Il est des vieilles gens qui, sur le déclin, dans l’incapacité de saisir
le monde, retournent leur attention sur leur assiette, ce qu’il y a dedans, la
météo et la longue litanie de leurs petits bobos. Houellebecq, dans
« Soumission », campe un personnage de cet acabit, un intellectuel,
enseignant en Sorbonne, spécialiste de Huysmans, flapissant dans un entre deux
âges égayé par un peu de sexe, de la turlute à peine jouissive. Et pourtant, le
narrateur de « Soumission » n’est pas si vieux, la quarantaine et
demie, à peu près, mais il est aussi éteint que l’intelligentsia médiatique française. On
sent insensiblement les préoccupations de vieux de l’auteur passer dans son
personnage (quoique Houellebecq n’ait que 57 ou 59 ans même s’il en paraît 68
fatigués). Le lecteur a droit à sa platée habituelle de réflexions rances, de
constat social désespérant et de scènes de culbute aussi trépidantes que la
lecture des pages jaunes à l’ère de Google. Cela réjouira certainement le
quarteron de fidèles phallocrates, du plus réac au rockabilly rechampi, tatoués
ou non, baroudeurs ou non, plutôt buveur et fantasmeur à la petite semaine sur
de fortes poitrines de 15 ans si possibles, sur lesquelles il est permis d’étaler
sa semence avec son engin (vigoureux, forcément, merci viagra). Bref du
Houellebecq.
Le scénario est aussi simple que bancal. La France aux
abois, après une longue période d’alternance gauche molle droite molle, plutôt
que de se livrer au FN, préfère une large coalition menée par Mohamed Ben
Abbes, le candidat de la Fraternité Musulmane (le FM !). Le monsieur, une
fois président, impose à l’éducation nationale une morale toute musulmane. Tous
les enseignants se doivent d’être musulmans, plus de femmes enseignantes, plus
de femmes du tout dans le monde du travail du reste. Ben Abbes par le biais de
filières islamo-mafieuses remet de l’ordre dans les cités et avec toutes ces
femmes qui ont dû quitter leur emploi, le chômage diminue de manière
spectaculaire. Et partout, dans la rue, des silhouettes couvertes, des jeunes
filles en pantalons. Fini le bal des minijupes. Il y a peut-être moins à
reluquer mais les hommes, surtout ceux occupant une position sociale
importante, ont droit à deux ou trois femmes. Leur vieille femme pour la
popote, une intermédiaire pour ? jouer aux cartes et une très jeune
(mineure même) pour le divertissement sexuel. Evidemment, comme il s’agit d’un
monde islamisé sur un mode houellebecquien, il est encore permis de boire et,
même, de se mettre la tête en dedans. Selon l’imagination délirante de
l’auteur, le projet de Ben Abbes : reformer l’empire romain via l’Europe
Unie version musulmane ! En gros, la France retrouverait son universalité
et tant pis pour l’islamisation. Houellebecq, en sus de ses préoccupations de
vieux (nourriture, météo, bobos) et de ses tendances pédopornographiques en
rajoute avec le couplet de la grandeur de la Frannnnnnce ! Restons-en là
pour le pitch.
On m’a dit « oui, mais bon, c’est un roman, il invente
ce qu’il veut, il n’y a pas de quoi en faire une histoire ». Ok, néanmoins
« Soumission » n’est ni un conte, ni un roman de SF, on parle
d’uchronie mais ce genre repose sur la modification d’un élément du passé et ce
n’est pas le cas du texte en question. On donne dans la politique fiction
foireuse teintée de l’inculture crasse de son auteur. Houellebecq, en dépit
de ses coups de gueule, de griffes, etc. croit encore à la superbe de la
République notre voisine. Il est incapable de considérer l’histoire européenne sans
un filtre hexagonal. Comment ose-t-il seulement imaginer que l’Allemagne, le
Danemark ou l’Estonie, ou la Pologne dans une certaine mesure pourraient
accepter parmi l’Europe unie un pays qui, non seulement, ne serait plus laïque
mais islamique de surcroît ! Ça
n’a pas traversé l’esprit borné et hétérocentré de l’auteur que ces pays, du
fait de leur histoire, de leur sensibilité sont très impliqués dans la défense
de la cause des femmes, des minorités religieuses et sexuelles. Houellebecq
n’est pas à proprement parler homophobe, il est complice par le silence ou la
négation de cette frange de la population mondiale (entre 5 et 10% selon ce que
la sociologie admet). Il surfile sa pochade expliquant que le nationalisme est
mort (je suis d’accord), que l’Europe ne peut s’en tirer qu’avec un grand
projet (toujours d’accord), genre un empire à la mode romaine ou bonapartiste
(encore et toujours d’accord) et que la France musulmane, alliée aux pays du
Maghreb entrés dans l’Europe unie avec l’Egypte et la Turquie, cette France
imposerait la langue française au reste de l’union (je reste sans voix …)
Effectivement, un empire sauvera l’Europe, renouvellera son Union mais son
centre se trouvera à l’Est, Berlin ou Vienne, ou Copenhague et l’empire aura
pour langue officielle l’allemand. Cet ensemble s’inspirera du Saint Empire
romain-germanique, des grandes heures du règne des Habsbourgs dont le pouvoir
s’étendait sur quasi toute l’Europe, l’Amérique et de nombreux comptoirs en
Asie.
Néanmoins, le style alerte de Houellebecq fait à nouveau
mouche. « Soumission » est une lecture plaisante, à l’atmosphère
marquée, à la désespérance accorte. L’auteur ne se renouvelle pas vraiment. De
plus, il manque par moment de vocabulaire. Il parle de « petits visages
souriants » dans un courriel ! Cela s’appelle un émoticône. Il
faudrait aussi que quelqu’un lui explique qu’un « costume à fines
rayures », quelle que soit la couleur de l’étoffe et de la « fine
rayure », cela s’appelle un costume à rayures tennis.
L’hétéro de base mais un peu lettré tout de même, le mec qui
lit du vrai, du lourd, du couillu, du burné, le mec qui se réserve sa petite
séance de lecture avec cigare (berk) et whisky (re-berk), le vrai mec avec
peut-être même moto, tattoos ou qui pratique un sport de combat, je caricature
un peu … à peine, ce mec-là va a-do-rer « Soumission ». Il trouvera
ça drôle et mordant. Je ne fume plus, je n’aime pas le whisky même lorsqu’il
coûte un bras, je n’ai toujours pas de permis de conduire et ne suis pas assez
inconscient pour aller risquer ma vie sur un deux roues, quant au sport de
combat, cela sous-entend rentrer en contact avec le corps d’un autre (berk) ou
exécuter des figures imposées … euh, non, je préfère mes machines de
musculation ou mes appareils de cardio avec télévision intégrée pour regarder un épisode
de Derrick. J’aurais toutefois aimé aimer « Soumission » mais comment
faire ? Il m’a suffi de modifier un point du scénario et de mettre de côté
un élément fondamental de mon identité. « Soumission » est un roman
en « je », il est donc d’autant plus facile pour le lecteur mâle
hétéro – avec ou sans les qualités précédemment citées – d’entrer dans le texte
et de revêtir ce « je ». Pour ce faire, j’ai mis de côté ma
conviction religieuse catholique et, de la même manière que Houellebecq a
imaginé un islam alcoolisé, j’ai imaginé un islam reprenant à son compte le
mariage pour tous version charia. Et ça change tout ! Pour sûr, la bonne
poilade, je ferais partie des mâles dominants, je me serais converti à l’aide
d’une formule en arabe dans la mosquée du coin, j’aurais conservé mon prépuce
(autre accommodement houellebecquien avec l’islam). J’aurais conservé mon homme
pour faire la cuisine, tenir la maison. J’aurais fait appel à un marieur qui
m’aurait trouvé un deuxième, voire un troisième époux, les deux dans les
dix-huit ans … non, allez, un de seize, soyons houellebecquien jusqu’au bout.
On viendrait me dérouler le tapis rouge, me doubler mon salaire et me couvrir
d’honneurs (ah, ben oui, je fais partie de l’élite culturelle locale), le
pied ! Sans parler du délire de politique fiction expansionniste après
lequel je pourrais me mettre à rêver. Vous trouvez ma version personnelle de
« Soumission » gerbeuse ? aberrante ? de mauvais
goût ? insultante ? amorale ? Vous auriez raison, je suis de
votre avis du reste, pour peu que vous qualifiez la version originale des mêmes
adjectifs épithètes.
2 commentaires:
La séparation des sexes dans l'islam est propice à pas mal de choses ... entre hommes. J'ai eu des récits très colorés d'amis ayant travaillé plusieurs mois dans les émirats.
Et pourtant, c'est un excellent roman, avec des vrais personnages, une action, etc. Et un grand référent littéraire, magnifiquement traité, Huysmans. D'accord, c'est impossible... indésirable... imbitable... mais cela existe de manière très narquoise, dans la lecture. Le blues du professeur d'université pourrait en effet l'amener à cette conversion veule. Pas le reste de la société. Mais voilà, c'est un roman, avec/sur un personnage.
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