La
densification, le mot est lâché, d’un sobre aspect pour une réalité qui rime
avec chantiers perpétuels, nuisances, bouchons et perte d’identité. Le sujet
est éminemment politique mais fait globalement consensus dans les partis
majoritaires. Pour nos autorités, il s’agit de l’œuf de Colomb ou de la poule
aux œufs d’or : plus d’habitants, plus de rentrées fiscales, plus de
consommation, plus d’immobilier, etc. Et la qualité de vie ? l’âme de la
ville ? Victimes co-latérales, « il ne faut pas être
passéistes » et c’est reparti pour le couplet des lendemains qui chantent,
à tue-tête, circulez, il n’y a rien à voir, les esprits chagrins n’ont qu’à
retourner à leurs albums d’images Belle Epoque.
Concrètement,
à Morges, la densification signifie le double chantier du quartier de la Gare,
le complexe sis à la place de l’ex-Fonderie Neeser, le tout prochain chantier
de La Prairie-L’Eglantine, le futur hôtel de la Blancherie, et deux ou trois
autres interventions de moindre ampleur mais parfois bien plus dommageable sur
le tissu historique de la ville et la circulation. Les autorités ont une
explication, « évolution en escalier », Morges serait du genre belle
endormie entre deux crises de croissances aigües.
Encore plus
concrètement, le quartier des anciennes Halles, qui devrait porter le nom de
quartier des Cheminots est un bon projet. Il s’agit d’une friche urbaine propre
à accueillir du logement proche du centre. L’îlot Sud présente d’autres
problèmes : destruction de la maison Richard, construction d’une tour
disproportionnée par rapport au tissu urbain avoisinant, à savoir le bourg
historique de Morges et, surtout, un calendrier de construction aberrant !
On ne lance pas deux chantiers aussi proches en même temps dans une zone aussi
sensible au niveau circulation que la gare ! Et quand tout sera fini, ça
continue, avec la reconstruction d’une gare-centre commercial.
En dehors
des questions de nuisance durant les chantiers (on en a pris pour cinq ans
fermes, sans parler des prochains grands projets qui risquent de démarrer
durant ce laps de temps), il y a la future circulation à travers Morges et la
perte irrémédiable d’identité. Le principal risque réside dans une
disneylandisation du bourg historique, le déplacement de la plus grande partie
des activités économiques vers le quartier des Halles et ses très, très, très
nombreuses surfaces commerciales. Les arcades de la vieille ville courent le
double risque de la désertification ou de la récupération par des grandes
enseignes du prêt-à-consommer alimentaire.
Dans la
pierre, le béton armé en l’occurrence, le problème se situe au niveau du choix
de l’agencement urbanistique, on n’étend pas la surface habitable d’une ville
en y jetant pêle-mêle des plots par-ci, par-là, il faut étirer le tissu
existant entre autres en passant à un ordre de construction continu, histoire
de former rues, avenues et boulevards, intégrer l’existant à ce qui sera. On a
manqué une belle occasion de faire du projet de l’Eglantine une véritable
extension à la ville, sortir de l’entassement de constructions disparates par
l’aménagement d’une place, unité de style, dialogue avec les maisons historiques
de La Prairie et de l’Eglantine.
Pour
terminer, permettez-moi de tordre le cou à ce faux bon calcul : plus
d’habitants (classe moyenne supérieure si possible) signifie plus de rentrées
fiscales et plus de consommation sur place. Ces nouveaux Morgiens vont tout de
même coûter en infrastructure, en services publics, places en crèches, écoles,
voirie, soins, etc. Et vont-ils considérer leur nouvelle résidence comme un
lieu où vivre ou juste dormir, après avoir fait le minimum syndical de courses
chez un discounter allemand qui a annoncé son arrivée prochaine dans le
quartier des Halles ? J’espère sincèrement me tromper et voir jaillir de
cette nouvelle expansion une créativité architecturale propice à l’enracinement
de ces nouveaux Morgiens qui enrichiront pratiquement et métaphoriquement notre
terreau.