dimanche, mars 30, 2014

Des pauvres altesses et des grandes maisons

Charles Ier et Zitta de Habsbourg, derniers souverains d'Autriche
L’histoire ne peut rien nous apprendre, si ce n’est la nostalgie et la compassion. Et la droiture. Et la patience. Nous sommes tous des étoiles, nous sommes tous des empereurs, parfois étincelants mais souvent souffrants, et oublieux de notre dignité, celle que nous avons perdue avec l’infâmant armistice de 18. Heureux les doux, heureux les humbles qui tentent de réparer comme ils peuvent et s’offrent un peu de cette grâce disparue en tenant leur intérieur avec élégance, en repassant leur linge, en dressant la table avec une nappe et des serviettes en tissus, de celles qu’il faut laver et repasser, comme les oreillers à volants. Et ce n’est pas une question de moyen. C’est un travail, et pas moins contraignant que de tenir son rôle, une couronne sur la tête.

Nous sommes en année jubilaire du début de la catastrophe et il faut, cent ans plus tard, encore supporter les approximations nationalo-cocoricantes sur le récit des événements, à la télévision, sur des chaînes publiques et en première partie de soirée ! Devinez qui tient le rôle du méchant ? Ceux-là même qui ont offert progrès, tolérance, régime parlementaire, multi-culturalisme et multi-confessionnalisme à l’Europe … sans parler de la descendance que les princes allemands ont semé parmi toutes les dynasties régnantes. L’ennemi n’est pas celui que l’on croit. Fiez-vous à mon expérience, dix ans de germanophilie au compteur.

Qu’est devenue cette bonne vie bourgeoise fondée sur le travail et la tempérance, le respect et un je ne sais quoi d’épicurisme, une vie charmante à faire ce qu’il faut faire, aimer les fleurs, la littérature et le marivaudage, une vie d’honnête homme en recherche, en dialogue avec Dieu. On cultive le souvenir des grandes maisons dans une logique chauviniste. La bonne vie, la bourgeoise, les familles régnantes et l’Eglise sont transnationales, comme l’internationale socialiste … ou le grand capital. On se trompe d’ennemi. Les nationalismes après 18 ne sont que des pièges à c.



dimanche, mars 23, 2014

Notes sur Zauberberg II

« Zauberberg II » n’avance pas, je tourne autour de la masse imposante et inconnue de ce roman. Cela n’a rien à voir avec le syndrome de la page blanche. Je n’ai aucune difficulté à avancer dans le texte, sitôt que je m’y mets. Je suis peut-être jaloux de la vie que j’insuffle aux personnages ; toute cette énergie pourrait me profiter directement, nourrir mon pauvre bout d’existence gaspillé en une quinzaine de séquences saccadées quotidiennes, pas de quoi faire une vie, pas de quoi sustenter et le texte et l’auteur. Je ne trouve qu’à me donner des sensations, des émotions, de la culture par d’incessants voyages à gauche et à droite, à Paris, Barcelone, Berlin, etc., Bâle, Zürich, Lyon, re-etc. Je souffre du syndrome de Mme la consule Mann, à savoir la mère de Thomas, qui n’a cessé, dès le départ de ses enfants du foyer familial, de déménager encore et encore, de se projeter plus au sud de l’Allemagne, rechercher jusqu’au rive de la mort son petit Liré. Il n’y a que loin de chez moi que j’arrive à dégager quelques heures dont jouir. Je veux dire quelques heures pour regarder le temps passer, déterminer sa couleur.

Ce soir, messe dominicale anticipée, l’homélie portait sur une explication de la rencontre entre Jésus et la Samaritaine, évangile selon saint Jean. Le prêtre a magnifiquement développé sur la notion de l’eau vive en opposition à l’eau stagnante du puits. Toute la scène a lieu en plein midi, symbole de la pleine et entière révélation. Jésus demande de l’eau du puits à la Samaritaine et lui offre l’eau vive de sa parole. Le prêtre a étendu cette notion d’eau vive à l’existence de chacun, l’eau stagnante représentant nos routines dévitalisées, l’eau vive tout ce que nous pouvons faire avec cœur, dans un sentiment de transcendance. Après le symbole des apôtres, le prêtre a relevé cette notion de transcendance à propos du sens des enfers, non pas l’enfer mais une sorte de « purgatoire », d’antichambre pour non-chrétiens dans lequel attendent les justes qui ne connaissaient – ou ne pouvaient connaître – le Christ qui les visite avant sa montée aux Cieux. Ces justes auraient aussi contribué à son Ascension.


Tant pis si ma vie est pauvre, le texte doit faire sens ; l’écriture est un sacerdoce. « Zauberberg II » trouve sa raison dans la poursuite de l’œuvre mannienne, un état des lieux cent aux après le début de la catastrophe. Je terminerai ce roman pour 2018. Témoigner et contribuer, faire « œuvre » utile, même si le texte n’aboutit pas dans sa forme espérée ou ne rencontre que peu de lecteurs. 

lundi, mars 17, 2014

Retour de Zürich : de Matisse au Cavalier bleu en passant par H. van de Velde

Archives Nietzsche, une réalisation de H. van de Velde
Retour de Zürich, une exposition, « De Matisse au Cavalier bleu », l’expressionisme allemand et ses influences françaises. Temps magnifique, accrochage intéressant et le lac, une promenade ensoleillée, une bonne heure sur un banc, face à la rive, Zürichhorn, à travailler à « Zauberberg II », mon dernier projet, une suite au roman de Thomas Mann parce que je me suis attaché à Castorp et Ziemssen.
Un mot quant à l’exposition, beau choix d’œuvres quoique disparate, didactique intéressante mais étendre (distendre) les relations du « Brücke » et du « Blaue Reiter » avec les fauves, les cubistes et les post-impressionnistes à l’entier de l’expressionisme, c’est un peu exagéré ! A croire que l’institution muséale zurichoise redécouvrait un lien oublié après deux guerres mondiales, un lien tiré par les cheveux tout de même. On sent surtout la découverte par l’occident latin et anglo-saxon de la richesse, de la radicalité, de la variété et de l’actualité de la culture allemande, sous tous ses aspects. Et puisque l’étoile de barbouilleux hexagonaux du début XXème commence à pâlir, pourquoi ne pas reficeler dare-dare des liens avec l’Allemagne, le géant d’Europe tout domaine confondus. J’ai tout de même eu le plaisir de « communier » devant quelques Kirchner pas tant Kirchner dans leur exécution et devant de superbes Jawlensky, surtout son « Paysage », une tempera sur carton de 1911, un petit format presque carré. En fait de paysage, il s’agit plutôt d’un coin de rue, l’entrée d’une propriété, un mur orange, une maison ocre, des frondaisons pâteuses et, pourtant, la composition – rigoureuse – est d’un équilibre parfait. Jouir, avant la catastrophe, de la paix d’après la catastrophe ! Zauberberg, la paix des cimes …
Poursuivre dans cette même esthétique par une visite au musée Bellerive, exposition van de Velde, le peintre, l’architecte, le designer, les ombres de la Sécession, d’une sorte de pré-Bauhaus à Weimar, au service du grand-duc. Avant 14, évidemment. Comment est-il possible que l’on ait alors fait … fausse route ? Voie royale vers d’autres errances, et des pires. Au musée Bellerive, tout respire cette plénitude d’avant l’erreur d’aiguillage, toute la quiétude un peu hautaine de la ville tout autour proclame la victoire de la culture germanique. Nous nous sommes fourvoyés entre le parlementarisme à outrance, les ergotages sociologisants, le libéralisme, mai 68, etc. Jusqu’où faudra-t-il encore suivre cette voie que l’on sait en cul-de-sac ?

samedi, mars 08, 2014

"En finir avec Eddy Bellegueule" d'Edouard Louis


Je vomis « En finir avec Eddy Bellegueule », je vomis la complaisance, la méchanceté, le grotesque de l’auteur et la complicité d’une partie de l’intelligentsia lettreuse qui, en portant ce texte aux nues, satisfait avec gourmandise ses tendances voyeuristes. J’ai hésité avant de me lancer dans cette critique vitriolée, la peur d’être taxé de jalousie car l’auteur est jeune, beau et rencontre du succès. De plus, il est gay ; nous chassons sur les mêmes terres. J’ai voulu retenir toute la peine que cette lecture m’a causée. Je me sens sali, tout ce que touche mon regard se met à puer comme les clichés misérabilistes pétris par l’auteur. Et pourtant, je vous écris de Lörrach, je me promène à Bâle, ou dans les jardins de la fondation Beyeler sous un merveilleux soleil, entouré des collines viticoles de la vallée du Rhin, un décor de légende, parmi ma douce, ma tempérante, ma riante Allemagne. Pour en finir avec Eddy Bellegueule, puisque ça ne passe pas, comme le prétendu fœtus que la mère du narrateur aurait perdu – plouf – dans les cabinets et qui ne voulait pas passer, elle a dû le pousser avec la brosse à chiottes, moi aussi, je vais pousser toute cette ordure avec cette critique, une brosse à chiotte métaphorique.

En couverture, il est clairement indiqué « roman » avec tout ce que cela peut sous-entendre. Il n’est pas écrit « témoignage », il aurait pu être écrit « autofiction », ce genre un peu flou mêlant tant les états d’âme de l’auteur, sa réalité intérieure et les faits réels de sa vie. Par cette étiquette, de « roman », l’éditeur (et l’auteur) se défausse et se cache derrière la liberté littéraire. Facile. D’autant plus que, s’il s’agit d’un roman, le texte est enluminé de clichés, tous plus surexposés les uns que les autres. Dans le village d’Eddy, dans le Nord de la France, tous les hommes sont alcooliques, violents, racistes, obèses, abrutis, exhibitionnistes, homophobes, antisémites, islamophobes et finissent forcément chômeurs, cancéreux ou morts d’une attaque cérébrale consécutive à une ultime cuite. La mort les surprend la tête dans le caniveau et parmi leur vomi. Les femmes sont soumises, engrossées dès leur prime puberté ce qui fera d’elles des adultes sans formation, sans avenir professionnel, victimes de maris qui les battent et les violent, et leur font des enfants par douzaine, qu’elles négligent pour devenir des mères honteuses et alcooliques à leur tour. Les maisons sont toutes sales, sans portes, moisies, avec des sols en béton cru, chauffées au bois et, évidemment, ça ne peut que puer : la frite, la clope, les pieds, le chien sale … Apparemment, le délicat Edouard Louis n’aime pas les chiens, parce que ça sent le chien ! Il voudrait qu’ils sentent quoi les chiens ? la fraise ! Chochotte ! Bref, tout est moche, sale et sordide et le narrateur, avatar de l’auteur dont il partage l’enfance malheureuse, passe son temps à se faire morigéner et traiter de «pédé » à chaque coin de page.

Florilège d’aberrations misérabilistes : le fumeux récit du fœtus tombé dans les toilettes et, logiquement, tout ce que la mère trouve à faire est de tirer la chasse et pousser la chose à l’aide d’une brosse ! Il y a aussi le récit fantasque du lit dont le bois a pourri consécutivement à un carreau de la fenêtre brisé suite à la chute d’un volet arraché par la tempête – évidemment, chez les pauvres, il fait toujours moche. Le carreau brisé n’aurait été remplacé que par un morceau de carton, morceau prenant l’eau en dépit du fait que le narrateur le changeait régulièrement, l’eau coulait le long du mur, sur le sol, imprégnait le bois du lit, un lit à mezzanine et le narrateur, qui occupait le couchage du haut, un soir est passé à travers les lattes pourries, s’est retrouvé un mètre au-dessous dans le lit de sa sœur qui a été blessée par un éclat de bois. Le père a rafistolé le fameux lit mais régulièrement, selon ses dires, le narrateur serait tombé d’un étage ! Il y a plus de cent exemples qui, tous, appelleraient des forêts de points d’exclamation afin de marquer et mon étonnement et mon agacement. J’ai grandi dans un clapier à lapins humide, il y avait des taches de moisi au mur de la chambre que je partageais avec ma sœur jusqu’à son départ, j’y ai dormi durant plus de vingt-cinq ans et dans un lit à lattes de bois mais, jamais, je ne suis passé à travers ma literie. J’ai même habité dans un appartement durant bien sept ans où le bois des fenêtres disjoints laissait passer et la pluie, et le vent, et là non plus, les meubles n’ont pas pourris. Mais je ne suis pas normalien, je ne suis pas Edouard Louis, je ne suis qu’un pauvre enseignant vaudois issu d’un milieu populaire, et mes pauvres meubles n’ont pas le sens du tragique littéraire : ils ne savent pas pourrir pour en rajouter dans le pathos de l’autofiction. Dernière approximation, les coups que reçoit le narrateur, comme l’auteur paraît-il. Tous les jours, à la récré, un grand roux et un petit bossu (cliché traditionnel de personnages malveillants dans la littérature médiévale) viennent frapper Eddy, tous les jours ils lui éclatent littéralement la rate à grands coups de pied dans le ventre, lui frappe la tête contre les murs, Eddy en perd quasi connaissance avant de poursuivre sa journée scolaire comme si de rien n’était. Et cela durant deux ans (j’ose à peine conclure par un point d’exclamation). Il est solide, cet Eddy. Quand il dit qu’il est différent des autres, qu’il vient d’un autre monde, il a raison ; je subodore qu’il est tombé de la planète Crypton tout bébé et que ses parents l’ont trouvé et adopté.

Au chapitre des aberrations, on trouve aussi une chronologie très flottante où le narrateur joue au docteur avec son cousin et trois autres camarades à dix ans mais, selon cette même chronologie, il n’a pas d’ami, personne ne l’approche, personne ne veut lui parler, tout le monde le méprise parce qu’il est trop folle. Et ça dure jusqu’à son départ à dix-huit ans (ou seize, ou quinze, c’est un peu confus). Pourtant, il va en boîte avec des potes, se bourre la gueule avec eux, a fait les « conneries » courantes de tout gamin avec eux, vit sa vie. Pour le lecteur qui ne serait pas gay et n’aurait pas grandi dans un milieu populaire, ces énoncés paradoxaux ne sautent pas aux yeux, cette dualité serait l’effet d’une sorte de outing que l’auteur aurait négligé de raconter. Il se trouve que j’ai partagé, dans mon enfance, la même impécuniosité et la même orientation sexuelle que M. Louis. Depuis, je n’ai pas changé d’orientation sexuelle mais j’ai un salaire, dans la moyenne supérieure. Les joies de la vie à prololand, je connais. L’humour gras double, l’incommunicabilité avec les siens, aussi ; la mise au ban parce que trop différent, je connais de même. Mise au ban toute relative car, rétrospectivement, ça ne m’a pas empêché d’avoir eu une enfance, des copains, d’avoir fait des conneries avec eux, d’avoir aussi joué au docteur avec eux. J’ai pareillement connu les crachats. Et, je le répète, je vivais dans un milieu très populaire. Je peux même faire étalage d’un grand-père alcoolique, de la saisie de la télé par l’office des poursuites et de nombreuses coupures d’électricité faute du paiement de la facture. J’ai aussi écrit ma peine, ma douleur, mes hargnes en long, en large et en travers, j’ai vidé mon sac dans une première autofiction « Appel d’air » (éditions de l’Hèbe) dont la lecture a fait dire à ma mère « et bien, je te remercie, dans ton livre, on dirait qu’on habite dans un bidon-ville ». Ah ! l’auteur est un rat, comme je l’ai écrit il y a vieux temps dans ce blog ; une fois que l’histoire est passée, que la lumière est éteinte, que tout le monde a oublié, l’auteur revient sur les faits et remet tout sur la table, et selon sa version.

La version de M. Louis sur son enfance me fait horreur. J’ai de la peine pour ses parents, sa famille qu’il traîne de la première à la dernière page dans la boue et avec une méchanceté sadique. Monsieur, c’est minable de se venger de la sorte. On ne tape pas sur plus faible que soi. Vos parents, votre grand-mère, votre cousin, vos frères et sœurs ne sont pas des lettrés et seront désormais – jusqu’à ce qu’on oublie votre récit – des sortes de lapins crétins humanoïdes. Ils ne pourront jamais vous dire, par publication interposée, « arrête avec tes airs » ! J’ai sincèrement mal pour eux. A maintes reprises, vous décrivez des situations bouleversantes où soit votre père, soit votre mère, dans toute leur maladresse, leur pudeur, leur dénuement émotionnel, tentent de vous témoigner leur amour. Evidemment, votre père vous imaginait différent mais vous restez son fils, et il est fier de vous. Aujourd’hui encore, même s’il est le sujet de votre vindicte, il doit être à la fois fier de vous et confus de vous avoir « manqué », d’avoir raté un rendez-vous. N’avez-vous donc rien appris de toute votre douleur ? Tant que vous ne céderez pas à l’amour de vos proches, vos souffrances resteront vaines. Vous passez à côté des vertus de la commisération. Vous lui préférez les lauriers dévoyés du héros, car dans notre société spectacle, la victime est devenue le héros. Vous refoulez aussi bêtement vos origines, votre milieu aujourd’hui, que vous refouliez votre sexualité durant votre enfance, votre adolescence. Et pourtant, vous les comprenez, vos proches, vous avez su rendre leur langue avec couleur, raillerie mais surtout avec tendresse. Le rythme, la scansion, la logique agrammatique, vous avez rendu cela avec vie, et talent, car vous en avez … tout de même.

La scène de la visite de votre cousin à votre grand-mère représente l’un des rares moments où vous exprimez de l’empathie envers les vôtres. Votre cousin qui est un « dur », suite à un énième écart, est envoyé en prison. Il y vit l’enfer traditionnel de ce genre de séjour (abus sexuel, folie, mal-bouffe, etc., etc., cliché quand tu nous tiens). Il a tout de même droit, pour bonne conduite, à une permission. Vous changez alors de narrateur et vous glissez tantôt dans la peau du permissionnaire, tantôt dans celle de votre grand-mère. Leur sombre existence se met alors à briller comme une légende de saint. Vous les comprenez, la souffrance est aussi votre lot et vous dépassez l’incompréhension, la colère, l’humiliation, vous dépassez votre différence pour nous dire des choses vraies, la saveur d’un bonheur chez ceux dont la vie n’est que peine, peine qu’ils supportent en silence, avec une dignité de martyr. Je ne saurais évoquer cet instant précieux, votre cousin qui explique à la grand-mère qu’il ne retournera pas en prison, il le lui dit entre les lignes, avec autre chose que des mots, cette foutue parole qui leur échappe, qu’ils ne savent pas dompter. Ensuite, c’est une course folle, une tentative un rien minable de suicide, suicide oblatif, les enfants sont à l’arrière, votre cousin est ivre, il a bu, il a fumé. Cela se terminera par des cris de bête folle et traquée, un retour en prison, un cancer du poumon, un refus de se soigner, la mort. Il y a aussi de la compassion lorsque, au début du texte, vous parlez de votre cousine, vingt-cinq ans, déjà usée par son travail de caissière. Le soir, dès son retour à la maison, elle plonge longuement ses mains dans l’eau chaude histoire de calmer ses douleurs arthritiques. Mais elle ne se plaint pas, elle a du travail, et pas le plus dur, dit-elle, et elle n’est pas une fainéante, conclue-t-elle.

Dernier point sur lequel votre talent brille d’un éclat ambigu et intense : l’amour des garçons. Vous racontez avec les mots de la passion, avec le feu du désir, votre découverte de la sexualité avec votre cousin, Fabien et Bruno … surtout Bruno, quinze ans, brun, fort, musclé – subitement, dans ce passage, il n’est plus question de l’obésité ni de la difformité générale des corps dans votre village – donc Bruno, l’aîné, le « chef de bande » chez qui vous avez visionné des films pornos devant lesquels vos trois compères (vous-même peut-être ? aussi ?) vous êtes masturbés. Vous aviez, selon le texte … pardon, votre narrateur avait dix ans, c’est bien jeune, passons. Et votre cousin a proposé de reproduire les scènes des susmentionnés films, « pour se marrer », de tout faire pareil. Vous n’avez pas dit non. Votre désir vous a fait partager l’intimité, la force, la jeunesse, l’éclat apollonien de vos … suborneurs ? Non, de vos amants. Vous accueilliez l’étreinte de votre cousin, son sexe large (aïe, chassez le cliché, il revient au galop ; selon vos descriptions, dans le village tout le monde a un « gros bazar », comme le dirait Zézette), vous jouissez de ses coups de reins. Il se mêle dans votre expérience du sexe un désir de possession de l’autre, de son corps, de sa personne entière par l’assassinat par exemple, ces pages-là brûlent. Dix ans ! Mazette, vous étiez bien précoce.

Au final, cher M. Louis, je ne sais pas si vous êtes un affabulateur ? un malade ? une « vilaine tata » médisante ou, plus simplement, un petit m… de faiseur. Vous êtes un auteur que l’on aurait dû renvoyer à sa copie. Votre texte et si embrouillé, si caricatural qu’il discrédite votre talent. C’était peut-être un plan marketing. Un torchon racoleur histoire de vous lancer dans la presse, les librairies, le public puis un vrai roman l’année prochaine ? Mais pas à ce prix-là, Monsieur, pas avec ce déferlement de méchanceté. En concluant cette longue critique, je pense à vous (oh, là ! qu’on ne se méprenne pas), je vous vois comme une Salomé, à la fois amoureuse de et humiliée par saint Jean-Baptiste, son rejet. Afin d’accomplir cet amour, elle demande, après avoir quasi séduit son beau-père, la tête de son aimé, pouvoir enfin l’embrasser mais il est mort ! Je me réfère évidemment à une certaine lecture de cet épisode biblique, dont la perversité sophistiquée vous correspond bien. Je peux vous prédire beaucoup de succès, Monsieur, mais pas forcément une œuvre, si vous continuez sur la même voie. Vous devriez lire Guibert, si ce n’est déjà fait, « Mauve le Vierge » plus exactement, ou « Mes Parents ». Le bel Hervé avait l’habitude de dépasser les limites mais n’a jamais perdu la touche de distance ni d’humour qui ont fait de lui un Auteur. Je vous souhaite donc bonne suite, je ne veux plus jamais vous lire, je craindrais de devoir à nouveau vous vomir, et aussi longuement. Je vous laisse, je vais me faire une tasse de tilleul.

dimanche, mars 02, 2014

"Musique dans la Karl Johan Strasse", extrait 5

© dandylan.over-blog.com
L’autre jour, dans un café de la Ludwigkirchplatz, Li. m’a raconté, le dernier amour déçu de Goethe, vieillard chenu de bien soixante-dix ans pour une jeune fille d’à peine dix-huit ans. Le poète avait demandé la main de la jouvencelle à sa mère, qui temporisa jusqu’au départ du grand homme. Il séjournait dans une ville de cure pour quelques semaines. Je n’ai pu m’empêcher de trouver l’attitude goethéenne ridicule, à quoi s’attendait donc ce vieux barbon ?! Li., pour sa part, estimait qu’il recherchait l’inspiration et quoi de mieux qu’un chagrin d’amour ! Le poète rentra donc très en verve et malheureux, commettant des vers si éloquents quant à la douleur amoureuse ; un amant de vingt ans n’aurait pas écrit autrement.

Ce matin, c’était une vieille lettrée mais pas trop qui s’étendait, à la radio et dans un texte, sur ses déboires amoureux et Balzac. Elle le faisait avec le talent des auteurs qui aiment se regarder le nombril et théoriser autour. Quelques extraits de sa prose ont été lus. Ça n’était pas désagréable … ni inintéressant, juste un peu vain, comme l’est devenue l’œuvre poussiéreuse de la Comédie humaine. La brave dadame du plateau de radio, alors que son mari lassé pour des raisons qui n’appartiennent qu’à lui l’avait jetée comme on jette les trucs obsolètes, la dadame donc a décidé de donner du sens à sa douleur après avoir épuisé toutes les séries télé à sa disposition. Elle a « écrit » sur sa rupture. Une éditrice – ayant connu le même sort ou le craignant – s’est empressée de publier ce témoignage « si poignant »  et si emmerdant quand on n’est pas une femme divorcée dans la cinquantaine, qu’on se tape le coquillard des élucubrations de Paul Ricœur et que l’on préfère Mann, Green, Mauriac, Fontane, von Keyserling, Flaubert et Walser, et Thomas Bernhard à Balzac !


Entre la dadame et Goethe, mon cœur balance. Etre vieux et se donner du chagrin pour écrire ou écrire pour donner une contenance à son chagrin : rien qui n’apporte de réponse tangible à de pauvres gamins si malheureux qu’ils se trouvent acculés à se jeter sous le train. On appelle ça accident de personne. Pour la dadame, ça s’appelle « vicissitudes de l’existence » et pour Goethe du masochisme esthétisant. Si je venais à proposer « Musique dans la Karl-Johan Strasse » à l’éditrice de la dadame, je ne suis pas même sûr d’être gratifié d’une réponse. On fera comme si le manuscrit avait été perdu, de peur de me refuser … car il faudrait argumenter, penserait-on. Par un simple non – parce que mes histoires de vieux pédé ne l’intéressent pas – l’éditrice donnerait d’elle une image homophobe et gynocentrée, elle pourrait même avoir l’impression d’insulter la mémoire et le fantôme de mon élève suicidé ferroviairement. Elle aurait peur de froisser un auteur qu’elle ne goûte pas, auquel elle ne croit guère plus mais qui pourrait, peut-être, un jour réussir et lui en vouloir rétrospectivement.