samedi, mai 30, 2020

Lettre ouverte à Monseigneur Charles Morerod


Monseigneur Morerod, successeur de Jules II, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg,

Permettez-moi cette lettre ouverte, lettre que je publierai sur mon blog et proposerai au « courrier des lecteurs » du quotidien 24H, lettre d’un catholique pécheur qui vous confesse le péché de colère, une colère froide car les mots qui vont suivre ont été retenus depuis le lockdown du 13 mars, une colère qui a crû avec le temps mais je m’étais promis de ne pas vous écrire avant que les églises ne soient rouvertes et la très Sainte Communion à nouveau donnée. Voilà qui est fait. Ce jeudi matin 28 mai, j’ai participé à la messe et j’ai communié. Je ne voulais pas rajouter cette colère à l’hystérie et à la confusion des dernières semaines. Vous aurez compris, Monseigneur, que l’Eucharistie, la Communion sont au centre de mes préoccupations, préoccupations de tous les petits à la foi nourrie de la présence de l’Aimé, la présence de Notre Seigneur Jésus Christ dans la vénération du Saint Sacrement ou de la Communion. Nous, les petits, sans grande connaissance théologique, nous n’accédons pas aux concepts éthérés de la « Communion de désir », à savoir on désire très fort la Communion et c’est comme si on l’avait. Je vous parle donc de la bonne majorité des fidèles qui pratiquent dans la confiance de l’amour de Dieu et l’abandon, bref la « foi du charbonnier ». Vous rendez-vous compte, Monseigneur, vous avez exigé de vos prêtres de nous abandonner, avec la pauvre consolation de messes on line un peu bricolo, messes qui nous déchiraient le cœur car nous étions privés de l’Aimé alors que vos prêtres s’en repaissaient avec componction et satisfaction.

« Il y avait des ordres », « l’Eglise n’est pas au-dessus de la loi », me direz-vous. Soit. Si vous, Monseigneur, successeur du grand pape Jules II qui fut aussi évêque de Lausanne, si vous aviez donc été l’un des prélats de l’Eglise des premiers temps et aviez été assistés des mêmes prêtres qui vous obéissent aujourd’hui, je crains que nous en serions restés au culte de Jupiter ! Des hommes et des femmes ont risqué leur vie pour la Communion et vous n’avez trouvé à nous servir, à nous peuple affamé du Christ, que des paroles sèches et des reproches, du style « la communion n’est pas un dû, c’est un don ! ». « How dare you ? » comme dirait Greta, et croyez bien que lorsque je l’ai crié devant la porte hermétiquement close de l’église Saint-François de Sales à Morges, fin avril, alors que les autorités fédérales avaient autorisé la réouverture des lieux de culte, croyez bien que mes larmes n’étaient pas feintes (colère, dépit, trahison). Par bonheur, le diocèse est vaste. Votre cathédrale a accueilli les fidèles dès que cela a été possible. J’y suis venu, j’y ai vénéré Notre Seigneur, et y ai même brûlé un lumignon pour les serviteurs pusillanimes de Notre très Sainte Mère l’Eglise. Il y a aussi la basilique Notre Dame de l’Assomption, à Lausanne qui a ouvert ses portes dès que possible, merci à l’abbé Dupraz.

Vous auriez pu, Monseigneur, faire preuve d’un peu d’imagination, vous inspirer de ce qui se passe ailleurs, à Berlin par exemple où, dans certaines paroisses, on ouvrait l’église et on recevait  le nombre autorisé de personnes pour la vénération du Saint-Sacrement et, avant de refermer les portes, les prêtres en profitaient pour offrir la Communion aux fidèles qui la demandaient. Et pourquoi ne pas avoir organisé la Communion sur le parvis, les fidèles par groupe de cinq, sur rendez-vous, après la célébration de la messe dominicale via Skype, Facebook, Zoom, Youtube, etc. Quitte à poursuivre le lundi et même le mardi encore, comme si le peuple des baptisés avait dû traverser une nef immense et parvenir enfin à l’autel … Mille autres choses eussent été imaginables mais vous vous en êtes tenu aux ordres et les prêtres qui vous doivent obéissance aussi. Avez-vous à ce point oublié que les gestes, la corporalité, la Communion sont l’essence même de notre Eglise ?! Je ne suis pas Docteur en théologie, je suis sûr que, lorsque vous lirez ces lignes, si vous les lisez, vous aurez vingt arguties tirées des textes des Docteurs de la foi démontant en deux-quatre-sept mes récriminations.
Monseigneur, rappelez-vous les paroles de Notre souverain pontife : « le bon berger doit pouvoir sentir l’odeur de ses brebis ». La foi – tout comme la politique, le sport et le sexe – ça ne passe pas par un écran, ça se vit en vrai, en trois dimensions et en couleurs. Le sexe, vous me direz, ce n’est pas votre domaine. Vu la situation, ne vous inquiétez pas, Monseigneur, je n’ai pas le plus petit bout de péché de luxure à vous confesser en sus de la colère. Pour revenir au sujet de la soumission de l’Eglise à la loi, je m’interroge. Lorsque je regarde du côté de la France où les évêques ont lutté, récriminé pour la réouverture des églises et la célébration de la messe en présence des fidèles le plus tôt possible, je me demande si ce n’est pas un effet de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ne vous sentez-vous pas tenu à une stricte – je n’ai pas dit servile – obéissance envers les autorités cantonales ? Dans notre diocèse, il n’y a que Genève et Neuchâtel qui connaissent la séparation de l’Eglise et de l’Etat, un bon tiers de vos ouailles, une petite moitié au mieux. Je crois que vous avez la charge de plus de 250 paroisses dont bien 180 en territoire valdo-fribourgeois, là où l’Etat prélève un impôt ecclésiastique redistribué aux Eglises qu’il reconnaît (Eglise catholique romaine, église évangélique réformée). Sachant que « qui paie commande », je conçois que vous étiez tenu à une certaine … retenue.

Monseigneur, veuillez encore excuser – dans l’attente de ma confession et de ma pénitence – la colère et l’ironie des lignes qui précèdent. Votre position vous expose à ce genre de désagrément et je vous sais pris aussi dans une hiérarchie. Je vous laisse transmettre l’idée de fond de ma missive à Notre très Saint-Père et remotiver vos troupes dans bien des paroisses vaudoises. Je confesse encore l’orgueil de donner voix au chapitre à tous les fidèles qui se sont sentis abandonnés et trahis alors que l’Aimé se trouvait de l’autre côté de la porte dans la solitude d’une église désertée.

Frédéric Vallotton

mercredi, mai 13, 2020

Changement de point de vue versus changement de paradigme (et de ma judaïté accessoirement)


Comme me l’a dit Cy. qui, en ce moment, travaille à la maison, après l’énième appel d’un client ayant contesté son relevé de compte, « on n’est pas prêt de remettre le génie dans la bouteille », « tu penses, ils sont à la maison, ils ont du temps et se mettent à tout contrôler ». Je ne peux qu’acquiescer, pensant à l’une des vendeuses du « Fleur de Pain » d’à côté, m'interpellant l’autre jour : « Vous n’en avez pas marre de toutes ces histoires ? en plus c’est quoi ces statistiques ? je connais ma règle de trois, imaginez, c’est comme si je faisais ma caisse le soir sans savoir combien il y avait le matin ! » Je suis ressorti de la boutique ragaillardi dans l’opinion que je me faisais de mes contemporains et un rien amusé.

Je pense à toutes ces situations, à peu près satisfaisantes, boulot, petit copain, appartement jusqu’à ce qu’arrivent un chefaillon imbitable, un défaut nouvellement rédhibitoire chez l’autre, des voisins infernaux. Stop ou encore ? On en prend son parti, entre paresse et philosophie puis le mot, la goujaterie, le bastringue de trop, un demi-coup de gueule, une crise ou un silence résolu. Ne reste plus qu’à tout – ou partie – balancer. Un risque sanitaire, une épidémie, une pandémie passe encore ; se retrouver assigné à résidence, c’est un peu limite mais la fin de la vie sociale, les menaces de puçage, big data, vaccination obligatoire, interdiction de manifester, toujours pas de messe, de cinéma, de boîtes, quasi interdiction de rire dans la rue parmi les slogans hygiénico-totalitaires imposés avec une bienveillance insistante et gerbatoire : la coupe est pleine. La voix débile et un peu efféminée du speaker électronique du métro automatique M2 n’a de cesse d’inviter au port du masque, au respect des distances au-dessus d’une foule la face nue, indifférente en apparence. Je remarque chez chacun une petite ride de contrariété de plus en plus creusée à chaque répétition du message préenregistré. Encore une semaine à ce régime-là et ils monteront tous sur les sièges péter les haut-parleurs.

Mon sang allemand me crie de briser mes chaînes, sortir boire un verre au Biergarten après avoir fait une révolution spartakiste ou nationale . Quant à mon sang juif, il est en alerte avec ces histoires de traçage, tris, parcage humain et la furieuse envie d’aller voir ailleurs. Dans l’intervalle, ne sachant vers lequel de mes héritages génétiques pencher, j’ai fait du ménage, rendu mon tablier du Conseil de paroisse (ma lettre ouverte à l’évêque suit sous peu) et du comité d’une association locale. J’ai même commencé à « faire mon permis », histoire d’aller nous installer dans la campagne avoisinante ou tracer à travers l’Europe de l’Est comme un chevalier automobilo-teutonique, à moins que je ne fuie …

En dépit de mon ascendance Vallotton-Cornamusaz-Delacrétaz-Favre, se sont glissés deux ou trois exotismes, le plus connu l’arrière-grand-mère de la Forêt Noire, mère de mon grand-père maternel d’où une germanité « de sang ». Et la judaïté ? En son temps, lorsque j’hésitais sur l’Eglise dans laquelle je ferai mon baptême, j’aurais volontiers remonté le courant jusqu’à ses sources vétérotestamentaires. J’ai toutefois la faiblesse d’être attaché à mon prépuce qui m’a fait bien de l’usage jusqu’à présent et sur lequel je compte pour le reste de ma vie. Néanmoins, ainsi que je l’ai appris fortuitement de la bouche de ma mère entre la poire et le fromage,  il y a deux-trois mois, un arrière-grand-père séfarade algérien VRP dans le tabac avait séduit mon autre arrière-grand-mère maternelle. Il naîtra de cette relation illégitime ma grand-mère ! Le marchand de cigares abandonnera rapidement la mère et l’enfant. J’ai de plus une preuve « génétique » de mon appartenance à la communauté séfarade, une anémie hémolytique courante chez des populations issues du bassin méditerranéen/Afrique du nord.  Un médecin généraliste m’avait même lancé, en son temps, « mais vous êtes juif ? » ?

Bref, on n’est pas prêt de remettre le génie dans la bouteille et les lendemains s’annoncent … épiques ? divertissants ? instructifs ? En tous les cas « étonnants » comme le dirait Monsieur Cyclopède !




dimanche, mai 10, 2020

Fin de partie ( covid -19 etc. )



L’air sent bon, l’air sent bon comme dans mon enfance, un mélange d’herbe fraîchement coupée, de fleurs, de murs recuits par le soleil sous le piaillement des moineaux, le roucoulement des tourterelles. Il est trop tôt dans la saison pour entendre le cri cinglant du martinet haut dans le ciel. Peut-être que le shampoing du sarough mir récemment acheté et installé dans le salon d’été contribue-t-il aussi au « parfum de l’enfance, matinée de mai ensoleillée »? Accessoirement, je vais bien. Plutôt bien. J’ai dans mon état normal toujours un truc qui foire un peu comme avec les voitures italiennes, celles d’avant les fusions-acquisitions, quand les voitures italiennes étaient vraiment italiennes dans l’apparence et la technique, et le plaisir de les conduire. A cinquante ans, je me porte bien. Lorsque je passe voir un généraliste pour des histoires de voies aériennes supérieures enflammées, engorgées, entre asthme et sinusite, avec quelques ramifications parfois dans la sphère auditive, je le vois étonné à la mesure de ma pression artérielle, à l’écoute de mon rythme cardiaque ou, suite à une prise de sang, à la lecture de mon taux de sucre et de cholestérols (oui, il y a plusieurs cholestérols), le tout indiquant les valeurs médianes parfaites comme dans les ouvrages médicaux de référence. Il se trouve que je fais du sport (fitness, 3-4 fois par semaine) et je mange – un peu trop – des produits de qualité, beaucoup de fruits, peu de junk-food et, quand je bois, assez souvent, ce n’est jamais du  tord-boyaux. Pour revenir au « parfum d’enfance », compléter la bande son, j’ai omis le passage occasionnel et paresseux d’un petit avion vrombissant qui me fait toujours penser aux albums de Tintin.

Quand je ne vais pas bien, ce qui arrive régulièrement, de la bobologie moyenne dont je me remets, je peux toujours me consoler à l’idée du monde autour de moi qui tourne et vit, et croît, et forcit et parfois meurt, renaît, etc. Mais c’était avant. La partie vient de se terminer et je me retrouve à aller bien inutilement. Je n’écoute plus les nouvelles, je ne regarde plus la télévision du reste, à part la diffusion de films ou de séries, policières avant tout. Je coupe le son pour tout le blabla annexe, j’ai honte pour cette société alentour sur laquelle je devrais pouvoir m’appuyer, à laquelle je contribuais par toute sorte d’activités, l’idée de « payer mon écot » comme on dit ici. C’est la honte que l’on éprouve pour un proche ou une autorité, un parent, un aîné qui suscitait notre respect même lorsqu’on n’était pas d’accord avec lui, avec qui il arrivait que l’on se dispute avant de comprendre son point de vue sans forcément l’accepter. Aujourd’hui, c’est fini. Une sorte d’Alzheimer métaphorique et viral l’a emporté. Paradoxalement, ça ne m’empêche pas d’aller bien, ça n’empêche pas le « parfum d’enfance » de se répandre dans la pièce, une voile sur le lac, quelques nues accrochées à la crête de l’alpe composant le panorama, la vue du salon d’été.

Je me disais, « c’est bien, on y arrive », entre l’expérience, une certaine sagesse venue avec l’âge et le fait de participer activement au système, je pouvais y croire, même quelqu’un sans fortune, sans titre ronflant, sans grande influence (je parle de moi et sans fausse modestie) arrivait à faire bouger un peu les choses, la politique des petits riens pour le bien collectif. C’était avant. Fin de partie. Le papier-peint s’est mis à décoller. Avec les « événements », je refuse de les nommer autrement, ce serait leur donner une réalité qu’ils n’ont pas, avec « les événements » donc, je m’aperçois que les sans-grades avec ou sans syntaxe, nous n’avions jamais rien été d’autre que des petits chiens qui bougent la tête pour plage arrière de voiture. Même si tout cela, notre bonne vie néo-bourgeoise, les cafés, les spectacles, les journaux, les dernières collections, les expositions de peinture, même si tout cela n’était qu’un simulacre, je l’aimais bien cette mise-en-scène. Nous avions des projets. Deux éditeurs me promettaient des publications prochaines reportées au mieux et désormais aux calendes grecques. Cy. s’apprêtait à monter et à jouer une pièce  au off d’Avignon. Il y avait Pâques dans  ma bonne paroisse … C’est ici le point le plus douloureux, l’abandon des serviteurs de Notre très Sainte Mère l’Eglise catholique qui, lorsque des fidèles dans mon genre ont regimbé devant ce jeûne forcé de la Communion, ont lâché un « la Communion n’est pas un dû mais un don », comme un pet à la face des fidèles et autre « Communion de désir », à savoir tu y penses très fort et ça finira par arriver !!! Je dois écrire une lettre ouverte à notre évêque au sujet de la lâcheté et du manque d’imagination de ses troupes, peut-être parce que rémunérées massivement par l’Etat dans notre diocèse et puisque qui paie commande …

Le papier peint  a complètement décollé, l’air sent bon, comme dans mon enfance, je vais bien, tous nos projets sont caduques ou à foutre aux chiottes, le Seigneur saura nous en rendre grâce et, heureusement, il y les réseaux sociaux. Alors que des proches cèdent à l’hystérie grossièrement orchestrée par les médias et les autorités, il y a des voix que se sont fait entendre dans mon fil d’actualité, d’autres sans-grade et sans plus de projets qui vont bien, ni pire ni mieux qu’avant, qui se sont signalés, avec qui partager si ce  n’est un verre en terrasse du moins notre stupéfaction, notre indignation et de l’amitiés au passage. Heureusement, chers amis du grand réseau, heureusement que vous êtes là et l’espoir de re-bricoler un truc entre nous et d’autres, un truc qui ressemblerait à cette bonne vie néo-bourgeoise multipartite, multinationale, riche de saveurs et de caractère.