Jean Marais et Yvonne de Bray |
Sous les répliques polies, amusées, drôles, pleines d’esprit,
policées, mœurs bourgeoises obligent, le feu ! J’ai retrouvé pour une
soirée, une représentation - compagnie de théâtre amateur - le feu de la grande
adolescence qui couve sous l’innocence et la nouveauté du monde. J’ai retrouvé
de mes seize, dix-sept, dix-huit ans lorsque je vivais à travers les classiques
du cinéma à la télévision, et les premières lectures indépendantes, quoique j’aie
été un lecteur tardif et très critique. Mais la légèreté coctélienne me
parlait, le style apparemment évident, l’aura de l’auteur me parlaient. Quant aux intrigues, immémoriales
à tel point, qu’elles confinaient à la tragédie classique en mine de rien, de l’actuel
à perpétuité.
« Les Parents terribles », l’étrange famille, de
celle que l’on aimerait détester pour mieux l’aimer cinq minutes plus tard. Les
comédiens sont si jeunes, ils campent les personnages d’Yvonne, Michel, Léo,
Georges et Madeleine avec tant d’aisance, de justesse. Le premier quart d’heure
est un peu étrange, qui sont les parents ? qui est le fils mais le jeu les
maquillent avec perfection. J’ai cru voir Jean Marais, Gabrielle Dorziat, Yvonne
de Bray, Marcel André et Josette Day, et percevoir la narration de Cocteau, ces voix d’un autre
temps, un phrasé, un style nasillard et toujours un peu ironique. Comment ce
texte a-t-il pu parler à ces enfants de moins de vingt ans ? Leur jeu est
si juste, la mise-en-scène efficace, poétique ce qu’il faut, un décor fait de
lampes et lampadaires, et le lit, le cœur de la « roulotte » ; l’œuvre
n’a pas pris une ride. Le texte est peut-être un peu « intello » me
confiait un spectateur (ce n’était pas Cy.) mais ces échanges pleins d’esprit,
pour reprendre le début du billet, sont la marque d’une époque quand on avait
encore de la syntaxe.
La jeunesse parle à la jeunesse. Cocteau n’a jamais été
vieux. Le désir, l’enthousiasme et les débordements l’ont conservé parmi la
troupe brillante des jeunes gens, ceux que l’on croise un peu partout et qui
vous dépassent en trois enjambées élastiques. Je me suis souvenu pourquoi je m’étais
tant pris d’affection pour l’œuvre littéraire et filmée de Cocteau. J’ai, le
temps d’une soirée, remarqué que cette jeunesse s’était ensablée dans ma mémoire,
avec le souvenir de mes seize, dix-sept, dix-huit ans et plus, l’appartement
familial, le ciné-club de FR3 le dimanche soir, les lectures tardives dans ma
chambre, fenêtre ouverte et, selon le vent, le clocher du temple de Morges ou d’un
village avoisinant sonnant deux heures. Cocteau m’offrait à vivre des rapports
humains si vrais, crus quasiment, débarrassés des convenances ou du vulgaire
des situations défavorisées, un monde idéal où l’on est pauvre parce que l’on n’est
pas riche mais pas parce que l’on manque de tout. Et je pouvais rêver de ce
Paris en noir et blanc, d’une grande ville aux manières douces et aux
sentiments emportés.
Cocteau est précieux parce que fragile, fragile parce que
subtil, subtil parce que sensible et la sensibilité, la nuance ne sont plus à
la mode en matière de littérature. Ce ne sont pas des valeurs porteuses dans
notre globalité culturelle molle. Il faut jouir de la jeunesse, celle qui donne
de la souplesse à l’esprit et de la force dans les échanges pour aimer Cocteau
et peut-être même le jouer.
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