jeudi, avril 26, 2007

Subversion blanche


Il pleut, une jolie pluie nocturne qui lustre les trottoirs et donne envie d'allumer une cigarette, commencer un roman, texte banal de prime abord, une histoire de rien, un homme car j'ai - en dépit de mon orientation sexuelle - beaucoup de peine à me glisser dans la peau d'une femme, à moins qu'elle ne soit totalement aliénée et/ou sortie d'une tragédie antique. L'homme marcherait le long de la rue, allumerait une cigarette et s'abriterait un instant dans une guérite de bus avant de pousser la porte d'un bistrot sale et anonyme. Il prendrait une pression, fumerait tranquillement une nouvelle cigarette avant de sortir un livre, Le Commis de Robert Walser. Il lirait pendant un instant, suffisamment longtemps pour allumer une troisième cigarette et boire une seconde bière. Au bout d'un instant, le patron - un homme d'une mise débraillée évidemment - se frayant un chemin entre les clients, des habitués pour la plupart, à la mine hâve à peine rehaussée par la rougeur d'une ivresse légère, ce patron donc s'approcherait de l'homme et lui demanderait de bien vouloir lui tendre le livre, lire un passage, ce que l'homme accepterait dans un sourire mi-étonné mi-gêné. Le patron lui dirait qu'il aurait reconnu le nom de l'auteur, tracé en grand (pas très discret relèverait-il pour lui-même) ... Un écrivain pas encore à l'index mais néanmoins indisponible en bibliothèque et plus encore en librairie ... Le bistrotier aurait déjà lu une telle chose, par hasard. Il aurait vidé l'appartement de sa tante morte à quatre-vingt-quinze ans l'an dernier. En attendant le camion d'Emmaüs, pas moyen d'allumer la télé, plus d'électricité, il aurait pris un livre Les enfants Tanner et aurait compris des choses, pour la première fois de sa vie. Un peu gêné par le flot de ses propres paroles, le patron aurait brutalement conclu par "je vous offre les consommations" et serait reparti d'un pas décidé vers sa cuisine graisseuse, comptant sur l'intelligence d'un lecteur de Robert Walser, de l'homme forcément assez subtil pour comprendre qu'il lui faudrait quitter le café maintenant ...

Robert Walser (1878-1956), après une vie chahutée, mourut dans un asile. Il aurait souffert d'une schizophrénie ... Il passa vingt-six ans en institution psychiatrique, dont les vingt-deux dernières sans plus écrire une ligne. Walser représente une sorte de double inversé de Thomas Mann (1875-1955). Les deux hommes proviennent d'un bon milieu social en passe de déchoir. L'un était allemand, issu d'une culture fière de ses auteurs, capable d'intégrer et de recevoir la critique, une culture qui n'a jamais craint ni le changement ni la passion - Leidenschaft - jusqu'aux plus douloureuses dérives. Walser, en dépit de son talent et de quelques jolis succès, n'accéda jamais au statut d'homme de lettres, d'auteur en tant que tel. Il raconta le monde plat et stérile de la suissitude : l'éradication de la passion et sa prophylaxie. Il saisit le douloureux paradoxe d'un pays d'une beauté quasi irréelle, de la douceur d'y vivre et de l'impossibilité pour ses citoyens d'y développer une vie émotionnelle mature. A croire que la paix sociale et le bien-être économique retiennent les esprits dans un état larvaire ...

L'asile, l'exil ou la chasse aux sorcières pour qui ne respecterait pas cet accord tacite, ce pacte social que l'on inculque à chacun dès sa naissance par mille demis interdits implicites. Et le poids de la tradition est tel qu'il entraîne l'habitude qui fonde quasi la loi mais rien n'est écrit, rien n'est dit. Walser perdit la tête plutôt que de rompre la conspiration du silence. Reste l'oeuvre, le livre, une voix que l'on bâillonne maladroitement par la censure, que l'on couvre de la rumeur grossière des divertissements populaires ... A ce propos, savez-vous qu'à force de crier sur mes cancres, à C., village vaudois où vécut qui vous savez, ma voix s'est formidablement développée ! Sans que cela ne viennent malmener mes cordes vocales, j'arrive à la projeter jusqu'à une telle puissance que les lamelles métalliques des cache-néons vibrent sur leur tringle ! M'avez-vous bien entendu ?

jeudi, avril 19, 2007

Le journal des Goncourt


Les pseudo-secrets, les coups de théâtre ne sont pas mon fort. Arrive un temps quand les choses se font, qu'elles sont à point. C'est ainsi que ma plume me vaut une fonction de plus, celle de rédacteur en chef du webzine de Vogay et, consécutivement, fait de moi un membre actif de cette association. Rajoutez à cela l'Association Vaudoise des Écrivains et sa vice-présidence, me voilà une voix, un porte-drapeau, une opinion à ménager. Cela ne changera rien à mon credo littéraire ni à mes convictions en matière de presse; je privilégierai toujours la morale pratique, la réflexion fondée sur l'expérience, sur la réalité de l'individu, sur sa capacité à produire de l'émotion, un support à notre sensible. On dit "parler avec son coeur" et/ou "ses tripes". Et je suis le premier disciple de cette pratique, ce qui ne m'exonère pas d'une contribution aux lieux communs ni à la platitude parfois. Je me souviens aussi, qu'au 24 janvier, je vous annonçais la création du parti de la Dignité : je n'enterre pas ce projet, il n'est pas encore mûr et j'ai d'autres travaux qui se presse sur ma table. Je n'abandonne pas, non plus, ma critique, souvent sévère, de la société et des autorités vaudoises. Mon temps et mon attention sont limités, je prendrai moins souvent la parole sur ce chapitre-là.

Ce journal en ligne - tant décrié, lu, condamné et apprécié à la fois - ne va pas pour autant devenir aussi stérile qu'un communiqué officiel. Il va prendre un tour plus posé et réfléchi ce qui ne veut pas forcément dire moins polémique ... ou subversif. Mes amis connaissent la bonne adresse où me lire dans un genre intimiste et mon roman en construction - le Récit de la vie d'un jeune homme vaudois à la dérive - est toujours en ligne. Il remporte même un joli succès en dépit d'un renouvellement plutôt parcimonieux des billets que j'y publie. Je vais revenir ici à l'origine de ce blog (je n'aime plus ce mot, on me l'a sali), une sorte de journal des frères Goncourt, en solo, en ligne et au XXIème siècle. Tout ce que j'ai déjà pu écrire est assuré d'une longue vie; la toile représente la meilleure manière de pérenniser la parole d'un auteur. Des experts promettent même l'éternité. Google, fort de ce fait, s'est lancé dans un programme de numérisation de la littérature universelle, un travail titanesque de scannage, mise en forme et en ligne. C'est ainsi que la nécessité a fait de moi un auteur plus accessible que Robert Walser ou Julien Green. Je suis stocké sur des serveurs, dans des disques durs, parfois imprimé et c'est ainsi que mon oeuvre vit; le jury qui m'a accordé la bourse 2007 de l'Etat de Vaud pour l'écriture s'est aussi intéressé à mon travail en ligne, le considérant tout aussi légitime qu'une publication papier.

mercredi, avril 11, 2007

Orat et laborat

C'est bon ! Les suppôts moscovites (rapport l'oeil de Moscou), les pauvrets de C. (village où vécut Mme de S.) et mes contempteurs : je leur ai servi à tous leur paquet ! Et pour leur gouverne, celui qui prend la plume en cet instant se trouve être le vice-président de l'Association Vaudoise des Ecrivains et le nouveau lauréat de la bourse d'écriture que l'Etat de Vaud accorde chaque année. Me voilà auteur accompli, reconnu et par mes pairs et par l'autorité cantonale. Je ne tire aucun orgueil particulier de ce nouvel état de chose; je suis simplement heureux et fier de récolter ce que j'ai cultivé durant de longues années, je suis ému de la confiance et du respect que l'on me porte et je me sens lavé des sarcasmes et des insultes (à peine voilées) auxquels j'ai été en butte ces derniers mois. Mêmes les pense-menus n'ont jamais nié mon talent, ils le reconnaissaient avec une complaisance presque ... obséquieuse. Je me sais plus d'amis que la pauvre poignée de détracteurs qui gigotent et croassent dans leur marais d'obscurantisme. La peste des intégristes de tout poil ! Il leur faudra déployer des trésors de patience car ils vont encore entendre parler de Frédéric Vallotton. Je leur laisse la surprise de mes prochaines activités journalistico-littéraires.
Mais rompons ici, je retrouve la paix et la dignité de Thomas Mann; il est vrai qu'il me manque encore un conjoint afin de régler les affaires du ménage, s'occuper des mille riens qui distraient de l'oeuvre. Je dis cela avec humour et sérieux à la fois; quelqu'un pour gérer et la dactylographie des manuscrits, les histoires de linge, de course, les tasses sales qui traînent, les factures à régler, le suivi du courrier ... ce quelqu'un me serait d'un grand secours et aurait toute mon affection. Je me rappelle du mot de la veuve Ramuz, lorsqu'on lui fit remarquer que jamais son époux n'avait parlé d'elle dans son oeuvre. Elle répondit "Mais si, là, dans son journal, il est écrit on m'apporte le thé, le on c'est moi !" Je pense aussi à la l'industrieuse Katia Mann-Pringsheim, qui sut élever cinq enfants et assurer le calme parfait dans la maison, le silence dont l'auteur avait besoin. Elle ira jusqu'à ravaler sa frustration sexuelle par amour pour Thomas. La littérature est un sacerdoce pour l'auteur et toute sa maisonnée ... Je n'ai malheureusement pas réussi à retenir grand monde auprès de moi. Quelques amis, dont deux à Berlin, ma mère ... Et le demi désordre de mon vieil appartement, les manuscrits en cours, les projets ... Un vêtement fatigué sur une patère de l'entrée. Et parmi tout ça : le respect de mes pairs, la reconnaissance de mon talent, "une plume courageuse" m'a-t-on glissé ce matin au téléphone. Voilà le plus beau compliment que l'on ne m'ait jamais fait, une récompense encore plus grande que la bourse allouée. Cet argent sera tout de même le bienvenu. Lorsque Thomas Mann reçut le prix Nobel, il acheta, entre autres choses, deux voitures et un phonographe. Je me suis offert une belle paires de chaussures, noires, de fabrication suisse, un modèle indémodable au cuir très luisant et un disque dur externe, assurer une sauvegarde de mes fichiers, éviter de tout perdre dans la déroute prochaine de mon vieil ordinateur ...