dimanche, octobre 27, 2013

Retour de New York



Cour intérieure, 9 W 120 str, NY

Il est à relever que j’ai voyagé avec des compagnons aux goûts plus … « communs » que les miens ; mon séjour eût peut-être été différent avec d’autres. New-York, donc, en dépit de mes préventions à l’encontre des Etats-Unis et de la culture anglo-saxonne. Huit heures d'un vol agréable, atterrissage à 20h20, attente à la douane, les questions décousues d'un officier de l'immigration puis un taxi sauvage pour la 120ème ouest, au croisement de Lenox. Une maison de trois étages, en briques rouges, un perron au sommet d’une volée d’escaliers. Tout le segment de rue est du même style, réminiscence de la bonne vie bourgeoise d’avant la crise de 29. La nuit est étonnamment silencieuse. Lenox avenue a été rebaptisée Malcolm X boulevard.

Dans la lumière du lendemain, une lumière atlantique, à la « Hopper », se détachent de belles architectures sur un ciel ultra-bleu. South Harlem a des airs de capitale européenne à la fois faillie et au début d’un renouveau.  Six rues plus bas, Central Park, ses promenades, bassins et fiacres, ses réverbères Art-Nouveau. Toute la ville, tout Manhattan s’organise autour du parc, un territoire au milieu du territoire. Au Nord, c’est un terrain de jeux familial, bon enfant, des messieurs un peu endimanchés avec leur chien et leur épouse, ces deux derniers en surcharge pondérale ; au Sud, c’est une sorte de féérie cinématographique dans laquelle chaque promeneur est figurant, voire l’acteur principal. Le touriste à appareil photo qui crépite de flashs tient de la faune locale particulière. On touche ici à l’un des éléments marquants de NY, son aspect artificiel, voire « bidon ».

Encore quelques belles images. Le thé au Waldorf-Astoria, le palace new-yorkais par excellence ; la soirée d’opéra au Met, « A Midsummer night’s dream » de Britten ; quatre heures de visites au Metropolitan Museum, un portrait de jeune homme du Bronzino ; Bloomingdales et sa boutique de Noël; Macy’s ; « Le Fantôme de l’Opéra » au Majestic Theater ; un cosmopolitan au bar panoramique et tournant du Marriott Marquis, 48ème étage. Et toujours cette lumière dorée. Un charme qui opère jusqu’au-dessus de Woodburry Common, une mini cité de hangars déguisée en village balnéaire façon Hampton. Une heure de bus du centre ville pour tomber dans ce piège où consommer est la seule activité. Le cœur du problème.

New York est une féérie et une forfaiture. Du carton-pâte, des toiles peintes grossières parmi lesquelles gigotent d’assez mauvais acteurs. Ces gens ont de gros problèmes avec eux-mêmes en dépit de leur « coolitude ». Etrange peuple qui a si peur des « cabinets », cuvette surbaissée et porte anecdotique. Impossible, comme dans le reste des États-Unis, d’avoir la moindre intimité dans les toilettes des lieux publics. Les New-Yorkais ont un souci d’eux-mêmes quasi névrotiques. Toute la population est obsédée par sa ligne, les autorités s’en soucient aussi. On ne vous sert que du sans-sucre allégé et sans sel. Je soupçonne même l’industrie agro-alimentaire locale de rajouter de la fibre alimentaire dans tout et n’importe quoi. Une femme, que j’avais dans mon champ de vision, Dunkin Donut, et qui vidait quatre à cinq sachets de sucre dans son mug de café s’est sentie visée et s’est mise à vociférer à mon endroit qu’elle aimait le sucre et alors !

A New York, il n’y a que des procédures et surtout pas de libre arbitre. On suit les règles sans se poser de question parce que ces règles ont été édictées par une autorité supérieure donc indiscutable. On est aimable, parce que c’est commerçant et, derrière le sourire forcé, la fatigue, l’ennui, ne surtout rien laisser paraître, comme un portier, dans les toilettes du Pierre, en train de dormir debout qui, lorsqu’il s’aperçoit de ma présence, se ressaisit, affiche un franc sourire et me salue en me demandant comment je vais. Merci, je vais plutôt bien et souvent, rapport à la fibre alimentaire, j’y ai même laissé deux kilos et suis fatigué de manger non-stop afin de répondre à ma sensation de faim. Je m’étonne moi-même d’avoir autant d’appétit dans cette ville vénale à vomir.

vendredi, octobre 18, 2013

"Chants dilettantes" d'André Ourednik



Retour sur « Chants dilettantes d’un fainéant éduqué » d’André Ourednik, une œuvre de jeunesse, un recueil poétique sous-titré « au rythme des saisons et des manies ». Je ne connaissais pas l’auteur, pas de manière personnelle, de nom, oui, nous avons – aussi – publié dans la même maison. Au Livre sur les quais, nous étions assis côte à côte. André dédicaçait ses « Contes suisses » aux éditons Encre fraîche. J’ai toutefois été attiré par un petit volume plat, illustré d’un dessin … évocateur, l’esthétique poétique, faite d’évocations et d’élisions.

André a publié ce recueil alors qu’il n’avait que 24 ans et l’œuvre brille d’une jeunesse éternelle, d’une révolte délicatement décadentiste, de beaux élans littéraires, d’une geste classique lorsqu’on a 24 ans.

et on est la jeunesse dorée
la récolte des efforts
de la dernière guerre
et de toutes celles d’après
chez eux

mais c’est quand même eux
qui putréfient
en proie aux vers
et aux badauds paresseux
mes amis qu’on repêche dans un lac
ou dans les chiottes d’un bistrot
chez nous
victimes d’un massage de cœur
pour remettre les visages en route
Extrait de chez nous

Le texte parle de soi, tout le recueil est de la même eau, quelques incursions en langue anglaise et allemande, une inspiration éminemment lettrée, la référence culturelle classique assumée, l’ironie classieuse, juste la touche d’érudition assumée qui évite à l’auteur les travers poseurs du hipster. Inutile d’en dire plus long, ce serait éventer le bouquet de cette poésie authentique aux assonances si originales.

Longue vie au monde !
Et longue vie à notre incompétence sacrée !

Strophe finale de « 3ème Manifeste »

« Chants dilettantes d’un fainéant éduqué, au rythme des saisons et des manies », André Ourednik, éd. L’Âge d’Homme, 2002

lundi, octobre 14, 2013

"Miséricordes" de Joël Espi



J’voudrais bien, ouin, ouin, ouin ; mais j’peux point, ouin, ouin, ouin… Misericorde ! « Malgré l’affection qu’il lui portait » (p.93), Joël Espi n’a pas pu : il aurait tant aimé répondre à la tendresse du curé. Notre auteur va même jusqu’à se demander s’il aurait été l’un des fantasmes du prêtre (p. 93).

Le lecteur de « Miséricordes » est le témoin effaré d’un récit bouillonnant de doutes et de questions. Il devient, comme dans toute bonne autofiction, et thérapeute et complice de l’auteur. La position est inconfortable, surtout depuis que la presse, à propos d’un autre roman romand récent, s’est écriée que l’autofiction était un genre facile et sale. Donc, « Miséricordes », une centaine de pages d’un style soigné, lissé, d’une forme très correcte et élégante pour mieux contenir un « entre-les-lignes » explosif. Et puisque Joël est pleinement partie prenante du récit, intéressons-nous à sa personne, son personnage. Il se pose en secundo et, comme tous ces enfants nés en Suisse de parents étrangers, il est plus Suisse que n’importe quel Suisse. De ce fait, il est profondément travaillé par le désir de rester fidèle à son sang et témoigne naïvement de son attachement à ses origines. Est-il gay ? Il se pose en hétéro convaincu, sensible toutefois à la beauté masculine. Les quelques moments d’ennui que l’on trouve au cours de la lecture de « Miséricordes » touchent justement aux descriptions poussives de telle ou telle beauté féminine. Même Thomas Mann échouait dans cet exercice.

Joël Espi a-t-il l’étoffe d’un auteur ? Je serai catégorique  sur ce point et je ne peux que répondre oui ! Vous me direz que, comme pour Bovon, Mouron, Lador, Quelloz ou Ouerdnik nous nous connaissons tous. Nous avons tous publié ou publierons dans les mêmes maisons ; depuis ma dernière critique, le paysage éditorial romand ne s’est pas élargi. Pourquoi, sur la base d’un texte, une œuvre autofictive d’une centaine de pages, je peux affirmer que Joël Espi est un auteur ? Notre homme a du cran, de la syntaxe et de la réflexion. En plus des quelques ambigüités qu’il donne à voir au fil du texte, il est journaliste. Il fait partie de ce corps de métier qu’il met directement en cause dans le suicide du prêtre.

Qu’importe, Monsieur Espi, que vous soyez un catholique croyant refoulé, un gay qui s’ignore ou, même, secrètement amoureux du curé, votre talent est à la mesure de votre courage. Vous avez même brûlé la politesse à André Ouerdnik et Pierre-Yves Lador dont j’ai promis une critique des textes aux lecteurs de ce blog.

Rédigé à Berlin, Schöneberg, Winterfeldstrasse.

« Miséricordes » de Joël Espi, éd. Hélice Hélas, 101 p.

vendredi, octobre 04, 2013

"La Combustion humaine" de Quentin Mouron


Dans son dernier roman, Quentin Mouron pousse un cri d’amour à l’adresse de Proust, des Belles Lettres et de la littérature romande. Il ne livre pas la chose platement mais la distille à travers le personnage d’un éditeur genevois en vue, Morel, un homme désabusé et aigri. Certains y ont vu matière à polémique. Toutefois, Mouron, avant d’épingler les cénacles culturels, la presse, les journalistes parle avant tout de lui-même. Par le réquisitoire acéré qu’il prononce contre ce milieu honni, il se condamne en tant que membre à part entière et confesse ses fautes à ses lecteurs. Par ses macérations métaphoriques répétées (je parle de la pratique religieuse et pas d’un cornichon au fond de son bocal), il semble expier l’artificialité de la position d’auteur, la vanité de faire partie de l’élite culturelle, un attachement chauvin à un terroir, l’impuissance de l’écriture face au malheur, au mal. Mouron a l’amertume des grands sensibles. Il veut à la fois jeter le masque et, en dépit de cette inconvenance, être aimé, d’une manière encore plus vraie que les pauvres personnages de sa « Combustion humaine », qui s’envoient parmi et à travers les réseaux sociaux des « cœurs » et des « licornes ». Il est intéressant de relever que ce dernier motif, symbole de pureté, revient de manière plus que régulière ; l’auteur en fait même une fixation.
 
 
Quentin a-t-il commis quelques maladresses dans ce texte ? Si je vous dis non, vous ne me croirez pas arguant que nous nous connaissons, que nous avons publié et publierons peut-être encore dans la même maison. Qu'importe. Ainsi qu’il le dit, en Suisse romande, tout le milieu littéraire se connaît. En outre, de par sa jeunesse et son talent, notre auteur a une très belle marge de progression devant lui. Son troisième roman est certainement le plus achevé. Derrière sa confession-condamnation, l’auteur mène une réflexion et une analyse très fine de l’impact de facebook et twitter qu’il contrebalance par une observation naturaliste de la rue genevoise. On rit beaucoup, d’un rire mauvais, ce qui en rajoute à l’envie de poursuivre la lecture de ce court roman.
 
 
Quentin Mouron a désormais choisi la voie difficile et pierreuse d’une littérature typiquement romande. Fini les espaces canado-étatsuniens ! En ne situant pas son intrigue dans une bonne ville francophone quelconque mais en la plaçant sur les rives du Léman et le reste de la Romandie, notre auteur témoigne ainsi de sa volonté d’appartenance. Il cite des noms, des lieux, des circonstances tout à fait réels afin de mieux s’enraciner. Il reprend la figure du prophète local, rôle tenu par Chessex en son temps.

Une phrase du texte me semble résumer l’esprit du tout : « La véritable solitude, c’est de ne plus être cher à personne. »

 
"La Combustion humaine", par Quentin Mouron, chez Olivier Morattel éditeur.