lundi, novembre 03, 2014

"Bleu ciel", extrait du "Cahier vert"

Au-dessus des nuages, le ciel est d’un bleu toujours parfait, une sorte de beau temps perpétuel, la pluie n’est qu’un état passager, aucune révélation à en tirer. Regarder glisser l’ombre de l’avion sur les flots compacts et moutonnants des nuages, en-dessous. Retour de Berlin et quoi d’autre ? Je fais comme tout le monde en Suisse, je pars, le plus souvent possible, pour me donner de la distraction, du plaisir et des émotions. Je vais à Berlin, comme tous les gays romands. Ils y vont car la turlute y est facile, festive et si loin de la tiédeur moralisatrice bien comme il faut du sexe gay en Suisse. « C’est pour ça que tu y es tout le temps ! » mais jette une personne proche (mais pas Cy.) sur un ton goguenard, une personne à qui j’ai vertement répondu « Pourquoi ? tu me crois frustré du cul ? tu t’imagines que je me tapes des aller-retours de deux milles kilomètres aussi fréquents pour mettre la nouille à tremper ? »

A Berlin, j’écris des romans, je mène ma vie d’auteur, mon petit train mauriaco-greeno-mannien, donner un minimum de forme à ma fuite, recevoir avec plaisir les appels de Cy. au cours desquels il m’explique ses avancées dans l’organisation de notre prochaine croisière, ou une excursion infra-culturel à Paris, voir une comédie musicale, et je sens se desserrer cette tension ainsi qu’exposée au début de ce cahier, tension résultant de la conscience de participer à des activités de masse pour blaireaux et le plaisir, l’expérience que j’en tire, la matière autofictive. Je fais aussi l’expérience d’une tension esthétique, si proche de la folie, la conscience du cadre, une toile rencontrée au Kunstmuseum de Bâle – je suis rentré de Berlin par la cité rhénane, vol à meilleur prix. La toile en question est de Munch, elle s’intitule « Rue à Aasgaardstrand ». Une jeune fille au premier plan, face aux visiteurs, semble interpeler qui la regarde. Derrière elle, un groupe d’autres jeunes filles en conversation l’ignorent totalement ; ces fillettes méconnaissent l’au-delà de la toile, pas même une intuition. Elles forment un cercle compact en grand conciliabule, des maisons à l’arrière-plan, un chemin, un homme semble venir.

Je rentre de chacun de mes voyages plus démunis tant matériellement que psychologiquement. Je serre dans mon cabinet les mille petites délicatesses qui maintiendront vivants des instants de rien, des perles psychologiques, des gemmes que je peux tailler et monter en pendant, en tour de cou, ou dans une parure complète. Je regarde éperdument le coucher du soleil, dans la rue, un parc, depuis la banquette de la cafétéria du « Bon Génie », alors que la lumière trop crue des spots, faux-plafonds, m’écrase et aplati tout du décor, presqu’une lumière de cabine, court courrier pour Berlin, Barça, Copenhague … Le motif perpétuel de la fuite.



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