jeudi, décembre 31, 2015

Bonne année quand même ...

… allez, bonne année 2016, elle ne sera pas pire que 2015. Il ne s’agit pas de se faire à l’idée, ni de cette cornichonnerie de « résilience » pour psypsy gentil de magazines à grand tirage. Il est question d’humilité, loin des rodomontades politiciennes et artisteuses. Je sais de quoi je parle, je participe tant à la vie politique locale qu’à la vie artistique romande. Néanmoins, j’essaie d’être en phase, concret, sincère dans mes activités et ne surtout pas sombrer dans un dogme ou l’autre, me justifier, avoir raison .... J’ai tant d’exemples de petits juges ès morale sur les réseaux. J’ai bataillé avec des gauchos-bobos des beaux quartiers qui s’émeuvent et se trompent de discours, des laïcards obtus, beaucoup de laïcards obtus, de cette vilaine race intellectuelle qui ne sait pas croire et tente d’imposer par sa raison dévoyée sa sécheresse de cœur. La bienpensance et la coolitude sont les pires maux de l’époque, ils renvoient directement au péché d’orgueil.

Je reviens d’un bref séjour à Constance, histoire de faire des courses et fréquenter cette bonne ville, marcher dans ses rues, prendre une tasse de thé au Rosengarten, dîner dans l’un des restaurants du centre, etc. Il y a tant dans cet etc., tant mieux, car pour le reste, il a fallu composer avec une foule de « casques à boulons », leurs mauvaises manières, leurs mioches mal-élevés, et ce qu’ils peuvent parler fort, dans la rue, les cafés, les magasins ! Je trouve bien du mérite à mes Constançois. Mon etc. s’est surtout illustré par la fréquentation des nombreuses et très belles églises de la ville. J’ai même eu la chance d’assister à une messe, la chapelle aménagée dans la sacristie de Sankt Stefan. J’avais déjà eu ce privilège il y a quelques années de cela. J’espérais pouvoir réitérer cette expérience, ce moment d’intimité, l’atmosphère précieuse de ce lieu, l’autel, son retable sculpté, représentation mariale, les grandes armoires montées sur des corps de buffet, quatre, qui rythment la salle et ne laissent rien échapper des trésors que gardent des serrures baroques.

J’ai retrouvé avec joie ce lieu public réservé et chaleureux. Nous fêtions les Saints Innocents, ces enfants victimes d’Hérode. Il n’y a pas eu d’homélie, ce n’est pas de mises pour les vêpres ; le prêtre s’est toutefois permis une réflexion libre en introduction, évocation des enfants migrants morts en mer. Je ne nie pas être venu à Constance pour y « faire de bonnes affaires » mais la horde d’acheteurs de mes compatriotes, ceux-là même qui parlent si fort et étalent leur sabir avec suffisance sont-ils jamais entrés dans une église de Constance ? La ville passe pour une gentille bourgade commerçante, point. Toute l’Allemagne n’est-elle pas devenue le terrain de jeu favori des Suisses ? Berlin et ses folles nuits en point d’orgue …

« Aimez-vous les uns les autres, mes petits enfants » répétait sans relâche saint Jean dans la béatitude du grand âge. Voilà un commandement qu’applique le moins chrétien des Berlinois, l’un de ces bons gars qui composent la foule anonyme de la capitale allemande. Un type qui travaille pour vivre, qui aime les week-ends prolongés à la belle saison pour lézarder dans un « Biergarten » avec les copains. C’est peut-être aussi une de ces filles de Berlin ex-est, avec leurs colorations capillaires charbonneuses et leurs fringues gothico-folkloriques avec une tentative sexy. Ces filles-là vont au pub, avec les copines, font la fête les unes chez les autres, dans des sous-locations squatteuses puis finissent au bort du terrain de foot quand leurs « mecs » jouent le dimanche après-midi. Ceux-là savent faire la part des choses avec les « Prominenten » ; ils les admirent un peu, ont bien de la curiosité mais rien de plus. Ils regardent ces élites comme des poissons rares à l’aquarium et puis s’en retournent à leurs petites affaires. Ça les fait marrer quand ils lisent un article sur « les folles nuits berlinoises », des hangars pouilleux dans les tréfonds de Neukölln, pensent-ils, de la boîte à touristes ou des ces lieux pour les « möchte gern », pire que le touriste, du touriste qui a pris racine !

2016 sera, comme l’a été 1524 ou 1893. Et les faiseurs continueront à faire du bruit, à occuper le terrain, et les modes passeront. Peut-être que les « leaders d’opinion » jetteront leur dévolu sur d’autres destinations, d’autres activités sportives, que la jupe rallongera, et les couleurs de la prochaine saison ? Qu’importe, on continuera de célébrer la messe en semaine, la chapelle aménagée dans la sacristie, Sankt Stefan, pour moins d’une dizaine de fidèles. Et Berlin ne sera peut-être plus « capitale des nuits européennes », ça ne fera pas le beurre des dealers de coke mais la ville s’en fiche pas mal, car elle est bien autre chose. « Ouvrez les yeux, mes petits enfants … », dirait aujourd’hui saint Jean « … et vous vous aimerez les uns les autres ».


dimanche, décembre 27, 2015

Extrait de "Croisière", "Les règles du jeu"


Je n’ai jamais vraiment suivi les règles : tantôt par défit, tantôt par incompétence. Avec le temps, c’est devenu une autre marque de fabrique. J’ai décidé que toutes – mais vraiment toutes – mes activités composeraient ma réalité, ma « vie pour de vrai ». Des rêveries aux projections, aux rôles que je me suis donnés, tout, absolument tout compose ma réalité. J’y adjoins même une partie de mon activité onirique. Il y a, toutefois, des règles, pour revenir à elles, que je m’applique à respecter, celles auxquelles j’adhère par conviction religieuse et celles que je me donne, la pratique du fitness par exemple, ou tout ce qui touche à mon affairement salarié. Je vais me donner des règles pour la suite de ce « cahier estonien » (ce manuscrit n’a pas encore de nom), une sorte de rituel que j’enfreins déjà lors de leur énoncé. Je vais écrire dans la paix du soir, dans cette pièce que l’on nomme le « salon d’été », une mezzanine que Cy. occupait encore il y a peu, avant qu’il n’aménage sa chambre à coucher dans la partie de l’appartement que je nomme le « loft », le séjour avec sa verrière, l’escalier d’entrée et la nouvelle chambre de Cy. La salon d’été a une vue plongeante sur le port historique de Morges, le haut lac, les montagnes. C’est un point de vue qui évoque immédiatement la salle de fitness des navires MSC Poesia et MSC Musica, salle placée à la proue, derrière de larges baies en verre fumé, juste au-dessus du poste de commandement. Le salon d’été est un espace qui a été gagné dans la toiture par l’aménagement d’un bandeau de fenêtres sur toute la largeur du bâtiment. En contrebas, comme une proue de pierre, vraisemblablement l’ancienne capitainerie du port du temps des Bernois,; je retrouve symboliquement la configuration du navire de croisière. Notre salon d’été est meublé de deux ou trois choses que Cy. n’a pas prises dans sa nouvelle chambre, sont venus y rejoindre un divan d’étoffe écrue, des tapis vert tendre, quelques guéridons et ma table, mes chaises faux « Tuilipani » d’époque. Un lustre de verroterie, une sorte de brocard fleuri dans l’escalier, des vasques de Bassano et une chaise Louis XIII complètent la décoration, sans parler de la petite troupe d’accessoires de rien propre à ma mise-en-scène …

Autre règle, la taille des « chapitres » ou de ce qui m’en tient lieu, des sortes de forts paragraphes, cinq pages manuscrites. Les étapes de notre croisière méditerranéenne ne seront pas forcément évoquées de manière structurée, je ne m’interdis pas les flashbacks, les digressions, les descriptions de mouvements intérieurs. Hier, par exemple, alors que je revenais de Lörrach où je suis allé faire deux ou trois courses et, surtout, acheter mes billets de train pour Münich (quelques jours en octobre après Ibiza), j’ai été tenté de raconter mon repas dans un restaurant du coin. Je voulais évoquer ma nostalgie du Rheintal, la vue sur les colines de vignoble avoisinantes et le soleil déclinant, les ombres graciles des petits villages çà et là, mon Allemagne adorée, une grande douceur teintée d’une  légère douleur, celle de ne pas appartenir à ce terroir, de ne pas avoir d’emprise sur lui et de ne pouvoir le fréquenter qu’à la manière d’une âme errante, voire d’un passager clandestin.


Je ne me donne aucun délai particulier pour mener ce travail à terme. Cependant, l’année dernière, j’avais clos la rédaction de la première partie à Noël. Pour des raisons de symétrie, je vais tenter de mettre un point final au cours de cette même période du calendrier.

mercredi, décembre 16, 2015

"Le Royaume" d'Emmanuel Carrère

Je comptais écrire un petit quelque chose de satirique à propos d’une récente élection mais nous sommes entrés dans l’année jubilaire de la Miséricorde, je vais donc m’abstenir … par miséricorde (on me prête fort peu de cette vertu, je ne sais pas pourquoi du reste). Je vais plutôt m’ouvrir auprès de vous de ma lecture actuelle, un pavé, que je comptais finir il y a une semaine de cela. L’ouvrage était goncourable l’année dernière, plus de 600 pages aux éditions P.O.L, à savoir « Le Royaume » d’Emmanuel Carrère. Je crois que j’avais dû en entendre parler, ou en lire quelque chose et je l’ai trouvé voilà une année au-dessus d’une pile, librairie parisienne. Je me suis dit pourquoi pas, question truc lourd, je venais d’acheter une intégrale de Mafalda. Et « Le Royaume » est resté gentiment sur une nouvelle pile, à la maison, parmi d’autres textes qui lui ont brûlés la politesse, de moins épais ou de plus prestigieux (L’Homme sans qualité).
 
Le problème d’un pavé est un problème pratique, ça pèse son poids dans le sac et ça prend une place dingue mais la qualité du texte vaut largement cet effort. Je ne connaissais rien de l’auteur. Je l’avais peut-être aperçu à la télévision. Pas besoin de s’informer sur le bonhomme ; selon son éthique, il commence par expliquer son point de départ. Il évoque sa conversion, sa pratique limite névrotique de la foi et l’athéisme qui y succède. En corollaire, il nous parle de l’échec de son premier mariage, de ses enfants, de son travail de scénariste, de son travail d’auteur. La première partie du livre tient de la bonne autofiction, l’écrivain n’est pas un gentil tricoteur de fables à bonne gueule pour magazine avec couverture en papier glacé, il est un homme qui réfléchit et se confie selon le célèbre modèle ronsardien. Inutile de vous dire qu’il s’agit du modèle que j’applique dans mon propre travail d’auteur. Ce simple récit d’une conversion ratée, comme un soufflé raplapla, justifierait largement le prix du livre mais l’épisode catholo-bon teint n’est qu’un épisode dans une recherche plus vaste, une interrogation de philologue, de journaliste, d’historien, de sociologue autour du personnage de saint Luc et, donc, par ricochet, de saint Paul et de Notre Seigneur Jésus Christ.
 
A ce point-là de ma critique, au cas où le lecteur de ce billet ne connaîtrait rien de moi, je suis catholique, croyant et pratiquant, la totale ! Et par choix puisque je suis né dans une famille protestante vaudoise ayant une pratique plutôt molle de la foi. Je n’avais pas été baptisé. J’ai connu un épisode de révélation vers quatorze ans qui m’a mené au baptême onze ans plus tard, à la confirmation puis à un épisode de « protestation » avant de vivre pleinement ma foi en paroisse, auprès de l’admirable abbé Pittet. Il m’a accueilli au sein de la paroisse Saint-Joseph, et mon homme aussi, car ce prêtre ne jugeait pas mon homosexualité. Il nous demandait parfois de l’assister et de donner la Communion. Je confesse à Dieu tout puissant … euh, non, nous ne sommes pas à la messe, mais je confesse un désintérêt quasi-total vis-à-vis de la doctrine de la foi, de la philosophie attenante, de la philosophie en général (chiage dans le crâne comme le disait mon ex-beau-père). Ma foi n’est pas un acte intellectuel, elle une « simple » conviction qui repose sur elle-même et sur la présence régulièrement renouvelée du Très Haut auprès de moi. Dans ses conditions, il est clair que je n’ai pas besoin du blabla annexe si nécessaire aux croyants tièdes afin de les réchauffer dans leur foi.
 
Revenons au « Royaume » d’Emmanuel (littéralement Dieu est avec nous) Carrère. Après le constat de sa foi … manquée, il bifurque sur un sujet qui lui tient à cœur, la vie de saint Luc, qui était-il ? qu’elleA est la teneur exacte de son héritage biblique. Et notre auteur mène l’enquête de manière magistrale. Il compile et analyse l’exégèse, les différentes versions des évangiles (TOB, Segond, bible de Jérusalem, etc.), relève les failles linguistiques du récit et leur interprétation pour livrer au lecteur la vulgarisation synthétique et sagace de thèmes habituellement débattus par les milieux universitaires. Impossible de lâcher ce « Royaume », l’inspecteur Carrère mène l’enquête et ses déductions sont encore plus fortiches que celles de Colombo, Poirot ou Maigret réunis. On en redemande ! Je dois ici vous confesser de même que je ne suis pas un grand lecteur de la bible, deux ou trois paraboles que je suis incapable de replacer dans la bonne évangile, deux ou trois trucs pas piqués des vers tirés du deutéronome, l’apocalypse, deux ou trois choses tirées des lettres pauliniennes et rien de plus. Je lis avec intérêt dans mon missel le commentaire des lectures du jour, goûte fort les homélies bien tournées et suis avec intérêt les séquences d’explication biblique sur KTO. Parfois je lis une page du Livre Sacré au lit (la Bible de Jérusalem a ma préférence), avant ou après une page de Mafalda (la fameuse intégrale de plus de deux kilos), ces deux sommes me tiennent lieu de livre de chevet.
 
Carrère, l’homme qui croyait mais ne croit plus, met paradoxalement un talent fou à rendre vivant Paul, Luc, Jacques, Marie et Notre Seigneur Jésus Christ de même. Il trie parmi les « enjolivures » ce qu’il considère comme des anecdotes authentiques, de première main. Il échafaude des hypothèses sur le saint Paul historique, sur sa personnalité, les conditions de sa rencontre avec saint Luc. Afin de rendre au mieux ce qu’il croit isoler de la psychologie de ses protagonistes, Carrère opère de fréquents retours à sa propre expérience, mettant en perspective son œuvre et son parcours. La méthode n’a rien de dérangeant car pleinement assumée et, qui plus est, elle répond à un impératif moral, le fameux devoir de vérité. D’où tu parles, Emmanuel ? « De ma place d’athée ex-croyant glissant vers l’agnosticisme, d’homme issu d’un très bon milieu, d’auteur reconnu, de scénariste vivant de sa plume, de père de famille, de divorcé remarié et comblé, bref d’une place privilégiée ce qui, toutefois, ne retire rien à la valeur de mon témoignage et rien à la qualité de ma recherche. » nous répond-il. Et le lecteur procède à ces mêmes allers-retours, d’où l’incursion de ma propre expérience dans cette critique. Toutefois, je réserve mes conclusions à lire dans le prochain billet consacré au « Royaume », dès que j’en aurai terminé la lecture (600 pages, tout de même !).

jeudi, décembre 10, 2015

1. Welcome on board - premier chapitre de "Croisière"


Une croisière est une forme de prise d’otage extrêmement sophistiquée et perverse, plus encore qu’une fête de famille (anniversaire, Noël, mariage). Dans chacune des situations évoquées, le patient (ainsi que l’on nomme le supplicié du point de vue du bourreau), le patient, donc, est dépouillé de son autonomie durant un temps donné. Il devra se mettre entre parenthèse et plier son corps, ses penchants aux circonstances. Dans le cas d’une croisière, la torture est encore plus subtile car le patient aura de un, payé et de deux, verra ses goûts régulièrement stimulés au gré des différentes activités proposées. Je me retrouve dans une telle situation, un beau voyage de blaireau de luxe dans un bateau qui tient  plus du complexe balnéaire de masse que de la marine, un parallélépipède rectangle de 14 étages posés  sur les flots baltiques, divagant de Stockholm à Saint-Pétersbourg  via Tallinn.
          
La haine de la foule. L’amour des paysages, de l’art, de la peinture. Trop de communication tue l'échange, le « je » tue l’être. L’anecdotique tue le récit. Chercher du délassement comme but ultime de l’existence : idéal périmé. Il faut donc retourner à la « communion » des foules, spectacle d’après-dîner dans le théâtre de plus de mille places, ses fauteuils tendus de « peluche » violette. On écrirait velours dans les catalogues de décoration. Jusqu'à Thomas Mann, premier tiers du XXème siècle, on disait peluche, le velours était réservé à d’autres usages. Le plafond de l’avant-scène est garni de grandes écailles en forme de palmettes stylisées dont le contour est piqué de lumières à LED. Dans le demi-jour du spectacle, l’endroit a quelque allure. Par moments, le roulis agite le rideau de scène (violet lui aussi) et les spectateurs ressentent une sorte de longue vibration métallique sous leurs pieds. Ça n’a rien d’inquiétant. Ça en rajoute au mérite des saltimbanques qui procèdent sur scène. Après le divertissement, quelque soit le temps, les passagers ont le loisir de se promener sur les ponts du 13ème et 14ème étages. Il faudrait dire « sur les ponts 13 et 14 » selon le lexique marin mais le navire tient si peu du bateau. La fréquentation des cinq ou six bars aux ambiances et aux activités légèrement différentes permet de distraire le quidam. Il peut même prendre un café au buffet du 13ème et manger une tranche de pizza, un sandwich sans bourse délier. L’espace est décoré à la manière d’une cafétéria de grand-magasin pseudo-chic. De maigres lambrequins sont agrafés sur une tablette d’aggloméré en haut des larges baies, ils semblent pendre du faux-plafond. Leur court drapé rigide leur assure une parfaite stabilité même sur une mer agitée. Le plateau des tables carrées au pied central massif imite la marqueterie polychrome de meubles renaissants. Le nombre de places semble infini du fait de la démultiplication des rangées par un effet de miroir. De plus, l’allée est organisée de la même façon que dans un airbus A320. Sur ce même pont, on trouve aussi l’espace piscines, deux petits bassins, un bar, une sorte de déambulatoire avec tables et chaises de jardin, un grand nombre de chaises longues de proportion italienne que les petites mains de la maintenance replient et rangent tous les soirs. On trouve encore deux jacuzzis, toujours remplis d’obèses poilus, de gamins qui y pissent ou d’ados triquards en shorts géants.

Dans les espaces publics, il est impossible de se raconter la moindre histoire. Les foules apprécient et se laissent inonder par le sentiment de plénitude ; elles sont à la fois actrices et spectatrices d’un divertissement télévisé pour première partie de soirée d’une chaîne de grande audience. Pour preuve, à la boutique photo, il est possible d’acheter un coffret DVD comprenant une présentation (muette mais en musique d’ascenseur) de la construction du navire, de son baptême par Sofia Lauren, un autre avec les excursions de la croisière et, le plus important, le dernier, best-off des meilleurs moments à bord (embarquement, soirées à thème, disco, etc.) dont le passager est la vedette. 

mercredi, décembre 02, 2015

"Notre Dame de l'Assomption", extrait de "Croisière"

J’ai terminé cette croisière par la messe dominicale de 20h à Notre Dame de l’Assomption. Comme à l’aller, nous sommes rentrés dans l’inconfort d’un car, changement à … quelque part au pied d’une montagne valaisanne, la fameuse compagnie qui a transporté les aspirants miss et misters Suisse Romande 2014 vers leur croisière d’entraînement (à quoi ? mystère, peut-être à supporter le mauvais goût des plateaux de la télévision suisse romande dont les décorateurs ont dû suivre les mêmes cours que ceux de chez MSC). Notre dernier chauffeur n’était de loin pas une lumière et a trouvé moyen de se perdre dans Lausanne. J’ai – pile – pris place dans les premiers rangs de la nef au moment de la première lecture. La basilique Notre Dame de l’Assomption est le principal lieu de culte catholique du canton. Les nombreuses campagnes de remaniements, réaménagements ont laissé les bâtiments dans un style disparate d’un goût improbable. L’élégante nef d’Henri Perregaux (1832) s’est vue flanquée d’un clocher géant mussolinien, de deux puissantes volées d’escaliers et d’un lourd portique à colonnes doriques. Au sommet du campanile brille une croix de néon et le chœur en cul de four est orné d’une mosaïque Art Déco très tardif, où le petit Jésus a quasi la tête d’Adolf enfant. Quant au mobilier liturgique, aux chaises, aux vitraux, des horreurs brunasses/verdasses résultant du massacre de la dernière restauration. J’ai eu plaisir à retrouver l’ingratitude des lieux, l’abbé D*** présidait la célébration, j’ai gardé le souvenir d’une homélie amusante. Ma chaise tanguait un peu, léger mal de terre, la quête, la Communion, l’envoi, j’étais de retour. Je suis toujours « de retour » dans les églises et les musées de ma connaissance ; par contre, je suis « de passage » à mon logement, un rebord contre lequel s’appuyer dans l’impermanence de nos vies.