jeudi, juillet 25, 2013

Letzten Nachirichten aus Berlin


St Matthias am Winterfeldplatz
Berlin, ma Berlin, le refrain est connu. Cela fait dix ans que j’entretiens une relation avec cette ville, qu’elle m’offre décors et situation à mon travail littéraire. Il y a les textes déjà publiés et ceux qui sont en attente de publication « La Galeriste », « Un après-midi d’été couvert », « Dernier Vol au départ de Tegel ». Je ne suis pas prolixe, je tente de transcrire tout l’indicible qui résonne par les rues, par les parcs au coucher et la nuit. Cette fameuse nuit berlinoise qui possède une épaisseur, une densité, un parfum, une présence et qui enveloppe les habitants – parmi lesquels je me compte – d’une sorte de vêtement magique et réparateur. Toutefois, la magie a ses limites et le charme se réduit, la nuit berlinoise est dérangée par tous ces innombrables chantiers qui veulent faire de la ville une capitale comme une autre, c'est-à-dire rien ! Je vois bien que les choses ont changé en dix ans, elles n’ont pas évolué selon mon goût ni mes attentes.

La disneylandisation de l’ex-est rend les trottoirs en période de vacances scolaires infréquentables. Toutefois, ma Berlin est devenue irréductible. Après dix ans de relation, je l’ai vue s’empâter, se rider, se maquiller avec excès et s’embijouter comme une rombière de sortie. Après dix ans, ce n’est plus une passade, c’est une relation matrimoniale et je ne cesse de superposer à l’état actuel de la ville les images que j’ai conservées de nos débuts. J’ai vu disparaître des dizaines de cafés et de commerces affectionnés, ruinées des perspectives, gâtée une certaine vision urbaine mais la Viktoria-Luise Platz, la Ludwig-Kirch Platz, le Kant Café, le Café Einstein, Hasir, la Winterfeldplatz, les quais de Alt-Tegel, le Kino International et toute la Karl-Marx Allee sont restés intacts. Pour la Karl-Marx Allee, il y a même amélioration, la chaussée a été réparée et les gigantesques lampadaires de béton moulé avec leurs lanternes de plus d’un mètre cinquante ainsi que les façades néo-soviétiques des bâtiments ont été restaurés à l’identique.

Berlin, ma Berlin, tu m’offres encore de belles soirées à la terrasse du Potemkine, ou de beaux instants dans tes cinémas, comme ce soir, au Kunstfilm 66, une salle près de Savigny Platz. J’y ai vu « Adieu Paris », de Franziska Buch, une histoire presque trop belle, un peu artificielle mais pas moins que mon idée de Berlin. Je ne dois pas oublier la messe à la Sankt Ludwig Kirche, le dimanche à midi, le prêche de prêtres franciscains, et ce moment recherché, lorsqu’à une heure très avancée, j’arpente la Winterfeldplatz, hypnotisé par la silhouette de Sankt Matthias, son clocher, une ombre magnifique et inquiétante à la façon d’une toile de Carl Gustav Carus.

samedi, juillet 13, 2013

Retour de Bruxelles



Par les rues de Bruxelles

Une envie de faire des infidélités à Berlin m’a pris, direction Bruxelles, en souvenir d’un voyage plaisant que j’y avais fait il y a plus de dix ans. Je n’ai rien retrouvé – ou si peu – de ce qui m’y avait plu. Je pense que, si j’avais été un étranger à Lausanne, revenu dans la capitale vaudoise après un premier séjour il y a plus de dix ans, je n’aurai pas été moins déçu ! Mais revenons à Bruxelles.

Etat des lieux. La ville est sale, désorganisée, ses transports pourraient être efficaces si gares est stations étaient plus accessibles et si l’utilisateur occasionnel  pouvait trouver plus souvent, voire même posséder, un petit plan schématique des lignes de métro et de tram. Et je ne parle même pas des bus. Autre problème, les arrêts, à l’intérieur des voitures ne sont pas clairement signalés. De plus, on cultive à Bruxelles le goût du labyrinthe, particulièrement dans les stations accueillant  conjointement des lignes de tram et de métro ; les chemins menant à l’un ou l’autre de ces modes de transport sont étanches, à savoir, votre station, une fois que vous y êtes, ne se présente pas sous la forme d’un vaste hall avec un accès métro et un accès tram (étonnement, les grandes lignes de tram sont souterraines dans la capitale belge !?) selon la bouche de « métro » de votre station (et consécutivement de tram aussi) empruntée en surface, vous accéderez soit à l’un ou à l’autre, ou aux deux. Le piéton n’est pas en reste dans ses difficultés. Les noms des larges boulevards et avenues sont indiqués une fois de temps en temps. Il n’est pas rare qu’au sortir d’un transport, vous soyez obligé de parcourir cinq-cents mètres avant de trouver une plaque vous signalant que vous êtes à l’opposé de là où vous vouliez vous rendre. Au chapitre de ce qui manque, on peut encore ajouter : des boulangeries et des tea-rooms. En deux jours dans le « pentagone » (centre de Bruxelles de forme vaguement pentagonale), je n’ai rencontré que 2 boulangeries et trois ou quatre cafés qui s’auto-intitulaient « tea-rooms » sans pour autant correspondre aux critères propres à ces lieux.

Ce qui ne manque pas, ce sont les poubelles qui débordent, les paumés et autres laissés pour compte en roue libre et en état d’ébriété. Difficile de trouver les « beaux quartiers » et quand vous y êtes, vous foulez un pavé que les herbes folles descellent et longez des façades fatiguées certainement d’avoir attendu le retour improbable d’une bourgeoisie brillante. On ne compte plus, non plus, les boutiques en liquidation, les arcades commerciales vacantes, les avis de vente ou de location qui pendent ça et là aux fenêtres d’appartements inoccupés.  Et, parmi cette déconfiture, le diocèse incapable d’entretenir et de rénover son patrimoine immobilier évoque à mots couverts la possibilité de « désacraliser » l’une ou l’autre de ses églises à Bruxelles afin d’en vendre les bâtiments.

Ce laisser-aller général, ce désinvestissement social n’est que la conséquence du communautarisme qui ronge la ville. Il y a, soit, le clivage wallons-flamands mais il y a d’autres communautés qui semblent ne pas vouloir se mêler au tout, comme une mayonnaise qui « tranche », et les fonctionnaires européens ne sont pas les derniers dans ce jeu de déni de Bruxelles. L’une des rares rues « habitées », la rue du Midi, est colonisée de bobos en tongs de marque qui s’affichent comme des publicités racoleuses sur des terrasses où ils dégustent de la crêpe au fromage de chèvre bio. Rajoutez à ce navrant tableau une disneylandisation des sites historiques avec flux constant et quasi boueux de touristes en car et il ne reste plus grand’chose de cette capitale  singulière.

Pourtant, la visite de la Grand-Place est toujours aussi prenante. L’impression est encore plus magique de nuit, on arrive même à faire abstraction des trop nombreux groupes de jeunes visiteurs ivres et braillards comme il se doit. Il y a aussi ces points de vue sublimes sur un paysage urbain néo-babylonien sitôt que l’on prend un peu de hauteur. Il y a eu la bonne surprise d’un restaurant bulgare, « La vieille Maison » au coin de la chaussée de Waterloo et de l’avenue Brugmann. Il y a encore le parc royal, le jardin botanique et le parc du Cinquantenaire, il y a une certaine langueur à la fin du jour, due à une lumière si pure que l’on se promet de, tout de même, revenir une prochaine fois.

vendredi, juillet 05, 2013

La morale selon Theodor Fontane


Etre un autre en regardant simplement par la fenêtre, debout, appuyé au chambranle, le génie de l’instant, un voisin qui écoute du jazz et qui a un goût très sûr. La vue n’est pas anodine, une vue à la Adolph Menzel, une trouée sur le port, le lac, les Alpes. En point de visée, la girouette plantée à l’extrémité du toit à trois pans, en contrebas. Et une lumière belle à pleurer, dorée, idéale, la douceur de la fin du jour. Des voiliers rapides glissent le long de la côte, ma plume – oui, une plume-réservoir, mon portable a par bonheur exigé une longue mise-à-jour – ma plume glisse sur le papier avec autant d’aisance. Et je pense à Fontane, surtout connu pour son roman « Effi Briest » mais il y a « Errements et Tourments », « Jours disparus », « Frau Jenny Treibel ». Je suis un peu l’un ou l’autre des personnages de l’œuvre fontanienne, des caractères contemplatifs et résignés mais sans indolence ou, pire, pusillanimité. Je suis Mme Nimptsch qui tantôt regarde son âtre ou observe la vue au dehors alors que, accoudé à la tablette de cuivre de ma fenêtre, perdu dans la contemplation de la lumière – je voudrais la boire – j’aurais voulu être un héros de roman à la Sagan, bronzé et pieds nus dans des mocassins de cuir souple. Je n’ai pourtant que Fontane qui me vient à l’esprit, sa sentimentalité délicate, ni trop romantique, ni trop sèche. J’adhère totalement à sa morale « résiliente », le respect du rôle selon son rang social, l’attachement aux normes en cours non pas par conformisme mais par délicatesse, par altruisme. Chez Fontane, les amours malheureuses ne sont pas orageuses ; elles donnent de la profondeur à ceux qui en souffrent et les forcent à s’expliquer à part eux-mêmes quant à leurs choix de vie. Je ne serai jamais un héros de roman à la Sagan, je peux me rapprocher parfois de la psychologie d’un héros à la manière de Julien Green et je n’ai pas l’esprit suffisamment provincial pour jouer les Bovary.

Tous les voiliers sont rentrés au port, le jour glisse insensiblement ; je suis revenu vivre à M***, la bonne ville … de province que j’ai honnie à vingt, vingt-cinq, trente ans, jusqu’à il y a peu. Je n’avais pas compris que j’étais une Mme Nimptsch, un Botho, ou un Holk, ou même un Pr. Schmidt. Mon ordinateur portable a fini sa mise-à-jour, la Dent d’Oche rosit, je vais quitter le chambranle de la fenêtre et m’asseoir dans la pénombre, à l’intérieur.