L’air sent
bon, l’air sent bon comme dans mon enfance, un mélange d’herbe fraîchement
coupée, de fleurs, de murs recuits par le soleil sous le piaillement des
moineaux, le roucoulement des tourterelles. Il est trop tôt dans la saison pour
entendre le cri cinglant du martinet haut dans le ciel. Peut-être que le
shampoing du sarough mir récemment acheté et installé dans le salon d’été
contribue-t-il aussi au « parfum de l’enfance, matinée de mai ensoleillée »? Accessoirement, je vais bien. Plutôt bien. J’ai dans mon état normal toujours un truc qui foire
un peu comme avec les voitures italiennes, celles d’avant les
fusions-acquisitions, quand les voitures italiennes étaient vraiment italiennes
dans l’apparence et la technique, et le plaisir de les conduire. A cinquante
ans, je me porte bien. Lorsque je passe voir un généraliste pour des histoires
de voies aériennes supérieures enflammées, engorgées, entre asthme et sinusite,
avec quelques ramifications parfois dans la sphère auditive, je le vois étonné
à la mesure de ma pression artérielle, à l’écoute de mon rythme cardiaque ou,
suite à une prise de sang, à la lecture de mon taux de sucre et de cholestérols
(oui, il y a plusieurs cholestérols), le tout indiquant les valeurs médianes
parfaites comme dans les ouvrages médicaux de référence. Il se trouve que je fais
du sport (fitness, 3-4 fois par semaine) et je mange – un peu trop – des produits
de qualité, beaucoup de fruits, peu de junk-food et, quand je bois, assez
souvent, ce n’est jamais du tord-boyaux.
Pour revenir au « parfum d’enfance », compléter la bande son, j’ai
omis le passage occasionnel et paresseux d’un petit avion vrombissant qui me
fait toujours penser aux albums de Tintin.
Quand je ne
vais pas bien, ce qui arrive régulièrement, de la bobologie moyenne dont je me
remets, je peux toujours me consoler à l’idée du monde autour de moi qui tourne
et vit, et croît, et forcit et parfois meurt, renaît, etc. Mais c’était avant.
La partie vient de se terminer et je me retrouve à aller bien inutilement. Je n’écoute
plus les nouvelles, je ne regarde plus la télévision du reste, à part la
diffusion de films ou de séries, policières avant tout. Je coupe le son pour
tout le blabla annexe, j’ai honte pour cette société alentour sur laquelle je
devrais pouvoir m’appuyer, à laquelle je contribuais par toute sorte d’activités,
l’idée de « payer mon écot » comme on dit ici. C’est la honte que l’on
éprouve pour un proche ou une autorité, un parent, un aîné qui suscitait notre
respect même lorsqu’on n’était pas d’accord avec lui, avec qui il arrivait que
l’on se dispute avant de comprendre son point de vue sans forcément l’accepter.
Aujourd’hui, c’est fini. Une sorte d’Alzheimer métaphorique et viral l’a
emporté. Paradoxalement, ça ne m’empêche pas d’aller bien, ça n’empêche pas le « parfum
d’enfance » de se répandre dans la pièce, une voile sur le lac, quelques
nues accrochées à la crête de l’alpe composant le panorama, la vue du salon d’été.
Je me
disais, « c’est bien, on y arrive », entre l’expérience, une certaine
sagesse venue avec l’âge et le fait de participer activement au système, je
pouvais y croire, même quelqu’un sans fortune, sans titre ronflant, sans grande
influence (je parle de moi et sans fausse modestie) arrivait à faire bouger un
peu les choses, la politique des petits riens pour le bien collectif. C’était avant.
Fin de partie. Le papier-peint s’est mis à décoller. Avec les « événements »,
je refuse de les nommer autrement, ce serait leur donner une réalité qu’ils n’ont
pas, avec « les événements » donc, je m’aperçois que les sans-grades
avec ou sans syntaxe, nous n’avions jamais rien été d’autre que des petits
chiens qui bougent la tête pour plage arrière de voiture. Même si tout cela,
notre bonne vie néo-bourgeoise, les cafés, les spectacles, les journaux, les
dernières collections, les expositions de peinture, même si tout cela n’était
qu’un simulacre, je l’aimais bien cette mise-en-scène. Nous avions des projets.
Deux éditeurs me promettaient des publications prochaines reportées au mieux et
désormais aux calendes grecques. Cy. s’apprêtait à monter et à jouer une
pièce au off d’Avignon. Il y avait
Pâques dans ma bonne paroisse … C’est
ici le point le plus douloureux, l’abandon des serviteurs de Notre très Sainte
Mère l’Eglise catholique qui, lorsque des fidèles dans mon genre ont regimbé
devant ce jeûne forcé de la Communion, ont lâché un « la Communion n’est
pas un dû mais un don », comme un pet à la face des fidèles et autre « Communion
de désir », à savoir tu y penses très fort et ça finira par arriver !!!
Je dois écrire une lettre ouverte à notre évêque au sujet de la lâcheté et du
manque d’imagination de ses troupes, peut-être parce que rémunérées massivement
par l’Etat dans notre diocèse et puisque qui paie commande …
Le papier
peint a complètement décollé, l’air sent
bon, comme dans mon enfance, je vais bien, tous nos projets sont caduques ou à
foutre aux chiottes, le Seigneur saura nous en rendre grâce et, heureusement,
il y les réseaux sociaux. Alors que des proches cèdent à l’hystérie
grossièrement orchestrée par les médias et les autorités, il y a des voix que
se sont fait entendre dans mon fil d’actualité, d’autres sans-grade et sans
plus de projets qui vont bien, ni pire ni mieux qu’avant, qui se sont signalés,
avec qui partager si ce n’est un verre
en terrasse du moins notre stupéfaction, notre indignation et de l’amitiés au
passage. Heureusement, chers amis du grand réseau, heureusement que vous êtes
là et l’espoir de re-bricoler un truc entre nous et d’autres, un truc qui
ressemblerait à cette bonne vie néo-bourgeoise multipartite, multinationale,
riche de saveurs et de caractère.