"David" par Antonin Macié |
Pas facile de trouver quelques jours de libres en pleine
campagne communale vaudoise, d’autant plus que je ne suis pas le seul à me
présenter devant les électeurs, Cy. a été appelé par un parti de droite. Nous
occupons donc le pavé le samedi matin, jour de marché, dans des stands
différents. Et pour les relâches, nous sommes partis quatre jours à Toulouse
avec ses parents. La ville rose … ocre délavé sous la pluie, la météo n’étant
pas radieuse.
Difficile de vraiment « communier » avec les lieux
lorsque l’on est en groupe. A plus de deux,
le nombre importe sa propre logique, ses conversations, ses équilibres.
Toutefois … parfois … une fenêtre, un moment vide à la table d’un restaurant,
une brasserie, quelques mots de la conversation voisine. Toulouse fait
indéniablement partie du réseau des
bonnes villes de France, de ces capitales régionales, à la personnalité propre
et en constant dialogue avec LA CAPITALE, tantôt jalouse, tantôt prétentieuse,
un petit jeu touchant qui laisse Paris de marbre et force ces bonnes villes à
s’interroger sans cesse sur leur place dans le monde et dans le cœur de leurs
habitants.
Arrivée par un après-midi pluvieux, taxi, gymkhana sur
l’autoroute de contournement, appart’hôtel à deux pas de la Halle aux Grains,
encombrée de camions de France télévision, « Victoires de la musique
classique » oblige. La ville s’offre assez facilement aux visiteurs
occasionnels, il suffit de se diriger vers le centre pour tomber sur une
référence locale, « Père Léon », un lieu aimé des Toulousains,
une majorité de locaux dans la salle, une vaste terrasse chauffée sur laquelle
s’arrêtent des fumeurs mi-pressés, le temps d’un express, le temps d’une
cigarette assis et à l’abri.
Scène de rue, des punks à chiens qui mendient mine de rien,
avec leur bête au poil soigné, des animaux doux et timides, surtout doux, comme
leurs maîtres, d’un naturel sympathique, un peu honteux des aboiements de leurs
compagnons. La police veille au grain et défile lentement en voiture dans les
rues piétonnes. Il pleut toujours. Les agents observent tout de leur véhicule,
se contentent de quelques signes à un Rom, plus loin, assis sur un carton,
devant une grande enseigne, la sébile tendue sans conviction. Et le Rom de
regimber silencieusement par quelques grimaces à l’adresse de la maréchaussée
qui insiste d’un froncement de sourcil. Et le Rom de partir en soupirant, son
carton pose-fesses sous le bras. Mes punks à chiens avaient déjà filé. Et cet
autre Rom, pieds nus, couché, recroquevillé, la tête couverte et mimant
maladroitement des tremblements de froids. La pluie avait cessé et la
température devait avoisiner les … 12°. Le lendemain, temps dégagé, soleil
intermittent, 15°, et mon Rom toujours pieds nus, ou plutôt en lambeaux de
chaussettes, toujours dans son rôle d’homme réfrigéré, mimant tant bien que mal
le grand froid. Détail piquant, il avait le peton soigné, propre, propre ! alors qu’il est
sensé aller … pieds nus et, de plus, la plante lisse, sans cale, un pied qui
saurait certainement attendrir les fétichistes de ce genre d’extrémité.
La foule toulousaine est … urbaine, réceptive à son milieu,
bourrue lorsqu’elle est pressée, le plus souvent pleine d’attention. Et lorsque
le Toulousain est en service, il est d’une parfaite amabilité (restaurants,
musées, magasins) ; il aime son métier et ne fait pas/ne semble pas faire
de différence entre le local et le touriste. Pas un tag sur les murs, une ville
calme et heureuse … Quoiqu’un nombre non-négligeables d’arcades commerciales
étaient fermées, faillies, barrées de vieilles planches, sur la place du
Capitole même. Peu de femmes voilées mais, au détour de rues moins fréquentées,
de ces jeunes hommes en survêtements de marque, ce genre que l’on prête à … la
banlieue. Ils ont l’air d’attendre ou de comploter. Ils n’aiment pas le
touriste, ni le passant du reste, pas de geste inconsidéré, pas un mot, juste
un regard et cette mine fermée propre à ceux qui se méfient de l’irruption
soudaine des forces de l’ordre. Je ne connais rien de la politique locale, de
l’étiquette des gouvernants. Il s’agit peut-être d’un calme trompeur … Il faut
encore évoquer le grand nombre d’églises historiques, les ravages de la
Révolution et de l’affairisme sur celles-ci, deux musées assez bons, l’un
public et l’autre privé, quelques belles toiles dans les deux, une salle
entière consacrée à Bonnard dans la fondation privée, un David vainqueur de
Goliath, héros des plus jeunes et troublant au détour d’un escalier dans le
musée public ; l’œuvre est d’un artiste du cru, Antonin Mercié. Voici tout
le charme de la province officielle, capable de produire et admirer benoîtement
ce qui, objectivement, ressort de l’érotisme le moins avouable.
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