samedi, février 14, 2015

"Merci pour ce moment" de Valérie Trierweiler

L’actualité récente m’a fait reporter ma promesse d’une critique du témoignage de l’ex-compagne du Président de la République française. Les assassinats à la rédaction de Charlie Hebdo avaient rendu, dans un premier temps, toute évocation de ce récit de la douleur amoureuse superfétatoire. Quoique. La mécanique du mépris de l’autre mise en œuvre est tout à fait d’actualité. La goujaterie et l’intégrisme connaissent quelques ressorts communs, un certain machisme par exemple.

J’ai parlé, pour la première fois, publiquement de « Merci pour ce moment » dans le train, avec le Professeur Calame, sortant même l’objet, le livre de mon sac. Et le professeur de s’exclamer « Oh, c’est formidable, c’est à croire que ce texte n’existe pas, il y a un tabou qui l’entoure, c’est un objet que l’on nie, on cache mais ça n’en reste pas moins un livre ! » Et, chers lecteurs, pour peu que vous me suiviez depuis quelques temps, vous devez savoir que je n’ai jamais eu peur d’affronter ni « tabous », ni controverse. Je ne pense pas, du reste, que Mme Trierweiler ait écrit quoi que ce soit de scandaleux, honteux ou déplacé. Qui peut juger du désespoir et de la légitimité de la colère d’une femme trahie !

En propos liminaires, parlons du style. Trierweiler est une journaliste politique, une journaliste d’investigation. Sa plume est claire, sans affectation, un peu sèche mais efficace. « Merci pour ce moment » ne peut être rangé dans la catégorie si particulière de l’autofiction, sous-genre du roman français, une pratique réservée aux auteurs littéraires, manière de rendre une réalité émotionnelle dans un style très écrit. Trierweiler nous livre un reportage en « je », précis et circonstancié. Une amie me disait qu’elle n’avait lu qu’une cinquantaine de pages ; elle avait été frappée par les expressions qu’emploie l’autrice pour parler de sa peine amoureuse, des tournures que cette amie trouvait plus propres à une fille de quinze ans qu’à une femme. Oui, Valérie était une femme amoureuse, comme une gamine, une enfant grandie trop vite dans un milieu très modeste, une femme qui n’eut pas droit à la légèreté adolescente. Selon son témoignage, elle se rattrapa auprès de l’espiègle François, l’idéaliste Hollande, le pitre de la classe socialiste.

Je peux attester de la douleur amoureuse, de la cuisante trahison, du mensonge – et je ne parle pas de la tromperie légère, du trempage de nouille accidentel ou non – je vous parle du mépris organisé de l’autre, au sein même du couple, de la dualité et de l’irrespect provenant de celui que l’on aime et que l’on connaissait pourtant. Je comprends Valérie Trierweiler, je suis Valérie Trierweiler lorsque, amante éconduite, conjointe révoquée par une dépêche de l’AFP, elle cherche une trêve à l’offensive totale de la douleur sentimentale dans le sommeil et l’oubli. Je suis plus auteur que journaliste (journaliste d’opinion et non d’investigation) et, lorsque j’ai été congédié sans explication d’une relation de cinq ans, j’ai connu cette même dévastation, le sentiment d’exclusion ; je n’avais toutefois pas 66 millions de citoyens contre moi. Je m’en suis remis tant bien que mal, j’ai décidé d’agir plutôt que « d’être agi ».  J’en ai écrit « La Dignité », puis à la suite d’un autre ratage sentimental, cela a donné « Journal de la Haine et autres douleurs » (à paraître). Valérie, dans cette même logique, a investigué sur son cas, l’a raconté de l’intérieur en toute sincérité, en toute transparence. Elle en a bien le droit, sa vie privée a déjà été vilipendée par les tabloïds. Elle doit dresser le portrait des protagonistes : François, Ségolène, Julie et elle, la femme amoureuse et humiliée. Elle revient sur les vingt mois de son lynchage médiatique dans le rôle – usurpé selon l’opinion – de première de dame. Parmi tout ce qu’elle avance, rien n’a été réfuté, pas de procès en diffamation, tout est passé, à peine recouvert par un voile de réprobation moralisatrice. Tous les faits rapportés, les centaines de textos éplorés (postérieurs à la rupture) et les paroles du président de la République peuvent être tenus pour vrais. Trierweiler est journaliste, elle connaît l’importance de sources fiables, elle a certainement conservé les preuves.

Quant au fond, Valérie la compagne trompée, rejetée n’en reste pas à des propos de femme amère. Elle en tient, parfois, s’en explique tout en faisant la part des choses. Sous sa plume, « Flamby », chef de la France molle sort de son rôle de bon gros arrivé là par hasard ; il prend une stature d’homme d’État, d’amant passionné, de séducteur impénitent ( ?!), de figure torturée. Le lecteur est introduit dans le secret de la relation royalo-hollandaise La mère des enfants de François est son vampire politique ; leur jeu pervers à tous deux est une succession de « je t’aime, je te tue médiatiquement ». L’ex’ envahissante versus le politique discret, calculateur et patient. Trierweiler nous donne encore deux autres clefs importantes afin de comprendre l’énigme de la personnalité présidentielle : le désir irrépressible de François d’être aimé et son snobisme de grand bourgeois. Ces deux éléments contradictoires expliquent la quasi-totalité des cafouillages publics du candidat et du président élu. Hollande paraît plus victime de son formatage intellectuel que de son incompétence. Il ne sait jamais se poser en chef d’État. Mise au point de la part de Valérie aussi. Non, elle n’est pas fille de famille, elle n’est pas froide, orgueilleuse, dirigiste. Elle est naïve. Elle croyait que l’homme avec qui elle vivait resterait le même homme privé après avoir franchi le seuil de l’Elysée.


Accessoirement, Trierweiler nous offre une chronique enlevée de la présidentielle 2012, le jeu des alliances, les petits mots, les hésitations, les reculades et le coup de tonnerre de l’affaire DSK. Puis les premières semaines de règne avec la formation du gouvernement, les premiers mois avec les remaniements, les scandales et le fonctionnement du Palais, l’aile Madame, le personnel, le souvenir des prédécesseurs. Trierweiler est une journaliste politique chevronnée et, au fil des pages de « Merci pour ce moment », elle se rembourse de vingt mois de silence imposé. Sa disgrâce ne l’a pas pour autant dégoûtée du socialisme ni même du candidat Hollande. Elle analyse, soupèse et, lorsqu’un inconnu vient l’assurer de sa sympathie dans la rue et lui avoue ne pas avoir voté socialiste lors du premier tour des municipales, Valérie lui rétorque qu’elle a voté socialiste et l’enjoint de ne pas perdre de vue l’intérêt national. L’homme repart convaincu et promet de voter pour le parti à la rose au deuxième tour. « Merci pour ce moment », une mise au point thérapeutique doublée d’une chronique politique de première main.  

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