Il y avait le film, un bon souvenir un peu flou, je l’avais
vu à sa sortie, il y a bien dix ans. Le roman ? Je pratique la SF en BD,
mangas, séries télé ou cinéma mais très rarement en version littéraire. Je ne
sais pas trop pourquoi du reste, peut-être par fidélité à mon enfance,
« Cosmos 1999 » oblige avec les sublimes et magnifiques Barbara Bain
et Martin Landau. L’idée de perpétuer l’expérience SF par l’opéra n’était pas
pour me déplaire. J’apprécie les œuvres contemporaines pour leur manière d’être
« en phase », d’intégrer les contraintes et les possibles de notre
temps. Je repense souvent au bon mot que Milos Forman avait glissé dans la
bouche de son Mozart (Amadeus) :
« les dieux sont si loin des hommes qu’ils chient du marbre »,
manière d’illustrer l’inadéquation des grands thèmes mythologiques aux
préoccupations de ses contemporains, à savoir Les Lumières, un petit vent de
pré-révolution, les changements de mœurs (voir Don Giovanni ou Les Noces de
Figaro).
Solaris, l’opéra,
un spectacle total, chorégraphié, 1h30 pour un puissant dialogue entre soi et
LA question fondamentale : mais qui suis-je dans ce corps, sous cette
identité, où se situe exactement l’être ? La partition de Dai Fujikura est
magistrale, elle laisse la part belle à la tension émotionnelle et au jeu des
chanteurs, six exactement. La prestation vocale de chacun était parfaite, ce
dimanche 26 avril, Opéra de Lausanne. Je n’ai pas envie de me lancer dans une
critique lyriqueuse où l’on mesure les coloratures de la soprano ou la
puissance du baryton … Les dieux chient
du marbre et les compteurs de petits pois font leur petit travail. On ne
fait pas la critique d’un opéra contemporain avec des outils dépassés, les
grandes œuvres, les grandes voix et blablabla. Pitié. Solaris offre autre chose que quelques morceaux de bravoure à se
pâmer au milieu de trois heures de spectacles dont deux bonnes à jeter. Hélas,
on ne peut plus, comme au XVIIIème et XIXème siècle, se lever, sortir, revenir
avec de quoi manger, faire la
conversation avec son voisin ou profiter de l’intimité d’une loge pour d’autres
activités. Je relèverai toutefois, en l’occurrence, la prestation de Sarah Tynan
dans le rôle de Hari. Son fantôme vient hanter son mari, Kelvin, venu dans la
station Solaris afin de répondre à l’appel de l’un des trois scientifiques sur
place. Suicide, apparition, et la présence en creux de l’océan qui recouvre
toute la surface de la planète Solaris, un être vivant avec lequel aucune
communication n’a jamais été possible … jusqu’à la survenue des
« mimoïdes », ces fantômes, sorte de doubles recréés à partir du
souvenir de ceux qui portent le deuil de ces disparus.
Solaris est un
spectacle total. Eclairage, atmosphère, musique et danse, chaque personnage est
double, chaque chanteur a « son » danseur, illustration de notre
diffraction corps-esprit, sans parler de la non-réalité des mimoïdes !
Jamais spectacle n’est mieux « tombé », je tourne à régime réduit
depuis quelques temps, cela a un nom, deux, dix, cent … du surmenage très « Trente
Glorieuses » à la décompensation nineties’ ou le très commun et actuel « burn
out ». Les raisons ? elles sont ce qu’elles sont mais j’ai trouvé
dans Solaris une illustration des
effets, n’être qu’une surface ou un esprit diminué, tenter le dialogue avec un
milieu mutique, hermétique et pourtant une conscience se manifeste, et l’individu
redevient homme. Faire corps à nouveau avec soi, être un, exister pour l’autre
dans une relation réinventée, et enrichie de la présence et la pratique de l’art,
de la littérature, avec l’amitié et du repos.
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