lundi, novembre 19, 2012

Dernier Vol ... - 56


Foule habituelle sur la Bahnhofstrasse

Etonnement, les deux femmes ont la même taille, et pas mal de goûts en commun. Lorsque Robert est passé chercher Eldride, il a trouvé Friedhelm avec un sac, devant la porte. Magda a décidé d’emmener Eldride acheter sa robe de mariée, un petit périple de quelques jours ; elle a sommé son second mari de régler au plus vite ses affaires à Dresde, qu’il y reste le temps de son voyage, son fils est chez Robert et elle part en Suisse avec Eldride. Oui, en Suisse, histoire de montrer à la prochaine Mme Leuba au milieu de quelle catastrophe a grandi Robert, parmi quelle perfection constipante, quel bien-être pathogène, quel somptueux cataclysme social. Elles ont pris un avion pour Zurich où elles ont atterri sous le jour bas d’une après-midi pluvieuse. Durant le vol, Magda a forcé Eldride à commencer la lecture de « Mars », de Fritz Zorn, le récit d’un vrai cancer cette fois-ci. Eldride a timidement demandé si elle pouvait poser le livre jusqu’au soir. Dès sa descente d’avion, elle s’est sentie agressée par la foule dense et chic noyant tous les espaces publics, une horde aux gestes mesurés, parlant trop fort dans un étrange sabir guttural. Et partout cette amabilité aussi douce que le miel qui poisse le manche du couteau, sur la table du petit-déjeuner, et bientôt macule l’anse de la tasse, la cuillère, le couvercle du sucrier, etc. Ça donne envie de pleurer à Eldride. Magda de la rassurer, Robert n’a pas grandi à Zürich comme elle le sait certainement … Non ? Ah ! Robert n’est pas très bavard. Il a grandi dans la partie francophone, le canton de Vaud, cette région que l’industrieuse Suisse centrale et alémanique couvre d’un regard tantôt bienveillant tantôt méprisant, on aurait la même réaction pour un petit-fils séduisant dont on réprouverait toutefois l’homosexualité. Enfin, on n’y peut rien, c’est une question de nature … Tant que ça reste discret. Tant que cette Suisse-là ne prétend pas être LA Suisse mais reste à sa place de dominion latin de la « Schweizerische Eidgenossenschaft ».

Paradoxalement, il se dégage une grande douceur de ce paysage social à la fois triste et opulent, le puissant parfum du regret, des notes capiteuses, épicées, orientales. Les deux femmes sont descendues dans un hôtel très correct, même cossu, une rue calme, près de la gare. Pour des raisons pratiques, elles n’ont pris qu’une valise, elles font la même taille, Magda prêtera des vêtements à Eldride, un jeu de vieilles petites filles avec toute la gravité que cela sous-entend. Magda paie pour tout ce dont Eldride aurait besoin, et la robe de mariée. En échange, Eldride a dû se faire passer pour la thérapeute de Magda, téléphoner au directeur de l’établissement où elle travaille, lui signifier que son enseignante est en décompensation, choc émotionnel, rien de trop grave, elle en est aphone, elle reviendra en début de semaine prochaine. Dans l’enseignement public allemand, on n’est pas à ça près …