J’eusse
aimé … mais pas le temps, pas le temps entre la présidence du Conseil Communal
et toujours quelques projets littéraires. Donc, sous l’impulsion de l’association des employés de
l’établissement où « j’évangélise », j’ai visité la capitale
hongroise. Je n’ai pas vu mes collègues, léger problème d’organisation, on ne
change pas une équipe qui gagne surtout quand elle perd … Bref, j’ai découvert
Budapest, versant touristique, difficile d’aller au-delà, quelques ouvertures
toutefois, lorsqu’on dépasse la barrière de la langue. La ville a retrouvé
l’éclat d’une capitale d’empire, le cosmopolitisme K und K de l’universalité en
mode germanique, cette vision du monde capable d’intégrer au-delà de son groupe
culturel. Quoiqu’en l’occurrence … Beaucoup de touristes, beaucoup de sécurité,
pas de mendiants, pas un seul dealer, quelques SDF, âgés et locaux. Je peux
imaginer toutes les détresses que cache cette situation quasi idyllique mais le
flâneur y trouve son compte. J’ai déambulé dans cette ville qui m’est étrangère
comme il y a trente ans dans Lausanne. Il est vrai que je n’ai pas visité la
banlieue. Atterri samedi après-midi, envolé le mardi suivant en début de
matinée. Dans l’intervalle, j’ai sillonné la Váci utca, hybride de la rue de
Bourg, de Saint-Denis et du faubourg Saint-Honoré, à la fois chic, pute et
touristique qui débouche sur la Vörösmarty tér, belle place bornée par une
institution : le salon de thé Gerbaud, établissement de tradition fondé en
1858, fournisseur officiel de maisons royales. Le décor n’a pas changé, ni les
gâteaux, ni l’atmosphère. Budapest a grandi sitôt devenue la capitale du
royaume hongrois et, parallèlement, une villégiature pour la cour, la bonne
société autrichienne. On continue, du reste, de vous servir en allemand au Café
Gerbaud alors que l’anglais a tout supplanté ailleurs.
La bulle
touristique budapestoise a donc imposé l’anglais comme une garantie
d’émancipation de la Hongrie nouvelle, maîtresse de son destin, quasi
triomphante sous la férule de son guide Viktor Orbán et, surtout, indépendante
de Bruxelles ! De l’autre côté, le « viktator » fait la chasse
aux institutions étrangères installées sur sol hongrois. Comment se glisser de
l’autre côté du rideau ? Effleurer la réalité budapestoise outre les
échanges standards avec serveurs, vendeurs, chauffeurs de taxi et hôtesse
d’accueil ? Trois séquences. La première, messe dominicale à la basilique
Saint-Etienne, fête de Notre Dame de Hongrie. De vieux habitués aux premiers
rangs, la nef est pleine, une foule fervente, belle participation, communion
dans la foi, l’histoire et l’identité nationale, toujours douloureuse après
l’occupation ottomane et son martyr consécutif, la partition du territoire
post-diktat de Versailles, l’entrée dans l’Axe en 1940 (totalement assumée et
paradoxalement problématique) et pour finir l’abandon à la dictature
stalinienne. La chute du mur et l’intégration européenne représentaient une
libération, Bruxelles est conçue comme une tentative de domination
supplémentaire. Et encore de l’anglais, une traduction de l’homélie, les
Hongrois sont conscients de la difficulté et de la rareté de leur langue.
Deuxième séquence, une conversation de bistrot avec un autochtone voulant
s’informer de la provenance de mon sac et l’échange s’est poursuivi sur des
considérations sociales. Mon interlocuteur est issu de la minorité roumaine, il
fait une formation d’assistant dentaire. Il me dit que la vie est chère mais la
ville est belle, sa fréquentation est douce. Pas un mot quant aux
discriminations auxquelles cette frange de la population hongroise est en bute.
Nous parlons encore des nombreuses églises de la ville, mon assistant dentaire
est catholique, pratiquant, il me l’a dit, il porte une croix et une médaille
autour du cou. Troisième séquence. En redescendant de la colline de Buda, envie
de m’arrêter dîner dans un restaurant végétarien de quartier. Il faut que je
retire de l’argent liquide, une banque m’ouvre son guichet électronique à côté,
un espace criard et trop éclairé, la porte ne répond pas à ma postcard, une
femme derrière moi me baragouine quelque chose en anglais, je pense à une
gentille siphonnée, SDF selon la denture, l’absence de denture et les sacs
plastiques superposés. Un client qui sort me tient cette fichue porte, la femme
me suit. Elle cherche certainement un abri pour la nuit. Elle me demande quelle
langue je parle, elle pratique le français, à un très bon niveau, une langue
émaillée de quelques expressions maladroites. J’attends sa demande, une obole,
j’ai un billet de 500 forints en poche, un peu moins de deux francs suisses, le
distributeur de la banque ne m’a gratifié que de très grosses coupures. La
conversation avance. Toujours pas de demande, cette femme me raconte qu’elle était
enseignante, je veux bien la croire. A part les dents, les sacs et un trou dans
la manche de son manteau, elle présente un aspect normal, presque coquet. Elle
parle poésie, me demande mon adresse, pour m’écrire, toujours aucune demande d’argent.
J’ai l’impression de tourner une scène du « Rideau déchiré » et la
comtesse Kuchinska de demander une adresse, voudrait-elle d’un répondant afin
de pouvoir quitter le pays ? Légère honte, je suis pris au dépourvu, je
donne l’une de mes anciennes adresses lausannoises, j’accepte la sienne, une
sous-location apparemment, dans un village de la banlieue éloignée. Je lui tends le billet de 500 forints avec une pièce de 200,
elle me demande pourquoi ce geste ? Je lui rétorque que je suis moi-même
enseignant, que je sais les retraites extrêmement maigres dans les pays de l’ex-bloc
soviétique, c’est un geste de solidarité entre gens de la même profession, je
lui désigne le trou sur sa manche et lui dis avoir deviné que sa situation ne
doit pas être facile tous les jours. Nous échangeons quelques propos sur la
politique hongroise, elle baisse la voix et me glisse « Orbán est un
malade mental ». Les Hongrois ne parlent pas de politique, en tout cas pas
avec des étrangers, très peu de slogans dans la rue. Du reste, il n’y a quasi
pas de tags, pas d’affichage sauvage, uniquement la retape officielle pour des
élections futures en format international sur les grands boulevards d’accès,
sinon rien. La bulle.
Budapest m’a
profondément touché, la ville est incontestablement belle, je l’ai un peu « cartographiée »,
je suis allé de-ci de-là, multipliant les moyens de transports et cette
barrière de la langue, à l’oral mais aussi pour comprendre ce qu’indique les
enseignes, les panneaux. Je sais que j’y reviendrai, non pas pour ses « ruin
bars » ou pour aller trempatouiller dans de l’eau tiède avec des obèses
russes et des chinois aux conceptions hygiéniques exotiques, je me baigne soit
lorsque j’ai chaud ou que je suis sale. Si j’ai froid, je me mets sous la
couette avec quelques chiens en guise de bouillotte et l’affaire et faite. Non,
je reviendrai à Budapest car, sur le pont Margit, sous les derniers rayons du
soleil, la ville parlait, elle raconte ses collines, ses quartiers, son
histoire, sa grandeur même si elle y croit bien moins que tous les dirigeants
politiques qui se sont succédés dans ses palais. Elle est une étape, un relais,
près à être réactivé un jour prochain et je compte en être témoin.
Second
point que j’avais envie d’aborder dans ce billet – j’eusse pu en écrire un
second mais par économie de temps, je vous fais un combo – second point donc,
la fréquentation de mon blog. Si vous-même êtes contributeur d’une publication
en ligne, vous savez que dans la coulisse, vous pouvez obtenir toute sorte de
renseignements statistiques, entre autres l’origine nationale de vos lecteurs.
Bizarrement, la consultation du « Monde de Frevall » a explosé outre-Atlantique
dès l’élection de Donald Trump à la présidence ?! Ce n’est peut-être qu’un
hasard mais j’imagine les p’tits gars de la NSA, l’un des préposés au groupe de
surveillance en français tombant sur ma prose et s’en entichant, une petite fiche
de signalement afin de satisfaire sa curiosité de lecteur tout à son aise. Peut-être
qu’il s’agissait d’une mission de renseignement en vue du voyage de POTUS en
Europe ? Dès l’arrivée de l’intéressé sur le vieux continent, le nombre des
consultations chute drastiquement et mon blog retourne dans sa confidentialité
originelle. Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Figurez-vous que, depuis août, la
fréquentation remonte grâce à mes visiteurs … russes ! On peut donc
légitimement imaginer que les aléas de la politique morgienne soient connus du
FBI, de la CIA et du FSB (nouvel avatar du KGB).