mardi, novembre 26, 2013

A mi-chemin de "La Montagne magique"


Lecture fleuve d’un millier de pages en format « poche », bottin de poche ; « La Montagne magique » impose son rythme, lent, sénatorial, hors le temps comme le sont les personnages. Après une courte montée, Hans Castorp – quel nom ridicule – le personnage principal, est accueilli au sanatorium international du Berghof de Davos par Joachim, son cousin, qui l’introduit aux subtilités du rite. Succession des repas, copieux, cinq fois par jour, cure de repos, mesure de la température, de l’acclimatation en somme. La durée de lecture fait partie du jeu … d’acclimatation aussi.

« La Montagne magique » (1912-24) exige un grand crédit de la part du lecteur ; l’auteur à sa publication n’était pas encore Prix Nobel de littérature (1929), il jouissait toutefois de la considération suscitée par l’immense succès des « Buddenbrook ». Il est alors le narrateur de la jeune nation allemande, un rapporteur  mesuré, au-dessus de la mêlée. « La Montagne magique » peut être regardée comme une sorte de « débriefing » de la Grande Guerre. Pourquoi se lancer dans une telle lecture aujourd’hui ? curiosité encyclopédique ? intérêt historiographique ? fétichisme vis-à-vis du grand Thomas ?

Le lecteur lambda abandonne à mi-course, là où je me trouve actuellement. Je poursuis par empathie pour Hans Castorp, pour la psychologie extrêmement travaillée des personnages, des individualités qui, après plus de deux mois de lecture, me sont devenus des amis. Il y a aussi la richesse du filigrane ; la critique du milieu médical, il suffit d’être en visite dans un sanatorium pour être déclaré malade ; la critique de la théorie des races, les Occidentaux versus les Orientaux, les « Byzantins », les « Perses ». Et je reste dans l’impatience d’aboutir  à ce point où Thomas Mann veut m’amener. Rendez-vous est pris d’ici quelques semaines pour un compte-rendu complet de lecture.

samedi, novembre 23, 2013

Le choix du rôle (reprise d'un billet du 11 septembre 2006)


Pluie ... sous la pluie ... je suis rentré sous la pluie, un peu d'oubli, en gouttes légères, un peu de paix entre deux heures, la nuit, simplement, au sortir du cinéma, porter un peu de l'histoire d'autres sur soi, ne pas craindre de marcher sur les trottoirs humides, impression d'éviter la plupart des gouttes et pas de parapluie, pas envie, pas besoin.
Dans la famille Mann, je ne sais toujours pas si j'ai envie de jouer à Thomas ou à Klaus ... Je regarde la petite horloge au coin de l'écran, il est encore temps d'avoir une vie "comme il faut" mais je n'ai pas envie de "gésir" dans une carrière subalterne pour les dix prochaines années, plutôt être libre bien que pauvre. Nicolas, hier soir, me disait ne pas être allé à l'université car les carrières qui se présentent après Lettres ne le séduisaient aucunement ! Je n'ai rien répondu ... je ne sais toujours pas quoi répondre ... J'ai adoré l'université et je n'ai jamais, une minute, pensé à la carrière que cela pourrait m'ouvrir. Faire Lettres, pour un homme de lettres, cela va de soi !
 
Le talent et la foi en soi plus fort que le vulgaire des réveils trop matinaux. Attention, pas du talent sur un mode "peintre du dimanche" mais du grand, de celui qui implique un culot proportionnel et un aplomb encore plus grand devant les éventuelles récriminations hiérarchiques. Le talent de laisser s'égoutter le temps et les impératifs qu'on lui associe, à moins que ce ne soit le talent de partir à temps ... inopinément ... suffisamment incongrûment pour accuser, attirer l'attention, donner à réfléchir ... Klaus ou Thomas ? Je finirai par faire mon choix.

vendredi, novembre 22, 2013

"La Stratégie Ender" - de la violence à la compassion


Asa Butterfield reçoit des instructions du réalisateur Gavin Hood

« Pour gagner la guerre, il faut connaître son ennemi ; à force de le connaître, on finit par l’aimer. »,  je cite de mémoire. Avant même la première image, cette sentence est offerte en clef d’interprétation aux spectateurs. « La Stratégie Ender », réalisé par Gavin Hood, repose sur un scénario classique mi-sf, mi-catastrophe, la terre est attaquée par des aliens, genre insectes pas beaux et très violents mais le premier assaut a été repoussé. Dans la crainte d’une nouvelle offensive, les forces terrestres coalisées font appel à des enfants, naturellement experts en jeux vidéo, d’excellentes recrues pour une nouvelle forme de stratégie militaire. On recherche LE meneur, l’enfant généralissime qui conduira la terre à la victoire finale !

Ce jeune héros se nomme Ender (le dernier/diminutif pour Andew, rôle tenu par le jeune Asa Butterfield), le spectateur le suit au fil de sa formation militaire, sous les ordres de son mentor, le Colonel Graff (Harrison Ford). Ce duo au jeu subtil est appuyé par une douzaine de rôles secondaires bien calibrés. Le film est efficace, une belle machine un peu poussive au début, un peu lourde par moment mais le divertissement est au rendez-vous et, mine de rien, invite à une réflexion plus profonde sur la légitimité de la violence. Il tient aussi de la partie de « stratego » psychologique, de quoi estomper les aspects les plus entendus du scénario.

Que dictent la morale et le droit de la guerre ? En cas d’agression brutale, la défense se doit d’apporter une réponse proportionnelle, propre à repousser les attaquants dans un premier temps et à circonvenir tout nouvel assaut dans un second temps. Il faut avoir une bataille d’avance ! Ne pas laisser l’ennemi récupérer, reconstituer ses forces, ne pas le laisser préparer un nouveau plan d’invasion … En somme, il faut mener une guerre préventive faite d’actions propres à jeter l’adversaire dans l’effroi et lui interdire par-là même toute velléité de revanche. Ce n’est pas sans rappeler la destruction gratuite de Dresde par l’aviation américaine, destruction voulue par la Grande-Bretagne. Dès après le carnage, les pilotes américains en ont pleuré de honte, de rage et de dégoût. Des associations de vétérans ont du reste collecté des fonds afin de reconstruire la Frauenkirche à l’identique. « La Stratégie Ender » renouvelle d’une certaine manière ce récit et donne à voir un pur génie militaire, un tacticien tiraillé entre une violence efficace et la compassion, l’ouverture à l’autre, le dialogue, la négociation.

Je ne vais pas vous éventer le suspens mais la victoire du jeune Ender repose sur une tromperie. Instrumentalisé, il tient tout de même à assumer toute la responsabilité de ses actes et trouve à « expier » sa violence par une démarche généreuse. La bonne mesure, dans une logique de guerre, est dure à tenir. Tous les chefs de guerre, pour évoquer un héros national, n’ont pas la tempérance d’un Dufour. Histoire de compléter la problématique, après être sorti du cinéma, il est recommandé de voir ou revoir l’épisode consacré à la guerre du Sonderbund de la série RTS Les Suisses.

vendredi, novembre 15, 2013

Non-impressions zurichoises



Cette fois-ci, j’ai choisi la banlieue, une jolie banlieue propre sur elle, le charme d’une banalité cossue, un hôtel confortable et clair, à cinq minutes de la gare d’Alstetten. Je suis venu à Zürich mener ma bonne vie allemande faite de choses communes. J’ai pris un train de banlieue, ai rejoint mon hôtel, ai préparé mes affaires, aller au fitness, pas très loin. J’en suis sorti vers 18h30. J’ai fait quelques courses sur la Lindenplatz ; j’ai même dîné à la cafétéria de la Migros, fermeture à 20h en semaine.

Je suis brièvement repassé à l’hôtel avant de prendre le tram 2, direction Tiefenbrunnen. Je suis descendu à la Sihlstrasse, puis traverser la Limat, je vais au cinéma, Froschstudio, voir « Ma vie avec Liberace ». Au retour, j’ai un peu marché par les rues déjà silencieuses. Je me suis à peine souvenu … les milles vies que j’ai traversées et que j’ai portées à Zürich. Avec l’âge et la fatigue, le souvenir semble se pétrifier, se densifier sous son propre poids ne laissant que peu d’éléments sensibles. J’ai repris le tram 2 sur la Bahnhofstrasse, direction Farbhof. J’ai regardé défiler les rues, rappelant quelques faits à ma mémoire, comme le motif d’une tapisserie. Sans plus. Je crois que Zürich a perdu la bataille, ma préférence va résolument à Bâle.

Zürich est trop chic, trop apprêtée, trop poseuse. Je n’ai plus la force de me mettre en scène. Au fitness, j’ai été frappé par l’attitude des garçons, tous si préoccupés de leur personne, se regardant sans cesse dans le miroir, comme s’ils cherchaient à se séduire eux-mêmes. A Lausanne, à Morges ou Genève, cette attitude a cour aussi mais pas avec le même sérieux, la même tension, ni la même durée. A Zürich, dans ce fitness de banlieue, même les garçons quelconques sont « travaillés » (épilés, solariumés, parfaitement coiffés, tatoués et portent tous des baskets neuves de marque). J’avais déjà remarqué ce trait zurichois, mais dans le centre, pas dans une zone semi-industrielle où les kebabs se disputent le trottoir avec des ateliers de design.

Etrange atmosphère discrètement opulente, confortable et oppressante. Je pense à Fritz Zorn, évidemment, je goûte au silence parfait de la nuit. J’ai rouvert l’un des stores, observer un bel arbre au dehors, depuis mon lit. Il y a encore dix ans de cela, je louais des chambrettes dans le centre, avec salle de bain et toilettes sur le palier. Je fréquentais le T&M, le bar Pigalle et une dernière bière à l’Odéon. Je vivais chichement et j’écrivais de l’autofiction avec feu. C’était bien à Zürich. Je dois faire un effort pour ajuster des sensations à ces évocations. Mon sang s’est peut-être refroidi, je n’ai plus la chaleur nécessaire afin d’animer cette ville.

vendredi, novembre 08, 2013

"Violette" le film, Violette Leduc et quelques pensés sur le statut d'auteur


Scène de "Violette", de Martin Provost
« Et puis m… », comme le disait Katia, le travelo du « Père Noël est une ordure ». « Vous êtes myope des yeux, myope du cœur, myope du cul ! ». Je vous avais promis des billets mesurés, très corrects, très comme il faut dans ce blog mais ce serait me dédire et renier ma capacité à m’indigner. Je ne suis pas un auteur … ou plus un auteur qui se « révolte », promo oblige, à coup de « cul, bite, couille, nichon, etc. », et je ne serai jamais de ceux qui posent complaisamment avec leur jeune progéniture ou leurs tatouages, qui racontent leur alcoolisme ou leur toxicomanie,  qui affectent un style néo-célinien parce que « fuck la syntaxe ». Cette demi-mesure à visée commerciale de la littérature me fait vomir. J’en ai pris conscience l’autre soir, dans une salle obscure, « Violette » de Martin Provost, ou la vie de Violette Leduc. Je connaissais cette autrice par « L’Asphyxie », son premier roman, autofictif, comme toute son œuvre. J’avais acheté ce titre d’occasion, dans une librairie … du Marais, je n’étais même plus un vieil ado, le souvenir de la lecture de ce roman se superpose à une visite du « Musée Carnavalet », l’une des scènes décrite dans « Tous les États de la mélancolie bourgeoise ».
 
« Violette », donc, une écriture cinématographique narrative efficace, un gros travail de décors et de costume, une ligne claire au service du récit d'une époque, illustrant la complexité des mentalités d'alors, sans manichéisme. Une galerie de portraits aussi, Jean Genêt et sa bringue perpétuelle, Maurice Sachs alias le scandaleux et mondain, le collabo négligemment liquidé dans un camp par un SS, à défaut d’avoir été sommairement jugé et exécuté par les FFI. La littérature n’a qu’une morale : la sincérité du témoignage, la qualité du verbe ; le reste n’est que conjecture. Les auteurs sont des gens de conviction au-delà de l’idéal social de l’époque, tant sur un plan politique que sur celui de l’orientation sexuelle.
 
Emmanuelle Devos tient certainement ici son grand RÔLE. Violette est touchante, brouillonne, un peu faiseuse, sensuellement affamée, un rien vénale, insoumise dans tous les cas. Et Sandrine Kiberlain nous rend la frigide Simone de Beauvoir sympathique, un tour de force ! Le récit n’a rien d’arrangé, d’artificiel. Le contexte politique est esquissé, on sait que l’on sort à peine de la guerre, que ceux d’en bas sont et seront toujours les victimes, à moins qu’un « castor » miraculeux (Simone de Beauvoir) ne vienne reconnaître votre talent, croire en vous, vous porter à bout de bras, vous soutenir financièrement discrètement jusqu’à ce que l’opinion publique vous reconnaisse à son tour.
 
« Violette » est un film à voir impérativement, un film qui témoigne de l'importance morale de l'autofiction, le récit de soi comme exutoire moral des dysfonctionnements du temps. L’auteur est un prophète laïque qui est habité par des révélations. Lorsqu’il semble intégré, il fait son petit travail de sape, de rongeur, car il n’y a pas pire société que celle qui se vautre dans la certitude de ses principes légitimes ; bref d’une société persuadée d’être dans le juste. Berk.

samedi, novembre 02, 2013

The bonfire of vanities


Le bûcher des vanités, Florence, le 7 février 1497


Ne pas tout ramener à soi ou l’égo surdimensionné des auteurs … dont on parle, des leaders d’opinion, des gens en vue. Ne devrait-on pas dire plutôt des gens qui bouchent la vue ?! J’ai pourtant tant aimé l’autofiction, sa vitalité incoercible, son éclat sauvage, ses fulgurances prophétiques. J’ai tant aimé les témoignages à la première personne pour leur sincérité. I’m fed up. Je suis barbouillé par cette perpétuelle foire aux vanités, comme un chewing-gum métaphorique qui vous colle à la culture, un truc mâchouillé, recraché et qui ne m’inspire pas la moindre dévotion ; j’ai passé l’âge de jouer les groupies.

Le « je » n’est plus cette bannière à tête de mort flottant sur un bastion pirate, c’est un bandeau publicitaire, une réclame vantant la jeunesse, le sex-appeal, le look, la réussite de faiseurs aussi passionnants qu’une dosette de lessive. La bonne gueule de l’intelligentsia néo-peoplesque et la fulgurance de son succès en vertus cardinales et commerciales. Et le talent ? Tout tient à l’emballage, et puis c’est jeune, c’est neuf, ça occupe le terrain, ça fait vendre à défaut de faire réfléchir.

J’ai plaisir à parler d’auteurs, d’artistes dont l’œuvre me touche, à témoigner de mes inclinations mais je refuse de servir la soupe. Jamais un Mauriac, un Green, un Mann (père ou fils) ou même un Morand ne se seraient affichés avec la complaisance de nos peoples culturels. Ni même un Bonnard, un Nolde, un Balthus, un Satie, un Béjart ou un Truffaut. Tous les précités n’étaient pas forcément des parangons d’humilité, ils avaient des usages …

Tant pis pour le « main stream » et la mode, vous allez continuer de lire de vieilles choses dans ces lignes. Je ne veux plus même donner d’importance aux cuistres qui font l’actualité, leur faire la moindre publicité. Je m’abstiendrai avec regret, je suis si bon dans la critique.