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lundi, novembre 06, 2017

Retour de Budapest et à propos de la consultation de mon blog


J’eusse aimé … mais pas le temps, pas le temps entre la présidence du Conseil Communal et toujours quelques projets littéraires. Donc, sous l’impulsion de l’association des employés de l’établissement où « j’évangélise », j’ai visité la capitale hongroise. Je n’ai pas vu mes collègues, léger problème d’organisation, on ne change pas une équipe qui gagne surtout quand elle perd … Bref, j’ai découvert Budapest, versant touristique, difficile d’aller au-delà, quelques ouvertures toutefois, lorsqu’on dépasse la barrière de la langue. La ville a retrouvé l’éclat d’une capitale d’empire, le cosmopolitisme K und K de l’universalité en mode germanique, cette vision du monde capable d’intégrer au-delà de son groupe culturel. Quoiqu’en l’occurrence … Beaucoup de touristes, beaucoup de sécurité, pas de mendiants, pas un seul dealer, quelques SDF, âgés et locaux. Je peux imaginer toutes les détresses que cache cette situation quasi idyllique mais le flâneur y trouve son compte. J’ai déambulé dans cette ville qui m’est étrangère comme il y a trente ans dans Lausanne. Il est vrai que je n’ai pas visité la banlieue. Atterri samedi après-midi, envolé le mardi suivant en début de matinée. Dans l’intervalle, j’ai sillonné la Váci utca, hybride de la rue de Bourg, de Saint-Denis et du faubourg Saint-Honoré, à la fois chic, pute et touristique qui débouche sur la Vörösmarty tér, belle place bornée par une institution : le salon de thé Gerbaud, établissement de tradition fondé en 1858, fournisseur officiel de maisons royales. Le décor n’a pas changé, ni les gâteaux, ni l’atmosphère. Budapest a grandi sitôt devenue la capitale du royaume hongrois et, parallèlement, une villégiature pour la cour, la bonne société autrichienne. On continue, du reste, de vous servir en allemand au Café Gerbaud alors que l’anglais a tout supplanté ailleurs.

La bulle touristique budapestoise a donc imposé l’anglais comme une garantie d’émancipation de la Hongrie nouvelle, maîtresse de son destin, quasi triomphante sous la férule de son guide Viktor Orbán et, surtout, indépendante de Bruxelles ! De l’autre côté, le « viktator » fait la chasse aux institutions étrangères installées sur sol hongrois. Comment se glisser de l’autre côté du rideau ? Effleurer la réalité budapestoise outre les échanges standards avec serveurs, vendeurs, chauffeurs de taxi et hôtesse d’accueil ? Trois séquences. La première, messe dominicale à la basilique Saint-Etienne, fête de Notre Dame de Hongrie. De vieux habitués aux premiers rangs, la nef est pleine, une foule fervente, belle participation, communion dans la foi, l’histoire et l’identité nationale, toujours douloureuse après l’occupation ottomane et son martyr consécutif, la partition du territoire post-diktat de Versailles, l’entrée dans l’Axe en 1940 (totalement assumée et paradoxalement problématique) et pour finir l’abandon à la dictature stalinienne. La chute du mur et l’intégration européenne représentaient une libération, Bruxelles est conçue comme une tentative de domination supplémentaire. Et encore de l’anglais, une traduction de l’homélie, les Hongrois sont conscients de la difficulté et de la rareté de leur langue. Deuxième séquence, une conversation de bistrot avec un autochtone voulant s’informer de la provenance de mon sac et l’échange s’est poursuivi sur des considérations sociales. Mon interlocuteur est issu de la minorité roumaine, il fait une formation d’assistant dentaire. Il me dit que la vie est chère mais la ville est belle, sa fréquentation est douce. Pas un mot quant aux discriminations auxquelles cette frange de la population hongroise est en bute. Nous parlons encore des nombreuses églises de la ville, mon assistant dentaire est catholique, pratiquant, il me l’a dit, il porte une croix et une médaille autour du cou. Troisième séquence. En redescendant de la colline de Buda, envie de m’arrêter dîner dans un restaurant végétarien de quartier. Il faut que je retire de l’argent liquide, une banque m’ouvre son guichet électronique à côté, un espace criard et trop éclairé, la porte ne répond pas à ma postcard, une femme derrière moi me baragouine quelque chose en anglais, je pense à une gentille siphonnée, SDF selon la denture, l’absence de denture et les sacs plastiques superposés. Un client qui sort me tient cette fichue porte, la femme me suit. Elle cherche certainement un abri pour la nuit. Elle me demande quelle langue je parle, elle pratique le français, à un très bon niveau, une langue émaillée de quelques expressions maladroites. J’attends sa demande, une obole, j’ai un billet de 500 forints en poche, un peu moins de deux francs suisses, le distributeur de la banque ne m’a gratifié que de très grosses coupures. La conversation avance. Toujours pas de demande, cette femme me raconte qu’elle était enseignante, je veux bien la croire. A part les dents, les sacs et un trou dans la manche de son manteau, elle présente un aspect normal, presque coquet. Elle parle poésie, me demande mon adresse, pour m’écrire, toujours aucune demande d’argent. J’ai l’impression de tourner une scène du « Rideau déchiré » et la comtesse Kuchinska de demander une adresse, voudrait-elle d’un répondant afin de pouvoir quitter le pays ? Légère honte, je suis pris au dépourvu, je donne l’une de mes anciennes adresses lausannoises, j’accepte la sienne, une sous-location apparemment, dans un village de la banlieue éloignée. Je lui tends le billet de 500 forints avec une pièce de 200, elle me demande pourquoi ce geste ? Je lui rétorque que je suis moi-même enseignant, que je sais les retraites extrêmement maigres dans les pays de l’ex-bloc soviétique, c’est un geste de solidarité entre gens de la même profession, je lui désigne le trou sur sa manche et lui dis avoir deviné que sa situation ne doit pas être facile tous les jours. Nous échangeons quelques propos sur la politique hongroise, elle baisse la voix et me glisse « Orbán est un malade mental ». Les Hongrois ne parlent pas de politique, en tout cas pas avec des étrangers, très peu de slogans dans la rue. Du reste, il n’y a quasi pas de tags, pas d’affichage sauvage, uniquement la retape officielle pour des élections futures en format international sur les grands boulevards d’accès, sinon rien. La bulle.

Budapest m’a profondément touché, la ville est incontestablement belle, je l’ai un peu « cartographiée », je suis allé de-ci de-là, multipliant les moyens de transports et cette barrière de la langue, à l’oral mais aussi pour comprendre ce qu’indique les enseignes, les panneaux. Je sais que j’y reviendrai, non pas pour ses « ruin bars » ou pour aller trempatouiller dans de l’eau tiède avec des obèses russes et des chinois aux conceptions hygiéniques exotiques, je me baigne soit lorsque j’ai chaud ou que je suis sale. Si j’ai froid, je me mets sous la couette avec quelques chiens en guise de bouillotte et l’affaire et faite. Non, je reviendrai à Budapest car, sur le pont Margit, sous les derniers rayons du soleil, la ville parlait, elle raconte ses collines, ses quartiers, son histoire, sa grandeur même si elle y croit bien moins que tous les dirigeants politiques qui se sont succédés dans ses palais. Elle est une étape, un relais, près à être réactivé un jour prochain et je compte en être témoin.


Second point que j’avais envie d’aborder dans ce billet – j’eusse pu en écrire un second mais par économie de temps, je vous fais un combo – second point donc, la fréquentation de mon blog. Si vous-même êtes contributeur d’une publication en ligne, vous savez que dans la coulisse, vous pouvez obtenir toute sorte de renseignements statistiques, entre autres l’origine nationale de vos lecteurs. Bizarrement, la consultation du « Monde de Frevall » a explosé outre-Atlantique dès l’élection de Donald Trump à la présidence ?! Ce n’est peut-être qu’un hasard mais j’imagine les p’tits gars de la NSA, l’un des préposés au groupe de surveillance en français tombant sur ma prose et s’en entichant, une petite fiche de signalement afin de satisfaire sa curiosité de lecteur tout à son aise. Peut-être qu’il s’agissait d’une mission de renseignement en vue du voyage de POTUS en Europe ? Dès l’arrivée de l’intéressé sur le vieux continent, le nombre des consultations chute drastiquement et mon blog retourne dans sa confidentialité originelle. Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Figurez-vous que, depuis août, la fréquentation remonte grâce à mes visiteurs … russes ! On peut donc légitimement imaginer que les aléas de la politique morgienne soient connus du FBI, de la CIA et du FSB (nouvel avatar du KGB). 

vendredi, août 05, 2016

Quelque chose à dire, second extrait de "Credo"

 
Le passé est un thé noir, profond, genre Assam, qu’il faut travailler longtemps avant qu’il ne puisse déployer son arôme complet. Je ne sais pourquoi je me suis souvenu de Maigret au retour du sauna, ni même de mon désir de banalité d’alors ? Le souvenir était cueilli, fermenté, séché, conditionné et ma mémoire l’a infusé, et quand le thé est infusé, il faut le boire ! Toujours mieux que de « boire le bouillon ». Trêve de métaphore, jeux de mots, calembours, ‘ y a un truc qui, néanmoins, reste coincé. Herr Dr. au cigare l’attend ; quant à vous, je n’en sais trop rien, peut-être par curiosité mal-placée ? L’autofiction est un genre qui repose sur le lavage de linge sale en public, sur la révélation crac-boum et quelques effets lacrymaux. Pour preuve, cette quiche d’Edouard Belle-Gueule qui nous a raconté du haut de ses vingt ans sa jeunesse de prolo gay victime de son milieu mais qui baisait à qui mieux-mieux avec son cousin à grosse teub. Dans un second opus, il nous racontait comment il avait été violé une nuit de Noël, par un jeune Arabe beau comme un astre ! Dans le troisième, il va nous annoncer sa séropositivité ? son mariage avec une femme enceinte de lui dans le quatrième ? le divorce fracassant dans le cinquième ? la garde des enfants dans le sixième ? sa tentative de suicide dans le septième ? ses regrets dans le huitième, assorti de la VRAIE vérité ? On a de quoi tenir. Remarquez, avec moi aussi, d’ici que j’aie fait halte dans toutes les bonnes villes d’Allemagne et du reste du Saint-Empire ! Et les croisières, la Thaïlande qui forcément arrivera, la Bretagne, Saint-Pétersbourg en solo, plus toutes les expositions de peinture. Ha ! J’ai plus de coffre que l’autre petit affabulateur.
 
Depuis la Café Kandler bruissant du claquement de dentiers de retraitées en rosâtre ou orangeasse, j’ai la vue sur la Marktplatz, le grand et très cher magasin Breuninger. Je bois une petite théière de « Theodore Fontane », un mélange de ce qu’il y a de mieux en Assam, Ceylan et Darjeeling. Voilà mon idéal : les livres de Fontane, un emballage pseudo-romanesque, quasi pas d’intrigues, des personnages bien campés mais, surtout, le témoignage de son temps. Je n’ai rien à raconter de spécial, je suis incapable de nouer la moindre intrigue, je n’y crois pas. Je vois les éléments s’aligner, se juxtaposer mais ça ne vous tricote pas le moindre bout d’histoire. J’empile, comme la vaisselle, des images, des instants, des situations, des atmosphères ; je réalise parfois des assemblages mais rien de percutant, pas le moindre secret, ni amant, meurtre, vice inavouable, rien ! Je vais vous laisser un instant, le temps de me rendre au « Museum der bildende Kunst », poursuivre l’empilage et le rien … Je laisse la place alors qu’un stabilo géant, 28-30 ans (pantalon pomme, sweat à  capuche vert fluo, chaussettes moutarde à pois, baskets bleues à lacets turquoise) vient de s’attabler face à moi. Il est d’un physique avenant, blond, yeux bleus, une alliance acier et noir, gay plus qu’assurément. Il a certainement, lui, des choses difficiles à raconter … avec une telle attifée. Il parle discrètement à une blonde, cinq kilos de trop, même âge, de la confidence, un truc qui doit lui plomber le moral et, thérapeutiquement, il s’entoure de couleurs criardes.
 
La folie de Lovis Corinth ! Voilà un type qui en avait à raconter, avec ses six ou huit mioches, son goût des grands formats, l’énergie de son trait et un penchant pour la boisson, présumé-je. Je le retrouve dans une salle du Museum précité, une petite salle où se réunissent quatre toile du maître, scène de descente de croix, portrait de Jean le Baptiste, Salomé avec la tête du précédent et portrait de Mme Douglas, bien comme il faut, correcte, assise sur une chaise, chapeau, robe de mousseline, collier de perles de dame vraiment très comme il faut mais le regard ! Des yeux cernés profond de bleu, comme une tête de lendemain d’hier. Le regard pèse une tonne et elle est sur le point de nier. C’est bien elle qui a servi de modèle pour Salomé, les seins offerts, le regard embué car elle avait bu ou pris de l’opium. Elle portait des fleurs dans les cheveux, comme une prostituée, l’ivresse afin de supporter le client ; et que je vous trifouille la tête, la paupière du défunt encore chaud, en deux parties, le corps aux pieds tordus qu’on débarrasse et le chef dans un large plat, offert à l’autre garce ; une dame de sa suite fait de l’œil au bourreau, bon boulot, qui lui rend l’œillade sans s’arrêter sur les nichons exhibés et ballotant de la trop stone. Le bourreau, comme tous les mecs qui aiment le cul, veut une femme vivante, pas un orifice passif … Elle doit avoir à en raconter, Mme Douglas. Couche-t-elle avec Lovis ? Voudrait-elle coucher avec lui ? Corinth le géant que je conçois croyant et fidèle à son épouse a-t-il joué de l’autre pinceau dans le feu de l’action ?

samedi, juillet 23, 2016

"Interlude", extrait de "Credo"

Interlude. J’en ai le droit. Je suis l’auteur et blablabla … Je l’ai déjà écrit dans « Escales », je m’en souviens, suis pas encore gâteux. Villa Noailles, et tout serait dit, l’été, la vue sur Hyères, le souvenir de Marie-Laure, décédée en 1970, l’année de ma naissance. Accessoirement, j’ai 46 ans aujoud’hui. Le lieu est simplement beau, le luxe de l’évidence mais un malaise diffus, la France tout alentour peut-être ? la vanité des visiteurs ? Je leur ai damé le pion, j’ai moi-même fait selfies et autoportraits placés illico sur les réseaux sociaux parce que je me suis offert un forfait roaming 4G pour les vacances. Ni Cy., ni ses parents ne m’ont accompagné, On n’allait pas laisser le chien seul. Tant mieux. J’aime la visite solitaire des lieux de culture. Qu’ont fait les Noailles durant la guerre ? me demandé-je. La seconde, il s’entend ; le second volet de la Guerre mondiale et ça n’est pas, à mon avis, encore terminé. Ce n’est pas là l’origine de mon trouble. J’ai tant aimé la France, sa culture, Mitterrand, etc. L’impression d’avoir été trahi … on s’est bien foutu de nous ! Je n’en suis pas encore à l’abhorration, un dégoût toutefois, vous reprendrez bien un peu de dessert ? Burp. Il y a quelque chose de pourri au royaume de France, peut-être son anti-germanisme primaire et passé, son universalisme passé … son passé ?!

En matière de politique et /ou de société, on considère mes propos comme émanant de la bouche du dernier des débiles, on fait mine de ne pas m’entendre dans le fil de la conversation, je ne suis pas assez ceci ou cela, consensuel-mou du genou, couille-molle hypocrite, faux-cul flagorneur, courtisan en somme. J’ai eu adhéré au grand bazar paneuropéen, ça m’a vite passé, comme la mitterrandie. Depuis, j’ai un petit peu creusé la chose et de manière critique, l’histoire en indépendant, inculte à ses débuts. Bref, l’Europe Unie : non ! Le Saint-Empire dans sa dernière forme, l’Empire austro-hongrois : oui et virez-moi la perfide Albion qui s’est exclue d’elle-même du bazar, et la France peut sortir ; elle n’a aucun intérêt dans le Saint-Empire, elle peut y avoir une place d’allié privilégié mais son centralisme cocoricotant, son économie d’État ne sont pas adaptés à une collaboration sincère avec la nouvelle couronne des Césars, ou son avatar paneuropéen. Comment ce pays, à l’origine du démantèlement scandaleux de l’Autriche-Hongrie, pourrait se soumettre à l’évidence d’un nouvel empire. Elle porte la responsabilité du diktat de Versailles. Sans parler de sa coupable laïcité qui laisse la porte ouverte à une sorte de probabilisme religieux duquel n’émerge que la voix de celui qui gueule le plus fort. Sans le démantèlement de l’Autriche-Hongrie, il n’y eût pas eu de Seconde Guerre mondiale, ni de guerre des Balkans. Je ne lis pas notre réalité politique et sociale sur les trente, quarante dernières années, je la déchiffre dans le dégagement d’un profond champ narratif.

          
On s’est fourvoyé ! Quand je dis « on », je pense « eux », les baby-boomers, ceux qui nous ont tout bien bouffé nos perspectives d’avenir. Tant pis, j’assume pour eux, leur inculture, leur avidité, leur paresse et j’en passe. Surtout leur courte-visée et leur nature jouisseuse, l’orgueil des nantis, leur impiété aussi. Ah ! La villa Noailles, ses jardins, j’observe Hyères en contrebas ; on passe me prendre. Le grand soleil du Sud exalte le parfum des fleurs et enlumine l’horizon. Il faut se concentrer pour percevoir ces odieux clapiers à lapins concentrationnaires, du logement de pauvres, surtout du logement de méprisés, alors que la ville est si belle. Comment ne pas échapper à l’humiliation par la voie de la violence ? J’ai grandi dans une telle horreur, ma mère y vit encore. Avec la gentrification des quartiers prolos morgiens, ça a presque l’air élégant. On aurait pu faire mieux, tellement mieux pour guère plus cher. Tasser de la populace dans un clapier de pauvres me semble la marque ultime du dédain, surtout lorsque le politique vous antiphone les psaumes de la sainte laïcité républicaine. « Tous égaux mais vous êtes de la merde » semblent proclamer crânement les barres d’immeubles à la lisière de la ville historique de Hyères. Si l’on avait été injuste au nom de principes non-démocratiques, ça passerait mieux , style : voyez les Noailles, leur belle villa avant-gardiste, etc., c’est normal, ils étaient nobles, riches et catholiques, les trois à la fois … et pas vous !  

dimanche, février 28, 2016

Retour de Toulouse

"David" par Antonin Macié
Pas facile de trouver quelques jours de libres en pleine campagne communale vaudoise, d’autant plus que je ne suis pas le seul à me présenter devant les électeurs, Cy. a été appelé par un parti de droite. Nous occupons donc le pavé le samedi matin, jour de marché, dans des stands différents. Et pour les relâches, nous sommes partis quatre jours à Toulouse avec ses parents. La ville rose … ocre délavé sous la pluie, la météo n’étant pas radieuse.

Difficile de vraiment « communier » avec les lieux lorsque l’on est en  groupe. A plus de deux, le nombre importe sa propre logique, ses conversations, ses équilibres. Toutefois … parfois … une fenêtre, un moment vide à la table d’un restaurant, une brasserie, quelques mots de la conversation voisine. Toulouse fait indéniablement  partie du réseau des bonnes villes de France, de ces capitales régionales, à la personnalité propre et en constant dialogue avec LA CAPITALE, tantôt jalouse, tantôt prétentieuse, un petit jeu touchant qui laisse Paris de marbre et force ces bonnes villes à s’interroger sans cesse sur leur place dans le monde et dans le cœur de leurs habitants.

Arrivée par un après-midi pluvieux, taxi, gymkhana sur l’autoroute de contournement, appart’hôtel à deux pas de la Halle aux Grains, encombrée de camions de France télévision, « Victoires de la musique classique » oblige. La ville s’offre assez facilement aux visiteurs occasionnels, il suffit de se diriger vers le centre pour tomber sur une référence locale, « Père Léon », un lieu aimé des Toulousains, une majorité de locaux dans la salle, une vaste terrasse chauffée sur laquelle s’arrêtent des fumeurs mi-pressés, le temps d’un express, le temps d’une cigarette assis et à l’abri.

Scène de rue, des punks à chiens qui mendient mine de rien, avec leur bête au poil soigné, des animaux doux et timides, surtout doux, comme leurs maîtres, d’un naturel sympathique, un peu honteux des aboiements de leurs compagnons. La police veille au grain et défile lentement en voiture dans les rues piétonnes. Il pleut toujours. Les agents observent tout de leur véhicule, se contentent de quelques signes à un Rom, plus loin, assis sur un carton, devant une grande enseigne, la sébile tendue sans conviction. Et le Rom de regimber silencieusement par quelques grimaces à l’adresse de la maréchaussée qui insiste d’un froncement de sourcil. Et le Rom de partir en soupirant, son carton pose-fesses sous le bras. Mes punks à chiens avaient déjà filé. Et cet autre Rom, pieds nus, couché, recroquevillé, la tête couverte et mimant maladroitement des tremblements de froids. La pluie avait cessé et la température devait avoisiner les … 12°. Le lendemain, temps dégagé, soleil intermittent, 15°, et mon Rom toujours pieds nus, ou plutôt en lambeaux de chaussettes, toujours dans son rôle d’homme réfrigéré, mimant tant bien que mal le grand froid. Détail piquant, il avait le peton  soigné, propre, propre ! alors qu’il est sensé aller … pieds nus et, de plus, la plante lisse, sans cale, un pied qui saurait certainement attendrir les fétichistes de ce genre d’extrémité.


La foule toulousaine est … urbaine, réceptive à son milieu, bourrue lorsqu’elle est pressée, le plus souvent pleine d’attention. Et lorsque le Toulousain est en service, il est d’une parfaite amabilité (restaurants, musées, magasins) ; il aime son métier et ne fait pas/ne semble pas faire de différence entre le local et le touriste. Pas un tag sur les murs, une ville calme et heureuse … Quoiqu’un nombre non-négligeables d’arcades commerciales étaient fermées, faillies, barrées de vieilles planches, sur la place du Capitole même. Peu de femmes voilées mais, au détour de rues moins fréquentées, de ces jeunes hommes en survêtements de marque, ce genre que l’on prête à … la banlieue. Ils ont l’air d’attendre ou de comploter. Ils n’aiment pas le touriste, ni le passant du reste, pas de geste inconsidéré, pas un mot, juste un regard et cette mine fermée propre à ceux qui se méfient de l’irruption soudaine des forces de l’ordre. Je ne connais rien de la politique locale, de l’étiquette des gouvernants. Il s’agit peut-être d’un calme trompeur … Il faut encore évoquer le grand nombre d’églises historiques, les ravages de la Révolution et de l’affairisme sur celles-ci, deux musées assez bons, l’un public et l’autre privé, quelques belles toiles dans les deux, une salle entière consacrée à Bonnard dans la fondation privée, un David vainqueur de Goliath, héros des plus jeunes et troublant au détour d’un escalier dans le musée public ; l’œuvre est d’un artiste du cru, Antonin Mercié. Voici tout le charme de la province officielle, capable de produire et admirer benoîtement ce qui, objectivement, ressort de l’érotisme le moins avouable.

jeudi, décembre 31, 2015

Bonne année quand même ...

… allez, bonne année 2016, elle ne sera pas pire que 2015. Il ne s’agit pas de se faire à l’idée, ni de cette cornichonnerie de « résilience » pour psypsy gentil de magazines à grand tirage. Il est question d’humilité, loin des rodomontades politiciennes et artisteuses. Je sais de quoi je parle, je participe tant à la vie politique locale qu’à la vie artistique romande. Néanmoins, j’essaie d’être en phase, concret, sincère dans mes activités et ne surtout pas sombrer dans un dogme ou l’autre, me justifier, avoir raison .... J’ai tant d’exemples de petits juges ès morale sur les réseaux. J’ai bataillé avec des gauchos-bobos des beaux quartiers qui s’émeuvent et se trompent de discours, des laïcards obtus, beaucoup de laïcards obtus, de cette vilaine race intellectuelle qui ne sait pas croire et tente d’imposer par sa raison dévoyée sa sécheresse de cœur. La bienpensance et la coolitude sont les pires maux de l’époque, ils renvoient directement au péché d’orgueil.

Je reviens d’un bref séjour à Constance, histoire de faire des courses et fréquenter cette bonne ville, marcher dans ses rues, prendre une tasse de thé au Rosengarten, dîner dans l’un des restaurants du centre, etc. Il y a tant dans cet etc., tant mieux, car pour le reste, il a fallu composer avec une foule de « casques à boulons », leurs mauvaises manières, leurs mioches mal-élevés, et ce qu’ils peuvent parler fort, dans la rue, les cafés, les magasins ! Je trouve bien du mérite à mes Constançois. Mon etc. s’est surtout illustré par la fréquentation des nombreuses et très belles églises de la ville. J’ai même eu la chance d’assister à une messe, la chapelle aménagée dans la sacristie de Sankt Stefan. J’avais déjà eu ce privilège il y a quelques années de cela. J’espérais pouvoir réitérer cette expérience, ce moment d’intimité, l’atmosphère précieuse de ce lieu, l’autel, son retable sculpté, représentation mariale, les grandes armoires montées sur des corps de buffet, quatre, qui rythment la salle et ne laissent rien échapper des trésors que gardent des serrures baroques.

J’ai retrouvé avec joie ce lieu public réservé et chaleureux. Nous fêtions les Saints Innocents, ces enfants victimes d’Hérode. Il n’y a pas eu d’homélie, ce n’est pas de mises pour les vêpres ; le prêtre s’est toutefois permis une réflexion libre en introduction, évocation des enfants migrants morts en mer. Je ne nie pas être venu à Constance pour y « faire de bonnes affaires » mais la horde d’acheteurs de mes compatriotes, ceux-là même qui parlent si fort et étalent leur sabir avec suffisance sont-ils jamais entrés dans une église de Constance ? La ville passe pour une gentille bourgade commerçante, point. Toute l’Allemagne n’est-elle pas devenue le terrain de jeu favori des Suisses ? Berlin et ses folles nuits en point d’orgue …

« Aimez-vous les uns les autres, mes petits enfants » répétait sans relâche saint Jean dans la béatitude du grand âge. Voilà un commandement qu’applique le moins chrétien des Berlinois, l’un de ces bons gars qui composent la foule anonyme de la capitale allemande. Un type qui travaille pour vivre, qui aime les week-ends prolongés à la belle saison pour lézarder dans un « Biergarten » avec les copains. C’est peut-être aussi une de ces filles de Berlin ex-est, avec leurs colorations capillaires charbonneuses et leurs fringues gothico-folkloriques avec une tentative sexy. Ces filles-là vont au pub, avec les copines, font la fête les unes chez les autres, dans des sous-locations squatteuses puis finissent au bort du terrain de foot quand leurs « mecs » jouent le dimanche après-midi. Ceux-là savent faire la part des choses avec les « Prominenten » ; ils les admirent un peu, ont bien de la curiosité mais rien de plus. Ils regardent ces élites comme des poissons rares à l’aquarium et puis s’en retournent à leurs petites affaires. Ça les fait marrer quand ils lisent un article sur « les folles nuits berlinoises », des hangars pouilleux dans les tréfonds de Neukölln, pensent-ils, de la boîte à touristes ou des ces lieux pour les « möchte gern », pire que le touriste, du touriste qui a pris racine !

2016 sera, comme l’a été 1524 ou 1893. Et les faiseurs continueront à faire du bruit, à occuper le terrain, et les modes passeront. Peut-être que les « leaders d’opinion » jetteront leur dévolu sur d’autres destinations, d’autres activités sportives, que la jupe rallongera, et les couleurs de la prochaine saison ? Qu’importe, on continuera de célébrer la messe en semaine, la chapelle aménagée dans la sacristie, Sankt Stefan, pour moins d’une dizaine de fidèles. Et Berlin ne sera peut-être plus « capitale des nuits européennes », ça ne fera pas le beurre des dealers de coke mais la ville s’en fiche pas mal, car elle est bien autre chose. « Ouvrez les yeux, mes petits enfants … », dirait aujourd’hui saint Jean « … et vous vous aimerez les uns les autres ».


dimanche, août 23, 2015

Rondo veneziano, suite de l'extrait du cahier vert

[…] J’ai pris quelques photos, parmi les crânes luisants d’Italiens chauves à torse nu et attitude néanmoins crâne, me frayant un passage entre des « jocondes » occasionnelles, pose à peine travaillée devant l’objectif marital. Il m’a fallu recadrer ces clichés, les « déflouter » afin d’en faire des souvenirs de vacances suffisamment alléchants pour qu’ils éveillent l’intérêt des mes amis numériques. Il y aura polémique du reste. J’y reviendrai. Je comptais écrire quelques forts chapitres durant la croisière même mais n’en ai pas eu le loisir … le temps… Il faut occuper le blaireau la journée entière, ne pas lui laisser l’occasion de se confronter à lui-même, à sa vacuité. D’une manière inversée, je compte « rentabiliser » ma présence sur ce navire, ma participation à une activité de masse moyennement peu glorieuse. Ecrire est une excuse et un motif à toutes les circonstances de la vie. Cela permet de se dédouaner à ses propres yeux, de prendre un petit air fin et de se justifier en cas de contradiction. 

Je ne suis plus encombré de ma tasse : je l’ai confiée, vide, à la mère de Cy. Je suis plus à l’aise pour prendre des photos et je tenais à voir défiler les grands monuments vénitiens alors que je buvais du thé, plutôt mauvais au demeurant, histoire de « faire du souvenir » original, décalé, très moi-même, soigner mon personnage. Au sortir de la lagune, j’ai abandonné la place, me mettre à l’ombre, reprendre ma tasse vide, observer de coin tous ces autres, dans leur vanité haïssable, désirable, indifférente, séparément, tour à tour, tout à la fois. Rétrospectivement, je ne saurais rien évoquer de plus au sujet de ces premières heures à bord. Il y a encore l’incident du fer à repasser, un petit accessoire de voyage que la sécurité a retenu, certainement du fait de la concurrence qu’il représentait par rapport au service de pressing/blanchisserie payant proposé à bord. Il m’a fallu descendre, monter, tourniquer en compagnie d’un employé de la réception, plutôt embarrassé, surtout lorsque je lui ai demandé une justification claire et précise à propos du danger que représentait mon fer à repasser ?! Au sortir d’un sous-sol – où ma valise ne se trouvait pas – un agent de sécurité a demandé à l’employé de la réception sur un ton peu amène pourquoi je ne repartais pas avec l’un ou l’autre des bagages ? ce à quoi je lui ai répondu sur un ton encore moins amène et en anglais que ma valise ne se trouvait pas là ! Des difficultés à concevoir une évidence sortant d’une logique standardisée. J’ai alors relevé pour moi-même qu’à clientèle généralement débile, règles et personnel encore plus débiles.

mardi, août 18, 2015

"Rondo Veneziano", extrait du "Cahier vert", retour de croisière

Autour de la piscine, au restaurant, sur les coursives, dans les bars, au théâtre du navire, partout, l’affront de la jeunesse, 15-25 ans à peu près, un peu plus. Des garçons poseurs, préoccupés de leur propre pose, et paradoxalement resplendissant ; des garçons bruns, châtains, bien faits, bronzés, élégants, séduisants. On ne brille pas de cette manière avec son cerveau, ou sa culture. Ces garçons vont si bien avec la mer, l’horizon, le ciel et la décoration un peu vulgaire du « Musica », décoration parfaitement identique à celle des autres navires d’une catégorie identique de la flotte MSC.

Bon nombre de ces merveilleux garçons occupaient le pont supérieur bâbord, lors de la sortie du port de Venise. Ils étaient perdus parmi la masse des croisièristes photographiant à qui mieux mieux la Sérénissime en contrebas. Je me tenais parmi cette foule, au second rang, encombré d’une tasse de thé. Le bateau s’est dirigé sur la Giudecca , l’a dépassée, puis a contourné Saint-Marc avant de filer vers le large et quelques îles que je n’ai pas su reconnaître. J’ai été frappé par l’inclinaison marquée, voire dangereuse de plus d’un clocher.


La ville était belle, attirante, intrigante, souvenir de « La Mort à Venise », évidemment, forcément et souvenir d’une conversation facebookienne récente au cours de laquelle je disais mon peu d’admiration pour la cité des doges, noyées sous le tourisme de masse et l’aqua-alta, comme une célèbre courtisane dans le coma après un AVC et néanmoins entreprise par des cohortes de touristes asiatiques au milieu de son incontinence. Je ne retire rien à mon jugement ; je relève in petto que, si j’en avais le temps, j’ « entreprendrai », moi aussi, volontiers la comateuse. Les passagers – mes compagnons – de ce HLM flottant agitaient joyeusement la main en signe d’au revoir à l’attention des fourmis humaines cheminant tout en bas ou empilées dans les vaporetti. Seuls leurs répondaient d’autres touristes alors que les Vénitiens tentaient de faire mine de ne pas voir cette espèce d’orque obèse de trois-cents mètres sur trente (maître-bau), sur soixante, à vue de nez, animal contre-nature au sommet duquel je me tenais avec quelques centaines d’autres, Cy. et ses parents ; ces derniers un peu plus en retrait du bastingage, à l’ombre.  

jeudi, juillet 30, 2015

Retour de Berlin

Pas même une semaine … je suis rentré il y a six jours, une nouvelle théière, quelques boîtes de thé, un trench-coat, un blazer, un presse-papier dans mes bagages en sus du linge sale, de quelques mots peu amènes contre une autre ville, magnifique pourtant. Je suis rentré de Berlin où j’ai … berlinisé, à savoir j’ai marché, bu du vin blanc sec, visité une exposition de peinture, suis allé à la messe, au cinéma, au fitness, ai très copieusement déjeuné ou dîné avec Mmes von Jena mère et fille, avec Christine et ses parents, son frère. Et je me suis tant de fois retrouvé à table seul avec Berlin, derrière un schnitzel, une soupe de lentilles ou une salade de pommes-de-terre accompagnée de deux viennes. Et les petites pauses café, quelques aperol-spritz, une tranche de strudel. Marcher dans et avec Berlin. 

Il y a peu, à la radio, on m’a fait remarquer que Berlin, c’était la nuit qui n’a pas de fin, la scène électro, la fête … Pour les touristes peut-être, les noceurs de haut-niveau qui courent les capitales de boîtes en festivals comme on courait les opéras dans le passé. Je n’ai jamais eu ce snobisme et ne suis jamais allé « en boîte » que pour « emballer ». Etant marié, je suis exonéré de la nécessité de la fréquentation de tels lieux. Et, même, si j’étais célibataire, je profiterais du sens pratique de Berlin qui connaît bien une quinzaine d’établissements de … cruising. Je ne vais pas vous faire un dessin, vous n’avez qu’à vous documenter sur le sujet. Berlin, avec son pragmatisme bon enfant, est une ville d’un autre siècle. La première puissance européenne a pour capitale une ville de la Belle Epoque. On a beau y multiplier les gratte-ciels, les parallélépipèdes rectangles de verre et d’acier, l’ombre des Guillaume plane encore sur la ville.

J’ai fait des infidélités à la Winterfeldstrasse. Après ma pause pragoise, j’ai loué dans l’Akazienstrasse un adorable rez-de-chaussée agrémenté d’un jardin de curé, moussu, traversé à la nuit tombée du vol furtif des chauves-souris. J’ai respiré l’air précieux de Berlin du fond d’un lit Louis-Philippe, j’ai aspiré ce fluide merveilleux aux vertus quasi-magiques, et sur ma couette, « L’Homme sans qualité », le récit sans pathos de la débâcle à venir, à demi-mot les vertus d’une époque. Musil adorerait la Berlin d’aujourd’hui, ma Berlin, ma petite ourse affectueuse et maladroite. Musil passerait certainement beaucoup de temps à observer les gens dans les cafés, les touristes aux abords des grandes attractions. Il saurait analyser avec le sérieux et l’ironie nécessaire la politique européenne actuelle.


A Berlin, j’ai berlinisé ; j’ai laissé filer le temps entre deux rencontres, entre un aller et un retour, entre les courses et de pseudo-obligations. J’ai pris la pose, un peu, je vais plutôt bien dans le décor. Depuis le temps, je fais partie du paysage. Et je me suis fais à l’idée que je ne reviendrai pas avant, oh ! pas avant novembre.

vendredi, juillet 24, 2015

Retour de Prague (Pattaya-sur-Knödel)

Après la foule des boulevards centraux, j’ai retrouvé le calme ; il faut dire que la « National Galery in Prague » ( je suis incapable de vous l’écrire en tchèque et ma tablette de la retranscrire avec les caractères adéquats) est fort peu fréquentée : peu de touristes et encore moins de locaux. Peut-être est-ce dû à la communication extraordinairement déficiente entourant ce lieu, quasi hors les murs, les anciennes galeries du commerce, une œuvre en vieux moderne, au-delà du centre historique. J’ai commencé ma visite par le 5ème étage où sont présentés les plans et les maquettes des projets que l’architecte tchèque Lubor Marek réalisa. Un bel esprit dans la conception, une esthétique novatrice, un petit air de Favarger (architecte lausannois contemporain de Marek et cousin par les projets). La Tchécoslovaquie – c’était encore la Tchécoslovaquie – était un Etat communiste « dur » ce qui, apparemment, n’interdit pas la créativité, voire une certaine coquetterie, rapport aux « jolis » détails des plan exposés. Cela n’empêchait pas des mandats internationaux ni le recyclage d’une vision très « Bidermeier » du confort. La société soviétisante de l’après-guerre s’inscrivait dans la suite de la Sécession … Sécession viennoise, il va sans dire.
 
Je déambule le long des coursives de ce paquebot de béton ; une guide tchèque fait la visite à un groupe de locaux, je me demande où résident ces Pragois « lambda », 5-6 personnes toutes de plus de 40 ans. Je présume qu’elles sont pragoises du fait de la familiarité qu’elles semblent entretenir avec les lieux. Je les compare à ce que j’ai rencontré dans le centre depuis mon arrivée, il y a deux jours de cela. Comment Prague a-t-elle pu faire si bon marché de la dignité impériale ? La couronne des Habsbourgs fit de l’obscure capitalette de Bohême un joyau de l’Europe de l’Est et vu ce que ce peuple est en train d’en faire, je serais presque tenté de regretter les chars soviétiques de 68. Les nombreux palais qui se suivent le long des grandes avenues, s’ils ne sont pas ruinés et portes murées, vitres brisées, toits crevés, voient leur rez-de-chaussée  occupé par les commerces les plus vils : bazars attrape-touristes où l’on vous vend de la bimbeloterie en cristal certifiée tchèque, des babioles d’une laideur telle que la Chine n’est pas capable de la reproduire. Il y a aussi ces très nombreuses échoppes de « massages » thaïs où le toutou de base pourra, en vitrine, s’offrir une séance de fish-spa. Je soupçonne d’autres activités dans les arrières salles ! Il y a aussi ces nombreuses boîtes et discos improbables pour lesquelles des rabatteurs déguisés font de la retape au milieu du trottoir dès 16h. Et parmi ces cabarets, il va de soi, bon nombre sont des bordels ! Prague devrait être rebaptisée Pattaya-sur-Knödel. On n’aime pas le touriste, on veut juste le baiser.
 
De quoi vit exactement la Tchéquie, oups, pardon, la République tchèque. Et de quoi vit la région de Prague ? Je suis arrivé en train et, dès la frontière, le long de la voie, je n’ai vu qu’usines désaffectées, en ruine, domaines agricoles négligés, villes et villages peu avenant. , à la limite de l’abandon. Je comprends, à présent, le désir de la Slovaquie de quitter la Tchécoslovaquie. Je sais que, malheureusement, l’économie slovaque est à la traîne du fait de son orientation agricole. Et pourquoi donc cette « République tchèque » européenne n’a pas encore adopté l’euro ? Serait-elle si attachée à ses couronnes, plus petit commun dénominateur qui, pourtant, ne fait pas d’elle une nation, à peine un peuple. Je m’explique. Tout pays porte une sorte de nom officiel représentatif de sa nature politique : Royaume du Danemark, République française, Canton de Vaud, etc. La République tchèque refuse de porter, logiquement, le nom de Tchéquie. Il faut  à  chaque fois se fendre du « préfixe » République comme si la Confédération helvétique refusait de se faire appeler Suisse. Cela prouve bien que les Tchèques, en dépit de leur unité de langue (quoique, de nombreuses minorités existent), ne sont pas encore prêts à être une Nation. Ils sont une ethnie au sens qu’on lui donnait du temps de l’Empire autrichien. Devenus indépendants, suite à la honte de Versailles (synonyme du Traité du même nom), agglomérés aux Slovaques, les élites tchèques ont poursuivi dans la logique « K und K » qui leur avait plutôt réussi. L’Autriche diminuée, affaiblie ne put protéger la Tchécoslovaquie des appétits nazis. Après la guerre, le glacis soviétique maintint l’ordre à coups de triques et laissa le pays poursuivre, d’une certaine manière, dans sa lancée sécessionniste, je veux dire en rapport avec le mouvement de la Sécession viennoise. Devenus indépendants en 1993, les Tchèques n’en sont pas devenus matures pour autant, voir le gâchis de Prague … de Pattaya-sur-Knödel.
 
La ville est l’un de ces paradis traversés de vieux touristes américains célibataires et ivres dès 18h. La moitié d’entre eux sort accompagnée – n’ayons pas peur des mots – d’un jeune tapin. On trouve beaucoup d’autres messieurs difformes et directifs, d’un âge plus qu’avancé et d’une indignité proportionnelle ; ils sont russes, hongrois ou locaux. Il y a aussi la question de la drogue et de son trafic, aussi fréquent qu’à Lausanne, c’est dire l’ampleur du problème. Les vendeurs sont des migrants africains  avec ou sans papier. Ils attendent le client à l’orée des passages souterrains et dans les ruelles peu fréquentées. On retrouve aussi ces mêmes migrants déguisés en Chinois (retape sur la voie publique pour les « spas » asiatiques), déguisés en marin (retape pour des croisières sur la Moldau) ou dans des costumes voyants et ridicules (retape pour les « boîtes de nuit »). Cette misère et cette indécence ne semblent pas toucher Josefov, le quartier juif, au Nord-Ouest de la vielle ville. Les troupeaux de touristes semblent réfrénés par la noblesse des façades fleuries de bâtiments Art Nouveau parfaitement entretenus. Enseignes de luxe et commerces atypiques occupent les rez-de-chaussée. J’y ai trouvé un antiquaire-horloger, sur la Maiselova, accueil un peu froid mais en français, montres suisses anciennes  en état à un prix imbattable. Ces belles rues sont épargnées, de même, par un autre mal social typiquement pragois : le punk fasciste. Souvent pris de boisson, la crête courte, il arbore cet air décidé des abrutis déclassés. Etonnamment, il ne s’en prend ni au juif, ni au gay ; il se contente d’agresser le touriste de couleur. Quant à la misère classique, celle des sdf, elle se fait discrète. Elle se rencontre çà et là assise calmement sur un banc. Elle boit du vin à même le carton d’une brique, elle donne de l’eau à son chien, elle retire pour un instant ses chaussures douloureuses. Lorsqu’elle est toxicomane, elle passe d’une démarche boiteuse et toutefois alerte vers son dealer, son prochain fix. Le clou de ce périple pragois a sans doute consisté en la visite du « château », vaste complexe royal, doublé de la cathédrale Saint-Vitus, un sommet dans la débilité concentrationnaire touristique. Vous êtes approximativement accueilli par des militaires néo-soviétiques qui marchent aux pas de l’oie et des matrones qui ne parlent qu’anglais ou russe en sus du tchèque. La cathédrale, lessivée par le défilé incessant des visiteurs, est aussi propice au recueillement qu’un hall de gare. Interdiction aux visiteurs de profiter des bancs, ils pourraient les user ou les salir de leur impur séant étranger et, sommet de la grossièreté, ils pourraient peut-être se laisser aller à quelque oraison intime ou prier pour le salut de cette ville. Quant au château, oui, soit, je ne suis pas très vieille brique moyenâgeuse mais l’effet « hall de gare » persiste. Il n’y a rien à voir à part quelques meubles rustiques en faux vieux, des salles riantes comme une antichambre de sous-préfecture et, partout, dans les commentaires affichés, de la retape pour la grandeur ( ?)  du royaume de Bohême. Silence sur la dynastie des Habsbourgs qui réorganisa cet état féodal en un royaume moderne. Silence de même sur Joseph II et sa réforme progressiste de l’empire. C’est à la Synagogue espagnole (de style arabo-andalou, d’où le nom) que, enfin, j’ai lu quelques propos sur l’appartenance de la Tchéquie au glorieux Saint Empire romain-germanique.
 
Notre-Dame des Neiges
Je compte revenir à Prague … tout de même. En dépit de tout ce qui précède. Il faut regarder passer le temps assis au Jardin franciscain, derrière Notre-Dame des Neiges, simplement rester assis dans la paix de ce cloître ouvert au public. Des moines franciscains occupent encore les bâtiments conventuels et assurent deux messes quotidiennes à Notre-Dame des Neiges, une nef comme une lanterne aux ogives transparentes, posée un peu en hauteur. Ici, on y rentre sans payer, on peut s’y asseoir aussi longtemps qu’on le veut. Peu avant le début de l’office, un moine à la recherche d’un servant de messe est venu me demander mon aide … c’eût été difficile, je ne parle pas un mot de tchèque. Au dehors, à la limite extérieure du cloître, s’étend la rue Vodičkova, avec ses cinémas. On peut du reste gagner le Jardin franciscain par une galerie commerciale, un passage qui mène à l’un de ces cinémas à l’ancienne, entre une boutique de maroquinerie et un restaurant chinois un peu « designant ». Par bonheur, le touriste se fait plus rare. Le Pragois est – encore – chez lui. J’ai regretté de ne pas parler tchèque, je serais allé voir « Woman in gold », avec la sublime Helen Mirren dans le rôle principal, c’eût été le bon endroit et la bonne circonstance pour ce film.
 
Prague, c’est aussi la magie d’une lumière particulière au crépuscule, une lumière douce et triste de fin de règne, à observer depuis l’un des nombreux ponts qui enjambent la Moldau. J’ai emprunté au hasard de mes pas le pont Legli qui se prolonge par le boulevard Vitěznà, au pied de la colline boisée de Malà Strana, une forêt au milieu du Ring. Lorsque le toutou de base plein de bière est déjà bien rangé dans son hôtel ou entreposé dans un établissement de nuit, les façades se remettent à parler, un chuchotis discret qui raconte les riches heures d’une capitale d’empire, d’une cité multiculturelle, prospère, pleines de questions à défaut d’avoir été heureuse. La tristesse de la ruine de rues entières est moins grande. Le tourisme est une malédiction qui ne rapporte pas suffisamment pour occuper toutes les boutiques du centres. Des pâtés de maisons entiers restent vides et mornes avec leurs longs alignements de fenêtres noires, parfois un œil crevé, carreaux brisés. Il faut donc aimer Prague malgré les touristes et les Pragois.

lundi, mars 16, 2015

"Barcelona !" de Grégoire Polet

Vous ne l’avez peut-être pas vu parmi la pléthore de nouveautés des avant-dernière et dernière rentrées littéraires ? un gros volume pourtant, du sérieux en jaquette Gallimard avec un titre accrocheur, pensez donc, l’une des capitales festives européennes : « Barcelona ! » Et l’auteur ? non plus ?! Pareil pour moi, le titre m’a interpelé et j’étais déjà la tête à Barcelone, l’une de nos stations balnéaires favorites, à nous autres romands, merci les trolleys volants (la compagnie orange à la ponctualité aussi relative qu’une ligne de trolleybus des TL, comparable à la susmentionnée entreprise de transport urbain sur le plan du confort et de l’amabilité de son personnel !!!). Mais voler vers Barcelone reste toujours un plaisir, une expérience à la fois anodine et merveilleuse, c’est un ailleurs très proche, qui est autre et se veut tout autre (on est dans une Espagne qui se réclame Catalogne).

Après chaque atterrissage, il faut traverser les nombreuses salles hypostyles de l’aéroport surdimensionnés et toujours cette question, je ne peux m’empêcher de me la poser à chacune de mes arrivées : mais qu’est-ce que je fous là ! On n’est ni à Berlin, Münich, Vienne ou Frankfort. Les Buddenbrook, c’est au bord de la mer baltique, pas en Méditerranée. J’attends mon bagage, de nouveaux couloirs et le large trottoir, la vue sur des montagnes dont je ne connais toujours pas le nom, un découpage aux courbes gracieuses comme le Jura, même orientation, même lumière de fin du jour que sur le Jura, et je reconnais la basilique de Tibidabo au sommet de l’un de ces monts. Il y a toujours un léger courant marin qui agite les palmiers du parking, comme un salut et je sens le parfum salé de l’air du large qu’oublie bien vite mon odorat, à peine quelques heures après mon atterrissage. Je sais alors que je suis dans l’un de mes chez-moi, et je comprends mon affection, ma proximité avec le « Barcelona ! » de Grégoire Polet.

Il s’agit d’un roman choral, d’une succession de portraits qui se juxtaposent et s’entrecroisent. On y assiste à l’accession au pouvoir du président de la généralité de Catalogne, on y suit l’une de ses filles, ses questionnements moraux, les amies de cette dernière, le mariage de l’une, le succès professionnel de l’autre, un couple d’expat’ français qui peinent tout de même à comprendre l’entier de l’âme catalane, une serveuse célibataire de cinquante ans, un vieux libraire, un veuf guide touristique à ses heures, un journaliste sportif divorcé, un policier auteur d’un polar historique, un stagiaire journaliste ambitieux, un vieux professeur de littérature américain pigiste à ses heures, une galeriste, une peintre célébrée, un médecin-légiste, un petit voyou débrouille, des romaninchels, un médecin allemand qui exerce aux States, un sans-papier qui ramasse de la ferraille dans la rue, un navigateur aux longs cours, sa vieille mère, son vieux chien et tant d’autres sous-personnages, de silhouettes rencontrées çà et là, tout un monde sur près de cinq cents pages, le souffle de la ville, cette haleine un peu lourde et cette douceur, malgré tout, en dépit de tout, une caresse, et toujours le vent de la mer et l’ondoiement des palmiers.

Le style est sobre, plaisant, élégant jusqu’à se faire oublier. Polet est un peintre ; il n’a pas la froideur des intellectuels en bibliothèque. Il est plein de bienveillance pour ses personnages, pour les vies qu’il a su « attraper » autour de lui. Ne lisez pas « Barcelona ! » si vous êtes à la recherche d’un texte incisif et rageur, si vous êtes un blaireau de hipster anorexique ou une fashionista vénéneuse. Vous allez vous ennuyer ! De plus, notre auteur glisse mine de rien ses référents littéraires : Shakespeare par-ci, Musil par-là … Les quelques fois lorsqu’il est ironique, il réserve ses traits à l’engeance touristique qui noie la ville sous un flot continu de bidochons sans égard pour les lieux ni les habitants. Pour avoir rencontré, par un hasard fortuit, l’homme dans la meilleure librairie française de Barcelone (Jaimes), je peux vous assurer qu’il s’agit d’une nature sympathique et ouverte, en parfait accord avec son roman. Il vous sourit, rougit presque sous l’effet des compliments, témoigne d’une curiosité, d’une empathie, pour les auteurs qu’il aime, et l’espièglerie d’un bon gamin en sus. Son roman est si efficace, que l’on ne voit pas défiler les cinq cents pages ; après en avoir tourné la dernière, on se retrouve un peu seulet et l’on se surprend, le lendemain matin, sous la douche, à se demander si telle protagoniste va trouver à se reloger sur Barcelone, si le ferrailleur va épouser sa belle, si les médecines alternatives vont sauver tel autre, si le président de la généralité va continuer de surfer sur une vague indépendantiste ? Et, dans un premier mouvement, on ne s’interroge pas à propos de tous ces autres fictifs comme on évoquerait les personnages d’une série, dans l’attente de la prochaine saison, mais comme à de vraies personnes, des voisins, des connaissances, des people dont on pourrait prendre des nouvelles par le téléphone, la télé ou radio-couloir.

Cerise sur le gâteau, parmi les grands textes évoqués au fil de « Barcelona ! », « L’homme sans qualité » de Robert Musil, deux tomes plus qu’épais ; j’en ai acheté le premier chez Jaimes. Je n’avais plus rien à lire et j’ai trouvé amusant d’acheter un livre en français à Barcelone. J’ai donc poussé la porte de la meilleure librairie française de la place, ce qui m’a donné le plaisir de rencontrer Grégoire Polet puis le choc d’un roman essentiel totalement  «exotique » dans la capitale catalane. Quoique … Il existe une certaine langueur viennoise sur les larges « carrer » bordés de façades néo-classiques, modernistes ou Art Nouveau. Mauri (restaurant-pâtissier-confiseur-salon de thé) n’a pas le chic d’un Demel mais il y a un quelque chose. La Barcelone de Morand a du reste ce même quelque chose de Münich ou Berlin en pleine crise culturelle et sociale. Grégoire Polet vient donc d’ancrer définitivement Barcelone dans ma cosmogonie littéraro-géographique.


mardi, mars 03, 2015

Barcelone versus Berlin, et Morges aussi

« J’ai deux amours » chantait la Baker, j’en ai deux aussi, en matière de séjour il s’entend ; pour le reste, j’ai Cy. Les habitués connaissent peut-être l’un des plus anciens billets de ce blog, une série de photographies de Barcelone, pas même un commentaire, juste des ombres qui s’allongent sur une plage, le soleil bas d’un début décembre, la mer et cette atmosphère légère de villégiature hors saison, un cadeau inespéré qui me marqua profondément. C’était mon second séjour dans la capitale catalane, le premier remontait à mes années de gymnase, c’était avant les jeux olympiques. Il y eut un troisième, un quatrième séjour, un cinquième peut-être et ce dernier, ces quelques jours de février, les premiers dividendes d’un été à venir. J’ai retrouvé cette douceur propre au sud, comme une langueur gracquienne dans le paysage, les palmiers aux mouvements paresseux, et les badauds, les touristes mêlés à ceux qui vont ou sortent du travail par les grands boulevards rectilignes de l’Eixample. J’ai retrouvé « Mauri » le restaurant tea-room au coin du carrer de Provenca et de la rambla de Catalunya, et les rayons plutôt chic d’El Corte Inglès, son vaisseau spatial atterrit plaça de Catalunya. Effet du franc fort, je suis allé au ballet, et au concert : William Forsythe au Liceu et du Mendelssohn, du Schubert, du Schumann au Palau de la Música catalana. Le ballet était prenant, graphique, enthousiasmant mais le concert, un choc ! Tant le lieu que le programme m’ont subjugué, j’ai même inscrit ce lieu sur ma liste des merveilles du monde (j’en tiens cinq désormais). Imaginez une précieuse dentelle de vitraux, de balustrades de verre, d’albâtre ciselé, de fleurs en céramique stylisées, de coursives en faïence, et tout un décor fantastique s’échappant de la scène. Je n’ai toutefois pas eu le temps de rendre visite aux archanges romans du musée national d’art catalan ni revoir, une fois de plus, les postimpressionnistes barcelonais, Rusinol ou Casas.
 
 
Il faudrait aussi évoquer la bonne rencontre de Grégoire Polet, un auteur francophone installé à Barcelone depuis … suffisamment longtemps pour comprendre la ville et en faire partie. Il est du reste l’auteur de « Barcelona », beau roman choral dont je reparlerai dans un prochain billet. J’avais acheté ce gros volume à Paris, mise-en-jambe à mon séjour. La rencontre s’est tout naturellement faite … dans une librairie française, Jaimes, carrer de Valencia, à côté de chez Navarro, le plus grand fleuriste d’Europe dit-on, comme on dit que Payot Lausanne est la plus grande librairie d’Europe. J’étais allé chez Jaimes pour deux raisons, y trouver une méthode de catalan pour francophone et y faire connaître mon dernier roman, « Canicule parano » ; il m’arrive parfois de jouer les vrp de mon œuvre. Alors que je disais tout le bien que je pensais du  « Barcelona » de Polet à la libraire, l’homme – un habitué des lieux – est entré à ce moment-là.
 
Et Berlin dans tout ça ? car je rentre de Berlin (le second amour, toujours rapport à mes résidences européennes), ma petite ourse adorée et pataude, quasi mon port d’attache ; j’entretiens avec elle une relation  dont la durée a déjà dépassé de quelques années celle que j’ai eu avec Lausanne. J’ai fait un saut dans mon chez-moi allemand pour ne pas perdre l’aller d’un aller-retour acheté en vue d’un festival suisse en Pologne, festival malheureusement reporté, une petite manifestation à laquelle j’avais été invité. Raison boiteuse, mauvais prétexte, il m’a fallu réserver et payer un nouveau retour, et par Bâle. Dans le fond, je suis allé à Berlin pour exactement 46 heures par esprit d’équité, ne pas rendre ma petite ourse jalouse, car je prête des sentiments aux villes. C’était bref mais plaisant, quoique fatigant et plein de tracas, un avion de la compagnie des trolleys volants est resté cloué au sol lors du départ, une histoire de filtre hydraulique bouché, il a fallu attendre un appareil de remplacement, quatre heures de retard. A Berlin, j’ai tout de même eu le temps de prendre un petit-déjeuner avec Libussa, de boire un verre de vin rouge chez Jacques, d’assister à la messe dominicale anticipée de 18h à Sankt Hedwig et de dîner avec Christine et Jeff, le restaurant indien de « Canicule parano », près de la Winterfeldstrasse. J’ai passé la case shopping, je ne disposais que d’un bagage en cabine.
 
Et Morges dans tout ça ? car je suis un élu de la « Coquette », petit nom qui décrit bien le petit genre de ma bonne ville, ancienne résidence des comtes et ducs de Savoie. Ces perpétuelles pérégrinations berlino-barcelonaises risquent de donner de moi l’image d’un conseiller communal bien inconstant, toujours absent, entre deux valises, deux romans, deux publications ; quelle place reste-t-il à l’intérêt de la chose publique ? Je n’ai jamais mieux su percevoir les qualités et les quelques défauts de mon terroir que depuis que je prends un peu de champs, observer à plus de mille kilomètres et comparer avec ce qui se fait ici ou là, Morges vaut bien – toute proportion gardée – la comparaison avec de grandes capitales, elle possède déjà des salons de thé dignes de grandes capitales !

vendredi, janvier 30, 2015

Paris, Paris ...

Vendredi 23 janvier, 17h30, Gare de Lyon. Les occupants du TGV en provenance de Genève s’éparpillent sur le quai, hall 2, rien à signaler. Nous nous engouffrons dans la station du métro, dédalle de couloirs, deux militaires en treillis, l’arme à la main au détour d’un tapis roulant. Ils se fondent dans le décor, rien à signaler. La foule est très calme, un peu moins nombreuse que d’habitude peut-être, les couloirs sont propres, pas de papiers par terre, vraiment rien à signaler. Ligne automatique M 14, direction Olympiades, descente à la station Bercy-Village et ce calme toujours, beaucoup de politesse, étrange … L’impression se confirme sur les Grands Boulevards, quasi déserts. Il fait froid, soit, mais les soldes ?!

Week-end à Paris, pas de « geste de solidarité » particulier ou de super-shoping mais une comédie musicale agendée depuis quelques mois. J’ai lu un peu dans le train, « Soumission » et ne peux m’empêcher de regarder la ville à travers un prisme houellebecquien. A l’entrée des magasins, les vigiles nous saluent très poliment. Les endeuillés entre eux ont toujours beaucoup d’usage. Le 7 janvier leur a « cassé les pattes », les Parisiens me semblent en état de choc. Une foule légère dans le Marais, quelques touristes et les habitués de l’un ou l’autre bar gay, les rares endroits où l’on peut voir une si grande concentration de barbus, mode oblige. Je n’ai vu que des faces glabres dans la fourmilière des halles, et pas un seul voile alors qu’il s’y mêle habituellement toutes les populations de la capitale, tous les styles.

L’impression ne cessera de se renforcer durant tout le samedi, et toujours cette politesse inaccoutumée, cette obligeance qui fait fleurir des « Excusez-moi » et des « Pardon » à la bouche de policiers qui nous coupent le chemin et nous effleurent au détour d’une rue ! Et partout d’immenses affiches, des toiles peintes sur les échafaudages de façades en travaux « Je suis Charlie » ou des photos gigantesques du défilé du 11 janvier.

Dimanche, messe à Notre Dame de la Nativité de Bercy, une assemblée très pieuse, très calme aussi, une dizaine de scouts en culottes courtes au premier rang, exhortation à la tolérance, au respect d’autrui, au respect de ses convictions … Je n’épilogue pas. Sur la placette, devant l’église, un petit marché. Les badauds font calmement leurs courses. Le prêtre salue ses ouailles sur le parvis, il me sert chaleureusement la main, comme à tous, se tient bien en vue au pied du court escalier. Sentiment de vacance, oui « vacance », il y a désormais un avant et donc un après fréquenté par quelle foule parisienne ? Mystère. Celle d’hier a laissé la place, elle n’occupera plus l’espace de sa rumeur, de ses convictions ou non-convictions militantes, de ses signes de ralliement, d’une certaine liberté d’être.

J’entre au Centre Pompidou sans attendre, mon billet coupe-file était inutile. Nous sommes pourtant dimanche 13h, derniers jours de la rétrospective Jeff Koons. Je ne suis pas venu pour voir cette brocante-là, j’y suis venu pour les collections permanentes, pour le lieu, la vue, Paris, tout autour, de l’Hôtel de Ville au Sacré-Cœur, à travers les tubes de l’escalator et des couloirs extérieurs. Les rues, depuis mon point d’observation, tout paraît  assoupi sous le froid et un soleil argentin. Je ne rencontre que deux visiteurs typés méditerranéens, Sud du bassin méditerranéen. Deux grands ados, très garçons fleur, amants ? amis ? Ils photographient les œuvres de Koons en les commentant avec une gouaille banlieusarde très typée aussi. Ils ont l’air libres … Effet du franc fort, je me suis encore offert – par paresse – le luxe d’un déjeuner chez Georges, le café-restaurant du cinquième étage, un décor design rigoureux, élégant, musique lounge, serveuses et –eurs recrutés dans des agences de mannequins, hamburger succulent, très bon vin, service efficace et une note conséquente qui passe tout de même grâce au nouveau taux de change.


L’heure du retour approche. Les premières femmes couvertes entrevues de tout le séjour attendent aussi un train. Et toujours ce sentiment de patience, jusqu’à la résignation. Les voyageurs font la queue pour être servis aux étals des boulangers ; personne ne fait mine de vouloir même anticiper son tour, court-circuiter la file si bien ordonnée. L’une de nos connaissances, un jeune comédien vivant à Paris, nous a racontés la paranoïa des habitants. En dépit des mots d’ordre du gouvernement et du ton plutôt détaché des médias, les gens ont peur, ils sortent moins, ou plus, chacun part travailler et rentre bien vite dans son quartier. Durant le trajet, je n’arrive pas à reprendre la lecture de « Soumission ». Je voudrais me plonger dans l’intégrale de « Mafalda » mais le volumineux opus se trouve au fond de la valise de Cy. Je me rabats sur le « Têtu » de février (pas un mot à propos de Charlie ?!) et le Figaro du week-end.

lundi, novembre 03, 2014

"Bleu ciel", extrait du "Cahier vert"

Au-dessus des nuages, le ciel est d’un bleu toujours parfait, une sorte de beau temps perpétuel, la pluie n’est qu’un état passager, aucune révélation à en tirer. Regarder glisser l’ombre de l’avion sur les flots compacts et moutonnants des nuages, en-dessous. Retour de Berlin et quoi d’autre ? Je fais comme tout le monde en Suisse, je pars, le plus souvent possible, pour me donner de la distraction, du plaisir et des émotions. Je vais à Berlin, comme tous les gays romands. Ils y vont car la turlute y est facile, festive et si loin de la tiédeur moralisatrice bien comme il faut du sexe gay en Suisse. « C’est pour ça que tu y es tout le temps ! » mais jette une personne proche (mais pas Cy.) sur un ton goguenard, une personne à qui j’ai vertement répondu « Pourquoi ? tu me crois frustré du cul ? tu t’imagines que je me tapes des aller-retours de deux milles kilomètres aussi fréquents pour mettre la nouille à tremper ? »

A Berlin, j’écris des romans, je mène ma vie d’auteur, mon petit train mauriaco-greeno-mannien, donner un minimum de forme à ma fuite, recevoir avec plaisir les appels de Cy. au cours desquels il m’explique ses avancées dans l’organisation de notre prochaine croisière, ou une excursion infra-culturel à Paris, voir une comédie musicale, et je sens se desserrer cette tension ainsi qu’exposée au début de ce cahier, tension résultant de la conscience de participer à des activités de masse pour blaireaux et le plaisir, l’expérience que j’en tire, la matière autofictive. Je fais aussi l’expérience d’une tension esthétique, si proche de la folie, la conscience du cadre, une toile rencontrée au Kunstmuseum de Bâle – je suis rentré de Berlin par la cité rhénane, vol à meilleur prix. La toile en question est de Munch, elle s’intitule « Rue à Aasgaardstrand ». Une jeune fille au premier plan, face aux visiteurs, semble interpeler qui la regarde. Derrière elle, un groupe d’autres jeunes filles en conversation l’ignorent totalement ; ces fillettes méconnaissent l’au-delà de la toile, pas même une intuition. Elles forment un cercle compact en grand conciliabule, des maisons à l’arrière-plan, un chemin, un homme semble venir.

Je rentre de chacun de mes voyages plus démunis tant matériellement que psychologiquement. Je serre dans mon cabinet les mille petites délicatesses qui maintiendront vivants des instants de rien, des perles psychologiques, des gemmes que je peux tailler et monter en pendant, en tour de cou, ou dans une parure complète. Je regarde éperdument le coucher du soleil, dans la rue, un parc, depuis la banquette de la cafétéria du « Bon Génie », alors que la lumière trop crue des spots, faux-plafonds, m’écrase et aplati tout du décor, presqu’une lumière de cabine, court courrier pour Berlin, Barça, Copenhague … Le motif perpétuel de la fuite.



dimanche, août 17, 2014

Retour de croisière


 
Il n’y a pas de prix à l’infini calme de la mer, à la course perpétuelle des nuages au-dessus des flots, au déroulement d’un paysage de fjords, la baie vitrée de la cabine ouverte, le canapé tourné vers l’extérieur et glisser dans le sommeil devant un tel spectacle. Il n’y a pas de prix à la jouissance de la liberté, marcher sur un trottoir stockholmois, tallinnois ou copenhagois . Il n’y a pas de prix aux collections de peinture de l’Ermitage ; par contre il y en a un pour tout le reste sur une croisière, et bien trop élevé pour cette forme de prise d’otages festive à destination des blaireaux de luxe.

 
Sur le papier, ça avait l’air sympa, il y avait surtout le but suprême de tout ce périple : visite de Saint-Pétersbourg et de l’Ermitage. Va pour l’offre baltique d’une semaine d’un célèbre croisiériste italien, pas celui du naufrage sur l’île de Gilio, l’autre, mais c’est quasi du pareil au même. Tout d’abord, il y a le bateau, le bâtiment et le nom tombe fort bien. Imaginez une sorte de super-résidence plouc de nouveaux riches de quinze étages, plus les cheminées, quatre cage d’escaliers et des espaces communs dégoulinants de miroirs, de balustrades en laiton, de moquettes à gros motifs et agrémentés de palmiers momifiés dans des cache-pots m’as-tu-vu. Tout est conçu selon une conception vantarde du bon goût qui se situe entre un bar d’hôtel quatre étoile supérieur pour meetings de représentants de commerce au bord d’une autoroute, le théâtre du palais de Beaulieu et le salon de thé Martel dans l’ancienne Uniprix à Genève. Rien n’est trop moche pour donner l’impression au client qu’il en a pour son argent. De loin, le navire qui porte forcément un nom en –a (Fortuna, Poesia, Luminosa, Concordia, Et-mon-c…-c’est de la pouletta) barre l’horizon de sa masse compacte et disgracieuse de HLM de grande densité. La chose flotte miraculeusement et, pourtant, elle tient plus du fer à repasser que de la marine. La bonne nouvelle, lorsqu’on est à bord, on arrive presque à oublier la laideur extérieure de la chose.

 
La vie à bord est faite d’une succession de courtes séquences innombrables propres à remplir la vacuité de la vie des foules. On impose des horaires en mine de rien (repas, buffets, spectacles, activités, excursions, etc., pire qu’à la caserne, on en vient presque à regretter sa vie en milieu laborieux). Chacune de ces activités revêt un aspect festif et exceptionnel, ponctuée de bravi et d’applaudissements. C’est tout juste si une équipe d’animateurs ne débarquent pas dans votre cabine pour offrir à l’admiration générale le fait que vous ayez tiré la chasse d’eau. Univers gentillet et infantilisant, insouciant et onéreux, débilitant et humiliant au final. Les spectacles sont dignes de la programmation d’une première partie de soirée sur M6 et dans un décors ! Une sorte de Las Vegas au rabais en carton-pâte et faux plafond dans un genre italianisant. Cette absence de goût se retrouve strictement partout. J’ai dû passer une semaine à dîner d’une boustifaille chichiteuse et quelconque avec vue imprenable sur des barbouillis représentant approximativement des villas palladiennes. Quant aux excursions, parlons-en, vous êtes dans votre bulle, ou plutôt votre bocal et on vous promène de ci, ce là en autobus sans jamais avoir le temps de goûter à l’air du temps. Quand vous avez la possibilité de vous déplacer seul, d’accéder à la ville sans passer par l’arnaque d’un transit organisé à prix d’or (sous des tonnerres d’applaudissements) par le croisiériste, vous pénétrez dans une petite ville, Tallinn par exemple, avec quelques cinq à six mille autres touristes en quête d’exotisme. Impossible de rien voir, de rien visiter, les  deux autres navires qui mouillent aussi pour la journée dégueulent une foule qui piétine tout, occupe tout l’espace et l’honnête homme n’a plus qu’à boire le calice de la honte et de la déception jusqu’à la lie. A Stockholm, l’escale était trop courte pour entreprendre une visite sérieuse de la ville, et à Copenhague, les autorités danoises, pas folles, ont inventé mille chicanes pour interdire au touriste un accès trop aisé en masse au centre-ville. L’honnête homme n’a qu’à marcher, ou prendre le taxi, il n’a qu’à payer … Comment ne pas comprendre les préventions des Copenhagois. Cette foutue croisière a failli me brouiller avec la capitale danoise que, pourtant, j’adore.
 

En croisière, on touche au faîte de l’ineptie kafkaïenne. Vous passez votre temps à remplir des formulaires pour tout, à vous coltiner des réunions pour tout, à donner dans l’administratif mieux que dans un sous-secrétariat soviétique. Un personnel aimable et avenant vous explique tout (sous des tonnerres d’applaudissements) comme si vous étiez un demeuré. On vous glisse, par exemple, un programme quotidien sous la porte dont l’information la plus palpitante consiste dans l’annonce des horaires du buffet du petit-déjeuner que vous prendrez au dernier étage selon que vous aurez payé cher ou au cinquième avec service à la place selon que vous aurez payé très cher. Au buffet, j’ai donc eu l’immense plaisir de me faire piétiner tous les matins par des hordes affamées vous bousculant, vous marchant sur les pieds, vous coupant le passage pour vous fauchez la seule table de libre. Résultat, vous avez intérêt à ne pas avoir pris d’œufs, sinon vous les mangerez froids. Bon, j’ai rendez-vous avec les peinturluris palladiens de la salle à manger (tonnerre d’applaudissements), je vais pour la dernière fois m’installer sur une chaise de velours cramoisi et deviser avec Cy. et le couple avec lequel nous partageons la table à propos de nos impressions de la journée. Nous allons arriver en retard, le garçon va nous faire rattraper le temps perdu mine de rien, histoire que l’on en ait terminé avec le plat principal alors que (tonnerre d’applaudissements) on nous présentera dans une chorégraphie approximative les desserts du jour.

 
Quelle réalité se cache derrière la bonne humeur surjouée ? Le personnel de service est d’une efficacité et d’une amabilité sans égal, il représente le vrai plus du croisiériste. Serveurs, femmes de chambre, dames de buffet, casseroliers, techniciens de surface, mécaniciens de l’ombre et petites mains de l’industrieuse buanderie n’arrêtent jamais et, pour peu que le passager le remarque, l’anonyme laborieux saura le saluer dans cinq à six langues en sus de la sienne. On peut se dire qu’une petite partie du prix de cette onéreuse croisière aura servi à l’entretien de quelques familles dans des pays émergents. Peut-être vais-je retenter l’expérience … avec un minimum d’organisation ça devrait même être agréable. Dans une croisière, préparez vous-même vos excursions avec l’aide d’une agence de voyage locale. Faites-vous prendre par un taxi à l’escale et choisissez vos buts de visites selon vos goûts et sans la compagnie pesante de bovidés. Ça ne vous coûtera guère plus cher que les virées 100% pur plouc vendues à bords. Je vais retenter l’expérience car le ciel, la mer au couchant et soi tout petit au milieu, ça n’a pas prix.

 

jeudi, juillet 31, 2014

Retour de Pologne, suite et fin



Grand boulevard varsovien
Varsovie ou la ville qui ne dort pas, ou peu ! J’y ai vu un fitness ouvert 24h sur 24 et les grandes enseignes du commerce de détail, les supermarchés ferment tous leurs portes entre 21 et 22h, selon le jour de la semaine, même le dimanche pour certains. Toute cette activité se distribue dans un rayon de 500 mètres autour du Palais de la culture et de la science. Ces commerces ont du reste réinvesti les grands édifices de la période communiste triomphante dans ce nouveau centre, profitant d’espaces grandioses. Il ne faut pas manquer non plus d’emprunter l’élégant boulevard Nowy Swiat, bordé de beaux hôtels particuliers du début du XIXème siècle dont les rez-de-chaussée sont occupés aujourd’hui par des cafés, des boutiques, une atmosphère très urbaine chic juste ce qu’il faut, une promenade recherchée qui emmène le chaland jusqu’au décor de théâtre de la vieille ville reconstituée. Joli tour de force à l’usage du touriste ou de l’édification des foules afin de témoigner de la pugnacité du peuple polonais face aux vicissitudes de l’histoire. Le résultat n’est pas trop moche mais cela sent néanmoins l’artifice, du disneyland socialiste. La Pologne a si peur de perdre son histoire que le moindre machin d’avant 45 est considéré comme sainte relique. Les autorités sont allées jusqu’à repêcher des bouts de balustrade en fonte provenant d’un pont du début du XXème siècle sur la Vistule, pont détruit durant la guerre, et à exposer la chose comme la huitième merveille du monde dans la cour d’un ministère quelconque. Cette phobie de la perte historique a dicté l’interdiction de l’exportation de tout objet antérieur à 1945 même s’il n’est pas d’origine polonaise ! Du coup, pas de brocante et un marché juteux à prendre pour les petits malins qui pourront toujours exporter les tonnes de cochonneries branlantes et ébréchées qui encombrent nos caves et nos greniers pour aller les revendre en Pologne à prix d’or. Cet embargo sur les exportations de presque antiques a certainement un effet désastreux sur la connaissance de la peinture polonaise à l’étranger. La fin du XIXème et le début du XXème ont connu une pléthore d’artistes de talent dont le nom reste inconnu sorti du cercle culturel slavo-polonais. Je vous en ferai un autre billet, un de ces prochains jours, mais je dois évoquer ici la rétrospectives du sublime Alexander Gierymski (1850-1901). A
Paysage par Gierymski
travers son œuvre brille le génie d’une belle nation, de l’étoffe de l’Allemagne wilhelminienne, de la France de Napoléon III ou de l’Autriche de la Sécession. Gierymski a peint son pays, Münich, Venise, Paris avec le goût et la sensibilité innée des hommes de sa génération, dans ce style subtil et cosmopolite du postimpressionnisme. Il y a du von Max dans les faux-jours, du Cuno Amiet dans l’émotion des paysages, un rien de Vallotton fauve dans certaines marines. Il souffle surtout le génie polonais dans sa forme la plus universelle, la moins folklorique. Je suis resté bien vingt minutes devant un paysage … polonais, un chemin, une allée de tilleuls et un ciel fabuleux, émouvant comme dans un Nolde. Gierymski sait aussi peindre la lumière italienne, et la brume parisienne, et la rue varsovienne, et ce monde de l’avant catastrophe, la fausse route prise en 14 qui, paradoxalement, va rendre un territoire à la Pologne mais la priver d’une réelle intégration. La Pologne de Gierymski nous raconte un pays européen, une nation, une petite histoire faite d’anecdotes, de la couleur des trottoirs, de la foule des cafés et de belles personnes.


Gare de Jablonowo Pormorskie, dans la région de Brodnica
Gdansk était devenue en 1918 une ville indépendante sous son nom allemand, Danzig, privant le pays d’infrastructures vitales sur la Baltique. Gdynia, tout à côté, village de pécheurs à l’origine, deviendra le premier port de commerce polonais. Je logeais près d’une très belle plage, Gdynia Orlowo, quelques hôtels, une zone balnéaire en plein boum, un centre commercial plutôt luxe. La commune s’étend sur plusieurs sites dont une vaste section dans un style moderniste, le tout relié par de nombreux trains régionaux. Ne pas oublier la très chic et balnéaire Sopot ni Gdansk, son indépendance d’esprit, une magie « dresdoise » à la nuit tombée (en plein jours la ville fait de même un petit peu trop « disneyland » historico-socialiste). Toute cette côte est très fréquentée par une clientèle polonaise. Il y a cette langueur des lieux de vacances aimés, la promenade le long de la plage, une bonne sœur en habit qui fait des pâtés de sable avec une petite fille, le vieux monsieur qui vend des framboises et des mûres, dans des barquettes qu’il a fabriquées à partir de cartons recyclés. Il y a aussi la douceur des Polonais envers les oiseaux et tous les animaux. Ils disposent des bols d’eau dans les jardins publics pour les pigeons, ils grondent les enfants qui les effraient ; les enfants sont du reste très bien élevés. Il faut que j’ajoute encore l’amour des Polonais pour le cinéma, il y a des salles dans toutes les villes et beaucoup de librairies. Peuple lettré, autant amateur de poésie que de vodka ! Mais cette langue ! du chinois en dépit de son alphabet latin agrémentés de mille petits signes étranges. Impossible de donner le nom du joli café dans lequel vous vous êtes arrêté ou de citer un peintre. Je pourrais encore vous écrire mille lignes sur Brodnica, le mariage auquel j’étais invité, les hôtels, les lignes de train, Poznan et son allure, le grand art des tatoueurs polonais (en comparaison, les tatoués de Suisse romande ont l’air grossièrement gribouillés). Nous en resterons là, vous retrouverez le reste dans les romans à venir et de nouveaux billets en direct de Pologne où je compte retourner.