Photo prise à Schönefeld |
En amorce et de manière lapidaire, je dirais que « L’Ami
barbare » de Jean-Michel Olivier est un grand roman d’aventure, populaire,
haut en couleurs, une belle ambassade pour la littérature, l’édition et deux ou
trois autres choses à propos desquelles je reviendrai plus loin. Jean-Michel
Olivier y déploie un style alerte, agréable, ni trop littéraire, ni trop
canaille ou poseur : voilà un joli livre à mettre entre toutes les mains,
peut-être LE roman grand public des dix dernières années. Son genre éclectique
est capable de parler à tout le monde.
Il faut que je vous dise, dans ce texte, à travers ces pages
passionnantes qui m’ont comblé de Potsdam à Schöneberg, qui m’ont encore réjoui
durant mon vol de retour - l’avion évoluait dans un azur parfait et projetait
sa petite ombre sur la mer de nuages en contrebas, un ciel que n’aurait pas
renié le principal protagoniste – dans ce texte donc j’ai rencontré quasi un
ami, un ami barbare : Roman Dragomir. J’ai peu suivi ce qui se disait à
propos de ce roman, il était sur ma liste de lecture, parmi Stéphane Bovon,
Sébastien Meier et d’autres. Suite à un post facebookien de Jean-Michel
Olivier, l’annonce de l’une de ses critiques sur le blog du Temps, un peu
bravache, je lui ai demandé à quand une critique de « Canicule parano »,
mon dernier roman ? Ce à quoi il m’a répondu « Envoie-moi ton livre,
je t’envoie le mien et on fait des critiques croisées ! » Euh, oui,
ça tombe bien, mes croisières, séjours berlinois, escapades à Francfort, Paris,
Milan, Barcelone, etc. me laissent quelque peu fauché de retour. J’ai quasi
procédé de la sorte avec les titres d’auteurs romands dont je parle dans ce
blog, quoiqu’avec les autres, j’y vais encore plus franchement au culot. Avec
M. Olivier, prix Interallié 2010, je n’osais tout de même pas. Quoique j’eusse
écrit en son temps le panégyrique du grand Jean-Michel à l’occasion de la
remise du prix de l’Association vaudoise des Ecrivains en 2006. Bref, tout ce
détour pour vous dire que j’avais bien entendu deux ou trois choses sur la véritable
identité de cet « ami barbare », il s’agirait du fondateur
des Editions de l’Âge d’homme, Vladimir Dimitrijevic. Et quand bien même ?!
Arrivent ici les quelques reproches que je pourrais faire à
Jean-Michel. « L’Ami barbare » est un roman à clef, une vieille clef
qui n’ouvre plus qu’un portail rouillé au milieu de rien. Avenue Agassiz,
en-dessous de la place Saint-François, il s’en trouve un comme ça : plus
aucun mur, aucune grille mais on l’a laissé là entre ses deux piliers parce
qu’il fait joli, avec sa ferronnerie d’art, et il est soigneusement fermé à
clef ! J’ai bien vaguement reconnu un nom par-ci, par-là. Je n’ai pas
retenu le sobriquet par lequel est travesti le nom de Bertil Galland, la charge
est massive. Je ne sais pas ce qui a bien pu se passer – pour de vrai – entre
Galland et Dimitrijevic mais du peu que je connais ces personnes, j’imagine
qu’elles n’étaient pas faites pour s’entendre. Personnellement, avec mon
complexe social, je ne peux être qu’écrasé et baveux de respect devant la
grande dignité de M. Galland ; je l’ai entendu l’autre soir au
téléjournal, j’adore son phrasé d’élite romande sûre d’elle-même. Il y a aussi
quelques journalistes évoquées selon leur aspect pincé ou leur chevelure grise,
longue et grasse. Notre facétieux auteur ne serait-il pas en train de régler
des comptes, quid ? En tous les cas, aucune des figures invoquées ne me
parle ; je ne sais pas de qui il s’agit et je ne dois pas être le seul
dans ce cas.
Durant mon adolescence, je suivais très peu les aléas du
milieu littéraire romand, ça ne m’intéressait pas. J’avais bien proposé un
manuscrit (manuscrit et pas tapuscrit) aux éditions de l’Âge d’Homme, un
recueil de nouvelles un peu légères et crypto-gay qui m’avait été
chaleureusement refusé. J’en avais pris mon parti et m’étais dit que je
réessaierais une autre fois avec un autre titre. Je me souviens avoir entendu
dire que Dimitrijevic était un militant d’extrême droite serbe, un type
pas fréquentable. Je n’avais pas cherché plus loin. Je n’étais alors ni
intéressé par la littérature romande, ni par la littérature slave, ni par la littérature
étrangère (non-francophone) en général. Je n’avais d’yeux que pour le
microcosme parigot. Mes premières amours littéraires avaient pour nom Hervé
Guibert, je brûlais pour son autofiction tragique. En fait, je suis né au monde
en 1989, à la chute du mur, je me suis émancipé en 2003, lors de mon premier
séjour berlinois, et depuis un peu plus de dix ans, je lis, vraiment.
Jean-Michel Olivier, avec son « Ami barbare », m’a rendu l’Europe que
je n’ai pas su voir à l’époque, trop engoncé dans un univers prolo et normatif.
Il m’a indiqué le chemin vers un continent perdu, vers cette belle et
bienheureuse Yougoslavie qu’on a laissé brûler. Il rend son honneur à un mythe
local – s’il s’agit bien de Dimitrijevic. Ce roman est un formidable voyage qui
m’a donné envie de connaître Trieste la habsbourgeoise et Belgrade la blanche,
et tous ces merveilleux territoires « mittel Europa » que me chantent
mes amis. Et j’ai un faible pour les Serbes, j’ai toujours eu un faible pour
les mauvais sujets, même s’ils souffrent de donjuanisme forcené et sont fous de
football (voici le deux ou trois autres sujets sur lesquels je devais revenir).
Jean-Michel Olivier a beaucoup de décence allusive quant aux scènes d’amour et
ses descriptions rendent presque un match de foot intéressant. « L’Ami barbare »
est le roman d’aventure à tenir dans sa bibliothèque.
P.S. Inutile d’aller avenue Agassiz, essayer d’ouvrir la grille au milieu du
parking, elle n’a plus de serrure, elle est scellée.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire