Je n’ai jamais vraiment suivi les
règles : tantôt par défit, tantôt par incompétence. Avec le temps, c’est
devenu une autre marque de fabrique. J’ai décidé que
toutes – mais vraiment toutes – mes activités composeraient ma réalité, ma
« vie pour de vrai ». Des rêveries aux projections, aux rôles que je
me suis donnés, tout, absolument tout compose ma réalité. J’y adjoins même une
partie de mon activité onirique. Il y a, toutefois, des règles, pour revenir à
elles, que je m’applique à respecter, celles auxquelles j’adhère par conviction
religieuse et celles que je me donne, la pratique du fitness par exemple, ou tout
ce qui touche à mon affairement salarié. Je vais me donner des règles pour la
suite de ce « cahier estonien » (ce manuscrit n’a pas encore de nom),
une sorte de rituel que j’enfreins déjà lors de leur énoncé. Je vais écrire dans
la paix du soir, dans cette pièce que l’on nomme le « salon d’été »,
une mezzanine que Cy. occupait encore il y a peu, avant qu’il n’aménage sa
chambre à coucher dans la partie de l’appartement que je nomme le
« loft », le séjour avec sa verrière, l’escalier d’entrée et la
nouvelle chambre de Cy. La salon d’été a une vue plongeante sur le port
historique de Morges, le haut lac, les montagnes. C’est un point de vue qui
évoque immédiatement la salle de fitness des navires MSC Poesia et MSC Musica,
salle placée à la proue, derrière de larges baies en verre fumé, juste
au-dessus du poste de commandement. Le salon d’été est un espace qui a été
gagné dans la toiture par l’aménagement d’un bandeau de fenêtres sur toute la
largeur du bâtiment. En contrebas, comme une proue de pierre, vraisemblablement
l’ancienne capitainerie du port du temps des Bernois,; je retrouve
symboliquement la configuration du navire de croisière. Notre salon d’été est
meublé de deux ou trois choses que Cy. n’a pas prises dans sa nouvelle chambre,
sont venus y rejoindre un divan d’étoffe écrue, des tapis vert tendre, quelques
guéridons et ma table, mes chaises faux « Tuilipani » d’époque. Un
lustre de verroterie, une sorte de brocard fleuri dans l’escalier, des vasques
de Bassano et une chaise Louis XIII complètent la décoration, sans parler de la
petite troupe d’accessoires de rien propre à ma mise-en-scène …
Autre
règle, la taille des « chapitres » ou de ce qui m’en tient lieu, des
sortes de forts paragraphes, cinq pages manuscrites. Les étapes de notre
croisière méditerranéenne ne seront pas forcément évoquées de manière
structurée, je ne m’interdis pas les flashbacks, les digressions, les
descriptions de mouvements intérieurs. Hier, par exemple, alors que je revenais
de Lörrach où je suis allé faire deux ou trois courses et, surtout, acheter mes
billets de train pour Münich (quelques jours en octobre après Ibiza), j’ai été
tenté de raconter mon repas dans un restaurant du coin. Je voulais
évoquer ma nostalgie du Rheintal, la vue sur les colines de vignoble
avoisinantes et le soleil déclinant, les ombres graciles des petits villages çà
et là, mon Allemagne adorée, une grande douceur teintée d’une légère douleur, celle de ne pas appartenir à
ce terroir, de ne pas avoir d’emprise sur lui et de ne pouvoir le fréquenter
qu’à la manière d’une âme errante, voire d’un passager clandestin.
Je
ne me donne aucun délai particulier pour mener ce travail à terme. Cependant,
l’année dernière, j’avais clos la rédaction de la première partie à Noël. Pour
des raisons de symétrie, je vais tenter de mettre un point final au cours de
cette même période du calendrier.
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