Etre un autre en regardant simplement par la fenêtre,
debout, appuyé au chambranle, le génie de l’instant, un voisin qui écoute du
jazz et qui a un goût très sûr. La vue n’est pas anodine, une vue à la Adolph
Menzel, une trouée sur le port, le lac, les Alpes. En point de visée, la
girouette plantée à l’extrémité du toit à trois pans, en contrebas. Et une
lumière belle à pleurer, dorée, idéale, la douceur de la fin du jour. Des voiliers
rapides glissent le long de la côte, ma plume – oui, une plume-réservoir, mon
portable a par bonheur exigé une longue mise-à-jour – ma plume glisse sur le
papier avec autant d’aisance. Et je pense à Fontane, surtout connu pour son
roman « Effi Briest » mais il y a « Errements et
Tourments », « Jours disparus », « Frau Jenny
Treibel ». Je suis un peu l’un ou l’autre des personnages de l’œuvre
fontanienne, des caractères contemplatifs et résignés mais sans indolence ou,
pire, pusillanimité. Je suis Mme Nimptsch qui tantôt regarde son âtre ou
observe la vue au dehors alors que, accoudé à la tablette de cuivre de ma
fenêtre, perdu dans la contemplation de la lumière – je voudrais la boire –
j’aurais voulu être un héros de roman à la Sagan, bronzé et pieds nus dans des
mocassins de cuir souple. Je n’ai pourtant que Fontane qui me vient à l’esprit,
sa sentimentalité délicate, ni trop romantique, ni trop sèche. J’adhère
totalement à sa morale « résiliente », le respect du rôle selon son
rang social, l’attachement aux normes en cours non pas par conformisme mais par
délicatesse, par altruisme. Chez Fontane, les amours malheureuses ne sont pas
orageuses ; elles donnent de la profondeur à ceux qui en souffrent et les
forcent à s’expliquer à part eux-mêmes quant à leurs choix de vie. Je ne serai
jamais un héros de roman à la Sagan, je peux me rapprocher parfois de la
psychologie d’un héros à la manière de Julien Green et je n’ai pas l’esprit
suffisamment provincial pour jouer les Bovary.
Tous les voiliers sont rentrés au port, le jour glisse
insensiblement ; je suis revenu vivre à M***, la bonne ville … de province
que j’ai honnie à vingt, vingt-cinq, trente ans, jusqu’à il y a peu. Je n’avais
pas compris que j’étais une Mme Nimptsch, un Botho, ou un Holk, ou même un Pr.
Schmidt. Mon ordinateur portable a fini sa mise-à-jour, la Dent d’Oche rosit,
je vais quitter le chambranle de la fenêtre et m’asseoir dans la pénombre, à
l’intérieur.
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