lundi, mai 29, 2017

"Et à la fois je savais que je n'étais pas magnifique" de Jon Monnard

Jon Monnard, le beau Jon Monnard signe son premier roman, une fable sur la jeunesse, le talent, la littérature, les faux-semblants et la vanité d’une époque qui ne sait plus lire (et si peu écrire). Si Rastignac était écrivain et avait trop de sensibilité …

Je l’ai repéré au Dîner des auteurs, la Villa Sarasin, le dernier Salon du Livre de Genève, un grand garçon les cheveux auburn, roux foncé, roux … comme le roi David, mon petit penchant sémitique. Je m’égare. Il conversait avec Max Lobe, très cher ami, très bon signe. Il lui passait son livre « Et à la fois je savais que je n’étais pas magnifique », un bon titre, accrocheur, une belle couverture et l’auteur a une mine avenante, le ton agréable, une certaine retenue et, à la fois, de la spontanéité. J’emprunte le volume de Max, lis quelques lignes, un carottage de deux, trois extraits qui me plaisent. Je me verrai bien le livre entre les mains, passer un peu de temps avec. Echange de coordonnées électroniques, il me promet de m’en envoyer un exemplaire, en vue de ce billet. Je lui passe la référence de quelques ouvrages que j’aime (Mauriac, Green, Mann, un peu connoté vous me direz …), Jon est un auteur qui lit ! qui compte élargir son horizon et qui tient ses promesses. Le livre reçu, il ne manquait plus que l’occasion de le lire.

En fait, je comptais vous faire un billet sur Milan, petit séjour de l’Ascension, tre giorni e mezzo, de grandes lunettes noires vissées sur le nez – un chalazion récalcitrant me boursoufle la paupière gauche – Ray Ban, de la marque évidemment, je vais dans une capitale de la mode, pas à Trifouilli-les-Oies. J’avais déjà défloré le texte, un quickie de quelques pages, un très très bon moment, la découverte du corps du texte comme une chemise que l’on ouvre sur un torse, la caresse de l’œil, un peu maladroite, un peu pressée, les pleines promesses d’une rencontre inespérée, l’affaire est consommée. L’escapade milanaise tombait bien. C’est LA ville où lire le premier roman de Jon, une fable qui, comme toutes les fables, est le résultat d’une aventure intérieure, d’un bout de vie. Jon a 27 ans, nous n’avons plus affaire à de la pédophilie culturisante. J’en ai vu des jeunes merdeux lettreux qui roulaient des mécaniques et leurs jeunes promesses un peu courtes … Et les gargarismes d’admirateurs en vue qui s’imaginaient effeuiller autre chose que les pages d’un volume inepte … Je m’égare encore … à moins que je n’illustre par la démonstration.

Le lecteur est donc amené à suivre le jeune Coska parmi les tartuffes d’une école d’art péteuse où chaque élève prend la pose. Jon a le regard acéré de ceux qui savent voir. Puis Coska dans sa solitude, ses espoirs littéraires, l’opportunité, un concours, et le raté devient une star, à la force de son talent, oh, la jolie success-story à deux balles dont sont remplis je ne sais trop combien de romans ne valant pas même le prix de l’allumette pour y bouter le feu ! Mais notre auteur, le vrai, pas son avatar, a dépassé le cliché avec son hybridation entre mode et littérature. Il a imaginé une créatrice de mode voulant donner plus de profondeur à son immense carrière de chiffons en y imprimant des mots.


En sus – Ohhh, oui, en sus ! – Jon donne vie à tout une galerie, des personnages archétypiques : Mercure, Ghiaccio, le libraire La Colère, un véritable bestiaire, un échantillonnage de travers, de lâchetés diverses et de compromission. Il y a un rythme, une musique, une saveur ; le texte a la vertu de nous faire voir le monde avec plus d’acuité. On est pris du dégoût que, légitimement, tout individu sensé devrait ressentir en tournant les pages de magazines de mode, ce déballage de pseudo-références pillées à la vraie culture. Jon Monnard ne manque pas de lettres, ni de référence. Il sait asseoir son univers et distiller son monde. Il a des goûts un peu top impressionnistes selon mes critères, mais ça tombe juste, comme un pantalon bien taillé. Notre auteur perlabore du reste son personnage public comme son texte, un important travail d’équilibre, d’équilibrisme d’où mon intérêt pour son roman, la frontière ténue entre l’être et l’œuvre, jusqu’où payer de soi son succès, le succès de son travail d’auteur ou celui d’un titre ? Et quel succès ? comment le mesurer ? en nombre d’articles ? d’émissions de radio, de télé ? d’invitations mondaines ? d’activités récréatives ? Jon a pour modèle le fragile Scott Fitzgerald, que je n’ai jamais lu, j’ai de la sympathie pour l’image que cet auteur a laissé de son personnage. Personnellement, après quelques titres, peu de lecteurs, quelques invitations – et cela fera bientôt trente ans que je n’ai plus vingt ans, je me suis arrêté à la conviction que la littérature était un sacerdoce. C’est beau, c’est rare, lorsqu’elle rapporte, qu’elle remporte le succès, et souvent ce n’est qu’une mise-en-scène, pas même besoin de citer de noms. Pour le lecteur non-auteur, « Et à la fois … » est un conte intelligent, touchant, de très beaux moments, une fin en apothéose discrète, et pour les auteurs qui le liraient, une mise en abîme de notre activité d’écriveron. 

mercredi, mai 17, 2017

Beauté-subjectivité, petit cours d'architecture sur des cas concrets situés à Morges


Beauté-subjctivité, premier billet d’une nouvelle rubrique. Ce texte a été publié dans le dernier n° du bulletin de l'Association de Sauvegarde de Morges. Je vous livre ici la version originale du texte.

Tous les goûts sont dans la nature dit-on, surtout le mauvais ai-je l’habitude de conclure. Blague à part, l’ASM est consciente qu’il existe des formes multiples du beau, aussi bien dans les édifices anciens que récents. On nous accuse souvent d’être des passéistes, accrochés à l’idée que « avant c’était mieux ». Oui, mais non, chaque époque a ses échecs, ses maladresses, ses ratages en matière d’architecture et d’urbanisme. Toutefois, contrairement à ce que claironne la « sagesse populaire » qui, en l’occurrence, n’a de sage que le nom, il existe des critères objectifs de beauté ! Je ne vais pas revenir sur cette expérience faite avec des enfants à qui l’on présente des photos de visages, et les enfants de classer les portraits en fonction de leur beauté ; chacun a quasi fait le même classement. Il existe donc des critères fixes que nous pouvons selon la situation tout de même modaliser.

Notre notion de beauté en matière de constructions repose sur la symétrie, les proportions et l’intégration. Il est rare que votre ASM soit confrontée à des bâtiments VRAIMENT atroces. Il y a toujours quelque chose à sauver. Nous nous battons avant tout pour maintenir la qualité du bâti, l’homogénéité d’un îlot, le respect de ce qui a été érigé il y a un, deux … cinq siècles. Notre patrimoine, nos monuments ne sont pas que des bibelots posés ça et là pour faire joli. Aux trois critères précédemment évoqués, il faut encore ajouter la qualité historique de la construction. Par exemple, le grenier bernois est typiquement un édifice qui a survécu du fait de son caractère historique ! La plus belle chose que possède ce grenier que le temps n’a pas épargné : sa charpente et sa volumétrie. On aurait pu imaginer une préservation de ces deux éléments, à savoir reconstruire un bâtiment neuf, de la même taille, sous la charpente ancienne. C’est presque ce qui a été fait lors de l’aménagement de la bibliothèque. Lors de cette reconversion, on a perdu les délicates arches du rez-de-chaussée, dommage.

Autre exemple, afin de poser les bases de cette chronique que vous retrouverez régulièrement dans notre bulletin, le Bâtiment Administratif Cantonal place Saint-Louis ! Construction audacieuse, intéressante, adroite, marquée, une réussite ? Un ratage ! L’effet dissymétrique recherché est soit intéressant, voulu, les proportions sont bonnes mais l’intégration est détestable ; ce bâtiment étouffe la maison Seigneux, la dégrade irrémédiablement dans son site car on n’imagine même pas une démolition dans les trente ans à venir. L’ASM s’était pourtant fait entendre mais nos autorités n’ont pas su/voulu relayer nos oppositions. Tant pis. Gardons le cas du BAC comme exemple absolu de ce qu’il ne faut pas faire, que cet échec nous aiguillonne dans nos futurs combats. 

Passons à présent à l’étude d’un cas  précis, une construction emblématique de Morges : la tour du Moulin. Au-delà du débat stérile genre « tous les goûts gnagnagna », votre ASM s’est battue pour la susmentionnée construction lors de sa réfection. Nous avons sauvé ses mosaïques ainsi que les espaces communs du rez-de-chaussée. L’ASM a défendu ce bâtiment non pas par lubie mais en raison des qualités objectives de notre mini gatte-ciel post-lecorbusien. Si nous revenons aux critères précédemment énoncés, la tour du Moulin présente des façades et un plan symétriques ainsi que des proportions agréables. Son intégration eût pu paraître discutable si l’autoroute ne balafrait pas la ville. Le viaduc de béton massif de l’A1 marque profondément le paysage à l’horizontale, son flux est inexorable et seul un geste architectural vertical fort pouvait dompter cette tare. 55 mètres surgissant parmi le bouillonnement des frondaisons alentour,  la façade sud comme une page lignée, les façades est et ouest garnies de leur célèbres mosaïques non-figuratives et la façade nord un peu moins adroite, cela est certainement dû aux coloris employés, un effet de rayures épaisses en gris et mauve-rose. La tour du Moulin jouit du dégagement nécessaire afin de ne pas engoncer sa haute stature, elle prouve que la ville existe au-delà et en dépit de l’autoroute. L’intérêt historique de cette réalisation, notre quatrième critère, est en constant développement. Encore 20 ans et cette tour sera parfaitement intouchable, et dans sa forme, et dans son site. Il me faut introduise un dernier critère, celui de la qualité des matériaux employés et de la réalisation. La tour du Moulin le remplit en bonne partie. Pas de pierre de taille, pas de granit à gogo, de marbre en cascade, pas de ferronnerie d’art mais ces fameuses mosaïques géantes, réalisées à l’aide de plusieurs centaines de carreaux de faïence posés un à un qui, je vous l’accorde, étaient en passe de se déceler. La récente restauration a réglé le problème.

En résumé, l’ASM se fait l’avocate de toute construction morgienne relevante répondant aux critères esthétiques de symétrie (ou dissymétrie ludique/recherchée), de proportions, d’intégration et aux critères complémentaires de valeur historique et de qualité de la réalisation. Dans notre prochain bulletin, nous vous proposerons une analyse de la rue des Charpentiers, l’une des rues les plus remodelées du bourg historique de la ville de Morges.