jeudi, octobre 12, 2006

"2006 ou presque"


"Kopf hoch" qu'il disait l'autre imbécile, le taré de Vienne, le lâche ... Comment a-t-il pu imaginer une seconde que je puisse baisser pavillon, la reddition, la soumission ? Je ne sais pas pourquoi je me suis souvenu aujourd'hui de cette parole, l'un de ses derniers messages ... Peut-être à cause de toutes les belles promesses que la nouvelle année n'a pas su tenir, parce qu'elle n'est plus si nouvelle que ça, l'année, en cette mi-octobre ! Parce que toutes les "opportunités" qui se sont offertes à moi n'en ont pas été : des chausses-trappes, des embûches. Pourtant cela ne m'a pas empêché de vivre, d'affirmer ma qualité d'homme de lettres, de grandir dans ma propre vie et de rencontrer par ces biais-là des individus, des singularités.
Ce soir serait un beau soir pour LE départ, ni trop joyeux, ni trop exalté, rien de particulier, une soirée lambda au cour de laquelle il est permis de tirer sur la chaîne juste pour vérifier la longueur de la liberté, se dire que c'était bien quand même mais sans trop de regrets non plus. J'en ai connu des nuits dramatiques où l'errance se le disputait à l'angoisse, au sordide. Mais c'est fini. Fini, je suis trop grand pour avoir peur du croque-mitaine ou de ma "hiérarchie" ! Trop grand pour me faire chapitrer comme un gosse ou balader comme un ado amoureux; trop grand pour les douleurs vaines et les passions dévorantes. En fait, je suis bien, dans cette nuit ni chaude ni froide, milieu de semaine, pas d'urgence à l'horizon, quelques amis, beaucoup de restes, encore un peu de famille et un époux, juste trop pour partir là, ce soir, dans le contentement d'un jour banal et doux.
Ce serait le moment parfait, pas trop près de Noël pour ne pas gâcher la fête, pas encore novembre et son cortège de désespérés livides, simplement partir, sans pathos, rester sur une bonne impression, octobre en épilogue ... Il ne faudrait pas même penser aux moyens, un geste simple, bref, tirer sur le bouchon de la baignoire et voilà ! Un générique de fin, on rallume, ça ferait un joli Lelouch pour une projection tardive, une p'tit histoire avec quelques récurrences sympa et pas trop de scénario.
Yann, Yohann, Nicolas, Christine et même Alda feraient fort bonne figure dans la narration. Par contre, on verrait à peine R., trop infatué, trop salement manipulateur, Méphisto au sourire compatissant, trop rock'n roll aussi ... Il y aurait une ou deux scènes à Vienne dans ce récit-là, et puis forcément Berlin, et cela s'intitulerait "2006 ou presque".

dimanche, octobre 01, 2006

Les heures


Tout à l'heure, déjà hier, j'étais assis sur un banc, gare de Lausanne, perdu dans la vue, la trouée vers le lac qui bute contre l'horloge de l'hôtel Au Lac. Il était 19h15, heure creuse, heure désespérée pour les esseulés, les pauvres, heure privilégiée de la trahison. C'est à cette heure-ci que Grégory trouvait la plus pitoyable des excuses pour me laisser la soirée durant seul dans son appartement. C'est toujours à cette heure si spéciale que Grégoire me trahissait aussi ...

A l'époque, je croyais à ma pauvreté et je croyais que cette dernière m'attirait la solitude. Depuis bientôt trois ans, depuis Berlin, je me sais riche de moi-même, de ma vaste expérience émotionnelle et ne me sens du reste jamais seul ... Il y a les livres, la pensée, le babil intérieur lorsqu'il n'y a personne de physique à rencontrer. Parfois, soit, je me sens coupé de moi-même, privé du temps de dormir, de me remplir du souffle du monde, de me nourrir l'esprit, de regarder passer les heures ... J'en ai vu s'écouler de fort belles sur les plages de Barcelone, à travers les rues de Paris, Zürich et, évidemment, Berlin. Et à Genève aussi ... Lorsque le cadre est trop coercitif, je perds le juteux de ma pulpe, ma substance se racorni, se rigidifie. Je suis alors amer et j'ai la bouche pleine de "vacheries" ciselées comme de la haute joaillerie.

Les autres sont autres ... je n'ai pas à les réformer, ils ont un fonctionnement plutôt intéressant et perçoivent plus qu'il n'y paraît; je pense à mes collègues du collège de C. Ils ont peut-être juste peur de laisser refluer en eux la vaste vague de la mélancolie, un flot inexorable qui emporte tout et vous laisse larmoyant devant des riens. Après le raz-de-marée, lorsque tout a séché, il n'est pas un lieu de votre pensée qui ne soit envahi d'une fine poussière, un sable délicat, si fin qu'il ne griffe pas mais lustre les idées les plus ternes ...

Jeudi dernier, au Centre d'art contemporain de Genève, en visite avec mes élèves, je suis resté "scotché" devant une installation, un montage vidéo de Nicolas Rebel je crois, un autre collectionneur d'heures qui, à travers ses heures mortes, son temps passé, son enfance et tous les possibles que chaque minute même écoulée porte encore - le parfum d'un disparu sur un vêtement qui lui a survécu - rejoint l'archétype universel de la mélancolie. Les quelques élèves qui se sont arrêtés devant cette oeuvre s'en sont vite détourné : "C'est trop triste !"