Hier soir encore, je regardais un épisode de
« Maigret » intitulé « Le témoin récalcitrant ». Il y avait
Paris, sous la pluie, l’inspecteur, sa pipe et son pardessus ; il y avait
la musique de la ville, le chant des pneus sur l’asphalte mouillé. L’histoire
était sordide, affaire de gros sous, de paraître et de bonne famille. Maigret a
pris un blanc sec, un cassoulet en plat du jour, quelques reproches d’un juge
d’instruction, un monsieur qui dîne en ville et, en échange, il a donné de la
voix, dans la finesse, le tact et beaucoup de commisération, quasi de la tendresse.
J’ai toujours trouvé mes modèles chez des enquêteurs, parfois de
super-enquêteurs, Steed, Poirot et Maigret. Ce dernier s’impose à moi à
postériori ; il diffère du fait de son humilité, des ses manières communes
et de sa non-élégance. Il est au-delà. Bruno Kremer le fait toujours avancer
d’un pas égal et pesant, quelque chose de terrien et de confiant. Maigret ne
rentre pas dans le moule ce qui ne fait pas avancer sa carrière. Ça ne le touche pas plus que tant. De même, il n’est pas
attaché à la vérité de façon névrotique. Il résout des situations plutôt que de
traquer le coupable. Et toujours la toute petite musique du monde tel qu’il
tourne pour les négligés, les pauvres, les demi-déclassés. Le vrai luxe tient
dans un lit profond, nombreux oreillers, une couche matrimoniale en faux Louis
XV avec le sommeil du juste qui va de pair. Maigret, si moche soit le monde et
discutable la vie de son auteur, nous parle de douceur, un tout petit geste,
des riens tels qu’apporter des cigarettes à un détenu, retourner pour rien
auprès d’un témoin, le laisser épancher sa peine, se soucier des canaris d’un
défunt ou, pour Madame Maigret, donner un petit rien à un père divorcé qu’il
pourra offrir à sa fille. Nous avons besoin de douceur, de ces gestes qui ne
sauvent pas mais apaisent et accordent le pardon, comme l’invitation à
sommeiller dans une couche céleste, le grand repos et tant pis pour ce qui
n’est pas achevé, pour ce qu’il faut faire, sortir de l’urgence par une
caresse, la main compatissante et invisible qui absout tout et couche dans le
même lit de tendresse le lion et l’agneau, la victime et l’assassin, le condamné
et le bourreau. « Ils ont brisé leurs glaives en charrue »,
traduction des plus libres et de mon cru (j’ai très peu fait de latin), voilà
qui ouvre de belles perspectives mais « ils ont déchiré leur orgueil en
une couche », ils ont réduit en petits morceaux, en charpie la précieuse
étoffe de leur orgueil pour en bourrer le matelas, l’édredon et l’oreiller d’un
lit idéal, le repos des pauvres, des boiteux, des esseulés compose le véritable
mot d’ordre auquel notre cœur doit s’attacher.
Paradoxalement,
Berlin m’a offert la bonhommie de Maigret. Paris, l’occupée, la libérée, la
vainqueur n’a jamais pu offrir ne
serait-ce qu’un peu de soulagement. Le triomphe, si maigre soit-il, interdit ce
genre de charité. Berlin l’humiliée, la ravagée, la divisée a, dès la
réunification, tourné son attention vers les « petits », les plus
faibles, soigner leur honneur piétiné, offrir enfin le repos que n’osaient plus
espérer les cœurs fatigués.
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