Cela faisait longtemps que j’attendais un tel texte, une
parole claire, sans faux-semblant, sans effets, enjolivement ou autre sur la
ville, sur la détestation de la ville, ses plaisirs faciles, son inculture, sa
concupiscence, sa trahison … Je me disais que je me faisais des idées, que
j’exagérais comme le disent mes amis en souriant, petit mouvement de dénégation
du chef. Avec « Jours adverses », Julien Sansonnens m’a prouvé que je
n’étais pas fou, que ce malaise, ce n’était pas que « dans ma tête ».
Le roman commence très fort avec une charge houellebecquienne contre la vie un
peu sordide du citadin lambda ; on touche presque à « Extension du
domaine de la lutte ». Le style, la non-intrigue des premières page évoque
aussi le non-sens de « L’Étranger », étranger à soi, aux autres, à la
vie … Sam, en narrateur camusien, nous raconte son existence comme elle vient,
un peu plate, pas forcément désagréable, rehaussée çà et là d’aventures sensuelles.
Sam lève de la pouffe ou de la minette sans trop de peine, il fait aussi
parfois appel à des professionnelles. Quelques femmes s’installent pour
plusieurs mois dans sa vie, n’y restent pas, la vieille salade du monopole
sexuel, mais que comprennent-elles vraiment à Sam ? Il est le non-héros
libertaire conscient de l’inanité de toute révolte, conscient des poses et des
petites trahisons de ceux qui l’entourent. Dommage qu’il n’ait pas la foi, il
ferait un jésuite admirable.
Pour un premier roman, « Jours adverses » est une
réussite. Toutefois, après un bon premier tiers, notre auteur semble se
regarder écrire et le lecteur s’ennuie. L’action … la non-intrigue tourne au
catalogue bien écrit de lieux communs. L’auteur en rajoute un peu, trop, dans
le descriptif des parties de jambes en l’air et fait une fixette sur la
fellation. L’ennui n’est que passager, le récit se poursuit, le lecteur
retrouve la saveur aigrelette et séduisante à la fois du constat social
désespérant. Sur près de deux-cent-cinquante pages, il y en a une quarantaine
d’inutiles. Elles se repèrent de suite, elles sont écrites dans une syntaxe
fade de premier de classe qui maîtrise par trop bien ses concordances de temps.
Julien Sansonnens jouit, en plus de son talent d’écriture,
d’un talent de psychologue avéré. La personnalité de chacun de ses personnages
est ciselée, précise, et particulièrement cohérente dans sa petitesse et ses
défauts. C’est un magnifique défouloir où l’on rencontre le nerd artisteux qui
vire petit-bourgeois avec sa « meuf » ; à vingt-cinq ans, cette
dernière connaît la vie et offre sa science à Sam. Il y a aussi la
« mégote » enthousiaste de basse altitude si prévisible, le vieux con
révolutionnaire, l’élu trotskiste qui se goberge dans les bons restaurants, la
minette mi-s… qui couche une dernière fois et prépare sa vengeance. Et le père
absent ! et policier de surcroît, un petit bijou d’égocentrisme
testostéroné psycho-rigide. Des comme ça, pas tout à fait pareils mais
approchant, tout lecteur en a des charrois dans sa propre vie. Et la campagne,
l’authenticité rurale, du pipeau ! les gens ne sont pas mieux qu’en ville,
ils sont d’un autre genre.
« Jours adverses » est un long chant d’amour
contrarié. Le récit lassé de nos quotidiens salis par le conformisme et la
facilité. A la fin, tout le monde a perdu mais un jour pousse l’autre et
« il y en a des plus malheureux que nous ». Sam se remettra, comme
toujours, parce qu’il est solide mais, un jour peut-être, on aimerait le savoir
heureux.
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