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mardi, mai 08, 2018

De la densification et autres errements


La densification, le mot est lâché, d’un sobre aspect pour une réalité qui rime avec chantiers perpétuels, nuisances, bouchons et perte d’identité. Le sujet est éminemment politique mais fait globalement consensus dans les partis majoritaires. Pour nos autorités, il s’agit de l’œuf de Colomb ou de la poule aux œufs d’or : plus d’habitants, plus de rentrées fiscales, plus de consommation, plus d’immobilier, etc. Et la qualité de vie ? l’âme de la ville ? Victimes co-latérales, « il ne faut pas être passéistes » et c’est reparti pour le couplet des lendemains qui chantent, à tue-tête, circulez, il n’y a rien à voir, les esprits chagrins n’ont qu’à retourner à leurs albums d’images Belle Epoque. 

Concrètement, à Morges, la densification signifie le double chantier du quartier de la Gare, le complexe sis à la place de l’ex-Fonderie Neeser, le tout prochain chantier de La Prairie-L’Eglantine, le futur hôtel de la Blancherie, et deux ou trois autres interventions de moindre ampleur mais parfois bien plus dommageable sur le tissu historique de la ville et la circulation. Les autorités ont une explication, « évolution en escalier », Morges serait du genre belle endormie entre deux crises de croissances aigües.

Encore plus concrètement, le quartier des anciennes Halles, qui devrait porter le nom de quartier des Cheminots est un bon projet. Il s’agit d’une friche urbaine propre à accueillir du logement proche du centre. L’îlot Sud présente d’autres problèmes : destruction de la maison Richard, construction d’une tour disproportionnée par rapport au tissu urbain avoisinant, à savoir le bourg historique de Morges et, surtout, un calendrier de construction aberrant ! On ne lance pas deux chantiers aussi proches en même temps dans une zone aussi sensible au niveau circulation que la gare ! Et quand tout sera fini, ça continue, avec la reconstruction d’une gare-centre commercial.

En dehors des questions de nuisance durant les chantiers (on en a pris pour cinq ans fermes, sans parler des prochains grands projets qui risquent de démarrer durant ce laps de temps), il y a la future circulation à travers Morges et la perte irrémédiable d’identité. Le principal risque réside dans une disneylandisation du bourg historique, le déplacement de la plus grande partie des activités économiques vers le quartier des Halles et ses très, très, très nombreuses surfaces commerciales. Les arcades de la vieille ville courent le double risque de la désertification ou de la récupération par des grandes enseignes du prêt-à-consommer alimentaire.

Dans la pierre, le béton armé en l’occurrence, le problème se situe au niveau du choix de l’agencement urbanistique, on n’étend pas la surface habitable d’une ville en y jetant pêle-mêle des plots par-ci, par-là, il faut étirer le tissu existant entre autres en passant à un ordre de construction continu, histoire de former rues, avenues et boulevards, intégrer l’existant à ce qui sera. On a manqué une belle occasion de faire du projet de l’Eglantine une véritable extension à la ville, sortir de l’entassement de constructions disparates par l’aménagement d’une place, unité de style, dialogue avec les maisons historiques de La Prairie et de l’Eglantine.

Pour terminer, permettez-moi de tordre le cou à ce faux bon calcul : plus d’habitants (classe moyenne supérieure si possible) signifie plus de rentrées fiscales et plus de consommation sur place. Ces nouveaux Morgiens vont tout de même coûter en infrastructure, en services publics, places en crèches, écoles, voirie, soins, etc. Et vont-ils considérer leur nouvelle résidence comme un lieu où vivre ou juste dormir, après avoir fait le minimum syndical de courses chez un discounter allemand qui a annoncé son arrivée prochaine dans le quartier des Halles ? J’espère sincèrement me tromper et voir jaillir de cette nouvelle expansion une créativité architecturale propice à l’enracinement de ces nouveaux Morgiens qui enrichiront pratiquement et métaphoriquement notre terreau.

mercredi, novembre 11, 2015

La chapelle Saint-Dominique-Savio de La Longeraie, Morges

Il s’agit d’un lieu aimé et un rien mystérieux, un édifice accessible et protégé, discret sans être secret, un point de vue bien connu des habitants du quartier de Préllionnaz, signalé par un campanile gracieux dépassant des champs alentours. J’ai passé mon enfance à m’étonner de ce lieu, la chapelle Saint-Dominique Savio du domaine de La Longeraie, un édifice réalisé d’après les plans de l’architecte Charles Pellegrino. La chapelle n’était alors plus en service, de toute manière je n’étais pas encore catholique … On racontait tant de choses sur ce « domaine » de la Longeraie, une école catholique tenue par les doctes Salésiens, au service de garçons de 10 à 15 ans, traversant tant des difficultés familiales que scolaires. Les pères ont tenu cette école jusqu’à la rentrée 1980. Ils ont quitté la place le cœur gros après 68 ans de présence.

J’ai le souvenir d’une chapelle éteinte, endormie et vide de la présence du Sacrement, une promenade hivernale, le sentier gelé de terre battue qui relie la cour d’honneur au reste du quartier ; il y avait encore les vergers. Je monte les quelques marches du péristyle et tente de voir l’intérieur de cette église, le faible éclat des vitraux, le jour est très bas. Un déambulatoire emmène le promeneur vers un couvert, la cour de l’école. Je reste intrigué et vais le rester longtemps.

Effet du hasard, je reviens m’installer à Morges, au centre ville. Entre ma promenade hivernale et mon retour, il s’est bien écoulé une trentaine d’années durant lesquelles j’ai reçu le baptême, ai confirmé et pris l’habitude de participer à la messe dominicale. Peu après notre emménagement – je ne suis pas revenu seul – je découvre avec joie que la messe se donne à la Longeraie, tous les dimanches, à 18h30. Le Seigneur y est revenu. Une brique commémorative proclame ce retour avec la fin des travaux de réhabilitation en 2010.

Plus qu’une chapelle, l’église Saint-Dominique Savio, est un lieu de recueillement accueillant, l’espace s’organise sur un plan basilical au sens strict, l’église-halle ou la basilique telle que conçue dans l’antiquité, un rectangle terminé par une abside en cul de four. Cette inspiration à l’antique est renforcée par les quatorze colonnes fuselées cannelées soutenant un plafond lambrissé en berceau. La lumière, surréaliste, merveilleuse provient de jour du bandeau de vitrail enchâssé dans du béton, une œuvre des maîtres verriers Aubert et Pitteloud sur la base des cartons réalisés par Auguste Rody. L’ensemble court au haut de l’enceinte sans interruption et raconte la vie du jeune saint Dominique Savio, élève de saint Jean Bosco. Le petit saint patron des adolescents donne certainement cette note fraîche à l’ensemble qui jamais ne paraît austère.

Il faut voir la chapelle au couchant, lorsque le chœur est illuminé de taches de couleurs vives, le soleil du dehors devenant un soleil mystique. Je suis dans l’incapacité de vous parler des lieux hors du contexte de ma foi. Cet espace est habité, pour preuve le succès des messes dominicales. Quelque soit la saison, le fidèle emprunte le chemin de terre battue, guidé en hiver par la silhouette estompée du campanile. La chapelle brille alors comme une lanterne de Noël. Le grand vitrail de la tribune l’accueille, des motifs d’aspect floral. Car la chapelle a tout d’une grande église : un orgue occupe cette tribune et accompagne les offices. Les bancs, le mobilier liturgique, l’autel participent à l’unité de style de cet espace consacré pour la première fois en 1957. Jusqu’au chemin de croix, épuré, stylisé, design dirait-on s’il était une œuvre contemporaine. Celui-ci est de l’artiste céramiste Béatrice Cinci.


Catholique ou pas, croyant ou pas, pas même amateur pointu d’architecture, je t’invite, visiteur, à t’arrêter dans ce lieu, découvrir cet espace de paix. Il est emblématique de la vie des Morgiens. Il est une forme récente de piété urbaine qui saura même toucher le cœur le plus farouchement athée.