Cela avait un peu plus d’allure que ma première
assermentation, le ton était plus proche de l’entrée de Thomas Buddenbrook au
parlement lübeckois. Mardi 14 juin, installation des nouvelles autorités
morgiennes, séance au casino, la belle salle roccoco-Art Nouveau. J’ai changé
de groupe (voir mes précédents billets « La veste » et « Lettre
ouverte aux (politiques) morgiens/nes »), je me tiens au premier rang,
comme à la messe, une habitude, personne ne veut jamais occuper ces places. Je
me tiens donc au premier rang, tout à la gauche … donc à la droite de la
municipalité. Cy. et ma mère sont aussi entrés au conseil communal, situation
amusante, il ne manque que le chien et du thé pour être à la maison.
Au cours de la cérémonie, assermentation du Conseil, des
autorités municipales, bafouille d’une pasteuse (pasteur au féminin) qui file
la métaphore sur « faites vos jeux », rapport au casino, je ne sais
pas si elle est sérieuse ? Sait-elle que ce casino, comme toutes les
salles de spectacles multi-fonctions de Suisse romande, porte ce nom de
« casino » en référence à la maison de divertissement que les princes
faisaient construire au fond du jardin, une petite maison, « casino »
en italien, une sorte de « Trianon » où l’on va danser, écouter de la
musique, dîner entre amis et, accessoirement, jouer aux cartes.
« Kursaal » en allemand, salle de cure, le lieu de divertissement
dans les villes thermales et balnéaires. Le terme allemand collerait mieux au
monument morgien, le principal édifice des quais que l’on faillit démolir avant
une rénovation complète et une exploitation bradée à un privé pour 50 ans ou
plus.
Je me perds un peu dans ces réflexions, Mme la préfette
préside et anime adroitement la cérémonie. Elle termine en « installant »
le jeune et élégant président du Conseil Communal, une charge annuelle,
précédée d’un mot de présentation par un membre de son parti, portrait aimable,
élection tacite, chaque parti propose à tour de rôle un deuxième
vice-président, qui deviendra un premier vice-président puis président sur un
cycle de trois ans. Je m’apprête à commencer en tant que premier
« vice », le petit groupe que j’ai rejoint m’a proposé le rôle … le
poste. Le petit groupe que j’ai quitté a passé son tour, personne n’a envie
d’aller aux charbons. Vient donc mon tour, mon élection à bulletin secret,
certains hésitent à bouffer le billet, d’autres à se moucher dedans, des
distraits ne tracent que mon patronyme … Il y a deux Vallotton au Conseil à
présent. Bref, je suis élu, avec un score … minable, le second vice avec un
score stalinien – qu’il ne manquera pas de signaler sur les réseaux sociaux
dans un style documentaire dont il sure à peine une pointe d’orgueil. La
présidente de mon groupe me demande si j’ai envie de dire quelques mots,
« non », ne pas rallonger la cérémonie. Le vice bis, après la
proclamation de son résultat, je l’observe en coin, fait déjà mine de se lever
pour remercier l’assemblée ; le nouveau président pense pareil que moi,
avancer dans cette séance festive, soit, mais un peu longuette. Il passe au
point suivant, le second vice se rassoit. Je me dis que je vais écrire quelque
chose à propos de mon expérience politique, cela s’intitulera « Berlin sur
Morges » ou « La dignité lémanique du sénateur Buddenbrook », rien
du secret de la fonction ne sera dévoilé, je me contenterai de relever les
circonstances, de déterminer des caractères.
Après la partie officielle, une verrée chichement dînatoire
nous est offerte. Cy. rejoint notre amie L., nouvelle élue socialiste. Ma mère s’est
éclipsée, rentrer chez elle. Nous n’occupons – pas encore – un hôtel
particulier au centre ville, selon le modèle buddenbrookien. Une
« amie », élue socialiste, vient immédiatement me saluer et
m’expliquer que mon mauvais résultat s’explique par le fait que beaucoup d’élus
n’apprécient pas que les gens changent de parti, et surtout pas pour l’UDC. Je
lui réponds que mon mauvais résultat s’explique surtout par le fait que
beaucoup n’ont écrit que « Vallotton » sur le bulletin, confusion entre
Frédéric et Jacqueline, le tout avec un grand sourire. La dame passe son
chemin ; j’adore l’excuse que je viens de sortir. Je sens que je vais bien
m’amuser dans mon travail d’observation. Entre les Tartuffe, les faux humbles,
les faux simples, tous les souriants qui ont des idées qui leur dépassent de
derrière la tête, je sens que j’ai vais pouvoir écrire un pavé.
Nous avons « fait la fermeture » avec Cy., L. et
l’un de ses collègues de parti, le jeune B. Nous avons encore pris un dernier
verre à la maison, conversation animée sur les différentes orientations de la
gauche, j’avoue souvent partager les opinions tranchées de la gauche de la
gauche. Le vin faisant, Cy. et L. en viennent à proposer au jeune B. de jouer
dans ma pièce métaphysique anti-théâtre. Je lui ai envoyé le texte, pas de
nouvelles, c’était prévisible une fois les vapeurs du vin dissipées. Ce soir,
en retirant mes boutons de manchettes, l’intimité de mes « petits
appartements », m’est venu à l’esprit l’expression « Dieu vomit les
tièdes ». Je me fendrai d’une bafouille au Conseil, rapport à mon
élection, histoire de faire pendant au mot de remerciements que le second vice’
ne manquera pas de faire … des devoirs de l’humilité dirons-nous. Je
commencerai donc le mot inaugural de ma
vice-présidence par cette extrapolation de la parole de saint Jean dans l’Apocalypse
3:15.
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