dimanche, février 24, 2013

Café Steinecke - Wilmersdorf


Café Steinecke, à la Güntzelstrasse, dans son état originel

Ce n'était pas un lieu très chic, ni d'une élégance très recherchée mais c'était un lieu authentique. On entrait par la boulangerie, son carrelage à damier noir et blanc, un comptoir aux verres bombées, une horloge prise dans l'étagère à pain puis la salle, avec ses petits guéridons de marbre éraflé, lourd pied de fonte, des chaises bistrots, assurément pas d'origine, des banquettes Art Déco tardif aux ressorts fatigués et les claustras canés de la vitrine, des appliques en laiton aux murs, un lustre hollandais dans le même style 30-40 et, dans une niche, un vaste portrait de femme Jungendstil, un décors de papier peint, une banquette dont les accoudoirs s'enroulaient à chaque coin de la niche. Je ne sais pas même si cet endroit se nommait "Café Steinecke" à son ouverture. Je ne sais pas de quand date ce tea-room. D'après les meubles, leur style, les aménagements, les stucs, je pense que cet établissement a ouvert ses portes durant la période de la République de Weimar. Ce lieu a survécu aux bombardements dans une ville détruite aux trois-quarts, il était porteur d'une histoire, de cette petite histoire des anonymes, la musique des rues berlinoises. Soit, les peintures étaient écaillées, des travaux s'avéraient nécessaires. Il n'y avait jamais foule mais toujours quelques clients. J'en avais même fait le théâtre d'une scène du roman que je vous ai servi sur ce blog, "Dernier Vol au départ de Tegel" et ce café Steinecke a disparu. Pire qu'une fermeture, on l'a "remis au goût du jour", c'est à dire que tout le mobilier original a disparu, les luminaires, le sol ... Tout a été refait dans ce genre cafétéria cosy et design où l'on mange de la boulangerie précuite et congelée. Peut-être que des victimes du régime nazi fréquentaient cet établissement, des victimes des bombardements aussi ? Ils sont morts à nouveau avec la transformation vulgaire et commune d'un lieu publique témoin de cette bonne vie d'avant.

lundi, février 18, 2013

Lire Mauriac à Berlin

Fasanenstrasse par André Krigar
Il ne s'agit pas de savoir qui a tort ou raison toutefois Berlin n'est pas cette "capitale de la culture alternative" que l'on veut croire. Une telle vision de la ville est un mythe véhiculé et entretenu par des hordes mal-élevées, incultes et sales qui trouvent ainsi le moyen de se  justifier et se croient tout autorisées à se vomir sa bière dessus ... en tricots difformes, crasseux et troués, il va de soi !

Berlin représente la bonne vie calme et ample, heureuse et pleine, la simplicité de la liberté : le corps est libre, l'esprit aussi. Voici la ville où vous avez le droit d'être vous-même et, souvent, être soi-même signifie retrouver l'enfant indépendant que nous portons - sous quelques kilos de chaînes - cet enfant réfréné et maltraité à dessein dans nos sociétés mollement coericitives.

Le rapport à l'enfance et à son émerveillement tiennent une place importante dans l'oeuvre mauriacienne. Le petit François n'a de cesse de hanter ses lecteurs, de leur faire partager le monde sensible dans lequel s'est éveillée sa conscience. On connaît tout du bruit des feuilles mortes sous le pas de ses personnages, de l'odeur des sous-bois en été, du parfum poudré et légèrement moisi du salon des grandes demeures familiales. On souffre aussi avec l'auteur de tous ces manques, ces petits riens si importants quand on a sept, huit, douze et, même, dix-sept ans.

J'ai lu mon premier Mauriac à Berlin, je l'avais emprunté dans la bibliothèque de Christine chez qui je logeais à chacun de mes séjours. Ce me semblait un étrange hasard; aujourd'hui, je sais que le hasard n'y est pour rien. J'étais en état de recevoir les romans de Mauriac au-delà de leur aspect anecdotique, le petit genre littérature bien comme il faut que l'on "enfile" aux lycéens. J'étais libre et capable d'évaluer avec précision le poids de la moindre chaîne. Mauriac me parlait de ma propre coércition.

Dix ans après mon premier séjour berlinois, j'ai vu changer la ville; on a tenté d'en faire un disneyland pour bobos. Peine perdue. La ville a beau se couvrir de nouvelles constructions, de tours d'hôtels, de galeries commerciales et d'autres galeries dites d'art, les salons de thé se multiplient, les cafés avec de vraies personnes aussi. C'est une ville fervente qui se presse dans les églises catholiques, une Babylone qui, jamais, ne perdra son enfance.

dimanche, février 03, 2013

"Blancanieves", le film événement


Scène du film Blancanieves
Berlin me manque tant ... Robert, Ditmar, Friedhelm, Eldride et les autres aussi (voir Dernier Vol au départ de Tegel). Impression d'être livré aux "méchants" sans le moindre appui, vertige et tout ce que la sensibilité littéraire autorise de plaintes tragiques et surfaites. Les auteurs, si peu lus soient-ils, ressentent les moindres riens de manière amplifiée et finissent toujours par découvrir au combien on les comprend peu.
Trêve d'atermoiements, je viens partager mon enchantement pour Blancanieves, film muet en noir et blanc du réalisateur espagnol Pablo Berger. Il s'agit d'un hybride Buñuel-Burton, un conte délicat, touchant, fantastique et doucereusement douloureux. La trame s'inspire de Cendrillon, Blanche-Neige et autre malheureuse du même genre. En l'occurrence, il s'agit d'une Blanche-Neige qui torrée. Il y a l'arène, et l'Espagne autour, très catholique, passionnée, séduisante et ces larmes que l'on verse avec le bonheur du soulagement, une compassion profonde comme le chocolat que l'on sert dans les pâtisseries, un liquide sombre, sucré et un peu âcre. L'Espagne sans le kitch anecdotique, là où vous verrez danser des taureaux, étinceler les lourds pendants d'oreille et tomberez amoureux d'une garçonne, d'un nain ou d'un toréador paraplégique. Vous danserez une sévillane avec Macarena García. De plus, Blancanieves est porté par une bande originale signée Alfonso Vilallonga, un compositeur catalan reconnu, dans le plus grand art de la musique cinématographique.