Il y est arrivé, il y arrive toujours, de manière
moyennement peu glorieuse ou héroïque mais qu’importe. Il a pris un paquebot à
peine rouillé jusqu’en Islande, puis un zeppelin pour Friedrichshafen. Le
brouillard était profond en-dessous, tant mieux, cela évite de se faire tirer
comme une perdreau ; Wesley n’a pas perdu les bonnes habitudes de Steeven,
à savoir ne jamais avoir l’air surpris – rapport à son inculture d’antan – au
risque de passer pour un imbécile à longueur de journées. Il a donc vite déduit
que la ville natale du dirigeable était devenue un « hub », un super aéroport avec ses
tours d’amarrage en mini « tour Eiffel », ses ascenseurs à cabine
lambrissée, et un nœud ferroviaires par la même. Steeven ne connaissait pas le
lac de Constance, Wesley découvre. Ça
n’a rien du brillant de l’univers de ses songes, c’est même un peu pouilleux
sur les bords. Il concède un sens certain de la mise-en-scène mais pour le
reste, c’est prolo-land comme dans son enfance et, ici, il est un mec lambda,
pas moyen de se repeindre le plafond en rose après un petit somme, transit
consécutif. Il est même un sans-papiers, ou papiers pas vraiment vrais, il a
fait « un peu » chanter Richie, en toute amitié, après leur nuit de
gonflée. Ça sert d’avoir
potassé des livres d’histoire ; ça lui donne aussi un rien de référence
dans cette vieille Europe ravagée, plus vieille que ravagée selon ce qu’il
observe. Il descend dans le grand hôtel Zeppelin, un gratte-ciel renaissant aux
façades recouvertes de fresques. Richie lui a négocié un super-forfait avec la
traversée et son vol. Le sommet de la tour est perdu dans la brume, la pluie
sent les eighties’ en banlieue et un vague espoir derrière. Wesley a voulu
passer à travers, comme à l’habitude de Steeven, mais, là, il est au bout, face
à un mur, celui de ses fuites métaphysiques. Il s’attendait vraiment à du balaise
avec vaisseaux intergalactiques et pétoires laser, au risque de se répéter, le
tout en combi moule-burnes avec des pratiques sexuelles inédites, des hybrides
à triple sein, des trucs festifs mais on baise pareil de ce côté-ci de
l’univers, peut-être un peu moins. Le sommet de la subversion consiste à danser
sur de l’acid-schlager en culotte de peau et chaussettes fluo ! Wesley se
sent à la fois pris d’un vertige et d’une sorte de constipation psychique, il
ne voit pas quoi faire d’autres … Il a voulu ce monde, il l’a eu ! Il
voulait être seul dans lui-même, fatigué des sauts temporels, des histoires de
résistance, de l’Agence, complots, etc. Il a tout bien tout fermé toutes les
portes et balancé la clef, évidemment. Il n’a pas même envie de se mettre la
tête en dedans, rien, le gris et la pluie, et ce petit lac calme et étale,
quelques flots aciers. Wesley occupe une jolie chambre Art Déco, comme il se
doit, au 18ème étage, sous les appartements impériaux, au cas où Sa
Majesté ferait un petit saut dans le coin, ou l’un de ses représentants à la
cour. L’empereur ne se déplace plus que pour des visites d’Etat. La presse le
dit à Saint-Pétersbourg, parti rencontrer le prince régent et tuteur de son
cousin le jeune tzar … « Mauvais plan » se dit Wesley, il aurait dû
rester à Neu York, à faire vrombir sa voiture rouge avec Rick Astley, fitness,
restau’, son joli triplex à Süd Harlem. « Quelle quiche » se dit-il
encore, « pas une de droite » et son scaphandre qui décolore, qui
devient aussi manche et irrésolu que Steeven, quel était l’intérêt à changer de
corps, de vie, de dimension. Y’a pas à dire, c’était mieux avant, même un avant
jamais advenu. Pour se distraire, Wesley descend de sa tour, faire une
promenade en ville, voir comme on vit dans l’empire. […]
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