Monsieur le syndic, Mesdames et Messieurs les
municipaux, chers collègues du Conseil, Mesdames et Messieurs de Morges ou
d’ailleurs
Cette
année, le conseil communal a élu un historien à sa présidence, permettez-moi
donc de revenir sur deux ou trois éléments historiques constitutifs de notre
fête nationale. Premier scoop, le 1er août n’a été déclaré fête
nationale qu’à partir du jubilé de 1891, et ce jubilé n’a pas connu le même
retentissement que notre récent 700ème anniversaire de la Confédération.
Soit, trois représentants de Uri, Schwytz et Unterwald ont fait un serment au
nom de leur Etat respectif mais la portée du dit serment n’était que
défensive. On est encore loin d’une Constitution en ce 1er août
1291. On ne sait même pas si les trois intéressés ont signé un pacte. Celui que
vous pouvez voir aux Archives des chartes fédérales est, selon certains
historiens, une réplique, postérieure, un joli document qui fait sérieux parce
que nos trois Suisses, en cette fin de XIIIème siècle, ne se doutaient pas que
leur union allait faire florès. De la confédération des trois, aux huit, aux
treize cantons – notre patrie s’est construite comme l’Europe Unie – cette
proto-Suisse s’est fait une place mais on reste très loin d’un État organisé
par une Constitution. Jusqu’au XVIIIème siècle, l’indépendance de ce qui n’est
pas encore vraiment un pays est garantie par le roi de France. Il lui arrive
d’arbitrer les conflits entre les confédérés et leurs voisins. Lorsque Berne
dévore la pacifique Savoie et occupe le territoire vaudois, nous prive de nos
droits civiques, interdit la pratique de notre folklore et nous impose une
morale et une foi qui ne sont pas les nôtres, la couronne de France va venir à
la rescousse de notre malheureux souverain, le duc de Savoie, et lui obtenir la
restitution du Pays d’Annemasse, du Genevois, du Pays de Gex et d’un partie du
Chablais. A propos de la France, c’est même une figure politique majeure de son
histoire, le cardinal de Richelieu, qui aurait inventé notre nom
français : les Suisses. Il était lassé de s’écorcher la bouche à dire les
« Schwitz » pour parler de la garde du même nom.
Jusqu’en 1798,
on est encore assez loin d’un État de droit garanti par une Constitution !
En cette fin de XVIIIème agité, lorsqu’on éternue à Paris, c’est une tempête à
l’autre bout de l’Europe. Et c’est ici qu’intervient notre grand patriote, je
pense à Frédéric-César de la Harpe. Il va galvaniser les Vaudois – et il en
faut de l’énergie et de la volonté pour galvaniser un tel peuple ! – il va
mener ses concitoyens à la révolution. Il agit depuis la Cour de Russie où il
occupe la charge de précepteur du futur tzar Alexandre Ier. Après un bref
retour dans la République de Genève voisine, il sera appelé à rencontrer
directement Bonaparte dont il avait l’oreille, la sympathie et le soutien.
Laharpe va réussir à nous faire libérer de l’occupation bernoise. Il n’est pas
seul dans ce canton, il est appuyé par son fidèle ami morgien Henri Monod, et par
d’autres révolutionnaires, Peter Ochs à Bâle entre autres. Ensemble, ils vont tous
tenter l’expérience de la République helvétique, avec une Constitution qui, de
loin, ne plaît pas à tous. Il n’y a pas de démocratie possible lorsqu’on impose
un système, si parfait soit-il. L’adhésion du peuple à ses propres autorités
est nécessaire. C’est pourquoi Bonaparte apporta l’Acte de Médiation à la
Suisse après l’échec d’un Etat centralisé, il inventa notre fédéralisme !
Coup de
théâtre en 1815, la puissance tutélaire s’effondre définitivement. Napoléon est
envoyé à Sainte-Hélène et le Congrès de Vienne décide d’agglomérer les cantons
suisses à la Confédération germanique, de céder le Valais et Genève à la dynastie des Bourbons
rétablie sur le trône de France et de restaurer l’autorité d’occupation
bernoise sur ses anciens Etats vassaux. Par bonheur, le grand Laharpe gagna
pour la seconde fois l’indépendance de notre canton en faisant intervenir son
influent élève, le tzar Alexandre Ier. Alexandre exigea donc que le Congrès
déclare la Suisse une, neutre et indivisible dans sa forme proto-fédérale et
garantisse de même l’indépendance des cantons entre eux. Berne reçut en
dédommagement les territoires francophones de l’ancien évêché de Bâle pour le
malheur des Jurassien. Et on accommoda l’Acte de médiation pour en faire le
pacte fédéral.
Retrouvons à
présent cette Suisse des premiers temps, Uri, Schwyz, Unterwald devenu depuis
lors Obwald et Nidwald, soutenus par Lucerne, Zoug, Valais et Fribourg. Tous
ces cantons ont pour point commun le fait d’être catholiques et ruraux. Ils ne se
sentent pas garantis dans leur intégrité territoriale. Ils ont peur de Zürich, Berne
ou Genève. Ils concluent alors un pacte secret, une ligue d’exception, une
Sonderbund. Ils mettent en place des milices défensives et vont chercher appui
auprès des puissances étrangères dont, ironie du sort, l’empire autrichien,
celui-là même contre lequel ils s’étaient rebellés en août 1291. Et comme tout
secret finit toujours par être éventé, la diète fédérale (l’exécutif suprême à
l’époque), somma les intéressés de dissoudre leur ligue, ce qu’ils refusèrent
et ce fut la guerre civile, la guerre du Sonderbund menée avec tact et
efficacité du 3 au 29 novmbre 1847 par le général Dufour. Sitôt la victoire
remportée, il imposa l’idée d’un véritable Etat nation, de notre Etat fédéral.
On se dota enfin de notre première vraie constitution dès 1848, et d’une
capitale à Berne, d’un tribunal fédéral à Lausanne et d’une école polytechnique
à Zürich.
On est
alors assez près de l’idée que l’on se fait aujourd’hui de notre Suisse. On
vante les mérites de chacun, on construit un palais fédéral recouvert de
fresques allégoriques et mythologiques, on va se chercher des origines
communes. On ne se raconte pas des histoires mais une histoire, presque vraie,
pas moins fausse que celle de nos grands voisins. On tâtonne un peu, Guillaume
Tell est de la partie, nos trois Suisses aussi, Winkelried, on susurre même
pour faire plaisir aux romands le nom de la reine Berthe mais elle est trop
catholique, et c’est une femme. On préfère la figure tutélaire de vrais hommes,
et on a une bien belle Constitution que l’on rénove en 1874, et on finit même
par remettre en avant le fameux pacte du 1 août 1291, on décide que ce sera le
1er même si le texte du pacte ne fait référence qu’à « début
août » et tous les voisins ont leur fête nationale, pourquoi pas
nous ? et ça fera bientôt six cent ans que ce pacte a été conclu, si ce
n’est pas une bonne raison pour instituer nous aussi notre fête
nationale !
Mesdames,
Messieurs, chers concitoyennes et concitoyens, ne soyons pas embarrassés par
l’aspect artificiel de nos célébrations, regardons plutôt la très longue route
de 1291 vers 1848, vers cette première Constitution dont nous sommes tous les
filles et les fils. Soyons fiers du chemin parcouru sans pour autant être
oublieux de l’histoire, l’authentique, celle que l’on n’ose pas trop évoquer de
peur de fâcher un canton voisin, ou quelque personnage historique à l’aura
intouchable. Oui, Zürich cherchait à travers la seconde guerre de Kappel à
imposer sa domination économique plus que sa vision du protestantisme. Oui,
Berne a occupé et exploité notre canton durant plus de 250 ans, entre autres
sous un fallacieux prétexte religieux. Oui, la révérée Germaine de Staël
n’était pas une amie de la révolution vaudoise, à laquelle elle s’est opposée,
entre autres par peur de perdre son important patrimoine. Tout cela est vrai
quoique pas très agréable à entendre. Nous n’en sommes pas moins restés unis.
Au-delà des inimitiés, des discordes, de la méfiance, nous sommes un pays,
solide, prospère, pas encore au sommet de nos capacités démocratiques. Il a
fallu attendre 1971 pour que l’on accorde
enfin le droit de vote fédéral aux femmes et vingt ans plus tard en Appenzell
Rhodes-Intérieures.
Mesdames,
Messieurs, chers collègues du conseil afin que nous continuions tous à
progresser sur les voies de la démocratie, je vais vous demander d’associer
toutes celles et ceux qui ont fait notre pays, quelques soient leurs origines,
culture, langue, confession. A titre d’exemple,
je vous soumets les noms d’Auguste Piccard, Frédéric-César Laharpe, Bonne
de Berry, Amédée VIII, saint Nicolas de Flue, Jeanne Hersch, Rudolf Steiner, Karl
Gustav Jung, Robert Walser, Louise Ruedin, Guillaume-Henri Dufour, Léna Boegli
ou Félix Vallotton. Ils ont tous et tant d’anonymes, fait
la Suisse. A chaque premier août, nous pouvons les associer à nos festivités.
Ne nous cachons pas la vérité, il reste encore beaucoup à faire. Nous n’avons
pas encore réalisé une complète égalité homme-femme, nous n’avons pas encore un
vrai congé parental, il reste encore à accorder le mariage aux personnes de
même sexe et sauver nos retraites par le revenu de base inconditionnel, sans
parler de la condition animale. Tout cela sera pour demain. Aujourd’hui fêtons
dignement la patrie, Vive la Suisse, vive le Pays de Vaud.
Frédéric Vallotton
président du Conseil Communal
Morges
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