Monseigneur Morerod, successeur de Jules
II, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg,
Permettez-moi
cette lettre ouverte, lettre que je publierai sur mon blog et proposerai au
« courrier des lecteurs » du quotidien 24H, lettre d’un catholique
pécheur qui vous confesse le péché de colère, une colère froide car les mots
qui vont suivre ont été retenus depuis le lockdown du 13 mars, une colère qui a
crû avec le temps mais je m’étais promis de ne pas vous écrire avant que les
églises ne soient rouvertes et la très Sainte Communion à nouveau donnée. Voilà
qui est fait. Ce jeudi matin 28 mai, j’ai participé à la messe et j’ai
communié. Je ne voulais pas rajouter cette colère à l’hystérie et à la
confusion des dernières semaines. Vous aurez compris, Monseigneur, que
l’Eucharistie, la Communion sont au centre de mes préoccupations,
préoccupations de tous les petits à la foi nourrie de la présence de l’Aimé, la
présence de Notre Seigneur Jésus Christ dans la vénération du Saint Sacrement
ou de la Communion. Nous, les petits, sans grande connaissance théologique,
nous n’accédons pas aux concepts éthérés de la « Communion de désir »,
à savoir on désire très fort la Communion et c’est comme si on l’avait. Je vous
parle donc de la bonne majorité des fidèles qui pratiquent dans la confiance de
l’amour de Dieu et l’abandon, bref la « foi du charbonnier ». Vous
rendez-vous compte, Monseigneur, vous avez exigé de vos prêtres de nous
abandonner, avec la pauvre consolation de messes on line un peu bricolo, messes
qui nous déchiraient le cœur car nous étions privés de l’Aimé alors que vos
prêtres s’en repaissaient avec componction et satisfaction.
« Il y
avait des ordres », « l’Eglise n’est pas au-dessus de la loi »,
me direz-vous. Soit. Si vous, Monseigneur, successeur du grand pape Jules II
qui fut aussi évêque de Lausanne, si vous aviez donc été l’un des prélats de
l’Eglise des premiers temps et aviez été assistés des mêmes prêtres qui vous
obéissent aujourd’hui, je crains que nous en serions restés au culte de
Jupiter ! Des hommes et des femmes ont risqué leur vie pour la Communion
et vous n’avez trouvé à nous servir, à nous peuple affamé du Christ, que des
paroles sèches et des reproches, du style « la communion n’est pas un dû,
c’est un don ! ». « How dare you ? » comme dirait
Greta, et croyez bien que lorsque je l’ai crié devant la porte hermétiquement
close de l’église Saint-François de Sales à Morges, fin avril, alors que les
autorités fédérales avaient autorisé la réouverture des lieux de culte, croyez
bien que mes larmes n’étaient pas feintes (colère, dépit, trahison). Par
bonheur, le diocèse est vaste. Votre cathédrale a accueilli les fidèles dès que
cela a été possible. J’y suis venu, j’y ai vénéré Notre Seigneur, et y ai même brûlé
un lumignon pour les serviteurs pusillanimes de Notre très Sainte Mère
l’Eglise. Il y a aussi la basilique Notre Dame de l’Assomption, à Lausanne qui
a ouvert ses portes dès que possible, merci à l’abbé Dupraz.
Vous auriez pu,
Monseigneur, faire preuve d’un peu d’imagination, vous inspirer de ce qui se
passe ailleurs, à Berlin par exemple où, dans certaines paroisses, on ouvrait
l’église et on recevait le nombre
autorisé de personnes pour la vénération du Saint-Sacrement et, avant de
refermer les portes, les prêtres en profitaient pour offrir la Communion aux
fidèles qui la demandaient. Et pourquoi ne pas avoir organisé la Communion sur
le parvis, les fidèles par groupe de cinq, sur rendez-vous, après la
célébration de la messe dominicale via Skype, Facebook, Zoom, Youtube, etc.
Quitte à poursuivre le lundi et même le mardi encore, comme si le peuple des
baptisés avait dû traverser une nef immense et parvenir enfin à l’autel … Mille
autres choses eussent été imaginables mais vous vous en êtes tenu aux ordres et
les prêtres qui vous doivent obéissance aussi. Avez-vous à ce point oublié que
les gestes, la corporalité, la Communion sont l’essence même de notre
Eglise ?! Je ne suis pas Docteur en théologie, je suis sûr que, lorsque
vous lirez ces lignes, si vous les lisez, vous aurez vingt arguties tirées des
textes des Docteurs de la foi démontant en deux-quatre-sept mes récriminations.
Monseigneur,
rappelez-vous les paroles de Notre souverain pontife : « le bon
berger doit pouvoir sentir l’odeur de ses brebis ». La foi – tout comme la
politique, le sport et le sexe – ça ne passe pas par un écran, ça se vit en
vrai, en trois dimensions et en couleurs. Le sexe, vous me direz, ce n’est pas
votre domaine. Vu la situation, ne vous inquiétez pas, Monseigneur, je n’ai pas
le plus petit bout de péché de luxure à vous confesser en sus de la colère.
Pour revenir au sujet de la soumission de l’Eglise à la loi, je m’interroge.
Lorsque je regarde du côté de la France où les évêques ont lutté, récriminé
pour la réouverture des églises et la célébration de la messe en présence des
fidèles le plus tôt possible, je me demande si ce n’est pas un effet de la
séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ne vous sentez-vous pas tenu à une stricte
– je n’ai pas dit servile – obéissance envers les autorités cantonales ?
Dans notre diocèse, il n’y a que Genève et Neuchâtel qui connaissent la
séparation de l’Eglise et de l’Etat, un bon tiers de vos ouailles, une petite
moitié au mieux. Je crois que vous avez la charge de plus de 250 paroisses dont
bien 180 en territoire valdo-fribourgeois, là où l’Etat prélève un impôt
ecclésiastique redistribué aux Eglises qu’il reconnaît (Eglise catholique
romaine, église évangélique réformée). Sachant que « qui paie
commande », je conçois que vous étiez tenu à une certaine … retenue.
Monseigneur,
veuillez encore excuser – dans l’attente de ma confession et de ma pénitence –
la colère et l’ironie des lignes qui précèdent. Votre position vous expose à ce
genre de désagrément et je vous sais pris aussi dans une hiérarchie. Je vous
laisse transmettre l’idée de fond de ma missive à Notre très Saint-Père et
remotiver vos troupes dans bien des paroisses vaudoises. Je confesse encore
l’orgueil de donner voix au chapitre à tous les fidèles qui se sont sentis
abandonnés et trahis alors que l’Aimé se trouvait de l’autre côté de la porte
dans la solitude d’une église désertée.
Frédéric
Vallotton
1 commentaire:
Très belle lettre Frédéric, vous ne serez pas le seul à devoir vous confesser et faire pénitence, le destinataire devra rendre des comptes au tout Puissant pour justifier sa défection de guide; puisse-t-il être éclairé .
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