Vendredi 23 janvier, 17h30, Gare de Lyon. Les occupants du
TGV en provenance de Genève s’éparpillent sur le quai, hall 2, rien à signaler.
Nous nous engouffrons dans la station du métro, dédalle de couloirs, deux
militaires en treillis, l’arme à la main au détour d’un tapis roulant. Ils se
fondent dans le décor, rien à signaler. La foule est très calme, un peu moins
nombreuse que d’habitude peut-être, les couloirs sont propres, pas de papiers
par terre, vraiment rien à signaler. Ligne automatique M 14, direction
Olympiades, descente à la station Bercy-Village et ce calme toujours, beaucoup
de politesse, étrange … L’impression se confirme sur les Grands Boulevards,
quasi déserts. Il fait froid, soit, mais les soldes ?!
Week-end à Paris, pas de « geste de solidarité »
particulier ou de super-shoping mais une comédie musicale agendée depuis quelques
mois. J’ai lu un peu dans le train, « Soumission » et ne peux m’empêcher
de regarder la ville à travers un prisme houellebecquien. A l’entrée des
magasins, les vigiles nous saluent très poliment. Les endeuillés entre eux ont
toujours beaucoup d’usage. Le 7 janvier leur a « cassé les pattes »,
les Parisiens me semblent en état de choc. Une foule légère dans le Marais,
quelques touristes et les habitués de l’un ou l’autre bar gay, les rares
endroits où l’on peut voir une si grande concentration de barbus, mode oblige.
Je n’ai vu que des faces glabres dans la fourmilière des halles, et pas un seul
voile alors qu’il s’y mêle habituellement toutes les populations de la
capitale, tous les styles.
L’impression ne cessera de se renforcer durant tout le
samedi, et toujours cette politesse inaccoutumée, cette obligeance qui fait
fleurir des « Excusez-moi » et des « Pardon » à la bouche
de policiers qui nous coupent le chemin et nous effleurent au détour d’une rue !
Et partout d’immenses affiches, des toiles peintes sur les échafaudages de
façades en travaux « Je suis Charlie » ou des photos gigantesques du
défilé du 11 janvier.
Dimanche, messe à Notre Dame de la Nativité de Bercy, une
assemblée très pieuse, très calme aussi, une dizaine de scouts en culottes
courtes au premier rang, exhortation à la tolérance, au respect d’autrui, au
respect de ses convictions … Je n’épilogue pas. Sur la placette, devant l’église,
un petit marché. Les badauds font calmement leurs courses. Le prêtre salue ses
ouailles sur le parvis, il me sert chaleureusement la main, comme à tous, se
tient bien en vue au pied du court escalier. Sentiment de vacance, oui « vacance »,
il y a désormais un avant et donc un après fréquenté par quelle foule
parisienne ? Mystère. Celle d’hier a laissé la place, elle n’occupera plus
l’espace de sa rumeur, de ses convictions ou non-convictions militantes, de ses
signes de ralliement, d’une certaine liberté d’être.
J’entre au Centre Pompidou sans attendre, mon billet
coupe-file était inutile. Nous sommes pourtant dimanche 13h, derniers jours de
la rétrospective Jeff Koons. Je ne suis pas venu pour voir cette brocante-là, j’y
suis venu pour les collections permanentes, pour le lieu, la vue, Paris, tout
autour, de l’Hôtel de Ville au Sacré-Cœur, à travers les tubes de l’escalator
et des couloirs extérieurs. Les rues, depuis mon point d’observation, tout
paraît assoupi sous le froid et un
soleil argentin. Je ne rencontre que deux visiteurs typés méditerranéens, Sud
du bassin méditerranéen. Deux grands ados, très garçons fleur, amants ?
amis ? Ils photographient les œuvres de Koons en les commentant avec une
gouaille banlieusarde très typée aussi. Ils ont l’air libres … Effet du franc
fort, je me suis encore offert – par paresse – le luxe d’un déjeuner chez
Georges, le café-restaurant du cinquième étage, un décor design rigoureux,
élégant, musique lounge, serveuses et –eurs recrutés dans des agences de
mannequins, hamburger succulent, très bon vin, service efficace et une note
conséquente qui passe tout de même grâce au nouveau taux de change.
L’heure du retour approche. Les premières femmes couvertes
entrevues de tout le séjour attendent aussi un train. Et toujours ce sentiment
de patience, jusqu’à la résignation. Les voyageurs font la queue pour être
servis aux étals des boulangers ; personne ne fait mine de vouloir même
anticiper son tour, court-circuiter la file si bien ordonnée. L’une de nos
connaissances, un jeune comédien vivant à Paris, nous a racontés la paranoïa
des habitants. En dépit des mots d’ordre du gouvernement et du ton plutôt
détaché des médias, les gens ont peur, ils sortent moins, ou plus, chacun part
travailler et rentre bien vite dans son quartier. Durant le trajet, je n’arrive
pas à reprendre la lecture de « Soumission ». Je voudrais me plonger
dans l’intégrale de « Mafalda » mais le volumineux opus se trouve au
fond de la valise de Cy. Je me rabats sur le « Têtu » de février (pas
un mot à propos de Charlie ?!) et le Figaro du week-end.
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