorsque vous dites que votre parti a perdu un siège et que ce siège était le vôtre. « Dans six mois, une année … », les calendes grecques promises aux viennent-ensuite.

Premier conseil communal d’après élection, le ton est léger, badin, quelques malades diplomatiques, ballottage général à la municipalité, deux ou trois interventions, des rapports expédiés en deux-quatre-sept. Les partants comptent les conseils, les séances, les commissions dans lesquelles ils siègent ; les réélus tirent des plan sur la comète, des alliances à venir, se demandent à quoi ressembleront les nouveaux venus des autres partis … L’électeur a toujours raison, même quand il a tort. Je ne parle pas pour moi, fermez-moi la porte au nez, je rentrerai par la fenêtre, c’est un peu mon rôle de centriste, un véritable 4x4 de la politique. Je pense avant tout à ces conseillers de longue date, investis et désintéressés, sincères et balayés par un vote, parce que « pas assez sexy », pas de réseaux bistrot non plus, pas de titres, pas d’amis influents, pas de profil sexy, selfie avantageux, etc. Balai neuf balaie bien, et le dévouement civique ne vaut alors pas plus qu’une feuille morte.





  

jeudi, décembre 31, 2015

Bonne année quand même ...

… allez, bonne année 2016, elle ne sera pas pire que 2015. Il ne s’agit pas de se faire à l’idée, ni de cette cornichonnerie de « résilience » pour psypsy gentil de magazines à grand tirage. Il est question d’humilité, loin des rodomontades politiciennes et artisteuses. Je sais de quoi je parle, je participe tant à la vie politique locale qu’à la vie artistique romande. Néanmoins, j’essaie d’être en phase, concret, sincère dans mes activités et ne surtout pas sombrer dans un dogme ou l’autre, me justifier, avoir raison .... J’ai tant d’exemples de petits juges ès morale sur les réseaux. J’ai bataillé avec des gauchos-bobos des beaux quartiers qui s’émeuvent et se trompent de discours, des laïcards obtus, beaucoup de laïcards obtus, de cette vilaine race intellectuelle qui ne sait pas croire et tente d’imposer par sa raison dévoyée sa sécheresse de cœur. La bienpensance et la coolitude sont les pires maux de l’époque, ils renvoient directement au péché d’orgueil.

Je reviens d’un bref séjour à Constance, histoire de faire des courses et fréquenter cette bonne ville, marcher dans ses rues, prendre une tasse de thé au Rosengarten, dîner dans l’un des restaurants du centre, etc. Il y a tant dans cet etc., tant mieux, car pour le reste, il a fallu composer avec une foule de « casques à boulons », leurs mauvaises manières, leurs mioches mal-élevés, et ce qu’ils peuvent parler fort, dans la rue, les cafés, les magasins ! Je trouve bien du mérite à mes Constançois. Mon etc. s’est surtout illustré par la fréquentation des nombreuses et très belles églises de la ville. J’ai même eu la chance d’assister à une messe, la chapelle aménagée dans la sacristie de Sankt Stefan. J’avais déjà eu ce privilège il y a quelques années de cela. J’espérais pouvoir réitérer cette expérience, ce moment d’intimité, l’atmosphère précieuse de ce lieu, l’autel, son retable sculpté, représentation mariale, les grandes armoires montées sur des corps de buffet, quatre, qui rythment la salle et ne laissent rien échapper des trésors que gardent des serrures baroques.

J’ai retrouvé avec joie ce lieu public réservé et chaleureux. Nous fêtions les Saints Innocents, ces enfants victimes d’Hérode. Il n’y a pas eu d’homélie, ce n’est pas de mises pour les vêpres ; le prêtre s’est toutefois permis une réflexion libre en introduction, évocation des enfants migrants morts en mer. Je ne nie pas être venu à Constance pour y « faire de bonnes affaires » mais la horde d’acheteurs de mes compatriotes, ceux-là même qui parlent si fort et étalent leur sabir avec suffisance sont-ils jamais entrés dans une église de Constance ? La ville passe pour une gentille bourgade commerçante, point. Toute l’Allemagne n’est-elle pas devenue le terrain de jeu favori des Suisses ? Berlin et ses folles nuits en point d’orgue …

« Aimez-vous les uns les autres, mes petits enfants » répétait sans relâche saint Jean dans la béatitude du grand âge. Voilà un commandement qu’applique le moins chrétien des Berlinois, l’un de ces bons gars qui composent la foule anonyme de la capitale allemande. Un type qui travaille pour vivre, qui aime les week-ends prolongés à la belle saison pour lézarder dans un « Biergarten » avec les copains. C’est peut-être aussi une de ces filles de Berlin ex-est, avec leurs colorations capillaires charbonneuses et leurs fringues gothico-folkloriques avec une tentative sexy. Ces filles-là vont au pub, avec les copines, font la fête les unes chez les autres, dans des sous-locations squatteuses puis finissent au bort du terrain de foot quand leurs « mecs » jouent le dimanche après-midi. Ceux-là savent faire la part des choses avec les « Prominenten » ; ils les admirent un peu, ont bien de la curiosité mais rien de plus. Ils regardent ces élites comme des poissons rares à l’aquarium et puis s’en retournent à leurs petites affaires. Ça les fait marrer quand ils lisent un article sur « les folles nuits berlinoises », des hangars pouilleux dans les tréfonds de Neukölln, pensent-ils, de la boîte à touristes ou des ces lieux pour les « möchte gern », pire que le touriste, du touriste qui a pris racine !

2016 sera, comme l’a été 1524 ou 1893. Et les faiseurs continueront à faire du bruit, à occuper le terrain, et les modes passeront. Peut-être que les « leaders d’opinion » jetteront leur dévolu sur d’autres destinations, d’autres activités sportives, que la jupe rallongera, et les couleurs de la prochaine saison ? Qu’importe, on continuera de célébrer la messe en semaine, la chapelle aménagée dans la sacristie, Sankt Stefan, pour moins d’une dizaine de fidèles. Et Berlin ne sera peut-être plus « capitale des nuits européennes », ça ne fera pas le beurre des dealers de coke mais la ville s’en fiche pas mal, car elle est bien autre chose. « Ouvrez les yeux, mes petits enfants … », dirait aujourd’hui saint Jean « … et vous vous aimerez les uns les autres ».


jeudi, juillet 30, 2015

Retour de Berlin

Pas même une semaine … je suis rentré il y a six jours, une nouvelle théière, quelques boîtes de thé, un trench-coat, un blazer, un presse-papier dans mes bagages en sus du linge sale, de quelques mots peu amènes contre une autre ville, magnifique pourtant. Je suis rentré de Berlin où j’ai … berlinisé, à savoir j’ai marché, bu du vin blanc sec, visité une exposition de peinture, suis allé à la messe, au cinéma, au fitness, ai très copieusement déjeuné ou dîné avec Mmes von Jena mère et fille, avec Christine et ses parents, son frère. Et je me suis tant de fois retrouvé à table seul avec Berlin, derrière un schnitzel, une soupe de lentilles ou une salade de pommes-de-terre accompagnée de deux viennes. Et les petites pauses café, quelques aperol-spritz, une tranche de strudel. Marcher dans et avec Berlin. 

Il y a peu, à la radio, on m’a fait remarquer que Berlin, c’était la nuit qui n’a pas de fin, la scène électro, la fête … Pour les touristes peut-être, les noceurs de haut-niveau qui courent les capitales de boîtes en festivals comme on courait les opéras dans le passé. Je n’ai jamais eu ce snobisme et ne suis jamais allé « en boîte » que pour « emballer ». Etant marié, je suis exonéré de la nécessité de la fréquentation de tels lieux. Et, même, si j’étais célibataire, je profiterais du sens pratique de Berlin qui connaît bien une quinzaine d’établissements de … cruising. Je ne vais pas vous faire un dessin, vous n’avez qu’à vous documenter sur le sujet. Berlin, avec son pragmatisme bon enfant, est une ville d’un autre siècle. La première puissance européenne a pour capitale une ville de la Belle Epoque. On a beau y multiplier les gratte-ciels, les parallélépipèdes rectangles de verre et d’acier, l’ombre des Guillaume plane encore sur la ville.

J’ai fait des infidélités à la Winterfeldstrasse. Après ma pause pragoise, j’ai loué dans l’Akazienstrasse un adorable rez-de-chaussée agrémenté d’un jardin de curé, moussu, traversé à la nuit tombée du vol furtif des chauves-souris. J’ai respiré l’air précieux de Berlin du fond d’un lit Louis-Philippe, j’ai aspiré ce fluide merveilleux aux vertus quasi-magiques, et sur ma couette, « L’Homme sans qualité », le récit sans pathos de la débâcle à venir, à demi-mot les vertus d’une époque. Musil adorerait la Berlin d’aujourd’hui, ma Berlin, ma petite ourse affectueuse et maladroite. Musil passerait certainement beaucoup de temps à observer les gens dans les cafés, les touristes aux abords des grandes attractions. Il saurait analyser avec le sérieux et l’ironie nécessaire la politique européenne actuelle.


A Berlin, j’ai berlinisé ; j’ai laissé filer le temps entre deux rencontres, entre un aller et un retour, entre les courses et de pseudo-obligations. J’ai pris la pose, un peu, je vais plutôt bien dans le décor. Depuis le temps, je fais partie du paysage. Et je me suis fais à l’idée que je ne reviendrai pas avant, oh ! pas avant novembre.

samedi, avril 04, 2015

"Les Parents terribles" de Jean Cocteau, par la compagnie "Deux Bleux de Bleu"

Jean Marais et Yvonne de Bray
Sous les répliques polies, amusées, drôles, pleines d’esprit, policées, mœurs bourgeoises obligent, le feu ! J’ai retrouvé pour une soirée, une représentation - compagnie de théâtre amateur - le feu de la grande adolescence qui couve sous l’innocence et la nouveauté du monde. J’ai retrouvé de mes seize, dix-sept, dix-huit ans lorsque je vivais à travers les classiques du cinéma à la télévision, et les premières lectures indépendantes, quoique j’aie été un lecteur tardif et très critique. Mais la légèreté coctélienne me parlait, le style apparemment évident, l’aura de l’auteur  me parlaient. Quant aux intrigues, immémoriales à tel point, qu’elles confinaient à la tragédie classique en mine de rien, de l’actuel à perpétuité.

« Les Parents terribles », l’étrange famille, de celle que l’on aimerait détester pour mieux l’aimer cinq minutes plus tard. Les comédiens sont si jeunes, ils campent les personnages d’Yvonne, Michel, Léo, Georges et Madeleine avec tant d’aisance, de justesse. Le premier quart d’heure est un peu étrange, qui sont les parents ? qui est le fils mais le jeu les maquillent avec perfection. J’ai cru voir Jean Marais, Gabrielle Dorziat, Yvonne de Bray, Marcel André et Josette Day, et percevoir  la narration de Cocteau, ces voix d’un autre temps, un phrasé, un style nasillard et toujours un peu ironique. Comment ce texte a-t-il pu parler à ces enfants de moins de vingt ans ? Leur jeu est si juste, la mise-en-scène efficace, poétique ce qu’il faut, un décor fait de lampes et lampadaires, et le lit, le cœur de la « roulotte » ; l’œuvre n’a pas pris une ride. Le texte est peut-être un peu « intello » me confiait un spectateur (ce n’était pas Cy.) mais ces échanges pleins d’esprit, pour reprendre le début du billet, sont la marque d’une époque quand on avait encore de la syntaxe.

La jeunesse parle à la jeunesse. Cocteau n’a jamais été vieux. Le désir, l’enthousiasme et les débordements l’ont conservé parmi la troupe brillante des jeunes gens, ceux que l’on croise un peu partout et qui vous dépassent en trois enjambées élastiques. Je me suis souvenu pourquoi je m’étais tant pris d’affection pour l’œuvre littéraire et filmée de Cocteau. J’ai, le temps d’une soirée, remarqué que cette jeunesse s’était ensablée dans ma mémoire, avec le souvenir de mes seize, dix-sept, dix-huit ans et plus, l’appartement familial, le ciné-club de FR3 le dimanche soir, les lectures tardives dans ma chambre, fenêtre ouverte et, selon le vent, le clocher du temple de Morges ou d’un village avoisinant sonnant deux heures. Cocteau m’offrait à vivre des rapports humains si vrais, crus quasiment, débarrassés des convenances ou du vulgaire des situations défavorisées, un monde idéal où l’on est pauvre parce que l’on n’est pas riche mais pas parce que l’on manque de tout. Et je pouvais rêver de ce Paris en noir et blanc, d’une grande ville aux manières douces et aux sentiments emportés.

Cocteau est précieux parce que fragile, fragile parce que subtil, subtil parce que sensible et la sensibilité, la nuance ne sont plus à la mode en matière de littérature. Ce ne sont pas des valeurs porteuses dans notre globalité culturelle molle. Il faut jouir de la jeunesse, celle qui donne de la souplesse à l’esprit et de la force dans les échanges pour aimer Cocteau et peut-être même le jouer.



                     

dimanche, février 24, 2013

Café Steinecke - Wilmersdorf


Café Steinecke, à la Güntzelstrasse, dans son état originel

Ce n'était pas un lieu très chic, ni d'une élégance très recherchée mais c'était un lieu authentique. On entrait par la boulangerie, son carrelage à damier noir et blanc, un comptoir aux verres bombées, une horloge prise dans l'étagère à pain puis la salle, avec ses petits guéridons de marbre éraflé, lourd pied de fonte, des chaises bistrots, assurément pas d'origine, des banquettes Art Déco tardif aux ressorts fatigués et les claustras canés de la vitrine, des appliques en laiton aux murs, un lustre hollandais dans le même style 30-40 et, dans une niche, un vaste portrait de femme Jungendstil, un décors de papier peint, une banquette dont les accoudoirs s'enroulaient à chaque coin de la niche. Je ne sais pas même si cet endroit se nommait "Café Steinecke" à son ouverture. Je ne sais pas de quand date ce tea-room. D'après les meubles, leur style, les aménagements, les stucs, je pense que cet établissement a ouvert ses portes durant la période de la République de Weimar. Ce lieu a survécu aux bombardements dans une ville détruite aux trois-quarts, il était porteur d'une histoire, de cette petite histoire des anonymes, la musique des rues berlinoises. Soit, les peintures étaient écaillées, des travaux s'avéraient nécessaires. Il n'y avait jamais foule mais toujours quelques clients. J'en avais même fait le théâtre d'une scène du roman que je vous ai servi sur ce blog, "Dernier Vol au départ de Tegel" et ce café Steinecke a disparu. Pire qu'une fermeture, on l'a "remis au goût du jour", c'est à dire que tout le mobilier original a disparu, les luminaires, le sol ... Tout a été refait dans ce genre cafétéria cosy et design où l'on mange de la boulangerie précuite et congelée. Peut-être que des victimes du régime nazi fréquentaient cet établissement, des victimes des bombardements aussi ? Ils sont morts à nouveau avec la transformation vulgaire et commune d'un lieu publique témoin de cette bonne vie d'avant.

vendredi, avril 15, 2011

Hôtel Balmoral


Non, je n'ai pas quitté le navire ! que mes lecteurs de C., petit village vaudois où vécut Mme de S. se rassurent et les autres aussi. Je n'ai pas le don d'ubiquité et me suis retrouvé dès début mars dans les cartons. J'ai déménagé. Berlin ? Bordeaux ? Barcelone ? Zürich ? non, je suis juste passé du quartier de Prélaz à sous-gare. Moi qui n'ai de cesse d'aller nuit après nuit en songe d'un hôtel à l'autre, je me suis installé à l'hôtel Balmoral, à l'ex-hôtel Balmoral, un bel édifice du début du XXème siècle reconvertit en immeuble d'habitation.

Ce n'était pas qu'un déménagement; j'ai tourné une page. J'ai produit tant de textes aux Clochetons, tant de récits ... Le lieu était épuisé. La dernière fois que j'y suis passé, état des lieux manqué, le propriétaire s'est fait excuser, il y avait un air de piano qui descendait dans la cage d'escaliers, des exercices relativement adroits, une variation passant du classique au jazzy. J'ai observé avec étonnement les murs, nus, les pièces vides, sordides à la limite, devenues si étroites. J'étais incapable de reconnaître mon ancien logement.

A l'hôtel Balmoral, j'occupe la moitié du dernier étage de l'aile gauche, trois fenêtres en façade et une sur le côté. Un cabinet, une chambre, un immense séjour - la cuisine en dépendance - et la salle de bain au bout d'un large couloir, une véritable antichambre carrelée avec goût. J'ai la vue plein ouest, une rangée de bâtiments Art Déco tardifs en vis-à-vis. La nuit, pas un bruit, à part la sonnerie bien timbrée de l'horloge tous les quarts d'heure qui roule sous les trois mètres de plafond stuqué.

mercredi, février 06, 2008

Berlin bis


Café Reza, pas loin du Bério, un verre de Chardonnay, ça va mieux ! Non pas que je sois alcoolique mais les aveux précédents suivis d'une séance d'achat au "Kaiser" voisin m'ont remis dans mon orbite naturelle, dans ma logique. Ich bin wieder der kleiner Berliner aus Waadtland, froh und sexy, und geil, und so weiter. Je sens le temps couler à grosses gouttes denses, riches, quasi luxueuse. J'ai traversé la moitié de l'Europe pour me dire des choses sur banquette Bidermeier. J'ai couru une journée entière de Lausanne à Berlin, afin de laisser glisser le jour derrière un verre de Chardonnay, faire l'achat d'un paquet de thé, d'une brosse à cheveux et longuement hésiter sur la paire de basket à porter !

jeudi, janvier 31, 2008

Un meuble noiraud


Retour à des pratiques qui me semblent anciennes ... pour un nostalgique professionnel rien de plus normal. Je passe mon temps à replacer, remettre, retrouver ... Le mythe s'est vite tricoté, en à peine quelques mois et je reviens sans cesse à cette position alors que rien ne m'y retiendrait. Il y a bien mon travail d'essayiste que je poursuis à travers "En attendant ...", un petit air de "Par Défaut" dont le manuscrit fait nombre parmi d'autres, le secrétaire Tudor peinturluré en noir, retouché au feutre, aux portes légèrement disjointes avec sa galerie encombrée de jolies choses auxquelles je ne tiens pas ! Et, vous vous en doutez, le meuble a son histoire, porte son poids de vécu. Comme pour le reste du mobilier, je me dis que je devrais ... enfin ... j'hésite ... et finis par ne rien faire.

Je ne cherche pas de "retour de flamme" particulier dans cette vie, ma situation ... Lausanne, le Pays de Vaud, la Suisse et tout le toutim. En fait, cela m'importe autant que le secrétaire Tudor (une copie évidemment). Rien de tout cela ne compte. Je pourrais empiler mes manuscrits n'importe où ailleurs, un buffet Henri II par exemple, voilà qui aurait de la gueule ! Etre écrivain à Berlin et conserver mes manuscrits dans un buffet - à dressoir s'il vous plaît - Henri II. Je pourrais aussi bien déposer mon tas de papelards au fond d'un placard, un p'tit appartement à Barcelone ou Madrid, ou dans un buffet sixties' dans un séjour zürichois.

Et par pitié, pas de confession, non, je vous ai, en mon temps, suffisamment abreuvé de "larmoyeries" avec cet enfoiré de Wunderprinz viennois qui n'avait rien de si charmant. L'amour est une chose simple et évidente, ce n'est finalement pas plus compliqué que de choisir un paire de chaussettes le matin. Il suffit de ne pas donner dans un genre trop original. Il suffit de rencontrer la bonne personne, celle qui s'offre à vous, qui s'inquiète sans étouffer, qui s'impose sans occuper quasi militairement votre espace. De toute manière, je ne suis pas très doué dans le récit des amours heureuses et épanouies. Plaisant à vivre mais si emmerdant à raconter.

vendredi, juillet 27, 2007

Le vide-poches


Avec J., j’ai appris un certain nombre de raffinements pratiques, tel que le … vide-poche ! Ce genre d’objet de rien, catégorisé de la façon la plus vague, permet de rassembler et tenir nos miettes existentielles en un seul lieu, dans un espace ouvert et confiné à la fois, laissant le plan de nos existences le plus lisse possible. De plus, lorsque l’on cherche une chose ou l’autre, il suffit d’aller voir dans LE vide-poche : clefs, bijoux de pacotille, portable, listes, tickets et autres, et tout ce dont on a toujours besoin, de l’élastique au trombone, à de la menue monnaie, tout y tient !
Ce matin, en sortant de chez F., ma première idée : trouver un vide-poche ! Hier déjà, au Karstadt de Charlottenbourg, j’ai soupesé tout ce qui, de près ou de loin, aurait pu en tenir lieu. Plats, assiettes, corbeilles, boîtes, coupes, cartons, tout je vous dis ! Le vide-poche navigue entre l’Arlésienne et le truc, tantôt ça n’existe pas, tantôt tout fait l’affaire ! J’ai finalement trouvé une coupe de laiton émaillée qui, comme le dirait ma mère, « fera la rue Michel », un objet d’occasion doublé d’une bonne action provenant du Tierheim Trödel, une brocante en faveur d’un foyer pour animaux abandonnés.
Je pense ramener l’objet en Suisse, je le regarderai comme un trophée … Rien à voir avec F., le beau et jeune F., ce teint si clair, la souplesse d’un corps de 24 ans, une allure et des questions en mine de rien « Hast du viele Freunden in Lausanne ?» Je pourrais imaginer bien des choses pour ces yeux pervenche, pour cette douceur … Ma victoire se situe ailleurs … Et je n’en suis qu’au début. Je placerai le vide-poche dans l’entrée, sur le petit meuble à tiroir, y jeter négligemment mes clefs à chaque fois que je rentrerai.
Chez Walser, il est question de menus détails domestiques, de pièces de vêtement, de la qualité du papier, de porte-plumes, de buvards et de taille-crayons et d’un peu de vaisselle. Je me souviens que, dans la description de la maison Mann, à Münich, tous ceux qui l’ont fréquentée parle d’un ours empaillé au bas de l’escalier, dans l’entrée, portant un plateau d’argent où déposer les cartes de visite. Guibert me semble jouir d’un vide-poche, Mauriac en pourvoit ses anti-héros bourgeois. Il y aura désormais dans mon autofiction un vide-poche, discret témoignage de ma victoire.

dimanche, juillet 01, 2007

Les mots de rien


Ne pas se laisser déborder par ... le contingent, les fausses urgences, les fausses priorités quoiqu'il puisse en coûter à l'homme de lettres. Dans cette étrange profession, vivre est un impératif, et vivre aux limites de son milieu, de la logique, de la cité, du monde dit "civilisé" ... Jamais l'on n'a vu une carte géographique blanche sur son pourtour. L'auteur doit, sans cesse, élargir son territoire, se rendre aux limites de celui-ci afin d'en témoigner. Inventer ces limites tiendrait de la broderie, de l'occupation pour dame désoeuvrée l'après-midi ...
Je ne crois donc pas au roman, genre bâtard et inutile, coquille vide, effet de manche littéraire. La fable ou la parabole mais jamais, au grand jamais, la pauvre invention d'histoires abracadabrantes, de ces fariboles un peu historiques ou culturelles. Je m'engage, avec Les Mémoires d'un révolutionnaire, sur la sente étroite d'un jeu avec mes propres interdits littéraires. Il n'est pas questions d'un récit édifiant pour adolescent de bonne famille mais de rendre la parole à Laharpe, un homme trop poli peut-être, un héros qui n'a pas voulu charger ses compatriotes ... C'est une leçon dictée par la mauvaise humeur, c'est aussi le récit d'un amour déçu, d'une rencontre ratée.

Hier soir, sur Arte, j'ai entendu parler d'une auteur de BD (autrice ? auteure ? auteuse ? je vote, sans malice, pour autrice) d'une autrice, donc, qui ne peut rien dessiner si elle n'a pas vécu la scène. L'autofiction vient donc d'aborder une nouvelle terre. En filigranne, le charme du banal, dessiner le quotidien avant qu'il ne passe. Rendre la poésie des jours comme la séduction des mots de rien, les seuls capables de laver l'outrage de ... l'outrage, ce n'est plus le temps de la polémique.

samedi, juin 23, 2007

Le crépuscule d'une reine


J'ai observé le jour glisser depuis le balcon, le vaste panorama, la splendeur toujours égale et renouvelée du lac, le Jura, le ciel, immense, les Alpes voisines ... Intacts, inchangés, à croire que rien ne pourrait toucher tant de perfection. J'oublie parfois et trop souvent la magnificence qui s'offre à ma fenêtre, tant de délicate mélancolie à chaque crépuscule. Cela donne envie d'oublier discordes, discutailleries et toute implication sociale, laisser aller les choses sur la pente de leur perte naturelle, comme l'intuition d'une faillite à venir et de combats politiques ... de croisades politiques à mener mais pas ce soir, pas encore ... pas encore.

Je sais ne pas être un "homme de lettres" très classiques dans ses sources d'inspiration ni de par son milieu d'origine. J'ai grandi à côté d'un téléviseur allumé et ne me départirai jamais de mon affection pour "la petite lucarne", pour ma boîte à rêves, à débats, à récits. Je sors d'un documentaire historique, une vie de Marie-Antoinette, l'une des figures de ma mythologie personnelle. Grâce et tragédie, et cet orgueil insensé qui seyait tant à la fille des Césars. Etrange que je me glisse dans la peau de Laharpe, du "Jacobin" comme disait ses contempteurs, afin d'écrire ses mémoires. Pourtant mon attachement à Frédéric-César est sincère. J'aurais voulu être soit Marie-Antoinette soit Frédéric-César : du coeur et du caractère, et une forme de courage insensé ... Peut-être une certaine légèreté vis-à-vis des contraintes de la réalité dans laquelle ils vivaient.

Il y a bien des débats qui éveillent mon intérêt, ma curiosité ... J'ai failli écrire un billet l'autre soir, après avoir vu la dernière de la saison de "Ce soir ou jamais", un plateau mi-culturel, mi-politique, des échanges de bons niveaux, de la conviction, de l'opinion et du panache, celui de l'intelligentsia parichienne qui sait si bien faire le beau devant la caméra. J'ai aimé voir Jean-Jacques Beineix mettre en boîte Frédéric Mitterrand pour son gauchisme caviar, pour ses chaussettes rouges et son égocentrisme ... Je n'ai pas écrit le billet; les entrelacs des développements évoqués s'étaient défaits dans mon souvenir et ne restait plus que le long ruban plat d'une certitude plus qu'évidente : nous sommes sortis de la guerre froide ! Mais cela avait plus de force parmi le feu des échanges. Je ne peux m'empêcher de glisser un mot quant à la germanophobie de la Pologne des jumeaux Kaczynski, une paire d'homophobes racistes et rétrogrades; je les soupçonne d'être d'une inculture crasse par-dessus le marché. L'Allemagne du XXIème siècle aurait beaucoup à leur apprendre en matière de démocratie et de respect des différences.

A présent que la hargne, le dépit et la colère sont passés, que je ne me sens plus dans l'obligation de "me justifier", je veux dire par là de faire de la pédagogie quant à ma démarche, je n'ai envie d'écrire que des billets sur le coucher du soleil et la musique baroque, sur la richesse de l'univers sensible qui nous entoure ... Rien que de l'inutile ...


samedi, janvier 13, 2007

"Chez Germaine"


Le jubilé, j'allais oublier mon jubilé, ma naissance - la volontaire - il y a un peu moins de vingt ans. Tout me semblerait dit dans ces quelques mots : se souvenir, commémorer, inscrire et son geste, et son souffle, et son oeuvre dans le temps. Une fois évacuée la question vague du "pourquoi moi ?", pour le meilleur et pour le pire, après avoir endossé la responsabilité de sa propre vie (je suis particulièrement fier d'assumer les vingt dernières années), il ne reste plus que la tâche considérable de travailler au tricot du récit, à traquer le petit rien parlant ...

J'avais presqu'une demi-heure à tuer avant l'arrivée de mon train, en gare de Morges, sinistre gare, bonne petite ville à la réputation de laquelle j'ai travaillé dans mon roman "Appel d'air", New Versailles dans le texte ... Bref, je suis descendu en direction de la rue du Sablon, les nouveaux bâtiments, de grands locatifs élégants aux appartements aérés remplis de détails déco à la mode ... Pourtant, je sentais remonter des vieux pavés le parfum de mauvais alcool qu'exhalait la distillerie Salina, ses entrepôts moussus, le haut mur qui ceinturait sa cour, le jardin, la maison du propriétaire au milieu, les cris d'un coq idiot qui n'avait rien compris de son rôle : l'animal chantait à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. J'ai coupé par la rue Saint-Louis puis remonté la rue des Charpentiers, le "gagatorium" (EMS) Nelty de Beausobre à ma gauche, une infirmière s'activait derrière une fenêtre du second. En face se dresse encore "La Concorde", une salle paroissiale multifonctionnelle du début du siècle passé, une bâtisse rescapée, dans son style zürichois lézardé, plantée au milieu de parkings de fortune, les trois pâtés de maisons adjacents sommairement démolis. On peut même encore y repérer des carrelages au sol : ci-gît une cuisine ... Puis deux pauvres saules tronqués de la moitié de leur branchage lors de la construction du passage sous-voie trop raide et que personne n'emprunte.

Il y a vingt de cela, les arbres ombrageaient la terrasse de "Chez Germaine", avec sa pension miteuse au-dessus, ses locataires improbables ... "Chez Germaine" était un bouge, un bistrot poisseux dont les cuisines n'étaient plus utilisables depuis fort longtemps. Des manoeuvres de passage logeaient là un trimestre. On les retrouvaient en fin de journée buvant du mauvais Côte du Rhône et dévorant d'opulents sandwich préparés par ... Germaine ? Il y avait aussi un vieux couple de lesbiennes alcooliques qui occupaient gratuitement une chambre des combles, Coco et ... je ne m'en souviens plus ... Une femme encore vive, d'une mise épouvantablement négligée. Coco ne disait jamais grand-chose. Je sais qu'elle ne pouvait plus jouer de l'accordéon à cause de son arthrite, elle avait du reste vendu et bu l'instrument. Les deux femmes semblaient, à leur manière, tenir salon.

"Chez Germaine" a aussi été rasé. Je revois à peu près la vieille façade beige salie d'une maison de trois étages en tout, je revois la porte d'entrée, large, dont la partie supérieure était garnie de culs-de-bouteilles sertis au plomb, un travail d'une très belle qualité, tout comme la ferronnerie de la marquise de la terrasse au-dessus de laquelle s'épanouissaient les deux saules. Je ne me souviens plus très bien du reste ... Mais si je ne vous en touche pas un mot, qui, demain, après-demain, se rappellera de Coco et de son amie, de "Chez Germaine", de l'ombre de ses saules ...

mercredi, janvier 03, 2007

Garçon, la suite !


En un mot comme en cent : et m ...
La moitié de mon précédent billet s'est envolé suite à une erreur de manipulation (de ma part). Je ne suis pas avare de ma plume; l'angoisse de la page blanche, je ne connais pas. Parfois la paresse de prendre la parole, de produire cette parole, de la tisser, la rebroder ... Une soie précieuse et commune, paradoxe ... un peu de moi, de mon souffle et d'autres choses. J'aurais pu écrire de gentils romans pour dames qui ne savent pas quoi faire l'après-midi, avec des héroïnes pseudo-historiques et des dialogues miteux. Cela aurait été mauvais, assurément, se serait vendu et aurait plu aux suppôts moscovites, rapport à l'oeil (de Moscou, voir les billets du 1er au 12 décembre). Je souhaitais du reste à ces braves gens une bonne et heureuse année 2007, certainement meilleure que 2006 s'ils continuent à me lire. Ils auront un peu de distraction au bureau. J'avais aussi une pensée pour ma tripotée de vacataires, mes "époux" successifs depuis ces trois dernières années (dont je ne citerai pas le nom par discrétion) et mes amants (dont je ne citerai pas le nom parce que ça serait trop long); j'avais une dédicace spéciale pour l'un d'entre eux à qui je proposais des taosts Hawaï (pain de mie, moutarde Thomy, jambon carré, fromage carré, ananas en boîte, cerise au milieu, vingt minutes au four) puis les douze coups de minuit sur la place de la cathédrale, la voir s'embraser de feux rougeoyants et finir le champagne en tête à tête. Le monsieur a dû être refroidi par le billet dans lequel je me disais marié à mon oeuvre ou par la composition du menu ...
J'ai passé Nouvel An avec Yohann, chez l'une de ses amies et je suis rentré vers deux heures, trottoirs mouillés, une nuit fraîche juste assez agréable pour rentrer d'un pas mesuré, la première promenade de l'année. J'ai exactement retrouvé cette atmosphère pleine, savoureuse et banale à la fois; quelque chose de très photogénique, un rien poétique, à peine inspiré comme si "la bonne vie" allait de soi. Il y a bientôt vingt ans, j'ai fait le choix de croire à cette vie-là. J'aurais pu céder au sordide et à la panique, j'avais ... le choix. J'aurais pu "bovaryser" ou "guibertiser" (voir le décadentisme d'Hervé Guibert). J’ai préféré le battement discret d’une horloge dans le séjour, le service aimable des établissements de qualité, « la bonne vie » donc, ses codes et ses clichés que je revisite depuis. J’ai par là-même fait le choix de l’autofiction. Au fil de ma plume, j’ai appris à donner le change, à être riche de ma dignité et d’une certaine adresse, j’ai appris l’élégance dans la durée au mépris de la mode et des agités … Je vais vous épargner le laïus de la lutte contre les forces du néant, de la création artistique comme planche de salut, etc. Et pourtant … Je peux vous raconter un crépuscule venteux, des cieux d’or et de colère, le parfum de Christine resté accroché aux coussins du canapé, un photophore décoré de dentelle, le verbe cinglant et chantourné de Charles-Albert Cingria, le ruban luisant du bitume détrempé sous un horizon bas, la route qui vous appelle et commence juste en bas, la porte de service sur la rue Recordon. 3 janvier et envie de courir à travers l’année, à la recherche de Dieu sait quoi, à collectionner des riens et toujours l’espoir de rencontrer le bon, le « prince charmant », un billet de loterie gagnant … De l’appétit en tout cas, allez, « Garçon, la suite ! »