L’actualité
récente m’a fait reporter ma promesse d’une critique du témoignage de
l’ex-compagne du Président de la République française. Les assassinats à la
rédaction de Charlie Hebdo avaient rendu, dans un premier temps, toute
évocation de ce récit de la douleur amoureuse superfétatoire. Quoique. La
mécanique du mépris de l’autre mise en œuvre est tout à fait d’actualité. La
goujaterie et l’intégrisme connaissent quelques ressorts communs, un certain
machisme par exemple.
J’ai
parlé, pour la première fois, publiquement de « Merci pour ce
moment » dans le train, avec le Professeur Calame, sortant même l’objet,
le livre de mon sac. Et le professeur de s’exclamer « Oh, c’est
formidable, c’est à croire que ce texte n’existe pas, il y a un tabou qui
l’entoure, c’est un objet que l’on nie, on cache mais ça n’en reste pas moins
un livre ! » Et, chers lecteurs, pour peu que vous me suiviez depuis
quelques temps, vous devez savoir que je n’ai jamais eu peur d’affronter ni
« tabous », ni controverse. Je ne pense pas, du reste, que Mme
Trierweiler ait écrit quoi que ce soit de scandaleux, honteux ou déplacé. Qui
peut juger du désespoir et de la légitimité de la colère d’une femme
trahie !
En propos liminaires, parlons du style. Trierweiler est une
journaliste politique, une journaliste d’investigation. Sa plume est claire,
sans affectation, un peu sèche mais efficace. « Merci pour ce
moment » ne peut être rangé dans la catégorie si particulière de
l’autofiction, sous-genre du roman français, une pratique réservée aux auteurs
littéraires, manière de rendre une réalité émotionnelle dans un style très
écrit. Trierweiler nous livre un reportage en « je », précis et
circonstancié. Une amie me disait qu’elle n’avait lu qu’une cinquantaine de
pages ; elle avait été frappée par les expressions qu’emploie l’autrice
pour parler de sa peine amoureuse, des tournures que cette amie trouvait plus
propres à une fille de quinze ans qu’à une femme. Oui, Valérie était une femme
amoureuse, comme une gamine, une enfant grandie trop vite dans un milieu très
modeste, une femme qui n’eut pas droit à la légèreté adolescente. Selon son
témoignage, elle se rattrapa auprès de l’espiègle François, l’idéaliste
Hollande, le pitre de la classe socialiste.
Je peux attester de la douleur amoureuse, de la cuisante
trahison, du mensonge – et je ne parle pas de la tromperie légère, du trempage
de nouille accidentel ou non – je vous parle du mépris organisé de l’autre, au
sein même du couple, de la dualité et de l’irrespect provenant de celui que
l’on aime et que l’on connaissait pourtant. Je comprends Valérie Trierweiler,
je suis Valérie Trierweiler lorsque, amante éconduite, conjointe révoquée par
une dépêche de l’AFP, elle cherche une trêve à l’offensive totale de la douleur
sentimentale dans le sommeil et l’oubli. Je suis plus auteur que journaliste
(journaliste d’opinion et non d’investigation) et, lorsque j’ai été congédié
sans explication d’une relation de cinq ans, j’ai connu cette même dévastation,
le sentiment d’exclusion ; je n’avais toutefois pas 66 millions de
citoyens contre moi. Je m’en suis remis tant bien que mal, j’ai décidé d’agir
plutôt que « d’être agi ».
J’en ai écrit « La Dignité », puis à la suite d’un autre
ratage sentimental, cela a donné « Journal de la Haine et autres
douleurs » (à paraître). Valérie, dans cette même logique, a investigué
sur son cas, l’a raconté de l’intérieur en toute sincérité, en toute
transparence. Elle en a bien le droit, sa vie privée a déjà été vilipendée par
les tabloïds. Elle doit dresser le portrait des protagonistes : François,
Ségolène, Julie et elle, la femme amoureuse et humiliée. Elle revient sur les
vingt mois de son lynchage médiatique dans le rôle – usurpé selon l’opinion –
de première de dame. Parmi tout ce qu’elle avance, rien n’a été réfuté, pas de
procès en diffamation, tout est passé, à peine recouvert par un voile de
réprobation moralisatrice. Tous les faits rapportés, les centaines de textos
éplorés (postérieurs à la rupture) et les paroles du président de la République
peuvent être tenus pour vrais. Trierweiler est journaliste, elle connaît l’importance
de sources fiables, elle a certainement conservé les preuves.
Quant au fond, Valérie la compagne trompée, rejetée n’en
reste pas à des propos de femme amère. Elle en tient, parfois, s’en explique
tout en faisant la part des choses. Sous sa plume, « Flamby », chef
de la France molle sort de son rôle de bon gros arrivé là par hasard ; il
prend une stature d’homme d’État, d’amant passionné, de séducteur impénitent
( ?!), de figure torturée. Le lecteur est introduit dans le secret de la
relation royalo-hollandaise La mère des enfants de François est son vampire
politique ; leur jeu pervers à tous deux est une succession de « je
t’aime, je te tue médiatiquement ». L’ex’ envahissante versus le politique
discret, calculateur et patient. Trierweiler nous donne encore deux autres
clefs importantes afin de comprendre l’énigme de la personnalité
présidentielle : le désir irrépressible de François d’être aimé et son snobisme
de grand bourgeois. Ces deux éléments contradictoires expliquent la
quasi-totalité des cafouillages publics du candidat et du président élu.
Hollande paraît plus victime de son formatage intellectuel que de son
incompétence. Il ne sait jamais se poser en chef d’État. Mise au point de la
part de Valérie aussi. Non, elle n’est pas fille de famille, elle n’est pas
froide, orgueilleuse, dirigiste. Elle est naïve. Elle croyait que l’homme avec
qui elle vivait resterait le même homme privé après avoir franchi le seuil de
l’Elysée.
Accessoirement, Trierweiler nous offre une chronique enlevée
de la présidentielle 2012, le jeu des alliances, les petits mots, les
hésitations, les reculades et le coup de tonnerre de l’affaire DSK. Puis les
premières semaines de règne avec la formation du gouvernement, les premiers
mois avec les remaniements, les scandales et le fonctionnement du Palais,
l’aile Madame, le personnel, le souvenir des prédécesseurs. Trierweiler est une
journaliste politique chevronnée et, au fil des pages de « Merci pour ce
moment », elle se rembourse de vingt mois de silence imposé. Sa disgrâce
ne l’a pas pour autant dégoûtée du socialisme ni même du candidat Hollande.
Elle analyse, soupèse et, lorsqu’un inconnu vient l’assurer de sa sympathie
dans la rue et lui avoue ne pas avoir voté socialiste lors du premier tour des
municipales, Valérie lui rétorque qu’elle a voté socialiste et l’enjoint de ne
pas perdre de vue l’intérêt national. L’homme repart convaincu et promet de
voter pour le parti à la rose au deuxième tour. « Merci pour ce
moment », une mise au point thérapeutique doublée d’une chronique
politique de première main.
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