Je suis venu à la politique de manière tout à fait
« abracadabrantesque », selon la formule chiraquienne consacrée. Peu
après mon réveil, opération des sinus, les vapeurs de la narcose, et une
question, via msn, un ami facebookien, à peine une connaissance qui me
demandait si j’étais intéressé à entrer au conseil communal morgien ? Je
dis oui et, sous les couleurs de « Morges Libre », je suis entré en
tant que vient-ensuite au conseil, parmi le groupe de l’ « Entente
Morgienne », le bon parti centriste local, 50 bougies soufflées il y a
peu, une formation ayant rejoint la mouvance « Vaud Libre », mouvance
à laquelle « Morges Libre » appartient … Vous me suivez ?
Il y aurait donc sur le territoire morgien deux partis centristes, l’un bien
installé et l’autre tout neuf, à peine quelques membres, dont moi recruté via
facebook afin de sceller dans les faits par mon entrée au sein du législatif
communal l’union de tous les centres en terres morgiennes. Nous voilà rendu là
où le récit devient épique, baroque, picaresque, totalement branque.
« Morges Libre » avait alors un bouillant président, celui-là même
qui me proposa mon entrée en politique, une sorte de touche-à-tout, homme
orchestre plutôt sympathique quoique s’adonnant à des stratégies byzantines
auxquelles je n’ai toujours rien compris. Dans la foulée, le monsieur me fit
prendre la place qu’il occupait au sein du comité de « Vaud Libre »,
peu après avoir déclenché une brouille avec l’Entente, me mettant ainsi dans
une situation inconfortable. Je ne vais pas entrer dans les détails
politico-politiciens, je ne peux que vous dire mon embarras croissant car le
bonhomme trouva à se brouiller avec Vaud Libre avant de claquer la porte de
Morges Libre. Il y eut quelque échange de nom d’oiseau, mon embarras
grandissait encore, et me voilà président de Morges Libre, réorienté structure
centriste au niveau du district de Morges. Je ne vous dis pas les sourires que
mon joli titre de président d’une coquille vide – le parti est en passe d’être activé pour les
élections cantonales de 2017 – suscita chez mes collègues de parti et du
Conseil Communal. J’avais nettement l’impression d’être le président installé
par une grande puissance à la tête d’une république bananière. Et la presse,
évidemment, en rajouta une couche, faisant d’une brouille politique une
véritable affaire d’Etat. Sur ces entrefaites arrivent les élections communales,
l’Entente Morgienne perd un siège, le mien apparemment, je ne suis pas réélu,
manque de visibilité, de réseau, que sais-je. Je suis donc le président d’une
coquille vide, sans siège, membre du comité d’un parti centriste aux assemblées
duquel je n’arrive pas à participer, pris par le temps. De plus, je fais
doublon puisque l’Entente a l’un des ses membres qui représente les intérêts
locaux au sein de la fédération de Vaud Libre.
Qu’on ne se méprenne pas, je n’ai aucun compte à régler.
J’ai siégé durant une année parmi une équipe sympathique et très soucieuse du
bien public. « Ni de gauche, ni de droite » dit l’Entente et c’est
vrai. Il faut voir le respect qui entoure cette formation atypique. Pareil pour
Vaud Libre, pas une rancœur à leur encontre à vous livrer, rien, pas même au
bouillant ex-président de ma coquille vide. On pourra dire ce que l’on voudra
de son comportement, il n’empêche qu’il a un flair politique extrêmement
sensible et qu’il avait senti deux ou trois choses. Parallèlement à cela, Cy.
décida, lui aussi, de se mêler de la chose politique. Il hésitait, il penchait
pour les méchants, les vilains, le petit groupe tout à la droite de la salle du
conseil, non, pas les anciens libéraux du groupe PLR, les autres … Si, si,
ceux-là même. Il faut dire qu’ils venaient de recruter un excellent candidat à
la municipalité, quelqu’un pour qui j’ai respect et sympathie. Et le reste du
groupe ne m’est pas antipathique. La couleur politique, dans un exécutif
communal, n’est de loin pas aussi tranchée qu’au parlement. A Morges,
l’ambiance de travail du conseil est particulièrement cordiale. Les bonnes
idées de tout bord rencontrent toujours un large consensus. Il y a bien un
léger effet de blocs - je pense au bloc rose (pâle) et au bloc bleu (de même
pâle), effet qui se signale par une ou deux demi-lubies sur les votes en séance ;
à côté trois autres formations de petites tailles, chacun comptant une dizaine
de conseillers, un peu plus ou un peu moins, à savoir les Verts, l’Entente et –
roulement de tambour – l’UDC ! les méchants du conseil qui, après
observation, n’ont de méchant que l’étiquette. Pour un parti a la réputation
xéno- et homophobe, il fait fort. On compte dans ses rangs des Suisses
d’origine : américaine, russe, portugaise, italienne et, peut-être
française, je ne suis pas sûr de cette dernière nationalité ; la
présidente de la section morgienne porte un patronyme portugais, elle a épousé
un Portugais. Les femmes représentent 40% des membres du groupe élu.
« Last but not least », mon homme est venu compléter pile à temps la
liste des candidats et devinez quoi ? Il a été élu ! La section UDC Morges
compte certainement le taux le plus élevé d’étrangers et de gay(s) dans les
rangs des partis morgiens.
Retour sur les bons moments de la campagne, les marchés du
samedi matin, je fis bravement le planton de 10h à 12h30-13h parmi les tentes
des cinq formations (plus un indépendant) actives sur l’échiquier morgien. Nous
avons tous passé des moments formidables. J’eus ainsi l’occasion de
« pratiquer » mes collègues d’une manière plus informelle et de les
découvrir taquins, drôles, de bonnes commandes, dévoués quel que soit le parti.
Il y avait aussi des « anciens édiles» de Morges et des communes
avoisinantes venus soutenir les candidats de leur parti d’élection, au sens
propre et figuré. C’est ainsi que j’appris de la bouche d’un député UDC
retraité le pourquoi de la disparition des bintjes de nos tables, la précieuse
pomme-de-terre à tout faire, la variété s’est épuisée à force d’exploitation.
Dans ce coin de Suisse, l’UDC est la nouvelle déclinaison de l’ancien parti des
Paysans, Artisans et Indépendants ; des gens à la tête froide, parfois
rétifs à ceci ou cela mais jamais vindicatifs. On reste entre « honnêtes gens ».
Le plus drôle, durant la campagne des élections communales, un débat organisé
avec tous les candidats (treize) à la municipalité de Morges sur le plateau de
la télévision locale. Un mot de présentation à propos de chaque candidat, la
présidente de la section UDC Morges faisait partie des treize, le journaliste
évoque sa franchise de ton et d’opinion, reprend l’un de ses propres termes,
« je suis UDC par défaut », lui demande si cette affirmation est
vraie ? « Oui » Silence d’une à deux secondes du journaliste
décontenancé par … autant de franchise.
Il faut savoir qu’un parti politique, n’importe lequel, a
tendance à fonctionner comme une équipe de foot de ligue. Lorsqu’on estime
qu’un joueur est de qualité, on essaie de l’obtenir. En politique, ça ne se
monnaie pas, pas de manière sonnante et trébuchante, on propose des postes de
candidat, une liberté d’actions, de pensées, de paroles, etc. On fait cela pour
tout nouveau venu ou tout venu qui n’est pas encore figé dans une trop longue
habitude de son parti. Les propositions perdurent si vous êtes un centriste et
reviennent métronomiquement si vous vous acquittez correctement et activement
des tâches dévolues à tout conseiller lambda (commissions, réunions, rapports,
interventions, etc.). Tous les partis, groupes, tendances m’ont fait du pied de
manière plus ou moins marquée, me vantant les mérites de leur formation, y
compris l’UDC qui présageait sans malignité aucune la diminution du nombre
d’élus de l’Entente. « Viens chez nous, il y aura des sièges à repourvoir
… » Les urnes ont parlé, dix candidats, onze sièges, celui perdu par
l’Entente, et moi dessus.
Je vous laisse relire mon billet « La Veste », dimanche
d’élections, les résultats en soirée, l’air satisfait de certains.
J’accompagnais Cy., quelques membres de son parti, ils attendaient les
résultats à la maison. Peu après la publication des chiffres, un nouvel
élu/réélu se tourne vers l’un de nos invités et l’interpelle goguenard quant au
bon score de son parti, « Il faudra assurer ! », petit geste du
menton, l’air de dire « l’UDC a gagné ces voix par hasard, vous ne serez
pas capable de tenir un rôle sérieux au conseil ». J’hésitais encore mais
cette simple démonstration de suffisance moralisatrice me décida : j’acceptai
ce siège vide.
J’en ai parlé, ici ou là, j’ai eu droit à un charroi de
réactions … dogmatiques, assortis de mise en garde. Parmi le florilège des plus
débiles je retiens « que vont penser les gens de toi ? », bof,
en tant que gay et catholique, j’ai déjà tout entendu ; « tu
cautionnes la politique fédérale de l’UDC », non, de toute manière entre
la section morgienne de l’UDC et le groupe parlementaire, il y a un monde,
quelques galaxies, deux ou trois univers même. Au cas où il y aurait
éventuellement interaction, j’expliquerai à Messieurs Maurer et Parmelin mon
point de vue sur un certain nombre de sujets. Si l’on part de l’idée qu’un
parti transforme ses adhérents, les adhérents ont de même la compétence de
transformer le parti. C’est assez peu me connaître que d’imaginer qu’on puisse
ainsi me « changer ». Les Vallotton sont des Vallorbiers, des têtes
de pioche. Plus sérieusement, j’ai déjà expliqué mes motivations à qui était
prêt à les entendre. Après une année de conseil communal, je commence enfin à
comprendre le fonctionnement global de la chose, à maîtriser les dossiers en
cour, à connaître et reconnaître les différents acteurs politiques et au sein
de l’administration communale. Si je raccrochais de suite, ce serait aussi
idiot que de quitter la salle de sport après l’échauffement. Je suis un
vient-ensuite dans la liste de l’Entente et je pourrais attendre sur le banc de
touche une année ou deux, ou trois que l’on me rappelle aux affaires et d’ici
là, j’aurai perdu le fil. Plus vraisemblablement, je me serai lassé et aurai
laissé tomber. Il faut battre le fer quand il est chaud et tant pis pour ma
« réputation politique », je n’ai pas d’ambition particulière dans ce
domaine, une législature complète et je passerai la main. Dans l’intervalle, je
poursuivrai dans mon action, à savoir « à problème pratique, solution
concrète ! » Au conseil, tout le monde se pose les mêmes
questions : à quoi ça sert ? combien ça coûte ? Selon les réponses,
on dit oui ou non. Le fait que l’UDC soit une petite formation au conseil
communal morgien représente un autre critère qui m’a poussé dans ses rangs. Les
Verts m’auraient fait la même proposition, j’aurais accepté, d’autant plus que
j’apprécie particulièrement le courant décroissant de ce groupe.
Fais-je preuve d’opportunisme politique ? Si consacrer
une vingtaine d’heures par mois pour quatre cents francs par an en moyenne au
risque de se faire appeler Arthur est une opportunité, alors oui. Les
conseillers communaux sont des miliciens, je ne connais pas exactement les
motivations de mes petits camarades de jeu, elles ne sont certainement pas très
éloignées des miennes. Je suis entré en politique afin de payer mon écot,
assumer ma part dans une société qui garantit les libertés fondamentales, paie
mon salaire, assure un cadre perfectible mais agréable à ma vie, subventionne
parfois et même très souvent la publication de mes romans. A ma mesure, je
rembourse en me préoccupant d’histoire de peinture de réverbère et de crottes
de chien sur les quais. Je poursuivrai selon mes convictions et l’Ente, et Vaud
Libre trouveront toujours un ami politique en ma personne. Cela me rappelle une
charmante anecdote citée par le père Joseph, de ma bonne paroisse berlinoise de
Sankt Ludwig : un jeune séminariste débarque tout énervé dans le bureau de
l’évêque et futur saint François de Sales et lui demande inquiet que peut-il
faire pour la paix, la paix confessionnelle, la paix dans le diocèse de Genève
d’où les fidèles catholiques ont été chassés, et François de répondre
« Commence par fermer doucement la porte ! » Pour conclure, je
dois vous avouer que j’aime beaucoup l’idée que mon homme et moi siégions
ensemble au conseil, dans les rangs d’un parti, et je me répète, dit
« homophobe ».