lundi, décembre 31, 2007

Mon oeuvre, mon homme et ma paroisse


Des voeux !? Sacrifier à ces traditions d'une banale cordialité n'est pas vraiment dans le genre de la maison ... Je n'ai du reste pas l'impression que l'année s'est terminée; le chantier est immense et ce qui a été entrepris dès début 2007 verra un aboutissement d'ici - au moins - une dizaine d'années. Je regarde pourtant le Neujahrskonzert, une très ancienne habitude qui me renvoie à ces 1er janvier passés chez mes grands-parents, jarrets de veau au menu, et tout l'ennui familial rehaussé de quelques dorures télévisuelles ... Chère Vienne de mes amours contrariées, c'était le Nouvel An 2006 à Berlin, mon Märchenprinz viennois qui ne se racontait apparemment pas le même conte que moi. Chère Vienne moussue que je laisse à son lichen et à son apparat de circonstance. Je n'ai pas le temps de m'appesantir sur la célébration d'un passé obsolète, mon oeuvre m'attend, et deux ou trois combats dont je ne ferai pas l'économie.

Je me retrouve en cette nouvelle année avec des obligations littéraires, engagé sentimentalement et attaché à ma paroisse ! Je dois vieillir, ou manquer d'imagination ou m'être trompé de modèle ... Il n'y a rien à regretter, certes non, mais je ne peux me résoudre à oublier la page blanche de tous les possibles, cette espèce de "virginité" symbolique doublée de la toute puissance de pouvoir choisir la direction à donner aux choses. Il y a aussi la tentation du mot de trop, celui qui fera tiquer ou réagir ... Celui qui déclenchera les "événements" et imposera la primauté du verbe sur tout le reste. Ce peut aussi être le petit mot anecdotique et savoureux qui fera mouche, ou même la parole affectueuse. Et surtout, dans cette dimension-là, il n'est pas nécessaire de suivre une chronologie trop contraignante, on peut étendre une période donnée à l'infini et cultiver des atmosphères hors de saison.

Rien à déclarer pour 2008 ! Ah, si pitié, laissez-moi sortir, je n'ai pas envie de passer le reste de ma vie dans le petit univers sympathique et chaleureux façon roman provincial qui sent l'ail, les produits du terroir, "y'en a point comme nous" et toutes ces vilaines salades. Soit, je suis quasi "marié", boursier d'Etat par rapport à mon activité littéraire et ma foi catholique trouve à s'exprimer dans la paroisse Saint-Joseph mais moi ce n'est pas cette rondeur sympathique de l'homme "un peu" public qui a de l'accent pour dire des choses plates et rassurantes. Non et non, dans le fond il y a toujours la "pétasse" hautaine qui n'a pas de problème à regarder son monde de haut (hé, oui, une majorité de mes concitoyens et plus petite que moi) lorsqu'il lui glisse une vacherie bien tournée. Un peu de piquant dans le papet ! ça vous réveillera les papilles. Et allez voir ailleurs pour des bons voeux de Nouvel An.


vendredi, décembre 21, 2007

Discrétion de mise


La question fondamentale, la bonne vieille question de l'utilité du "blog", de cet "épanchement sentimentalo-exhibitionniste" selon les détracteurs du genre, cette question revient à chaque fois que je "prends le clavier". Je ne vais pas me mentir : on m'a sali le blog, on ... Il faut mêler la malveillance à la bêtise pour ne pas comprendre l'intérêt de la chose. On trouve de tout sur le net évidemment, le tri est nécessaire entre les blogs à l'orthographe approximative d'ados boutonneux ou les atermoiements de vieilles filles trop seules ou de messieurs taquinant la muse ! Et je ne parle pas de la fausse ingénuité des animaux politiques qui veulent faire "dans le coup" ou des petits trucages de la presse poubelle-gratuite. Le dernier pseudo-scoop en date, un inconnu avait inscrit les sept conseillers fédéraux à Face-Book, le gratuit-poubelle a mené l'enquête et, par miracle, retrouvé l'inconnu ! Quel talent et quelle esbroufe, 20 Minutes prend vraiment ses lecteurs pour des canards sauvages. Je n'aurai même jamais osé un coup pareil, un pote-complice, le coup du Face-Book et la pseudo enquête ...

Le blog, ce lien privilégié entre un "écrivant" et ses lecteurs, appelle des règles de pudeur et de discrétion. Soit, tout le monde passe au cabinet pour s'y "délasser", il s'agit d'une réalité physiologique et pas d'un secret d'Etat. Il n'est toutefois pas nécessaire de bruiter de manière sonore des flatulences à chaque fois que quelqu'un se glisse discrètement vers les lieux d'aisance. Il n'y a ni prosélytisme, ni scoop, ni croisade. Il n'y aucun enjeu, toute cette publicité vulgaire n'est qu'un manque de tact. La métaphore peut sembler choquante mais le blog est le produit de la digestion symbolique de nourritures intellectuelles; l'expérience est faite pour être partagée non pas offerte à la vindicte publique après avoir été galvaudée par les ayatollahs de la morale. Un propos intime ne supporte pas l'exposition prolongée. On retrouve l'esprit délateur d'une bourgeoisie dominante et complexée, souffrant elle-même de règles de conduite trop strictes et interdisant à ceux qui ne voudraient pas s'y soumettre d'inventer une alternative. Raccourcis et conclusions hâtives sont souhaités voire obligatoires.

Cela faisait bien longtemps, mon lecteur, que je n'avais pensé à toi dans les termes simples de celui avec qui je partage quelques instants, comme une conversation de boudoir, revenir en "mine de rien" sur une année riche en coups de théâtre et en émotions. Je préférais - évidemment - l'époque bienheureuse quand nous étions sûrs de ne pas être épiés mais qu'importe. On n'est pas prêt de me faire taire, on n'est pas prêt de nous séparer ! Tu auras reconnu dans ce "on" une tournure ramuzienne, un usage faussement simple et rural, le "nous" de la puissance complexée de l'Etat de Vaud, cher pays que je porte quasiment en moi. Je t'écris de mon lit, comme il se doit, dans mon vieil appartement, des vêtements épars sur la bergère de satin brun, du linge dans la salle de bains, une tasse sur la table de la cuisine, des livres un peu partout et des notes de cours. Mon cher lecteur, je t'ai un peu négligé, je ne t'ai pas oublié, j'ai donné de mon temps à mes élèves, et Gayromandie, et les travaux de retouche, la préparation de la publication de "La Dignité", le fameux texte par lequel le scandale est arrivé, et encore ma présidence à la tête de l'Association Vaudoise des Ecrivains, et mon année jubilaire !

Te souvient-il, mon lecteur, lorsque je te parlais de la vie réglée de Thomas Mann, le grand modèle qui en toute circonstance n'a jamais dévié de sa trajectoire d'homme de lettres, jusqu'à refouler son homosexualité. Je crois, parfois, toucher à cet idéal. Je n'ai pas encore les coudées aussi franches mais je sais que rien ne viendra infléchir ma volonté à construire une oeuvre. Je ne suis plus seul dans cette tâche et je ne compte pas travestir ma sexualité. Je l'assume et la porte jusqu'à l'Eglise en compagnie de Cr. Il a en tête de faire monter ma pièce "L'Autre, comédie métaphysique". J'apprends donc cette vie plus "assise", plus réglée et confortable que celle que j'ai menée jusqu'à présent. Je n'écris plus pour un mais pour deux, pense pour deux et suis même tenté de concevoir une nouvelle sphère familiale.

samedi, décembre 01, 2007

Poésie versus engagement


Il y a toujours cette vue sublime, le lac, les Alpes, une toile de Hodler en dépit du dépotoir architectural qui s'étale juste au-dessous, plus de cinquante ans d'urbanisme lausannois déficient et mal-inspiré. Il suffirait de raconter le ciel au coucher, tout à l'ouest, alors que la crête du Jura se découpe avec précision et que le cordon de l'avenue de Morges s'embrase, éclairage public et circulation. Il suffirait de raconter cela, les infimes modifications de ce tableau, à travers les saisons pour avoir touché ... à l'essentiel. Toutefois, le temps n'est plus aux pâmoisons pré-romantiques ni à la contemplation. Sous divers prétextes (de l'inutilité à la bienséance, à l'hygiène, la prévention de tout ce que vous voulez), des ayatollahs masqués exigent çà et là une limitation de la liberté d'expression. Il n'est donc plus temps de pleurer sous des clairs de lune !

Le dernier exemple en date : un édile cantonal ne supporte pas de voir son action critiquée dans un blog, mal écrit soit, mais en rien ordurier ni calomniateur. Faut-il rappeler au potentat politique que son action est publique, que leur personne est publique et que, donc, ils est normal d'être en butte à une critique publique. L'Etat de Vaud réclamerait la fermeture du blog ! De quel droit ? Cela n'est pas sans rappeler des méthodes "stasiesques", l'instauration d'une conspiration du silence afin de ne pas déranger le récit de la petite histoire du gentil petit pays "Y'en a point comme nous". Nous - citoyens d'adoption, de fraîche date ou de souche ancestrale - qu'avons-nous à gagner dans l'entretien de ce conte ? L'incompétence n'est pas rédhibitoire, un faux pas reste toujours excusable mais la censure d'état n'est pas acceptable. Dans le camp des magistrats, on se gargarise avec le "devoir de réserve" ? J'estime, et mes confrères auteurs aussi, que le bon fonctionnement de l'Etat est l'affaire des citoyens, qu'une plainte, ou que le mécontentement d'un service entier, est toujours recevable. A condition, soit, de ne pas dénigrer, insulter ou salir l'honneur du magistrat en cause.

Cette affaire n'est pas sans rappeler l'attitude d'un autre édile, qui lui se mure dans le silence et fait mine de ne pas avoir reçu les doléances de syndicats, preuve à l'appui, et ose clamer son incompréhension par voie de presse ! Cette dernière n'a pas les coudées franches, soit, les journaux sont nombreux en Suisse et particulièrement en terre romande. La survie de chacun dépend du bon fonctionnement du consensus, histoire que tout le monde s'y retrouve, une sorte de gentlemen agreement qui interdit les éclats sains d'un "Canard enchaîné". Pourtant, les journalistes, sans rompre les subtiles règles de cet équilibre, trouvent tout de même le moyen de faire leur travail, citent des faits, des noms. Il est donc permis d'espérer.

L'horizon s'est refermé, il pleut, le lac, les montagnes, le ciel ... Une toile grise, sale, accordée aux façades détrempées, sans grâce. Jusqu'à la saison nous engage donc à des préoccupations plus politiques.

lundi, novembre 12, 2007

De la légerté, du tulle et d'autres blancheurs


Il est des lits profonds comme ceux des nababs, frais comme la couche d'une sainte et aussi voluptueux que le baiser des nuages. Il est des souverains qui ont perdu leur couronne mais pas leur port de tête, des splendeurs disparues qui brillent encore par la seule grâce de l'émoi de vierges et de martyrs. Il faut vous raconter le coucher, la ligne d'horizon sur le lac, aussi précise qu'un trait de rimmel au bord d'un regard trop bleu. Il faut vous redire les promesses qu'on a prétendues vaines, ce genre de "on" qui parle à tort et à travers chez Ramuz et parmi la politique locale. Il est parfois bon aussi de ne pas être trop pointilleux sur la "pureté" de la culture, et laisser de la place à l'émotion, de celle qui s'offre à vous à travers un écran : chat, télé ou numérique.

Jusqu'à cette poésie instantanée à la manière d'un café soluble ou d'une lingette quelconque ... Et "on" voudrait nous salir tout cela, nous le rendre odieux, nous en priver, nous l'interdire si ça ne suffit pas ! Allez voir, à l'heure de ce fameux couchant, un échangeur autoroutier, le ballet de lucioles de tous ces quinquets automobiles qui s'allument timidement ... Il s'en dégage une sorte de lassitude, coule le miel invisible de tous ces quotidiens envoiturés sur fond d'alpes ou de jura. Et le flot diminue jusqu'à se tarir...

Ce sont mille vécus d'auteurs qui résonnent à notre esprit, que leur oeuvre nous soit connue ou non. Leurs mots ont traversé le papier, ont coulé hors des bibliothèques jusqu'à imbiber nos vies. "On" nous dit que c'est sale, "on" nous dit que c'est une pollution, "on" veut nous en laver. Il en reste toujours quelque chose, même après une bonne friction forcée ... Il en reste toujours assez pour inspirer la culture dite "populaire" et ouvrir des horizons là où le ciel est encore plus bas qu'un lundi matin d'hiver, six heures, stratus et crachin laborieux. Le verbe et sa mystique nous sauverons.

jeudi, octobre 25, 2007

La plage en novembre



Il faut passer au-dessus de ce léger sentiment de captation, temps volé, contrainte et autre, sans oublier la politesse des formules impersonnelles, à peine péremptoire, lisse, un peu froide ... Reprendre les si bonnes habitudes de la confidence inopinée, du mot - oups - de trop, j'en ai bien le droit, je suis un auteur !
L'écriture n'est pas qu'un viatique administré à l'âme crevant de souvenirs; elle est un geste leste comme un coup de rein, calculée et innée comme le bond d'un félidé, savoureuse et délassante comme un bâillement. Je l'associe à ma "pérégrinite" chronique qui, lorsque je n'ai pas visité telle ou telle ville, me projette des vues, des promenades, des situations données comme autant d'appels hypnotiques. Je ferai mieux de parler de fuite, d'une sorte de psychose qui me fait fuir "le pays" afin d'en supporter le séjour. Je peux cracher dans la soupe -surtout quand elle est plate - je suis un auteur, j'en ai le droit, voire le devoir. Je dois tendre ce fameux miroir à mes contemporains trop habitués à se mirer dans celui aux alouettes, un cadeau de la classe politique cantonale dévoyée.
Mon Dieu, ce blog, mon année jubilaire (dix ans de baptême catholique, cinq de confirmation), la reconnaissance officielle de mon travail (la bourse à l'écriture), le chantier de mon portail gay, le projet du parti de la Dignité, le mobing, mon affaire, mes presque six semaines à Berlin, les petites vexations que m'a imposées l'administration vaudoise, et je n'oublie pas C. ni des lectures fondamentales telle que celle du "Meilleur des mondes" de Aldous Huxley, ni mon élection à la présidence de l'Association Vaudoise des Écrivains. L'année pourrait s'arrêter demain, j'ai rempli 2007 au-delà de la mesure et la mue n'est pas terminée.
Il y a une année de cela, je vivais dans le ralenti contemplatif d'une convalescence, les suites d'un burn-out, le collège de C. patelin vaudois où vécut Mme de S., nymphomane ennemie du peuple et fille d'un prévaricateur de l'Ancien Régime, tout le charme discret du délit d'initié qui vous permet de vous construire un château à léguer à sa littérateuse de fille. J'aurais dû me méfier et ne pas me compromettre dans ce village de peu de morale, berk. Qu'il est regrettable que Bonaparte n'ait pas réglé son sort à la grosse (la dame lettrée et nymphomane n'était à tout point de vue pas très fine). Ah, on va encore s'exclamer que j'ai un avis ! et oui, et de la jugeote aussi, assortie de suffisamment de répartie pour emporter le suffrage de mes élèves.
Et parmi le flot de mes affaires diverses, entre les programmes d'histoire et de français, l'ordre du jour du prochain comité de l'AVE, les manuscrits, les contacts avec les éditeurs, et l'affection de C., je ne peux m'empêcher de penser à ma prochaine escapade barcelonaise. Respirer, oui, respirer avec cette note poignante mi-larme, mi-sang dans les narines, le vrai parfum de l'émotion, le mélange détonnant de l'ailleurs, du souvenir, de la commémoration et de la liberté pour une quarantaine d'heures, un week-end que je ne perdrai pas à Lausanne.

lundi, octobre 08, 2007

En bonne voie


J'en avais presque oublié le chemin ... Il faut dire que j'ai passé une semaine chez Ch., dans son charmant rez-de-chaussée un peu frais mais tranquille, une semaine libéré de mes chaînes internautiques, du téléphone et du brouhaha télévisuel. Il y avait le silence de la nuit, le tambourinement de la pluie sur le feuillage des arbres de la cour, Chopin, Saint-Saens, Rameau et David Foenkinos, un jeune auteur divertissant qui, avec "Le Potentiel érotique de ma femme", a commis une sorte de double inversé au terrible "Mars" de Fritz Zorn. J'avais emmené ce second dans mon périple, de la prospection professionnelle en terre germanique, retrouver un peu de cette culture subtile, carrée et réconfortante pour une semaine de paix, une manière de renouer avec mon séjour estival de près de six semaines ... La prospection est tombée - un peu - à plat; au lendemain de mon arrivée, un établissement scolaire lausannois me téléphonait pour me confirmer un remplacement de longue durée, français et histoire, avec des classes en voie baccalauréat.
J'en avais presque oublié le chemin, ce blog, mon intimité avec mes lecteurs, même les plus mal-intentionnés, de ceux qui, au hasard, me lisent depuis le petit village vaudois de C., où vécut Mme de S. Ils sont mes contempteurs, pour dire plus exactement, mais le terme a trop de superbe, c'est faire trop d'honneur à ces miséreux de l'esprit, ces pauvrets "myope des yeux, myope du coeur, myope du cul" comme dirait Katia, le travello du "Père Noël est une ordure". J'ajouterai avec une pointe d'orgueil - pour la gouverne de ces braves gens - que mes pairs m'ont démocratiquement élu ce samedi à la présidence de l'Association Vaudoise des Ecrivains, une docte assemblée fondée, entre autres, par Ramuz, dont Pierre-Yves Lador, Jean-Michel Olivier et bien d'autres auteurs sont membres aujourd'hui. Il se trouve que le canton n'a pas encore totalement sombré dans la médiocrité évangélique ou l'extrémisme unifié démocratique et central. Il se trouve que je ne suis, Dieu merci, pas un homme de lettres perdu au milieu d'un désert social et que d'autres comptent sur mon énergie (et ma colère aussi) pour relever l'étendard de la liberté de penser, de vivre et d'être ...
J'en avais presque oublié le chemin, la confession tardive, les petits rien sensibles que l'on a envie de faire partager. Je ne suis pas seul ce soir, il y a Cr. endormi à côté de moi ... Il ne se retourne même pas, la lumière de l'écran ne semble pas le déranger; c'est un garçon patient et délicat, parfois un peu sauvage qui ne se laisse pas démonter par les piles de livres qui encombrent le passage, les nombreux articles qui me retiennent derrière le clavier, l'évocation des projets, mes gérémiades contre truc pour sa prise de position, contre bidule qui ne donne pas suite au nom des éditions chose, contre machin qui depuis la forteresse de son administration n'a toujours pas obtempéré ... Je crois qu'il est amusé. En quelques semaines, sans grand discours, il m'est devenu le soutien le plus solide ... Il ne bronche même pas lorsque je m' "enfuis" ici ou là pour quelques jours; il s'arrange simplement pour passer me prendre à la gare à l'heure de mon retour.




mardi, septembre 25, 2007

Pas plus de 25 ans


Petite pluie comme au joli temps de l'innocence internautique, quand il ne fallait pas traîner truc, chose et machin, et machin-chose de l'autre côté de l'écran. Ni mieux ni pire, tout est juste différent à part le délicieux bruit des pneumatiques d'une voiture solitaire dans la rue ... A tout bien considérer, je suis un indécrottable passéiste. C'est ainsi que je retourne aux "bonnes vieilles" séries allemandes parce qu'elles me racontent une logique, un monde disparu; le crime y a toujours quelque chose de noble, si loin, bien loin de la mauvaise compagnie des mois passés. Les impers, par exemple, dans ces séries, ont un je ne sais quoi de fabuleux, on dirait des capotes militaires rendues à la vie civile et tout empesées des horreurs de la guerre. Cette fameuse, la seconde, il a tant fallu batailler pour la faire un peu oublier et aujourd'hui elle est une sorte d'anecdote bravache, un temps béni où on faisait "bien"; on vient de réhabiliter Staline ...
J'entends le temps, je l'entends s'égrener, s'égoutter, glisser ... J'entends son échos ancien, les veillées, la littérature, la bonne télévision et j'ai vingt-cinq ans. Comme les non-héros de mon autofiction, j'ai vingt-cinq ans, je les aurais toujours, trente-deux peut-être d'ici quinze ans. Ce n'est pas moi qui le dit, ce sont mes jeunes amants de vingt ans, ça les rassure et ça me flatte ! C. n'est pas plus âgée, l'air de Berlin conserve, le feu de la bataille et les confidences nocturnes, la gourmandise, la mignardise, l'aimable confiserie dispensée avec grande parcimonie sur les conseils de mon éditeur, de mon agent, de mon délégué syndical et de quelques autres. Il paraît qu'à vingt-cinq ans, on a mieux à faire : jouer à Thomas Mann par exemple ou promener le Greg, le vieux cocker de Cr., un animal agréable, obéissant qui aime se rouler sur la carpette devant le lit avec contentement. Je ne regrette pas même que le Greg ne soit pas un grand caniche (le chien du grand Thomas lorsqu'il vivait en Californie). A vingt-cinq ans, on commence à se choisir un état - c'est fait - et on entre en relation avec les bonnes personnes - c'est aussi fait.
Je n'ai pas vu filer 2007, une saison inégale, un rien tourmentée avec de belles éclaircies. Il faudra que je retourne voir la mer en novembre et que je garnisse un arbre pour Noël, quoiqu'il arrive, parce que dans mon monde, on aime la Méditerranée hors saison et les fêtes de famille à connotation religieuse. Parmi les gens de bonne compagnie, on laisse passer le populisme, la vulgarité, l'irréligion et quelques autres vices des gens dits de pouvoir. Quand on a vingt-cinq, on regarde avec pitié ces jeunes vieux s'agiter mais on a déjà suffisamment de bon sens et encore assez de hargne pour ne pas tomber dans une indifférence molle et charitable. Les jeunes vieux et les vieux vieux disent que cela passera avec l'âge mais cela fait déjà plus de douze ans qu'ils déchantent.

dimanche, septembre 09, 2007

Samedi soir


J'observe les murs jaunis, renversé sur le lit, les objets, le satin fatigué du fauteuil, les tableaux aux murs comme si je les découvrais... Il suffirait de choisir ? Rien ne vaut le silence, à peine traversé par le battement d'une horloge, tout le familier charmant, les menus détails qui témoignent si bien de l'intimité. Je ne parle pas de ce genre papier-glacé-catologue-Ikéa-Maison&Jardin-Elle-Déco-pouffe-pédé-mode. Je pense à l'appartement de ma grand-mère, le mien y ressemble : deux pièces, des rituels domestiques et parfois un murmure ou le coup de fil à un proche. Il y a cette normalité assoupie, la douceur du temps accumulé.
Je reviens de la réunion du comité des Archives Gaies de Suisse. N'en déplaise aux culs pincés et à l'hypocrisie homophobe, dans ce pays on honore et respecte aussi la culture gay. On étudie même, décortique et met à jour les mécanismes de domination morale petit-bourgeois à travers les études de genre. Il ne s'agit pas de choisir entre "gayland" et l'appartement de grand-maman ... Des forces réactionnaires et irrationnelles sont à l'oeuvre, aussi verbeux que l'expression puisse paraître. Nous (je+communauté gay+autres minorités) ne pourrons pas faire l'économie d'un combat ... d'une lutte d'opinion, il va sans dire. Alors que j'écris ces lignes, je me souviens d'un certain sourire satisfait, mauvaise denture, vieille face chiffonnée, un très léger défaut de prononciation, des cheveux un peu trop rares et ce mauvais rinçage des salons de coiffure de province qui moire de mauve les cheveux gris. L'animal se reconnaîtra s'il me lit. Il fera mine de ne pas comprendre, prendra pour lui-même des airs faussement désolés et ne pourra s'empêcher de rester confusément inquiété.
Il a raison d'être inquiet car, "Monsieur, là où votre nom finit, le mien commence !" dixit Voltaire. Il y aura toujours des carrelages à damiers familiers et rassurants dans de discrètes entrées de service, il y aura toujours la puissance disproportionnée de la musique de Wagner mais pas de répit pour les pense-menus réactionnaires. Accessoirement, j'ai appris que ce pauvre Henri Guisan, notre général, était l'otage de son état major. Ce n'était apparemment qu'une pauvre coquille vide souffrant de Parkinson, nommé au commandement suprême en raison même de sa vulnérabilité. Faudrait-il y voir une généralité ?

dimanche, septembre 02, 2007

Les oubliés, les disparus et les autres



Une fois de plus, je reste subjugué par le ciel immense qui se déploie depuis mes fenêtres, de ce couchant qui n'en finit pas, de la moire du lac, de l'embrasement des crêtes du Jura, l'ouest vers lequel file immanquablement le jour. Il y a peu, je parlais de la vue que l'on a depuis le pont Chauderon, ce fameux couchant, le même dégagement, le même feu, la même fascination que sur le "Warschauer Brücke". Je poursuivis le parallèle et, puisque l'angle de vue est le même, à la même heure, Berlin se trouve dans cette direction et j'indiquai l'ouest ... P. se mit à rire, en corrigeant que Berlin se trouvait de l'autre côté... Depuis le pont Chauderon, je ne regarde pas Berlin, Berlin m'observe, c'est un révolution copernicienne. En quoi le théâtre de la vie lausannoise pourrait intéresser Berlin ... ma Berlin, que mon dernier séjour me manque. Je viens de recevoir un courriel de C., elle me l'aura envoyé depuis l'internet café Treffpunkt 6, sur la Weitlingstrasse. J'ai l'impression qu'il s'est passé trois mois déjà ...
Les "grandes manoeuvres" m'ennuient, la mise au point de stratégies, les tractations discrètes voire mêmes secrètes me laissent interdit et abasourdi. Il y a aussi la gestion du portail, le média internet gay leader en terre romande et ... Eric de Montmollin, connaissez-vous cet auteur ? Il fête cette année ses cent ans. Il écrivit sur la Chine, il y vécut, y enseigna. Cet homme, comme le disait un peu pompeusement l'un de mes camarades du comité, " ... a donné plus de quarante ans de sa vie à l'association vaudoise des écrivains", il en tint la présidence et je n'avais jamais entendu son nom, ni lu une ligne de son oeuvre, je vais pallier à ce manque demain, j'irai travailler un peu au Palais de Rumine, la salle de lecture et les quotidiens internationaux sur la galerie de gauche.
Cr. est endormi sur le canapé du séjour, derrière moi, je travaille installé au secrétaire. Je viens de mettre de l'ordre dans les fichiers photographiques : Bernau, Rostock, Berlin, l'appartement de J. à Berlin, Lichtenberg et tout ce que je pus faire durant mon séjour. Tant de riens, les promenades, le temps qui passait, Chopin dans la grande salle chez C., la lecture de Walser (un autre oublié), "Die Geschwister Tanner" fut du reste écrit à Berlin ... Je pourrais partir demain, retrouver ces ombres plutôt que me laisser disperser par la médiocre agitation de la "scène lausannoise".

samedi, août 25, 2007

Graffiti


A l'époque quand les femmes portaient du rouge-à-lèvres trop rouge et trop parfumé, il y avait des p'tits marlous rockers avec des écharpes écossaises autour du cou. On ne savait pas encore la suite, on ne connaissait rien d'un certain cancer de la prostate. Les après-midis finissaient dans le chocolat froid, des couchers automnaux infinis et des certitudes tout aussi confuses que les lendemains. Des murs et des rideaux sont tombés, la perfide Maggie en a fait la gueule et l'amour se trouvait au coin de la jungle, après la voie du chariot.
Encore ... et toujours vingt ans, parce que le chiffre est rond et qu'il n'y avait, encore, pas de disparus. La vie était plus facile à porter; on courait à travers avec l'aisance d'un chien fou et l'avenir comme un vaste salon, profonde moquette beige, TGV, Paris, Catherine et Jean-Paul. Victoires et galeries Vivienne ! Pour Catherine, il faut dire Catheriiiine en se pâmant à demi. Depuis, on a bien été trompé. Le confort des colonies, les soirées de juillet et la revue de minuit sont passés au passé. Les Champs by night, le bras royal sur la portière arrière, glace baissée, l'après était encore digne de l'avant sur les flans du vallon.
Je suis indéniablement un homme du siècle passé mais d'un siècle qui croyait en l'avenir. Je garde donc une longueur d'avance ... Il serait si facile de sombrer dans le geignard. Il ne faut pas cesser de croire à l'arrivée de calmes héros qui, mine de rien, viendront sauver une certaine idée de l'avenir, de la société, de la démocratie dans le parfum léger de l'adoucissant, un peu de circulation, sur fond de clochers sonnant midi.

mercredi, août 22, 2007

Travail de bureau


Au risque de tout perdre, je préfère rédiger mes messages directement en ligne, en mode brouillon soit, mais à la merci du premier couac electrico-informatico-internautique; la communication serait coupée et le texte perdu ! Je n'ai jamais eu peur de ce genre de "risques", cela fait partie du métier ... L'autre soir, j'ai pris un verre avec P.M., mon éditeur. Il me disait avec satisfaction "être devenu" un auteur à part entière : il a récemment reçu des insultes (anonymes, il va sans dire). Il a pensé à moi, à mes pauvres contempteurs, et aux autorités dont je dépendais, qui "se mordaient la queue" en quelque sorte; la même administration capable d'un côté de reconnaître mon travail et, de l'autre, de m'en faire grief ! Fabuleux, soviétique, kafkaïen, walsérien, helvétique, très vaudois !
Dieu que je connais cette terre, et trop bien ... Je la voudrais un rien plus surprenante, je me dis paresseusement qu'il adviendra forcément quelque chose, qu'un Bonaparte local se lèvera et je le suivrai, ou une vraie cause, un projet fou et fantastique, un rien inutile et très subtil à la fois; on viendrait alors me demander d'y participer, forcément ... Rien. Et toujours ce panorama à la Hodler, le lac, les nuages ineffables, le bruit de la ville, le vent sur la campagne, jusqu'au donjon du château de Vufflens que j'aperçois sans peine à l'oeil nu au-dessus de Morges, depuis mon phalanstère d'une avenue éponyme. Je pourrai laisser filer la journée depuis mon lit, "mon vrai bureau", de la sorte. Entre les plateaux, les livres, les notes, l'ordinateur ... Une vie, ça se dirige souverainement depuis ses appartements privés, sa couche. Tout le reste tient de la parade. Ou de la campagne militaire.
Je mets un point d'honneur à cultiver cette "paresse" de surface et réponds ostensiblement "rien" à la question " ... que fais-tu dans la vie ?". En général, cette demande n'est que rhétorique, une vague amorce au cours d'un échange de drague. A ce rien, je fais suivre quelques propos prompts à initier un rapprochement physique avec le questionneur, propos que la décence (et la pudibonderie d'un lectorat non averti) m'interdit de reproduire ici. Je peux juste vous confirmer leur efficience puisque l'affaire se conclut "au bureau".


dimanche, août 19, 2007

Temps ordinaire


Je n'aime plus Lausanne, vieille histoire faite de rendez-vous manqués et de malentendus ... Toutefois, je me suis découvert attaché au quartier de Prélaz, à la paroisse Saint-Joseph, à mon vieil appartement "de poupée". Le quartier n'a rien pour lui, un fouillis urbain délaissé, traversé par une route cantonale et un traffic mal maîtrisé. Pourtant, lorsque je porte les yeux sur le paysage de ma fenêtre, je vois ce tas de "baraques", de "clapiers" préfabriqués, de hangars surmontés d'un ciel de gloire, d'une fabuleuse perspective. Je ne veux plus de la beauté facile et dévoyée des "beaux quartiers", de ce chic banal ...
Cela fait longtemps que je sais voir ce que la plupart ne remarque pas; je n'ai que peu de mérite ... Il s'agit d'une vertu propre aux minorités. Puis il faut passer outre, et l'autre, le tout autre, sans devenir pareil, devient un prolongement baroque de soi. Vous n'imaginez pas ma joie à retrouver le bâtiment "New Age" de la paroisse Saint-Joseph, et le curé, les bancs trop étroits et mes co-réligionnaires, les gens du quartier que je connais de vue, à force, à qui je donne parfois la communion. Un étrange sentiment de chez soi.
C'était la première fois que je passais autant de temps à l'étranger, cinq semaines ... L'étranger ne veut plus rien dire. Finalment, on finit toujours par s'installer. Vingt fois, j'ai imaginé mon logement "lausannois" incendié, le bâtiment effondré, le quartier englouti, la ville disparue, même ... Puis je me disais que j'avais bien assez de moi-même pour reprendre racine, pour inventer sur la ruine passée quelque chose de neuf. Pour repartir et retrouver tous les riens qui peuvent m'enchanter ... un certain ton de la lumière ... le parfum à peine perceptible d'une floraison, la pleine jouissance d'un temps ordinaire.


mardi, juillet 31, 2007

Tant pis


Tant pis, tant pis pour les mensonges lénifiants, pour le fourvoiement, pour le réagencement, tant pis et tant mieux si cela contribue à rebroder nos existences, leur donner le lustre, l’éclat, la richesse qu’elles méritent car nous sommes tous des étoiles, nous sommes tous des empereurs. J’ai même lu dans un album de photos, un livre d’art feuilleté à la librairie de la Hamburger Bahnhof (le musée d’art contemporain de Berlin), ai donc lu que nous étions tous des anges, selon le témoignage d’une jeune fille israélienne de 25 ans, brûlée aux 70% de la surface de sa peau. Elle porte une sorte de bustier couleur chair qui doit palier les déficiences de son épiderme.
Nous venons de rentrer de la séance « Mongay » au Kino International avec C. Elle est sous la douche, le temps de ce billet, avant que nous ne prenions le thé. Nous sommes allés voir Angel le dernier film de François Ozon, assez mal reçu par la critique qui ne comprenait pas … La critique ne comprend jamais, il faut tout lui expliquer, même lui dire ce que l’on doit trouver beau. Angel est romancière, elle l’a toujours été, elle a reçu ce talent … Elle ne lit pas, elle n’en a pas le temps ; elle a les goûts et les manières frustes des laborieux … Qu’importe, elle n’est pas critique, elle est l’autrice. Et, comme tous les gens de lettres, elle invente sa vie. Elle la tricote au fil de sa plume. C’est une vie kitsch et Ozon nous fait partager l’esthétique romanesque de son héroïne, le rêve qu’elle a fait de son propre destin. Alors qu’elle a juste rencontré son futur époux, un peintre du genre artiste maudit, il lui jette à brûle-pourpoint : « Je connais votre secret, vous ne dialoguez pas avec vos lecteurs mais vous vous racontez une histoire ! » Et l’histoire finira mal bien, je veux dire avec le tragique qui sied aux grandes destinées les lavant ainsi de tout soupçon de kitsch.
Je repense au banal lénifiant des parents, des grands-parents évoqué dans le précédent billet. Ils n’étaient soit pas gens de lettres, ils n’ont pas su rêver leur talent assez fort. Ils y croyaient juste assez pour se persuader que le monde allait bien ainsi. Et il allait miraculeusement bien après deux guerres mondiales ! Il faut dire qu’on avait su convaincre le bon peuple que tout ce bonheur découlait de son obscur travail. Si, si, il s’acquittait fort bien de toute tâche subalterne. Et il n’aurait de toute façon pas eu le talent de faire autre chose, le bon peuple !

lundi, juillet 30, 2007

La relique



J’aime particulièrement les riens qui font cette ville, quelque chose en deçà de l’anecdote, la simple réalité du métro par exemple, sa lenteur et certaines de ses lignes profondes chauffées comme une serre. Hier soir, cela tombait bien … Il pleuvait, un petit vent aigre refroidissait sévèrement les touristes mais pas les locaux, attachés à leur T-shirt comme à l’esprit libertaire qui flotte sur Berlin parce que, voyez-vous, sur le calendrier, il est écrit « été ». Je sortais d’une kneipe gay ; un établissement comme n’importe quelle autre kneipe, avec de la bière à flots, de la fumée, des rires gras et des manières un peu rustaudes mais version gay. On y voit de solides garçons travaillant certainement dans la construction ou la voirie s’embrassant à pleine bouche.
Wittenbergplatz-Alexanderplatz en U2, vingt-cinq minutes de trajet, de la lecture et, pourquoi pas, de la musique. Je n’ai pas refait la programmation de mon lecteur numérique depuis mon arrivée à Berlin, je picore de ceci, de cela parmi les 120 titres stockés … Ce n’est là que du détail … Imaginez, je suis en train d’avancer dans la lecture des Enfants Tanner, du Walser, « un auteur contestataire » selon le mot d’un agent de l’appareil d’état auquel j’ai eu affaire il y a quelques mois de cela. Je rentre donc chez moi, chez C., mon adresse berlinoise. J’entame ma troisième semaine de séjour, je ne vais rentrer qu’à la mi-août, j’ai laissé un tas d’ennuyeux et leurs mauvaises raisons quelque part bien plus à l’ouest. Je travaille en ce moment aux mémoires de Frédéric-César de la Harpe. Et il y a les soirées, boîtes et bars ; et il y a F., il y a l’autre C., il y a P., des garçons charmants. Du détail encore …
Imaginez déboulant au détour de tout cela Maître Cappellovici ! Qui se rappelle aujourd’hui encore des Jeux de 20H ? Oui, j’ai en stock un florilège de génériques de séries et émissions télévisées françaises. Quelque part à la hauteur de Hausvogteilplatz, je me suis retrouvé avec le souvenir de soirées d’enfance, de la lumière de la fin du jour, lumière rasse d’été, 1979 ou 1980, le salon familial, les fauteuils, le canapé de skaï blanc, profonds. Pendant que je regardais Les Jeux de 20H, à l’époque quand la France d’après 68 franchouillait gentiment, Berlin existait ; cette ligne de U existait, à moitié peut-être, ou l’une de ces lignes avec des stations fantômes. Il y avait des troupes françaises stationnées du côté de Spandau, je crois, des militaires et leur famille, avec peut-être d’autres petits garçons qui regardaient aussi Les Jeux de 20H, pour peu que l’on retransmettait à ces téléspectateurs un peu spéciaux les programmes de FR3. Il faudrait que je me renseigne. En ce temps-là, Berlin était coupée, mutilée, les gays au placard mais le monde allait, presque propre, presqu’en ordre, chacun dans sa petite boîte. Serions-nous arrivés à de nouveaux temps héroïques ? Faudra-t-il pamphlétiser puis prendre les armes ? Comment pourra-t-on jamais nous affranchir de toute cette touchante banalité, de cette logique bidon et douillette dans laquelle mes parents, mes grands-parents avaient endormi leur conscience, et je préfère ne pas parler du quarteron bourgeois néo-révolutionnaire des fils et filles de famille qui, après avoir fait un joli mois de mai, ce sont empressés d’en inventer une relique à placer au-dessus de la cheminée, répondre ainsi à leur logique atavique de classe.

vendredi, juillet 27, 2007

Le vide-poches


Avec J., j’ai appris un certain nombre de raffinements pratiques, tel que le … vide-poche ! Ce genre d’objet de rien, catégorisé de la façon la plus vague, permet de rassembler et tenir nos miettes existentielles en un seul lieu, dans un espace ouvert et confiné à la fois, laissant le plan de nos existences le plus lisse possible. De plus, lorsque l’on cherche une chose ou l’autre, il suffit d’aller voir dans LE vide-poche : clefs, bijoux de pacotille, portable, listes, tickets et autres, et tout ce dont on a toujours besoin, de l’élastique au trombone, à de la menue monnaie, tout y tient !
Ce matin, en sortant de chez F., ma première idée : trouver un vide-poche ! Hier déjà, au Karstadt de Charlottenbourg, j’ai soupesé tout ce qui, de près ou de loin, aurait pu en tenir lieu. Plats, assiettes, corbeilles, boîtes, coupes, cartons, tout je vous dis ! Le vide-poche navigue entre l’Arlésienne et le truc, tantôt ça n’existe pas, tantôt tout fait l’affaire ! J’ai finalement trouvé une coupe de laiton émaillée qui, comme le dirait ma mère, « fera la rue Michel », un objet d’occasion doublé d’une bonne action provenant du Tierheim Trödel, une brocante en faveur d’un foyer pour animaux abandonnés.
Je pense ramener l’objet en Suisse, je le regarderai comme un trophée … Rien à voir avec F., le beau et jeune F., ce teint si clair, la souplesse d’un corps de 24 ans, une allure et des questions en mine de rien « Hast du viele Freunden in Lausanne ?» Je pourrais imaginer bien des choses pour ces yeux pervenche, pour cette douceur … Ma victoire se situe ailleurs … Et je n’en suis qu’au début. Je placerai le vide-poche dans l’entrée, sur le petit meuble à tiroir, y jeter négligemment mes clefs à chaque fois que je rentrerai.
Chez Walser, il est question de menus détails domestiques, de pièces de vêtement, de la qualité du papier, de porte-plumes, de buvards et de taille-crayons et d’un peu de vaisselle. Je me souviens que, dans la description de la maison Mann, à Münich, tous ceux qui l’ont fréquentée parle d’un ours empaillé au bas de l’escalier, dans l’entrée, portant un plateau d’argent où déposer les cartes de visite. Guibert me semble jouir d’un vide-poche, Mauriac en pourvoit ses anti-héros bourgeois. Il y aura désormais dans mon autofiction un vide-poche, discret témoignage de ma victoire.

mardi, juillet 24, 2007

Mein Schatz


J’ai vu … j’ai vu des choses bien trop précieuses pour les livrer ici. Je vais les garder dans le secret momentané des chroniques berlinoises, je vais les garder pour moi, à moi, encore un peu, juste le temps d’en croire la mémoire de mes yeux, de me remémorer la saveur si rare de cet instant, de cette situation pourtant banale au demeurant ; pensez donc, une scène de bus ! Je regrette presque d’avoir tant fait de bruit autour de Berlin, de l’avoir galvaudée alors qu’elle est faite pour l’entre-deux somptueux de révélations entre gens introduits, je veux parler de la porte entrouverte sur un ailleurs à propos duquel les connaisseurs s’entendent … Ensuite viennent les considérations du vrai et du faux Berlin mais les quartiers à touristes noceurs, buveurs et vomisseurs de bière font partie de la réalité, du lyrisme de la ville. Tout cela n’a, toutefois, rien à voir avec mes précieuses chroniques … L’authenticité : du blabla d’hebdomadaire sans imagination au mieux, avec tests comparatifs de prix et deux ou trois choses tout aussi inintéressantes et pas même l’adresse de la kneippe où l’on sert la bière la moins chère. Tenez, je ne suis pas avare, ça, je vous le donne, Die Franken, un stübli en face du SO-36, en plein Kreutzberg.
Ne pas en rester là … Imaginez ce qui, un roman de Walser à la main, dans le bus 240, au retour de Friedrischshain, a bien pu me frapper. Essayez de concevoir, avec ce que je porte, avec mes romans (pour ceux qui les auraient lus), ma situation, la politique allemande, les particularités berlinoises, le poids historique de la société wilhelminienne, de ses vestiges, essayez donc de concevoir le trésor qui m’a été confié. Ç’aurait presque pu être tiré des Enfants Tanner, ma lecture du moment.
Je tiens mon motif, quelque chose de discret, de subtil. On pourra dire « mais oui, c’était le séjour, celui de six semaines avec l’histoire du bus », tout le reste en banal, une vraie vie avec des caddies que l’on remplit pour rien chez Kaufland, avec des meublés tout en Ikéa, avec la rencontre de F. et le courrier, et les affaires qu’un homme de lettres est toujours obligé de régler même à distance.

vendredi, juillet 20, 2007

Vol de nuit


Une phalène frappe le plafond, cherche sa place ; j’écoute l’épaisseur de la nuit. J’aime la posture de « l’homme de lettres », une façon très avantageuse de paraître – d’être – à soi-même. J’aime la musique économe de ces quelques phrases, le début du roman, de l’aventure, un départ immédiat pour des ailleurs séduisants voire mystérieux, pour l’univers paradoxal du récit (à la façon du sommeil paradoxal).

Je me trouve donc à mille lieues de mes débats clochemerlesques, de la vendetta molle des suppôts moscovites et de la lecture approximative d’un certain jeune publique forcé de s’enivrer le week-end, donner ainsi un rien de relief à sa courte vie et oublier les manipulations parentales. Et je les comprends tous, de bien braves gens, somme toute, pas vraiment homophobes ou racistes ; on va dire pusillanimes. Et je suis persuadé, on me jurera le contraire évidemment, qu’ils vont continuer de se mettre la tête à l’envers, s’interrogeant sur la question de la limite, du public, du privé, de l’image et toute cette sorte de choses pour bien une année encore, si ce n’est plus.

La phalène se rappelle à mon attention, quelque chose l’a tirée de son court repos. La pièce dans laquelle je dors est vaste, haute de plafond ; l’insecte ne va pas tarder à se poser … Parfois, il cherche une nouvelle route, traverse l’air avec effort et volonté, il doit être fatigué d’évoluer de-ci, de-là, il vient de se poser quand bien même la place ne lui plaît pas. Je me plais à peu près partout, je ne fatigue pas : je ne suis objectivement pas une phalène. Et les phalènes ne goûtent pas la poésie walserienne du rien, quelque chose du sublime du rien suisse, une petite touche … Les franges de l’abat-jour, le lampadaire à côté de mon lit par exemple, leur petit balancement parallèle lorsque je bouge un peu, le mouvement passe du matelas au sommier, aux pieds du canapé-lit, au parquet, à la canne du luminaire jusqu'à son abat-jour frangé.

J. apprécie aussi ce genre de détail insignifiant. Berlin lui parle donc beaucoup, par la lumière, la qualité du sensible, la beauté des garçons. Je l’ai laissé dans son appartement, il est souffrant, il a pris froid, coup de grippe … Il n’est pas plus déçu « que ça » de la tournure de son séjour. Il explore l’éventualité de sa frustration et lit quelques pages de Paul Auster. Berlin offre une paix contemplative à ses habitants, soient-ils occasionnels … La phalène a encore changé de place, après l’arrière d’une rangée de livres, elle vient d’opter pour la rosace de plâtre, au centre du plafond. Je vais l’y laisser, je vais éteindre.

lundi, juillet 16, 2007

L'art et la manière


Samedi, 14 juillet
Il est question de manières … et d’habitude : je n’arrive pas à me glisser dans la peau d’un homme de lettres en vacances à la recherche de repos et de distraction. Je suis chez J., l’appartement qu’il a loué pour la semaine, Wilhelmstrasse, une bâtisse honeckerienne fin de règne, à peine ripolinée ; les apparatchiks étaient apparemment assez bien logés. L’intérieur est commode, presqu’élégant, de l’Ikea à peine fatigué et deux ou trois bonnes idées décos. En entrant dans la chambre, un peu auparavant, j’ai réalisé la vue étonnante, le monument aux victimes juives d’Europe, Potsdamerplatz … J’attends la venue de J. J’ai fait des courses, aéré, arrangé les rideaux, préparé un plateau, grignotage, il n’a encore rien mangé depuis ce matin. Il vient de m’appeler, il était dans le taxi, à peine sorti de Schönefeld.
En vérité, je suis seul avec mon envie – ou non – d’écrire, produire une œuvre, tenir le blog, diriger un portail internet, faire carrière ? J’ai des vacances « impressionnistes », brefs instants, effleurement léger, l’aile du soupçon et, pourtant, il y a toute cette bonne vie à laquelle je m’adonne, le bien manger, le sensuel, la bonne compagnie, le repos, l’amabilité des gens que je rencontre dans mon séjour de Lichtenberg parce que, dans le Brandebourg, on est nettement plus aimable avec le client que par Lausanne ou Genève. Dans ces instants-là, je me reconnais pleinement et mille idées d’articles se bousculent, j’ai envie de me mettre immédiatement aux « Mémoires d’un Révolutionnaire », je pense à quelques lettres qu’il me faudrait écrire, des renseignements à prendre, puis l’enthousiasme retombe. Je m’assois à la cuisine, la jolie cuisine de C. avec son banc d’angle et des coussins à fleurettes sur fond grenat. Je me dis que je vais changer de profession, vendre des machines à laver, j’aime beaucoup l’électroménager.

vendredi, juillet 13, 2007

Zurück nach Berlin


De retour à Berlin … de retour et non « à nouveau ». Plane le souvenir de mon précédent séjour estival, j’étais en pleine rédaction de La Dignité. Impression que, depuis, les mots se sont éteints. Je logeais chez une artiste indépendante, une Suissesse, femme de talent et de caractère jouissant d’un appartement assez peu commode mais plein de charme. Il y a aussi l’appartement de la Weserstrasse qui me manque. La co-location était amusante, il y avait toujours quelques spécimens très berlinois qui traînaient dans la cuisine avec quelques cadavres de bière. Je ne sais toujours pas ce que je viens chercher en dehors de mon jeu de rôle littéraire dans cette ville ? De l’exotisme, du divertissement, des rencontres faciles, l’évidence de tous ces garçons … oublier la souillure d’une administration qui s’est plue à me vilipender, l’empoisonnement lent et certain de myriades de toutes petites choses. Mes chaussettes, par exemple, la série de sept paires portant sur le haut de la cheville le nom du jour adéquat. Elles me rappellent un quotidien répugnant, des transits ferroviaires à potron-minet, tout le sordide propre à la classe laborieuse qui devrait dire merci pour avoir le droit de gâcher ainsi son temps sous la houlette d’une hiérarchie inique …

Je retrouve auprès de C. un peu de la vie que je menais à Morges chez mes parents, j’essaie de retrouver l’allant de cette époque aussi, qui était avant tout marquée par une francophilie parigote. A croire que tout Vaudois doté d’un peu de cervelle se devait de se préoccuper de la politique spectacle du grand voisin. Quelle blague ! Le gauchisme caviardesque a juste contaminé la classe dirigeante romande d’alors, nous précipitant dans des abîmes de médiocrité intellectuelle. Il n’est pas donné à tout élu de Jack-Languiser à qui mieux mieux. Cela requiert de l’aisance et du subtil talent de ne pas paraître y toucher.

Je n’arrive pas à concevoir que ce lit que je connais si bien, cette couche où je repose près de soixante nuits par an se trouve quelque part du côté de Lichtenberg, Berlin … Je suis en passe de m’y endormir la tête pleine de cartes postales … Ne plus croire au voyage, à la belle saison, aux rencontres

mercredi, juillet 04, 2007

4 juillet, 12°


Le ciel n’est qu’acier et vapeurs romantiques, il pleut sur la ville une fatigue si ancienne, à la fois confortable et aigre … Fatigué comme un vendredi soir, envie de s’accouder à la fenêtre, un instant, rien qu’un instant, boire la noble désolation du panorama, une promesse sans désirer pour autant le soleil … Je songe au grand désordre, au fracas de l’été passé, Weltmasterschaft et canicule, la ville entière livrée à une stupide bacchanale.
Petite musique, tambourinement discret, liquide, gouttelettes invisibles et parfois le passage mouillé d’une voiture anonyme. Envie de s’assoupir dans l’attente d’un été impossible, d’une gloire si brillante qu’il nous faudrait bien un siècle de repos pour trouver la force de l’admirer. Je n’arrive pas à quitter la vue cataclysmique de ma fenêtre, des montagnes charbon et comme une colère spectaculaire prête à exploser et si seulement …
A la salle de sport, au hasard d’une chaîne musicale, mcm, j’ai vu le clip de Beautifull de Christina Aguilera, l’histoire du mal-être universel, les riens qui vous font vous prendre en horreur face à une norme verticale impossible. La chaîne avait pris la liberté de sous-titrer les paroles, belles et touchantes, de la chanson. Un vieux trav’, une anorexique, un adolescent rachitique … souffrir de soi parce que l’on arrive plus à habiter cette surface à laquelle on s’arrête.
Envie de réécouter cette chanson. L’un de mes élèves m’avait donné l’adresse – fort commode – d’un site musical gratuit, une phonothèque géante en libre accès ; je n’ai pas perdu mon année ! Et après Christina, encore envie d’un détour par un titre de Danny Brillant, découverte de la délicatesse rêveuse de Danny Elfmann avant de retourner vers le faux vintage si plaisant de Brillant, ne me manque plus qu’un gin-fizz pour parfaire cette soirée un peu fraîche.

dimanche, juillet 01, 2007

Les mots de rien


Ne pas se laisser déborder par ... le contingent, les fausses urgences, les fausses priorités quoiqu'il puisse en coûter à l'homme de lettres. Dans cette étrange profession, vivre est un impératif, et vivre aux limites de son milieu, de la logique, de la cité, du monde dit "civilisé" ... Jamais l'on n'a vu une carte géographique blanche sur son pourtour. L'auteur doit, sans cesse, élargir son territoire, se rendre aux limites de celui-ci afin d'en témoigner. Inventer ces limites tiendrait de la broderie, de l'occupation pour dame désoeuvrée l'après-midi ...
Je ne crois donc pas au roman, genre bâtard et inutile, coquille vide, effet de manche littéraire. La fable ou la parabole mais jamais, au grand jamais, la pauvre invention d'histoires abracadabrantes, de ces fariboles un peu historiques ou culturelles. Je m'engage, avec Les Mémoires d'un révolutionnaire, sur la sente étroite d'un jeu avec mes propres interdits littéraires. Il n'est pas questions d'un récit édifiant pour adolescent de bonne famille mais de rendre la parole à Laharpe, un homme trop poli peut-être, un héros qui n'a pas voulu charger ses compatriotes ... C'est une leçon dictée par la mauvaise humeur, c'est aussi le récit d'un amour déçu, d'une rencontre ratée.

Hier soir, sur Arte, j'ai entendu parler d'une auteur de BD (autrice ? auteure ? auteuse ? je vote, sans malice, pour autrice) d'une autrice, donc, qui ne peut rien dessiner si elle n'a pas vécu la scène. L'autofiction vient donc d'aborder une nouvelle terre. En filigranne, le charme du banal, dessiner le quotidien avant qu'il ne passe. Rendre la poésie des jours comme la séduction des mots de rien, les seuls capables de laver l'outrage de ... l'outrage, ce n'est plus le temps de la polémique.

dimanche, juin 24, 2007

Le corps du texte


Aujourd'hui encore, j'ai donné la Communion, à la messe : présenter l'hostie à mes coreligionnaires, "Le corps du Christ", avec ce geste si particulier à la fois d'exposition et d'offrande. Je suis touché par l'honneur que me fait l'abbé en me demandant d'assister la communauté de la sorte. Pourtant, il n'ignore rien de ma vie ... Il peut l'imaginer. Il m'en trouve digne.

J'ai aussi travaillé à la correction et à la relecture de La Dignité, quelle horrible chose ... Jamais je ne me suis senti plus seul qu'en présence de cet essai égocentrique et geignard, de cette affreuse peinture qui, pourtant, tombe si juste à propos de ma vie, de Lausanne, et de l'état de déréliction de la culture ambiante. Je voulais écrire "occidentale" plutôt qu' "ambiante" mais le jugement est trop solennel, trop lourd : je ne suis pas un mandarin. Je ne vais pas imposer mes intuitions de façon verticale et péremptoire.

Avec La Dignité, je présente une anti-communion à mes "coreligionnaires", on aurait beau la tremper dans quelques litres de vin de messe que ça ne ferait pas descendre le morceau. Je ne renie toutefois pas ce texte, je vais l'assumer, je lui reconnais des qualités en dépit de tout et je ne suis pas du genre à (me) cacher la vérité.

samedi, juin 23, 2007

Le crépuscule d'une reine


J'ai observé le jour glisser depuis le balcon, le vaste panorama, la splendeur toujours égale et renouvelée du lac, le Jura, le ciel, immense, les Alpes voisines ... Intacts, inchangés, à croire que rien ne pourrait toucher tant de perfection. J'oublie parfois et trop souvent la magnificence qui s'offre à ma fenêtre, tant de délicate mélancolie à chaque crépuscule. Cela donne envie d'oublier discordes, discutailleries et toute implication sociale, laisser aller les choses sur la pente de leur perte naturelle, comme l'intuition d'une faillite à venir et de combats politiques ... de croisades politiques à mener mais pas ce soir, pas encore ... pas encore.

Je sais ne pas être un "homme de lettres" très classiques dans ses sources d'inspiration ni de par son milieu d'origine. J'ai grandi à côté d'un téléviseur allumé et ne me départirai jamais de mon affection pour "la petite lucarne", pour ma boîte à rêves, à débats, à récits. Je sors d'un documentaire historique, une vie de Marie-Antoinette, l'une des figures de ma mythologie personnelle. Grâce et tragédie, et cet orgueil insensé qui seyait tant à la fille des Césars. Etrange que je me glisse dans la peau de Laharpe, du "Jacobin" comme disait ses contempteurs, afin d'écrire ses mémoires. Pourtant mon attachement à Frédéric-César est sincère. J'aurais voulu être soit Marie-Antoinette soit Frédéric-César : du coeur et du caractère, et une forme de courage insensé ... Peut-être une certaine légèreté vis-à-vis des contraintes de la réalité dans laquelle ils vivaient.

Il y a bien des débats qui éveillent mon intérêt, ma curiosité ... J'ai failli écrire un billet l'autre soir, après avoir vu la dernière de la saison de "Ce soir ou jamais", un plateau mi-culturel, mi-politique, des échanges de bons niveaux, de la conviction, de l'opinion et du panache, celui de l'intelligentsia parichienne qui sait si bien faire le beau devant la caméra. J'ai aimé voir Jean-Jacques Beineix mettre en boîte Frédéric Mitterrand pour son gauchisme caviar, pour ses chaussettes rouges et son égocentrisme ... Je n'ai pas écrit le billet; les entrelacs des développements évoqués s'étaient défaits dans mon souvenir et ne restait plus que le long ruban plat d'une certitude plus qu'évidente : nous sommes sortis de la guerre froide ! Mais cela avait plus de force parmi le feu des échanges. Je ne peux m'empêcher de glisser un mot quant à la germanophobie de la Pologne des jumeaux Kaczynski, une paire d'homophobes racistes et rétrogrades; je les soupçonne d'être d'une inculture crasse par-dessus le marché. L'Allemagne du XXIème siècle aurait beaucoup à leur apprendre en matière de démocratie et de respect des différences.

A présent que la hargne, le dépit et la colère sont passés, que je ne me sens plus dans l'obligation de "me justifier", je veux dire par là de faire de la pédagogie quant à ma démarche, je n'ai envie d'écrire que des billets sur le coucher du soleil et la musique baroque, sur la richesse de l'univers sensible qui nous entoure ... Rien que de l'inutile ...


mercredi, juin 20, 2007

Le rideau jaune


Une lumière méditerranéenne, ondulation et le rai fulgurant du reflet solaire sur l’extrême rebord du cadre de la fenêtre : invitation au voyage … ou miette lyrique, fragment de ce qui a été beau, infime partie d’un tout perdu, dépiécé, que seule la littérature – selon une méthode guiberto-proustienne – est capable de rendre dans son idée première. Vous me suivez ?! Nous en revenons à l’autofiction, au chant intime, antiphoné en sourdine avant de se répandre en mélodies colorées, repeindre le scénario, dépasser l’adversité et les contingences crasses de la vie au milieu des bœufs …

Une lumière méditerranéenne, le simple appel de l’été, ondulation sur un rideau de vieille tulle jaune délavé et cette fulgurance, presqu’incongrue, à croire que le cadre écaillé de la fenêtre rayonne de l’intérieur, l’histoire des petites choses et toutes les mythologies qu’on y attache. A quatre ans, assis sur la banquette arrière de molesquine rouge de la 127 bleu marine de ma mère, j’étais persuadé que les glissières de sécurité, le long des autoroutes, étaient un effet d’optique issu de la vitesse-même. Ce ruban mouvant, rapide et continu ne pouvait pas être associé au concept de la rambarde inerte. Et quand on ralentissait, près des sorties, les glissières disparaissaient ; elles s’éteignaient d’un mouvement brusque et courbe vers le sol.

Retour sur ma triple référence guiberto-prousto-mannienne (Thomas, Klaus, Heinrich, Erika, Golo et Katia Pringsheim tout à la fois). Des auteurs gays (pour la tribu Mann, je ne retiens que le père et le fils), un rien Ancien Régime, un peu rigides dans leur système de valeurs bourgeoises, valeurs qu’ils n’ont jamais remises en cause du fait des milieux aisés dont ils étaient issus. Aisés et en voie de déroute, juste ce qu’il faut de laisser aller… Je cultive aussi la tentation walsérienne du lâcher prise, régresser, ne plus écrire, poser les plaques, et le goût du fragment cingriesque, comme un bref morceau de bravoure ouvragés de phrases précieuses et drôlatiques. J’espère parfois sur une fuite à la Borgeaud, entre Paris et la prise de l’habit – oui, une carrière ecclésiastique, je suis catholique croyant et j’ai même donné la Communion lors de la messe samedi passé.

Une lumière méditerranéenne, les rideaux du séjour, la simple expression de ma lecture du réelle, mon travail d’auteur à propos duquel personne ne poussera à la honte. Je l’ai compris hier soir, enfin, au fil de la lecture du journal en ligne de Jean-Louis Kuffer.

Sans titre lausannois

Ne croyez jamais un auteur, ne vous attachez pas aux ingrédients de sa cuisine : il n'y a que le geste qui compte, le mouvement ample et souple de la phrase qu'il délie au fil de sa pensée, dans l'intimité de ce lieu qu'il offre aux regards et qu'il dérobe à la compréhension d'autrui tour à tour. Je pourrais être à la cafétéria si chic du Bon Génie, en plein après-midi ensoleillée, pas même dérangé par le souffle de la climatisation. Je pourrais être au café Schilling à Barcelone ou au Bério, à Berlin ... Je suis tout du moins dans le texte, je fais corps avec lui et lui insufle une vie propre, effet du talent. Vantard ? Non, conscient de ma valeur n'en déplaise aux vilains qui m'ont si mal lu.

Ne croyez pas tous les mensonges que l'écriture exige, toutes ces contorsions permettant le rendu savoureux d'une banalité "aussi plate qu'un trottoir de rue sur lequel les idées communes défilaient dans leur habit de tous les jours." (Madame Bovary, première partie, une description de Charles Bovary que je cite de mémoire) Je n'ai pas le courage de me lever rechercher l'une ou l'autre édition - dépenaillée - de ce roman; j'en ai plusieurs exemplaires en format de poche, employé chacun dans l'un ou l'autre des cours que j'ai pu donner sur Flaubert jusqu'à présent. Et si je vous racontais la touffeur de cette nuit lausannoise, cette moiteur dilatée qui pèse sur toute chose et gonfle nos membres, nous rend ivre et maladroit, vous ne pourriez que me croire.


Ce soir, j'ai donc retrouvé cette Lausanne anciennement aimée, je l'ai retrouvée bruissante d'intrigues et d'ambition, de jeunesse et de séduction; comme une épouse qui orgueilleusement compte s'affirmer dans la réussite de l'époux. Belle et attentionnée tant que cela participe à son ascension, à l'ascension de celui à qui elle s'est donnée, donc à son ascension en retour. Elle se rappellera -même - la timidité de vos dix-huit ans, à l'époque quand vous ne saviez pas mentir, quand vous étiez tout entier dans la moindre virugule.

lundi, juin 11, 2007

"Les Barricades mystérieuses"

J'avais oublié mon credo : "Nous sommes tous des étoiles, nous sommes tous des empereurs". J'avais oublié jusqu'à la mélodie charmante d'Angélique que j'avais coutume de siffler sous la douche du fitness de l'université. Cela m'est revenu ce dimanche, alors que je sortais de chez G., à Zürich, pas très loin de la Badenerstrasse où il y a justement un fitness de la chaîne à laquelle je suis abonné; je suis allé m'y entraîner.
Que Zürich est belle, et ses garçons plus encore. Et on sait se tenir ... Rien, absolument rien n'est laissé au hasard. Sitôt dans l'espace public, le Zürichois s'oblige à adopter une attitude digne et aimable. Les transports sont propres, les ados ne mettent pas les pieds sur les sièges, on ne laisse pas les dames debout. Je pense que Thomas Mann - cher modèle - devait particulièrement apprécier tant de correction. Jusqu'aux détestables bobos qui, sur les rives de la Limmat, ont un petit rien de franche élégance et ne renient pas leur extraction bourgeoise ce qui les rend fréquentables.

J'avais oublié cela ... Et la considération que l'on porte aux gens de lettres dans cette Suisse-là, et le respect de la chose publique, et le cas que l'0n fait de la politique. Je devrais m'y installer. Lorsque, en contrepoint, je pense aux pauvres gamins que je trouve dans mes classes, je me dis que personne ne leur a jamais dit qu'ils étaient des étoiles, qu'ils étaient des empereurs. Personne ne leur a appris à se rêver une couronne sur la tête ou sur les marches à Cannes, personne ne leur a appris la dignité. Ils ne savent qu'essayer de s'imposer par une contestation brouillonne et sans fond, un rien procédurière sur les bords.

Un peu d'air passe par la fenêtre ouverte, il pleuvine, j'ai l'impression d'être revenu d'un assez long voyage et de tout retrouver à peu près à sa place. D'être en tout cas à ma place, en écrivain attentif aux événements quoiqu'un peu au-dessus ou à côté. J'ai eu le plaisir, tout à l'heure, installé à la cuisine, exactement de la même façon que mon grand-père maternel, de lire le journal, Le Matin Dimanche en l'espèce. Les chroniques s'y enchaînent avec piquant et pertinence; tout esprit critique n'est pas mort en Suisse romande. Je me sens moins seul ... Ce soir, je retrouve presque le plaisir que j'ai eu à venir vivre à Lausanne ...

dimanche, juin 03, 2007

Dans dix ans, dans vingt ...


... je n'ai pas eu le courage de m'asseoir au clavier, travailler de suite en ligne à ce journal ... Je m'y sens salement épié et je n'ai pas à commettre mon talent - oui, mon talent, reconnu officiellement, et je n'ai pas à me le cacher - je n'ai donc pas à commettre mon talent dans une entreprise de dénigrement. Mes amis attendent la prochaine publication de "La Dignité" (les deux journaux et le "Récit de la Vie d'un jeune homme vaudois à la dérive") et retrouvent ma plume acerbe dans le webzine (magazine en ligne) dont je suis le rédacteur en chef. Je dirige ma petite équipe avec entrain, cela me change des chausses-trappes administratives et de la malveillance provinciale que je méprise au passage.
En attendant F., sur une terrasse ensoleillée et crasseuse de la Riponne, je profite de la dernière page d'un cahier pour rédiger mon message dominical ... Peu avant, j'ai "rencontré", j'ai plutôt vu M.B., installé au fond de la voiture de son ami, serrant une béquille contre lui, l'air vague et maussade. Il a détourné les yeux alors que je lui faisais un salut de la tête. Cela n'a rien à voir avec moi en particulier, M.B. ne doit pas se rappeler de moi, il ne m'a rencontré que deux ou trois fois et du fait de son immense notoriété, de sa carrière encore plus grande, on a dû lui présenter des centaines de garçons dans mon genre. Connaissant sa psychologie, le regard fuyant exprimait plutôt la honte de la déchéance physique, du temps qui passe et détruit. M.B. n'avait pas envie d'être vu ainsi, d'être reconnu.
Cette "rencontre" inopinée éclaire ma relation déçue à Lausanne. Dès son installation en 1987, M.B. a beaucoup contribué au prestige de la ville. J'aimais tant, en ce temps-là; je cherchais un certain regard turquoise et trouvais que la capitale vaudoise lui faisait un parfait écrin ... C'était sans compter ce mal sans nom, virulent et létal, plus avilissant que le temps : le syndrome intellodéficitaire acquis. Il réduit les facultés de ceux qu'il touche; ces derniers attrapent alors la première idéologie venue et, en l'absence de défense, en meurent, psychologiquement du moins ...
Mais on se fout de ces belles théories, quel que soit son âge, sa "condition" ou son état de santé; on ne cherche jamais qu'à être dans la plénitude de sentiments et de sensations. On n'attend jamais que l'étreinte de bras forts et souples, un regard franc, tout ce qu'ignore les pisse-froids, les pauvres petites victimes d'une crétinerie institutionnalisée. Le grand M.B. se traîne avec une béquille, Jean-Claude Brialy est mort et une caricature présidentielle s'agite à l'Elysée ! Ma jeunesse est belle et bien morte et le talent, si grand soit-il, ça ne vous enlace pas dans le secret de la nuit. J'aurais beau courir de Berlin à Barcelone, à Zürich, ça ne fera pas revenir l'horloge en arrière, si bénis aient été les temps passés. A chaque déchéance, à chaque décès, on devrait oublier ... A trente-huit ans, mes morts me pèsent et mes "avant, c'était mieux" aussi; comment vais-je faire dans dix ans, dans vingt ...

vendredi, mai 25, 2007

Et avec du style !


Hier, en fin de journée, je regardais un rayon pâle de soleil traverser le séjour en biais, éclairer le tapis et se replier sur la coque du fauteuil beige, une lumière cuivrée, caniculaire et poudrée. La même lumière sur la Kirghizie, à la télé, Escales. Cherchez le point commun ? Peut-être un sentiment, dû à la lumière-même, à moins que je ne sois simplement perdu, un vaste tout dans lequel je ne saisis pas grand-chose ... A part quand ... Il suffit de ... Si je branche le truc ... le petit interrupteur d'un état de conscience et tout reprend sa place. Comme avant ? non, je ne vais pas donner dans le couplet prousto-nostalgique, je ne compte simplement pas m'interdire une lecture personnelle et originale du monde alentour, mon fief, ma zone d'influence, mon domaine.

Cette posture intellectuelle me vaut déjà le joli succès du webzine dont je suis le rédacteur en chef, 30% de fréquentation supplémentaire en un mois, des projets de fusion avec un autre portail internet. La presse indépendante gratuite fait toujours recette. Les sujets de réflexion ne manquent pas : l'affaire des affiches de prévention Sida censurée à Yverdon, la collusion presse-pouvoir dans la France sarkozienne, la chape moralisante tombée sur les sociétés occidentales. Le plus dur : partir au combat sans le formidable enthousiasme des belles années de "révolution", soixante, soixante-dix, leur style, leur musique ... Tant pis, je me démens et "proustise" à qui mieux mieux, mais Dutronc, Antoine, certains garçons dans le vent et dans un sous-marin jaune, Dalida, Françoise Hardy ont tant chanté dans des cuisines au petit matin, parmi le vrombissement des imprimantes, un transistor en équilibre sur un coin d'établi, un bureau de rédaction à l'heure de la correction, la voiture de fonction d'un ministre pompidolien et même à Latché, dit-on ...


L'intellectuel dénonce et propose; l'artiste met en forme et donne le ton. Je pense avoir plutôt bien rempli mon double "mandat", avoir mis en verbe et en style des impressions fugaces, leur avoir donné le corps séduisant du bon mot et l'évidence de l'élégance. Faire de ses propres goûts un manifeste et manifester pour défendre ses goûts ! On me lira peut-être dans vingt ans en écoutant Linkin Park, Keren Ann ou Daft Punk et l'on évoquera les vertus passées de cette époque-là.



mardi, mai 01, 2007

Le communiqué de presse


L'oeil de Moscou a dû en prendre plein les mirettes, la peste de ces gens et de tous les pense-menus contre lesquels il faut mener bataille. J'aurais fait, je pense, un excellent général, suffisamment distrait pour passer au-dessus des premiers dangers, suffisamment original pour déjouer les stratégies éculées des génies de la chose ... J'aime surtout donner la leçon et avec panache ... ou gloriole... Quoiqu'il en soit, le conseil d'Etat, suite à la remise officielle de la bourse à l'écriture, hier soir, a diffusé un communiqué de presse des plus élogieux; cela fait de moi un auteur sérieux, posé, très "Thomas Mann". L'oeil de Moscou aura pu lire dans les nouvelles en interne mon accession "officielle" au statut d'auteur; j'ai même eu droit à un entrefilet dans un gratuit de la place. Je suis sensible à cette marque de confiance et d'encouragement de la part des autorités culturelles; cela me permet de me rassurer quant à l'autorité en général, elle n'est pas représentée que par une bande de fipons incultes. Je ne devrais même plus parler de "l'oeil de Moscou" mais du demi "oeil de Moscou".

Il est temps de se congratuler un peu "parmi", et d'évoquer les débuts de ce journal en ligne. C'était en septembre 2005 et, depuis lors, je me suis toujours considéré comme un "homme de lettres". Je vais bientôt rendre les archives du Monde de Frevall accessibles et dans leur version intégrale. On n'y apprend rien de particulier, quelques secrets de polichinelles y sont joliment racontés et vous pourrez y voir défiler les saisons, les voyages et mes palpitantes aventures à Coppet, vous savez, le petit village vaudois où vécut Madame de Staël. Je pense que j'aurai autant fait pour la publicité de ce village que la sus-mentionnée autrice ... Quoi ? moi ! sarcastique !!! Mais qu'allez-vous imaginez, vous êtes passé par Moscou.

Jamais je ne retrouverais l'impunité fleurie d'une plume anonyme; il était si bon d'ouvrir la fenêtre et de simplement dire mon sentiment, amour et tant de déceptions, mais amour tout de même, je n'ai jamais cultivé le masochisme du souvenir; je n'ai jamais donné que dans la mélancolie ... et la pantalonnade par distraction. Le journal en ligne rimait avec bouteille à la mer, parole à travers le temps, "La vie de Marianne", "L'histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut" puis il y eut le bras de fer moscovite et un certain verni d'officialité à présent. Bientôt, je pourrai étaler mon catalogue, raconter mes tractations dans les antichambres de l'édition romande ... Je vais acheter le nom du domaine, hop, je vais devenir un hobereau de la littérature et tenir salon à l'adresse de frevall.net !

jeudi, avril 26, 2007

Subversion blanche


Il pleut, une jolie pluie nocturne qui lustre les trottoirs et donne envie d'allumer une cigarette, commencer un roman, texte banal de prime abord, une histoire de rien, un homme car j'ai - en dépit de mon orientation sexuelle - beaucoup de peine à me glisser dans la peau d'une femme, à moins qu'elle ne soit totalement aliénée et/ou sortie d'une tragédie antique. L'homme marcherait le long de la rue, allumerait une cigarette et s'abriterait un instant dans une guérite de bus avant de pousser la porte d'un bistrot sale et anonyme. Il prendrait une pression, fumerait tranquillement une nouvelle cigarette avant de sortir un livre, Le Commis de Robert Walser. Il lirait pendant un instant, suffisamment longtemps pour allumer une troisième cigarette et boire une seconde bière. Au bout d'un instant, le patron - un homme d'une mise débraillée évidemment - se frayant un chemin entre les clients, des habitués pour la plupart, à la mine hâve à peine rehaussée par la rougeur d'une ivresse légère, ce patron donc s'approcherait de l'homme et lui demanderait de bien vouloir lui tendre le livre, lire un passage, ce que l'homme accepterait dans un sourire mi-étonné mi-gêné. Le patron lui dirait qu'il aurait reconnu le nom de l'auteur, tracé en grand (pas très discret relèverait-il pour lui-même) ... Un écrivain pas encore à l'index mais néanmoins indisponible en bibliothèque et plus encore en librairie ... Le bistrotier aurait déjà lu une telle chose, par hasard. Il aurait vidé l'appartement de sa tante morte à quatre-vingt-quinze ans l'an dernier. En attendant le camion d'Emmaüs, pas moyen d'allumer la télé, plus d'électricité, il aurait pris un livre Les enfants Tanner et aurait compris des choses, pour la première fois de sa vie. Un peu gêné par le flot de ses propres paroles, le patron aurait brutalement conclu par "je vous offre les consommations" et serait reparti d'un pas décidé vers sa cuisine graisseuse, comptant sur l'intelligence d'un lecteur de Robert Walser, de l'homme forcément assez subtil pour comprendre qu'il lui faudrait quitter le café maintenant ...

Robert Walser (1878-1956), après une vie chahutée, mourut dans un asile. Il aurait souffert d'une schizophrénie ... Il passa vingt-six ans en institution psychiatrique, dont les vingt-deux dernières sans plus écrire une ligne. Walser représente une sorte de double inversé de Thomas Mann (1875-1955). Les deux hommes proviennent d'un bon milieu social en passe de déchoir. L'un était allemand, issu d'une culture fière de ses auteurs, capable d'intégrer et de recevoir la critique, une culture qui n'a jamais craint ni le changement ni la passion - Leidenschaft - jusqu'aux plus douloureuses dérives. Walser, en dépit de son talent et de quelques jolis succès, n'accéda jamais au statut d'homme de lettres, d'auteur en tant que tel. Il raconta le monde plat et stérile de la suissitude : l'éradication de la passion et sa prophylaxie. Il saisit le douloureux paradoxe d'un pays d'une beauté quasi irréelle, de la douceur d'y vivre et de l'impossibilité pour ses citoyens d'y développer une vie émotionnelle mature. A croire que la paix sociale et le bien-être économique retiennent les esprits dans un état larvaire ...

L'asile, l'exil ou la chasse aux sorcières pour qui ne respecterait pas cet accord tacite, ce pacte social que l'on inculque à chacun dès sa naissance par mille demis interdits implicites. Et le poids de la tradition est tel qu'il entraîne l'habitude qui fonde quasi la loi mais rien n'est écrit, rien n'est dit. Walser perdit la tête plutôt que de rompre la conspiration du silence. Reste l'oeuvre, le livre, une voix que l'on bâillonne maladroitement par la censure, que l'on couvre de la rumeur grossière des divertissements populaires ... A ce propos, savez-vous qu'à force de crier sur mes cancres, à C., village vaudois où vécut qui vous savez, ma voix s'est formidablement développée ! Sans que cela ne viennent malmener mes cordes vocales, j'arrive à la projeter jusqu'à une telle puissance que les lamelles métalliques des cache-néons vibrent sur leur tringle ! M'avez-vous bien entendu ?

jeudi, avril 19, 2007

Le journal des Goncourt


Les pseudo-secrets, les coups de théâtre ne sont pas mon fort. Arrive un temps quand les choses se font, qu'elles sont à point. C'est ainsi que ma plume me vaut une fonction de plus, celle de rédacteur en chef du webzine de Vogay et, consécutivement, fait de moi un membre actif de cette association. Rajoutez à cela l'Association Vaudoise des Écrivains et sa vice-présidence, me voilà une voix, un porte-drapeau, une opinion à ménager. Cela ne changera rien à mon credo littéraire ni à mes convictions en matière de presse; je privilégierai toujours la morale pratique, la réflexion fondée sur l'expérience, sur la réalité de l'individu, sur sa capacité à produire de l'émotion, un support à notre sensible. On dit "parler avec son coeur" et/ou "ses tripes". Et je suis le premier disciple de cette pratique, ce qui ne m'exonère pas d'une contribution aux lieux communs ni à la platitude parfois. Je me souviens aussi, qu'au 24 janvier, je vous annonçais la création du parti de la Dignité : je n'enterre pas ce projet, il n'est pas encore mûr et j'ai d'autres travaux qui se presse sur ma table. Je n'abandonne pas, non plus, ma critique, souvent sévère, de la société et des autorités vaudoises. Mon temps et mon attention sont limités, je prendrai moins souvent la parole sur ce chapitre-là.

Ce journal en ligne - tant décrié, lu, condamné et apprécié à la fois - ne va pas pour autant devenir aussi stérile qu'un communiqué officiel. Il va prendre un tour plus posé et réfléchi ce qui ne veut pas forcément dire moins polémique ... ou subversif. Mes amis connaissent la bonne adresse où me lire dans un genre intimiste et mon roman en construction - le Récit de la vie d'un jeune homme vaudois à la dérive - est toujours en ligne. Il remporte même un joli succès en dépit d'un renouvellement plutôt parcimonieux des billets que j'y publie. Je vais revenir ici à l'origine de ce blog (je n'aime plus ce mot, on me l'a sali), une sorte de journal des frères Goncourt, en solo, en ligne et au XXIème siècle. Tout ce que j'ai déjà pu écrire est assuré d'une longue vie; la toile représente la meilleure manière de pérenniser la parole d'un auteur. Des experts promettent même l'éternité. Google, fort de ce fait, s'est lancé dans un programme de numérisation de la littérature universelle, un travail titanesque de scannage, mise en forme et en ligne. C'est ainsi que la nécessité a fait de moi un auteur plus accessible que Robert Walser ou Julien Green. Je suis stocké sur des serveurs, dans des disques durs, parfois imprimé et c'est ainsi que mon oeuvre vit; le jury qui m'a accordé la bourse 2007 de l'Etat de Vaud pour l'écriture s'est aussi intéressé à mon travail en ligne, le considérant tout aussi légitime qu'une publication papier.