Cela commence lourdement comme un roman populaire, un roman
de gare, un mauvais feuilleton sanguinolent et gaillard façon pépère pervers.
La petite Mouchette – un nom pareil, c’est le pompon – voudrait bien mais ne
peut point et ne fait que des bêtises derrière la maison familiale car elle a
peu de religion. Voilà donc un chef d’œuvre de la littérature française !?
Et les aventures de Mouchette vous remplissent bien 73 pages, un pensum grotesque
comme peut l’être le Malin lorsqu’il est démasqué. En l’occurrence, le prestige de l’auteur et
du titre joue en faveur de la poursuite de la lecture.
Et la suite n’est guère plus engageante, on se retrouve à
gloser en compagnie de l’onctueux abbé Menou-Segrais, avec ses atermoiements de
vieilles filles, sa délicatesse, son inquiétude pour la santé de ses tapis et
sa fin de vie, de carrière qu’il se souhaite les plus douces possibles. C’était
compter sans le futur abbé Donissan, un vicaire qui lui a été
« refourgué » par une hiérarchie ne sachant trop que faire de ce
rustaud, ce séminariste pas très éveillé, si peu cultivé, sans manière et,
pire, qui sent l’étable ! C’est aussi une sorte de punition infligée au
délicat et cauteleux abbé Menou-Segrais obligé de composer avec ce vicaire
empoté, si mal à sa place. Toutefois, le décor est plu que bien posé ; il
commence aussi à se tramer un je-ne-sais-quoi entre les attentes de l’un, la
maladresse de l’autre. On en oublie quasi Mouchette et son vice par ennui.
Cette deuxième partie, cette « Tentation du
désespoir » se termine par une singulière rencontre. Le pauvre Donissan se
perd sur la route pour une paroisse voisine où il doit confesser les fidèles.
Nuit sans lune, nuit d’hiver, froide et inhospitalière. Et la rencontre, le
réconfort offert par un maquignon lui indiquant la route à prendre pour, au
moins, rentrer et ne pas geler dans le fossé. Il suffira d’une parole de rien
pour que l’abbé s’effondre, ce genre de rien perfide lancé avec malignité et
une indifférence feinte. Donissan, crotté, suant, épuisé vient de rencontrer
Lucifer, le prince des ténèbres ou l’un de ses avatars. Et l’ange déchu de
souiller le prêtre par un baiser – ils en resteront au baiser, on était sur le
point d’imaginer d’autres turpitudes d’autant plus que Bernanos fait miroiter
quelque secret à son lectorat. Rien qu’un baiser et l’aveu : jamais
Donissan en dépit de sa sainteté ne connaîtra la paix. Ce dernier a même offert
sa rédemption pour celle de toutes les âmes perdues qui viendraient à lui. Il
lui est alors révélé son don de
clairvoyance. Le vicaire Donissan, futur abbé de Lumbres, le grand garçon
gauche et inculte, celui qui tente d’arracher de lui toute joie, espérance et
autres tentations démoniaques en se flagellant à coup de chaînes, ce pauvre
homme d’église toujours crotté et embarrassé est gratifié du don de connaître
les âmes, de les lire d’un seul regard. C’est ici, après le départ de Lucifer
en marchand de chevaux, que la route de Donissan va croiser celle de Mouchette,
plus folle que nature. Donissan lira son âme, ses errements et jusqu’à son
proche avenir !
Parmi cette confiture de bondieuseries, cette narration
rustique et confuse, ces préventions et ces effets de suspens grossier, le
texte de « Sous le Soleil de Satan » révèle sa puissance dans la
troisième et dernière partie. On touche alors à des vérités intangibles, comme
la parole parfois maladroite du prêtre lors de l’homélie qui nous touche dans
une sorte de sommeil hypnotique proche de la révélation. Combien de fois ai-je été
réveillé par le volume qui était tombé, je ne m’étais pas même aperçu m’être
endormi alors que je poursuivais un dialogue avec le texte même. Et le
final, la mort évidemment, sans pour
autant que ce soit là un gage de paix pour Donissan, celui qu’on appelle depuis
qu’il en est devenu l’abbé, « le saint de Lumbres. Il y a le miracle, ou
une aberration, un enfant mort que Donissan ramène pour moins qu’un instant à
la vie. Et la mère en perd la raison. Bernanos nous démontre ici l’inanité de
nos stratégies ainsi que la voie d’une vraie et entière liberté. Les prodiges
du prêtre thaumaturge ne sont que de grossières manipulations qui nous
distraient de la radicalité du devoir
chrétien : un devoir d’amour, ou la meilleure manière de ne pas prêter le flanc
à Lucifer.
Un mot encore quant aux vanités épinglées, toutes, surtout la présomption en matière de littérature. Le personnage de Saint-Marin apparaît dans les dernières pages du texte. Il représente la fatuité et la coupable satisfaction de l’auteur arrivé. Cet homme dans le grand âge et la reconnaissance publique se sent acculé. La belle étoffe de sa vie n’est que poussière lorsqu’il veut en tâter le fil. Saint-Marin l’agnostique, le beau vieillard libertin que des aventures avec des filles faciles et douteuses ne rassasient plus veut rencontrer le saint de Lumbres pour, peut-être, trouver une échappatoire à sa faillite programmée. Horrifié par les éclaboussures de sang sur le mur de la chambre du prêtre, résultat de flagellations, chambre qu’on lui a fait visiter comme on visite une grotte miraculeuse, Saint-Marin laissé seul dans l’Eglise de Lumbres, entrevoit une éventuelle sortie de jeu plaisante et digne de lui, la conversion, une gentilhommière près de la paroisse du saint, une fin de vie lumineuse et calme, même un dernier ouvrage … Mais, coup de théâtre, l’abbé Donissan ne se laissera pas embrigader et, à travers la mort semble dire au mondain repenti qui le découvre : « - Tu voulais ma paix, s’écrie le saint, viens la prendre ! … »
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