dimanche, septembre 28, 2014

"Rumeurs" de Louise Anne Bouchard,BSN Press

« Rumeurs » est un roman de dame, un petit texte resserré, pseudo-épistolaire car personne n’écrit de telles lettres, au XXIème siècle, à moins qu’il ne s’agisse de lettres publiées, d’un travail littéraire, une petite touche poseuse. Et Louise Anne Bouchard sait fort bien mettre en scène si ce n’est sa vie du moins son esprit caustique. La trame ? Une histoire de filles, deux sœurs brouillées pour de mystérieuses raisons, des chemins de vie qui bifurquent, une rancœur … de filles … Et l’une a extrêmement besoin de l’autre. Le beau prétexte.
 
Le style de Louise Anne est brillant, incisif, efficace, emplit d’une lumière atlantique, un grand bonheur. On aimerait lire durant des pages et des pages la description de Montréal, de ces Amériques sous une plume francophone sagace débarrassée de la brocante du régionalisme et des atermoiements ruraux sur le vrai goût, la vraie vie, les vrais problèmes. Il n’y a pas que le Canada dans ces pages, on voyage, Tessin, Patagonie, dans un style toujours aussi savoureux et coloré.
 
Cette belle plume que d’aucuns connaissent par des billets facebookiens drôles et acerbes se perd toutefois dans quelques clichés de la féminité accomplie et exacerbée (cuisine, fête, sexe). Et je ne vous parle pas de la complaisance œdipienne avec laquelle les deux soeurs évoquent leur descendance masculine, au secours Dr. Freud ! Mon Dieu, mais laissez respirer ces garçons. Il y a aussi quelques délires stériles sur la direction d’orchestre ; ça peut être intéressant mais ça n’apporte rien au texte, et le chef d’orchestre dont il est toujours question se nomme « Siffredi » ?! Après une brève googleisation, je ne trouve qu’un surfeur, un homme politique et le fameux acteur porno. Soit, ce dernier travaille aussi de la baguette mais je ne pense pas que la facétieuse et hyper-féminine Louise Anne Bouchard pensait à lui.
 
Quel dommage que « Rumeurs » ne comptent pas une quinzaine de pages supplémentaires. On aimerait cheminer encore un petit bout avec l’autrice, on aimerait se laisser raconter son Canada, Léonard Cohen, le mont Mont-Royal. Ces « Rumeurs » laissent une saveur prégnante en bouche et me confirment de plus le grand talent de Giuseppe Merrone, monsieur BSN Press, une maison d’édition qui sait cultiver son style, un mordant certain et tout le talent de ses auteurs.
 

dimanche, septembre 21, 2014

"Altesse royale" de Thomas Mann



En 1909, Thomas Mann signa « Altesse royale » (Königliche Hoheit), un roman dans lequel il met en scène un prince d’opérette confit dans la raideur de sa fonction, numéro deux d’un royaume en déroute. La critique n’a pas cru bon de retenir ce titre parmi les œuvres majeures du grand Thomas, lui préférant, par exemple, la longuissime et inaboutie « Montagne magique ». Et pourtant, dans « Altesse royale », l’auteur s’explique avec ironie sur sa dignité d’auteur et d’homme de principes, sur la disqualification des individus droits face à la modernité et au pouvoir de l’argent.
           
En résumé, Klaus Heinrich, second fils du Grand Duc, jeune homme frappé d’une infirmité, un petit bras gauche atrophié, finira par seconder son aîné souffreteux dans ses fonctions officielles. Sa vie n’est faite que de « pour de faux » et de « pour de rire », la mascarade du maintien et de la maîtrise de soi. Pour la masse « ordinaire » qui a le loisir de se laisser aller, le rôle de prince en représentation est regardé comme un spectacle auquel on applaudit mais interdiction au prince de sortir de son personnage. Il doit tout sacrifier à sa fonction. Thomas Mann développe ici la métaphore de l’homme de lettres contraint par là-même à ne jamais déroger à sa dignité. Il rend de plus un hommage discret à l’empereur allemand Guillaume II, personnage historique généralement brocardé et caricaturé jusque dans les livres d’histoire. Ce souverain a tout de même fait de l’Allemagne un Etat développé, démocratique, multi-confessionnel, multi-culturel, voire sa promulgation de lois de lutte contre l’antisémitisme. Guillaume II était de même affligé d’un petit  bras atrophié qu’il savait admirablement bien faire oublier.

Chez Thomas Mann, l’homme public a toujours tout fait pour maîtriser et cacher son homosexualité, la banaliser, la nier, la contraindre par le mariage, la détourner, la sublimer, etc. Katia, son épouse, la connaissait ; tout comme, dans le roman, la fille d’un magna américain de la finance dont Klaus Heinrich tombe amoureux accepte l’infirmité du prince et finit par l’épouser. Cette union scellera le bonheur retrouvé pour tout le royaume. Le récit a la dimension « simpliste » d’un conte et offre bien trois à quatre niveaux de lecture. Le texte est fluide, description de pièces d’apparat décaties, d’un microcosme suranné, des petits et très petits faits composant la vie morne de Klaus Heinrich. Le talent de Thomas Mann permet au lecteur de vivre auprès de ce prince, dans sa pauvre résidence de l’Hermitage aux banquettes garnies de coussins anémiques et de consoles vernie de blanc. Il y a aussi une somptueuse et puissante voiture automobile verte à l’intérieur de cuir rouge, tout un univers sensible hors du temps et des modes.

Que nous apprend « Altesse royale » ? Je ne sais pas en ce qui vous concerne mais ce roman m’a réconforté et conforté dans certains de mes doutes, de mes craintes. Il se trouve que, en tant que gay, je passe le plus clair de mon temps en minorité, en tant qu’auteur aussi, en tant que croyant parmi la tiédeur agnostique de même. Tous ceux que leur conscience aura entravés se reconnaîtront de même, leur sens du ridicule les aura retenus à rire et s’amuser innocemment parmi les joyeux autres. La différence, le fait d’être en minorité, la conscience de cela me force … nous force à un contrôle de tout instant, à une maîtrise de soi inflexible.

mardi, septembre 16, 2014

Geburtstag in Potsdam

Je reviens d’un bref séjour à Berlin où il m’a été donné de vivre un peu de cette bonne vie allemande proclamée par Thomas Mann. Mme von J., la mère de mon amie Li., m’avait invité à fêter avec sa famille et quelques amis son anniversaire. Pour l’occasion, les beaux-parents de Jo. (fils de Mme von J. et frère de Li.) ont mis à disposition une maison de plaisance qu’ils possèdent du côté de Potsdam. L’édifice serait digne de Schinkel, une bâtisse élégante et noble surplombant un jardin en pente douce au coin de deux rues résidentielles. Les haies sont taillées de telle sorte que les convives, depuis le péristyle du grand salon, puissent contempler la perspective sur Potsdam. De la route, la maison trône si noblement que, lorsque Li. la désigna au chauffeur de taxi, il en resta interdit, ne sachant s’il devait aller par la gauche ou par la droite pour nous déposer à la porte du logis.

Il y a soit le décorum, les usages, la particule mais, surtout la chaleur d’un monde où l’on sait se maîtriser sans pour autant éteindre sa personnalité. Chaque invité était attachant à sa façon, sous son meilleur jour du fait de l’occasion, une galerie de personnages à la Fontane. Dans la conversation, le menu, le décor brillait ce génie modeste propre au monde allemand. Ni paillettes ni excès, Mme von J., nom prestigieux, femme lettrée à l’esprit malicieux recevait simplement à l’occasion de ses quatre-vingts ans les parents, les amis, les alliés et l’on m’a fait l’honneur de me compter un peu parmi ces trois catégories.


Retour sur Berlin, une tasse de thé chez Li., la messe de 18h30 à Sankt Ludwig, le père Joseph la célébrait. Un dîner léger, toujours chez Li., l’appartement de la Hohenzollenstrasse (voir « Canicule parano ») un verre de bon schnaps et nous avons encore discuté de quelques points de traduction. Cette précieuse amie, fatiguée de m’entendre soupirer après le marché allemand, a décidé de travailler à la traduction de « Tous les États de la mélancolie bourgeoise ». Vous n’imaginez pas à quel point je trouve mon texte meilleur en allemand. Je suis rentré vers les 22h à la pension Austriana, sur la Pariserstrasse, un établissement que seuls les fans de Derrick peuvent apprécier : j’ai l’impression d’avoir dormi dans un épisode la série !

mardi, septembre 09, 2014

Le livre sur les quais, la République des Lettres au bord de l'eau


Photo d'André Ourednik
Il y a les amis, les vrais, ceux qu’on ne voit pas tant mais qui restent toujours un peu près de vous par leurs livres. Et ils étaient à ma gauche Pierre-Yves Lador et Pierre Quéloz, à ma droite André Ourednik. Il y a les amis des amis, Olivier May, son enthousiasme, sa bonne lecture et je ne l’ai pas même interrogé sur son travail, un livre jeunesse, je crois, sa passion pour l’antiquité. Et Florian Eglin, le regarder à la dérobée, assis dans une bergère Louis XVI, le Confessionnal dans les salons Moyard. Pour ceux qui ne visualisent pas, il est brun, souriant, un regard ferme et avenant, les traits fins, une chemise en jeans ouverte, un, deux boutons, pressentiment du torse puissant au poil brun et des mains racées. Le sourire naturellement séducteur, on ne doit pas souvent lui dire non.

Place 55, je la partage avec Quéloz mais Emmanuel Pinget nous prête aussi sa chaise. Il signe « Avant de geler », sa compagne est berlinoise, elle vit à Schöneberg. Quelques connaissances, un mot fielleux, « c’est ça que tu publies ? mais c’est tout petit ! une brochure … » ou l’amabilité un rien forcée d’une vieille grosse jeune fille en vue qui ne l’est plus. Cyril n’est pas passé, trop de monde, il fête ses quarante ans à l’appartement, nous faisons porte ouverte. Il m’a tout de même accompagné la veille au soir au cocktail, la terrasse du Casino. J’ai « courbé » les discours officiels avec André ; nous sommes allés manger des tajines dans le lounge des auteurs, j’échange ma carte avec Jacques Neirynck. Mais le cocktail, retrouver Cyril qui m’a appelé, attendre la fin des discours, Fornelli nous a rejoint, nous pénétrons la terrasse du Casino. Il fait beau, doux, crépuscule, il y a du monde. Vincent Jacques, notre bon syndic, sa femme est charmante. Nuria et Olivier sont un peu plus loin. Cyril se faufile et s’échappe par l’un des escaliers en volutes.

Trinquer avec Luc Ferry, parce qu’il est là, un verre à la main et moi aussi, nous sommes au milieu du passage, la conversation se noue. Luc est accompagné d’Isabelle Alexis, petite robe noire, chandail rose noué aux épaules, le teint frais, la parole complice. De temps en temps, Luc lui demande une cigarette. Daniel Marguerat passe par-là, Luc Ferry l’admire, les deux hommes se présentent, la discussion roule sur l’histoire du christianisme. Je m’inquiète de savoir où se trouve Cyril. « … mais ramenez-le et présentez-le nous ». Je retrouve mon homme après avoir parcouru tous les salons ; il se tient à l’autre bout de la terrasse, un attaché de presse le regarde avec intérêt. Nous retournons auprès de Luc, Isabelle et quelques autres. Le grand homme est cordial, drôle, enchanté de son séjour morgien. Fin de soirée à la terrasse du Métropolis avec la moitié du staff Payot qui, avec Cyril, chante du C. Jérôme et du Christophe à plein poumon. Le serveur après une heure de concert demande un peu de silence, demain est déjà là.


Place 55, il y a les amis, les livres, les lecteurs ; je me sens un peu engourdi, un peu affamé, dernière ligne droite, je ne vais pas tarder à lever le camp, je ne veux pas manquer la messe de 18h30 à la chapelle de la Longeraie. Stéphane Bovon se tient debout derrière sa pile de livres, comme le géant de la couverture de « La Lueur bleue ». Alexandre Grandjean et Alain Freudiger sont de retour du Locle. Je n’ose pas tourner la tête, Fabienne Bogadi dont j’ai à moitié assassiné le roman dédicace avec application sur ma gauche. Elle est d’une politesse exquise, souriante, cordiale et nous salue avec grâce. Une dernière dédicace à Mélanie Chapuis, « lequel me conseilles-tu ? », la belle est pétillante, je prends un « Canicule parano ». Il paraît que Servidis serait en rupture de stock.

jeudi, septembre 04, 2014

Lausanne, scène 1, action !


La ville est photogénique et le sait. Elle aime les objectifs, les caméras, elle ne se lasse pas de se réinventer à travers clips, pubs, courts et longs métrages, séries, sur grand écran, en une, portfolio central, magazine ou quotidien, de loin, de près, de nuit, de jour, dans toutes les circonstances. Mais il faut une histoire, un scénario, story-board, etc. Lausanne, tenant et aboutissant romanesque, qu’on l’aime ou non, ou plus.

L’autre jour, fin d’après-midi, vendredi, fatigue, promenade à travers les rues commerçantes, les boulevards du bas, remonter vers Saint-Laurent, slalomer entre les cyclistes, des jeunes à roulettes, camion poubelle. J’hésite, je trébuche sur le pavé et, à la terrasse d’un bar voisin, j’ai le plaisir d’être salué par Pierre Louis Péclat et Hugo Martinho. « Voulez-vous vous joindre à nous ? » Que faire de mieux en fin de semaine, la tête en friche, du bon vin local, une terrasse, la vie de la ville dans ce qu’elle a de plus simple et pittoresque, et la littérature, l’évocation de titres, d’auteurs, de faits, d’instants, précieux, d’autres villes, Berlin, Porto, Varsovie. Jusqu’à la pluie, qui nous surprit au moment de se séparer sur la Palud. Le pavé mouillé de Lausanne, début de soirée.


Comme à dix-huit ans, je pris le chemin de la gare. Légère ivresse, trois verres pas plus mais le ventre vide. Et la ville m’apparut irréductible, vibrante, authentique, pareille quoique différente. La ville, Lausanne, « m’est remonté à la surface ». Je la porte, comme la portent certainement tous les auteurs qui la fréquentèrent. Je l’aimai, je la rejetai, je la « recrépis » de ma critique et je retrouve … notre histoire, elle fait partie de moi et je lui rends toujours, d’une manière ou d’une autre, hommage dans mes romans.

mercredi, septembre 03, 2014

"La Causerie Fassbinder" de Jean-Yves Dubath


« Et tu l’aimes sa scansion ? Tu l’aimes ce ton ? tu l’aimes ce verbe en mine de rien ? » Semble dire lascivement Jean-Yves à son lecteur, son petit genre post-godardien, Nouvelle Vague continue, un récit que l’on attrape comme, par exemple, « Le Mépris » en cours de diffusion, très tard à la télé, sans trop savoir ce que c’est dans un premier temps et « remettant » peu à peu l’intrigue au fil des dialogues. Elégance particulière et nonchalante de l’intellectuel sans faux-col … de l’homme d’esprit plutôt … de l’homme de goût … de quelqu’un qui porte son histoire, sensibilité et souvenances.

Peut-on parler de « Nouvelle Vague » allemande ? Fassbinder et l’évocation par une bande de copains de son œuvre, « Effi Briest », adaptation du roman de Fontane, quoique je trouve « Frau Jenny Treibel » plus abouti. Fassbinder et ses références naturalistes, Maupassant, Flaubert ; Fassbinder et son hommage à Rhomer ; Fassbinder et sa liberté, sa disparition prématurée, comme une vie inaboutie, la partie que l’on refait sans cesse entre potes, et chacun a le droit de donner son avis, le lecteur aussi, le néophyte, une conversation de bistrot avec ses répliques décousues et l’intuition, en-dessous, débusquer une vérité ultime. Il ne faut pas mépriser les conversations de bistrot. « Tomber sur un film », en cours de diffusion ne retire rien à sa charge émotionnelle.

« Qu’il y a de bruit là autour, cependant est-ce que nous possédons Dieu, est-ce que nous ne possédons pas Dieu ? » Et j’ai vingt ans, dix-huit ans même : je lis en mode intuitif, quelques souvenirs en anticipation. « La Causerie Fassbinder » est une expérience d’un autre genre qui tantôt me renvoie au souvenir pré-adolescent de Paris, la France, la culture vues d’ici, un phare dans la nuit et complète mes références de « Teilzeit Berliner » actuel. Je ne retire aucune vérité du roman de Jean-Yves Dubath ; mieux ! J’en retire une esthétique, une émotion, en revenir encore une fois au film attrapé au vol sur un écran de télé, si possible tube cathodique, l’image n’est pas plus belle, elle a plus de relief, plus de vérité. Et l’on devine une grande œuvre, ne pas regretter ce que l’on a manqué, ce que l’on va manquer, on en pressent l’existence et ça suffit. Circonstances étonnantes, une chambre d’hôtel à Dehli, une tourista en rémission, un voyage avec Homais, son avatar, je n’avais pas vingt ans, Flaubert est parmi nous, une visite du Fort Rouge et sa p… de colonne de ferraille qui ne rouille pas mais est tout de même rouillée mais je préfèrerai poursuivre dans ce film, quelle merveille. C’était « Blade runner », je l’appris bien plus tard.

« Qu’il y a de bruit … », oui, vraiment mais cela n’empêche toutefois pas d’entendre, de se souvenir, d’apprendre, de se laisser toucher et de regretter deux ou trois petites choses parce qu’on n’a plus vingt ans et que Fassbinder est parti trop tôt. Se demander s’il ne serait pas plus sage d’allumer une clope, en re-fumer une, comme au bon vieux temps et marcher sous la pluie, une ville, une rencontre, quelque chose de sexuel, forcément … ce qui n’exclut pas l’amour ou Dieu mais pas de conviction, parce que la vie est trop fragile pour supporter un tel … sentiment. L’œuvre est trop fragile pour supporter le poids d’une narration. La fragilité d’une conversation, une conversation de bistrot peut-être, une brasserie en demi-jour, une table tout du moins, des amis, des verres à moitié vides, ou pleins, et ce verbe, hypnotique, vertigineux, faire parties des amis de Jean-Yves.