Depuis peu, je suis membre du législatif communal, ma bonne
ville de Morges. Le Conseil ne se réunit pas dans un noble parlement, plafond à
caissons et stalles armoriées au chiffre des grandes familles patriciennes.
Nous siégeons dans une vilaine salle – fort commode au demeurant – le foyer n°1
du théâtre de Beausobre. Nous ne sommes pas au sénat de Lübeck, nous ne
présidons pas aux destinées commerciales d’une riche ville hanséatique, ni ne
travaillons à l’unité de l’empire … toutefois il y a ce je ne sais quoi de
dignité propre à la gestion de la chose publique. J’ai toujours une pensée pour
le sénateur Buddenbrook, sa fierté à gouverner parmi ses pairs. Cela me
rapproche de mon idéal « mannien », tout particulièrement lorsque je
rentre à pied à la maison, traverser la place de l’Hôtel de Ville endormie,
sentiment très « Mitteleuropa », nous pourrions être dans le Bade-Wurtemberg,
ou même le Brandbourg, la Poméranie ? la Silésie ? un faubourg de
Varsovie ! Toutes les bonnes villes se ressemblent dans leur sommeil.
Je n’y avais pas tant prêté attention mais la salle dans
laquelle se réunit le Conseil Fédéral – sottement surnommée le « chalet »
du fait de ses boiseries sombres – avec ses pupitres au décor néo-Renaissance,
ses sièges profonds et son horloge encastrée au fronton d’une bibliothèque ressemble
au bureau d’un négociant en grains, une entreprise honnête et intègre, du solide,
aussi solide que les vertus wilhelminiennes. On fait des Etats et des
démocraties de ce bois-là, on aurait pu en faire une Europe Unie avant l’heure
sans l’affairisme boursicoteur et la compromission populiste. Notre exécutif
fédéral devrait être sauf de ces travers ; il est élu par le parlement, là
où la volonté du peuple se voit
renforcée par la conscience politique. Je m’interroge tout de même : la
polarisation partisane gauche-droite profite-t-elle au pays ?
Le Conseil Communal n’est pas exempt de harangues vitriolées,
de quelques passes d’arme et d’accrochages en aparté mais rien qui ne dure,
rien qui n’empêche la bonne marche des affaires de la ville. Notre municipalité
compte même un élu indépendant, c’est dire si la raison préside, ce bon sens
qui trouverait encore à s’exprimer au « chalet », la collégialité des
sept, je n’en suis pas convaincu, je n’en suis plus convaincu. On ne gère pas
un pays à la façon d’un fond de pension ou d’une holding. Le sénateur
Buddenbrook négligea ses affaires au profit de sa charge publique. Il mit une
pointe de fatuité à siéger, la dignité de la charge mais la probité de l’homme.
Dommage que l’ombre du sénateur ne passe de temps à autre sur les lambris
foncés du « chalet ».
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