Vous ne l’avez peut-être pas vu parmi la pléthore de
nouveautés des avant-dernière et dernière rentrées littéraires ? un gros
volume pourtant, du sérieux en jaquette Gallimard avec un titre accrocheur, pensez
donc, l’une des capitales festives européennes : « Barcelona ! »
Et l’auteur ? non plus ?! Pareil pour moi, le titre m’a interpelé et
j’étais déjà la tête à Barcelone, l’une de nos stations balnéaires favorites, à
nous autres romands, merci les trolleys volants (la compagnie orange à la
ponctualité aussi relative qu’une ligne de trolleybus des TL, comparable à la
susmentionnée entreprise de transport urbain sur le plan du confort et de
l’amabilité de son personnel !!!). Mais voler vers Barcelone reste
toujours un plaisir, une expérience à la fois anodine et merveilleuse, c’est un
ailleurs très proche, qui est autre et se veut tout autre (on est dans une
Espagne qui se réclame Catalogne).
Après chaque atterrissage, il faut traverser les nombreuses
salles hypostyles de l’aéroport surdimensionnés et toujours cette question, je
ne peux m’empêcher de me la poser à chacune de mes arrivées : mais
qu’est-ce que je fous là ! On n’est ni à Berlin, Münich, Vienne ou
Frankfort. Les Buddenbrook, c’est au bord de la mer baltique, pas en
Méditerranée. J’attends mon bagage, de nouveaux couloirs et le large trottoir,
la vue sur des montagnes dont je ne connais toujours pas le nom, un découpage
aux courbes gracieuses comme le Jura, même orientation, même lumière de fin du
jour que sur le Jura, et je reconnais la basilique de Tibidabo au sommet de
l’un de ces monts. Il y a toujours un léger courant marin qui agite les
palmiers du parking, comme un salut et je sens le parfum salé de l’air du large
qu’oublie bien vite mon odorat, à peine quelques heures après mon atterrissage.
Je sais alors que je suis dans l’un de mes chez-moi, et je comprends mon
affection, ma proximité avec le « Barcelona ! » de Grégoire
Polet.
Il s’agit d’un roman choral, d’une succession de portraits
qui se juxtaposent et s’entrecroisent. On y assiste à l’accession au pouvoir du
président de la généralité de Catalogne, on y suit l’une de ses filles, ses
questionnements moraux, les amies de cette dernière, le mariage de l’une, le succès
professionnel de l’autre, un couple d’expat’ français qui peinent tout de même
à comprendre l’entier de l’âme catalane, une serveuse célibataire de cinquante
ans, un vieux libraire, un veuf guide touristique à ses heures, un journaliste
sportif divorcé, un policier auteur d’un polar historique, un stagiaire
journaliste ambitieux, un vieux professeur de littérature américain pigiste à
ses heures, une galeriste, une peintre célébrée, un médecin-légiste, un petit
voyou débrouille, des romaninchels, un médecin allemand qui exerce aux States,
un sans-papier qui ramasse de la ferraille dans la rue, un navigateur aux longs
cours, sa vieille mère, son vieux chien et tant d’autres sous-personnages, de
silhouettes rencontrées çà et là, tout un monde sur près de cinq cents pages,
le souffle de la ville, cette haleine un peu lourde et cette douceur, malgré
tout, en dépit de tout, une caresse, et toujours le vent de la mer et
l’ondoiement des palmiers.
Le style est sobre, plaisant, élégant jusqu’à se faire
oublier. Polet est un peintre ; il n’a pas la froideur des intellectuels
en bibliothèque. Il est plein de bienveillance pour ses personnages, pour les
vies qu’il a su « attraper » autour de lui. Ne lisez pas « Barcelona ! »
si vous êtes à la recherche d’un texte incisif et rageur, si vous êtes un
blaireau de hipster anorexique ou une fashionista vénéneuse. Vous allez vous
ennuyer ! De plus, notre auteur glisse mine de rien ses référents
littéraires : Shakespeare par-ci, Musil par-là … Les quelques fois lorsqu’il
est ironique, il réserve ses traits à l’engeance touristique qui noie la ville
sous un flot continu de bidochons sans égard pour les lieux ni les habitants.
Pour avoir rencontré, par un hasard fortuit, l’homme dans la meilleure librairie
française de Barcelone (Jaimes), je peux vous assurer qu’il s’agit d’une nature
sympathique et ouverte, en parfait accord avec son roman. Il vous sourit,
rougit presque sous l’effet des compliments, témoigne d’une curiosité, d’une
empathie, pour les auteurs qu’il aime, et l’espièglerie d’un bon gamin en sus.
Son roman est si efficace, que l’on ne voit pas défiler les cinq cents pages ;
après en avoir tourné la dernière, on se retrouve un peu seulet et l’on se
surprend, le lendemain matin, sous la douche, à se demander si telle
protagoniste va trouver à se reloger sur Barcelone, si le ferrailleur va
épouser sa belle, si les médecines alternatives vont sauver tel autre, si le
président de la généralité va continuer de surfer sur une vague indépendantiste ?
Et, dans un premier mouvement, on ne s’interroge pas à propos de tous ces
autres fictifs comme on évoquerait les personnages d’une série, dans l’attente
de la prochaine saison, mais comme à de vraies personnes, des voisins, des
connaissances, des people dont on pourrait prendre des nouvelles par le
téléphone, la télé ou radio-couloir.
Cerise sur le gâteau, parmi les grands textes évoqués au fil
de « Barcelona ! », « L’homme sans qualité » de Robert
Musil, deux tomes plus qu’épais ; j’en ai acheté le premier chez Jaimes. Je
n’avais plus rien à lire et j’ai trouvé amusant d’acheter un livre en français
à Barcelone. J’ai donc poussé la porte de la meilleure librairie française de
la place, ce qui m’a donné le plaisir de rencontrer Grégoire Polet puis le choc
d’un roman essentiel totalement «exotique »
dans la capitale catalane. Quoique … Il existe une certaine langueur viennoise
sur les larges « carrer » bordés de façades néo-classiques,
modernistes ou Art Nouveau. Mauri (restaurant-pâtissier-confiseur-salon de thé)
n’a pas le chic d’un Demel mais il y a un quelque chose. La Barcelone de Morand
a du reste ce même quelque chose de Münich ou Berlin en pleine crise culturelle
et sociale. Grégoire Polet vient donc d’ancrer définitivement Barcelone dans ma
cosmogonie littéraro-géographique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire