« J’ai deux amours » chantait la Baker, j’en ai
deux aussi, en matière de séjour il s’entend ; pour le reste, j’ai Cy. Les
habitués connaissent peut-être l’un des plus anciens billets de ce blog, une
série de photographies de Barcelone, pas même un commentaire, juste des ombres
qui s’allongent sur une plage, le soleil bas d’un début décembre, la mer et
cette atmosphère légère de villégiature hors saison, un cadeau inespéré qui me
marqua profondément. C’était mon second séjour dans la capitale catalane, le
premier remontait à mes années de gymnase, c’était avant les jeux olympiques.
Il y eut un troisième, un quatrième séjour, un cinquième peut-être et ce
dernier, ces quelques jours de février, les premiers dividendes d’un été à
venir. J’ai retrouvé cette douceur propre au sud, comme une langueur
gracquienne dans le paysage, les palmiers aux mouvements paresseux, et les badauds,
les touristes mêlés à ceux qui vont ou sortent du travail par les grands
boulevards rectilignes de l’Eixample. J’ai retrouvé « Mauri » le
restaurant tea-room au coin du carrer de Provenca et de la rambla de Catalunya,
et les rayons plutôt chic d’El Corte Inglès, son vaisseau spatial atterrit
plaça de Catalunya. Effet du franc fort, je suis allé au ballet, et au
concert : William Forsythe au Liceu et du Mendelssohn, du Schubert, du
Schumann au Palau de la Música catalana. Le ballet était prenant, graphique,
enthousiasmant mais le concert, un choc ! Tant le lieu que le programme
m’ont subjugué, j’ai même inscrit ce lieu sur ma liste des merveilles du monde
(j’en tiens cinq désormais). Imaginez une précieuse dentelle de vitraux, de
balustrades de verre, d’albâtre ciselé, de fleurs en céramique stylisées, de
coursives en faïence, et tout un décor fantastique s’échappant de la scène. Je
n’ai toutefois pas eu le temps de rendre visite aux archanges romans du musée
national d’art catalan ni revoir, une fois de plus, les postimpressionnistes
barcelonais, Rusinol ou Casas.
Il faudrait aussi évoquer la bonne rencontre de Grégoire
Polet, un auteur francophone installé à Barcelone depuis … suffisamment
longtemps pour comprendre la ville et en faire partie. Il est du reste l’auteur
de « Barcelona », beau roman choral dont je reparlerai dans un
prochain billet. J’avais acheté ce gros volume à Paris, mise-en-jambe à mon
séjour. La rencontre s’est tout naturellement faite … dans une librairie
française, Jaimes, carrer de Valencia, à côté de chez Navarro, le plus grand
fleuriste d’Europe dit-on, comme on dit que Payot Lausanne est la plus grande
librairie d’Europe. J’étais allé chez Jaimes pour deux raisons, y trouver une
méthode de catalan pour francophone et y faire connaître mon dernier roman,
« Canicule parano » ; il m’arrive parfois de jouer les vrp de
mon œuvre. Alors que je disais tout le bien que je pensais du « Barcelona »
de Polet à la libraire, l’homme – un habitué des lieux – est entré à ce
moment-là.
Et Berlin dans tout ça ? car je rentre de Berlin (le
second amour, toujours rapport à mes résidences européennes), ma petite ourse
adorée et pataude, quasi mon port d’attache ; j’entretiens avec elle une
relation dont la durée a déjà dépassé de
quelques années celle que j’ai eu avec Lausanne. J’ai fait un saut dans mon
chez-moi allemand pour ne pas perdre l’aller d’un aller-retour acheté en vue
d’un festival suisse en Pologne, festival malheureusement reporté, une petite
manifestation à laquelle j’avais été invité. Raison boiteuse, mauvais prétexte,
il m’a fallu réserver et payer un nouveau retour, et par Bâle. Dans le fond, je
suis allé à Berlin pour exactement 46 heures par esprit d’équité, ne pas rendre
ma petite ourse jalouse, car je prête des sentiments aux villes. C’était bref
mais plaisant, quoique fatigant et plein de tracas, un avion de la compagnie
des trolleys volants est resté cloué au sol lors du départ, une histoire de
filtre hydraulique bouché, il a fallu attendre un appareil de remplacement,
quatre heures de retard. A Berlin, j’ai tout de même eu le temps de prendre un
petit-déjeuner avec Libussa, de boire un verre de vin rouge chez Jacques,
d’assister à la messe dominicale anticipée de 18h à Sankt Hedwig et de dîner
avec Christine et Jeff, le restaurant indien de « Canicule parano »,
près de la Winterfeldstrasse. J’ai passé la case shopping, je ne disposais que
d’un bagage en cabine.
Et Morges dans tout ça ? car je suis un élu de la
« Coquette », petit nom qui décrit bien le petit genre de ma bonne
ville, ancienne résidence des comtes et ducs de Savoie. Ces perpétuelles
pérégrinations berlino-barcelonaises risquent de donner de moi l’image d’un
conseiller communal bien inconstant, toujours absent, entre deux valises, deux
romans, deux publications ; quelle place reste-t-il à l’intérêt de la
chose publique ? Je n’ai jamais mieux su percevoir les qualités et les
quelques défauts de mon terroir que depuis que je prends un peu de champs, observer
à plus de mille kilomètres et comparer avec ce qui se fait ici ou là, Morges
vaut bien – toute proportion gardée – la comparaison avec de grandes capitales,
elle possède déjà des salons de thé dignes de grandes capitales !
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