samedi, décembre 23, 2006

Chère Germaine


La tentation du silence ... Quoique, au collège de C., village où vécut Madame de S., on s'est fait à l'idée de compter parmi les enseignants un homme de lettres, avec tout ce que cela sous-entend (d'embarras). Il y a aussi la tentation du départ ... Pas d'inquiétude, je ne pense pas à un départ à caractère définitif, avec dernier voyage et dernière demeure. Le suicide reste toutefois une possibilité dans la vie de l'homme de raison, une dernière carte, un peu bravache, un dernier coup d'éclat grinçant. Je pense plus prosaïquement au Canada, à ma chère Berlin, Barcelone, Zürich, Zoug ? Euh, oui, pourquoi pas ... De toute manière j'arrive à me sentir chez moi partout, et même au collège de C. où j'avais une heure à tuer hier. J'ai failli me mettre à la ponte de ce billet depuis l'un des ordinateurs de la salle des maîtres. Cela m'aurait bien fait rire mais je ne connais toujours pas mon code d'accès que l'on me répète régulièrement et que j'oublie tout aussi régulièrement.
Il est midi, je suis encore installé dans mon lit, les voilages bleus de la large baie du balcon à ma droite et le ciel, derrière, de la même nuance un peu délavée, toujours le même chaos de toits, un tas de baraques sur la trop splendide toile de fond des Alpes lorsque l'horizon se dégage. Je suis très attaché à cette confrontation, à ce dialogue de sourd entre un urbanisme en roue libre et une nature d'une beauté forcément indicible. J'ai grandi dans du béton pré-mal-fabriqué seventie's, je ne peux qu'avoir de la tendresse devant de telles constructions et beaucoup de méfiances face à l'inaccessibilité de paysages de cartes postales. Dans le village de C., étalé tout autour du château de Madame de S., on cultive le pittoresque du coup d'oeil; réverbères, pavés, plate-bandes, nouveaux quartiers : tout a été mûrement pensé et, même si ce n'est pas du meilleur goût, cela reste toujours joli (et propre en ordre comme il se doit). Il y a une sorte de pacte tacite entre les autorités, la population et le cadre. Les choses, les gens, les éléments sont liés comme de vieux époux qui ne s'aiment plus mais s'aiment bien ... Parmi ce délicat équilibre, il est clair que le moindre écart tient du scandale ...
La tentation du silence ... la tentation du départ ... la musique des toutes petites choses, un rayon de soleil, le petit vase d'opaline turquoise offert par Jacques, une ombre sur le tapis, des fumerolles qui s'échappent nerveusement d'une étroite cheminée, quelques moineaux sur la balustrade. Il y aurait tant plus à dire et c'est déjà beaucoup ... Deux galets sur la commode grise, ramassés sur la plage de Barcelone ... Un nouveau roman en vue, la dernière main à "La Dignité" dont la publicité est déjà faite, je dois faire un saut à Paris, l'émigration attendra la fin de l'année scolaire, j'ai une classe de joyeux cancres à éveiller aux mystères de la littérature, les faire grandir un peu, et Rome en février, Lyon, Zürich, Bruxelles peut-être, Berlin évidemment, Barcelone à Pâques, élargir l'horizon depuis le préau du collège de C., village où vécut cette chère Germaine.

lundi, décembre 18, 2006

Plus fort que tout


"Nous sommes tous des étoiles, nous sommes tous des empereurs", j'avais attrapé cette phrase un lointain dimanche après-midi, à la radio, Couleur 3; elle ne m'a jamais quitté depuis. Je pourrais ajouter que nos vies avancent sur un tapis de roses ... Tout dépend de l'histoire que l'on se raconte ... que l'on a envie de se raconter. Je ne vais pas verser dans un optimisme bêbête et béat du genre des bons conseils de Mme Rosette dans les colonnes indigentes d'un journal dominical ... La plupart de ceux qui encombrent le devant de la scène et accaparent l'opinion publique sont issus d'un autre temps, ce sont des apparatchiks gentiment fossilisés ... et ils n'ont jamais su raconter des histoires qui font rêver. Désolé pour les gens de la finance, ils ne donnent pas mieux le ton. Ils essaient de se refaire une vertu en chantant les louanges de l'écologie mais le catastrophisme climatique ne fait pas plus rêver ... Pas mieux pour les intégristes circoncis ou non ... Un jour, je vous raconterai une très très belle histoire, quelque chose de très intime, plein de lumière, de chausse-trappes, d'action, de coups d'éclat. Je vous raconterai des levers fabuleux, des prières éplorées, des attentes ardentes, des retrouvailles émouvantes, des retours encore plus inespérés que celui d'Ulysse dans sa patrie. Je ne vous cacherai pas un détail du merveilleux conte que j'ai commencé à me raconter il y a près de vingt ans. Vous verrez, il y aura encore plus de panache que dans les aventures d'Angélique marquise des anges, et des châteaux à Vienne, des après-midis à Venise, le thé à Berlin, un cocktail à Udaipur, des soirées brillantes à Paris, du glamour, quelques larmes, beaucoup d'émotion et un cloître dans la brume, comme cet après-midi à Einsideln. Et je vous raconterai des caresses encore plus suaves que celles décrites dans Les mille et une Nuits, et des hommes virils et galants, des femmes élégantes et discrètes, de grands adolescents solaires et élancés. Je vous raconterai cette vraie vie et comment tout cela a commencé, et la fabuleuse lutte contre les obscures forces du mal que l'ont fini toujours par vaincre comme Goldorak écrasant les troupes de Véga. Vous saurez tout ... et me croirez lorsque je vous dis "Nous sommes tous des étoiles, nous sommes tous des empereurs."

mardi, décembre 12, 2006

Se souvenir des beaux jours !


Nous voilà à nouveau entre nous, j'entends entre gens de bonne compagnie. "L'oeil de Moscou" s'en est allé promener son regard inquisitario-réprobateur ailleurs où je ne suis pas; l'hydre de la censure mal pensante après avoir imprudemment risqué un ou deux tentacules sur ces pages - et celles du blog secret - et se les être fait trancher sans sommation s'en est allée ramper dans les fonds vaseux de ses convictions dévoyées. Toute cette molle cabale sentait des pieds : le léger fumet d'une homophobie standard étiquetée "pornographie". Ma pornographie est plus propre que votre morale, chers contempteurs, et après ces quelques passe-d'arme, je ne vois que des amis autour de moi, et des élèves heureux de me revoir.
Mes amis, imaginez un peu le calvaire que cela a pu être pour tout cette armada de petites gens précipitées dans ces pages et ces problématiques si éloignées de leurs préoccupations coutumières : rien à propos du géranium en pot, du leasing chez Opel ou Toyota, du foot ou des dernières tendances pédagocigo-psy-psy-beurk. J'imagine plus d'un préposé le nez collé à l'écran, comptant et recomptant les "bites", "burnes", "trous" (trou ? ça compte pour de la pornographie ou pas ?!) Par principe, j'ai tout de même contacté Dialogai, m'ouvrir de cet incident et je me suis entendu répondre ce que je ne voulais pas croire : il s'agit bien d'homophobie ! Il me faut encore demander un avis de droit et peut-être un courrier de protestation.
Il y a pourtant tant plus à dire : des cieux couleur de Vienne, des couchers rasant en or et saumon, le souvenir de Traumprinz, un bref courriel de sa part, un texto de Nicolas, un autre de Grégoire, mon vieil appartement proprement tenu et le temps qui se remet à s'écouler, un goutte à goutte liquoreux, doux, capiteux qui me laisse abandonné sur le canapé, rêveur comme un héros romantique. Et je me réveille totalement neuf de cet état passager, renouvelé, vierge, tout prêt à commencer une nouvelle histoire, un nouveau roman, quelque chose d'un rien douloureux, un gentil exil de soi, avec des veillées sur une pile d'oreillers à volants, des cravates élégamment nouées, des chaussures brillantes et les week-ends ailleurs, se faire quelques mois de beaux souvenirs normaux, tranquilles, avant la catastrophe que je ne suis pas le seul ni le seul auteur à pressentir.

samedi, décembre 09, 2006

Nouvelles du front


Démobilisé, je suis démobilisé ... Il pleut à verse, j'aime ce bruit, le passage des voitures, je suis installé dans mon lit, il y a un nouveau cochon en peluche à côté de moi. J'ai plaisir à me raconter la petite histoire du "tout va bien, rien n'a changé, tout est normal". Je me dis qu'il y a toujours une bonne série à la télé et le débit rapide de Joël Collado dans le bulletin météo sur France Info. Je ne suis pas tombé de ... la dernière pluie, je sais bien que je me raconte une histoire, que les signes s'accumulent et qu'il ne sera bientôt plus possible de se leurrer. En fait de démobilisation, il s'agit plutôt d'une permission. Et je suis prêt à repartir sur le front, mener ma troupe, ne pas lâcher notre position.
Hier, au retour de C., petit village où vécut Mme de S., le collège où j'officie, j'ai eu une fort belle conversation avec l'un de mes collègues, à propos de la tentation du désespoir, des forces du néant et de la fragile volonté de continuer. Nous avons parlé de Julien Green, il faut que je me procure le journal de cet auteur, encore un récit en "je", une expérience de chair et de sang condensée dans un dialogue entre soi et soi, et Dieu aussi.
A propos du collège de C., j'y parais désormais cravaté ! Je n'ai pas adopté cet accessoire vestimentaire par coquetterie, encore que ... Non, il est question de témoigner de mon adhésion volontaire à ma fonction, il s'agit aussi d'un signe d'alliance avec mes élèves et ça m'est une croix de fer symbolique, méritée pour hauts faits d'armes dans la guerre menée contre la censure et la répression de la liberté d'expression. Et la cravate n'a-t-elle pas été inventée afin de reconnaître les soldats d'une même armée parmi la confusion du champs de bataille !

lundi, décembre 04, 2006

A la droite de Thomas


Cela fait trois fois que je reprends ce billet, j'en viens à hésiter entre ce qu'il faudrait dire, ou pas, comment ce pourrait être perçu ... Quand j'étais enfant, on se racontait mi-blagueur, mi-soucieux, le mythe de "l'oeil de Moscou" qui parvenait même à vous observer à travers le trou de la serrure de la salle de bain. On en regretterait la guerre froide ! En fait, je me dis que j'ai donné à voir mes chers cochons en peluche à des regards tout berk-berk, à des paires d'yeux ne méritant certainement pas la délicate peluche de mes amis tout roses. On oublie que, parfois, être lu est synonyme d'être mal lu. Ma foi, si c'est au prix de ce martyre littéraire que l'on gagne sa place à la droite de Thomas Mann, je subirai mon supplice avec dignité ... et ne manquerai pas de tout cafter au fil de mes billets.
Pour en revenir à l'actu des mondanités, belle réception samedi soir au château de Nyon, à l'occasion de la remise du prix des Ecrivains Vaudois. On y célébrait Jean-Michel Olivier (de la descendance de Juste), un auteur qui adore jouer avec les masques à travers son oeuvre. Je ne vais pas refaire le petit discours que j'ai servi à mes pairs, je conseillerai simplement la lecture de "Nuit blanche", bref roman enlevé qui n'a rien à voir avec de la littérature vaudoise plan-plan bien comme il faut. C'est presqu'aussi gratiné que "My life is a soap opera", presque de la littérature gay autofictive (voir "autofiction") avec ... des hétéros ! Monsieur Olivier est un homme fort bien marié, une femme séduisante, deux filles, une bibliographie d'une vingtaine d'ouvrages ... Je dois avouer qu'il était plaisant de se retrouver entre gens de lettres ... un verre à la main et de la dinde froide au creux d'une serviette dans la poche ! C'était pour la bonne cause, personne n'en voulait plus, le buffet était en voie de "débarrassage" et Elodie m'accompagnait. Non pas qu'Elodie convoitait les blancs de dinde pour son usage personnel mais elle a trois chats trop gâtés. Patrick, mon éditeur, le monsieur qui m'a dit en son temps que ce serait bien si j'avais un truc en ligne histoire de promouvoir mon activité, faire de la publicité - de ce côté-là, mission accomplie, j'ai même réussi à attirer un lectorat auquel je n'aurai jamais pensé ! - donc Patrick était de la partie. Et parmi tout ce monde, que le vin était bon, Elodie en pleurait de rire, impression d'être les hôtes et la concierge du château mi-impatiente, mi-fatiguée, attendant qu'on ait fini de se faire des politesses parmi, et que l'on débarrasse le plancher pour fermer !

vendredi, décembre 01, 2006

La Trinité


Mercredi, je suis passé au collège de ... , petit village où vécut Mme de ... , histoire de reprendre contact avec les lieux avant mon retour, de bavarder un peu avec mes collègues. Nous avons causé "littérature en ligne" si vous voyez ce que je veux dire ! Les enseignants font de remarquables lecteurs, assidus, perspicaces et plein d'humour. L'une de mes collègues de français, appréciant le style, me disait être toutefois embarrassée, impression de violer une intimité, d'entrer là où on ne l'avait pas invitée, de jouer les voyeuses. En filigrane, j'ai perçu la question "à quoi sert le blog ?". Comme on consulte un livre de cuisine pour une recette, un dictionnaire pour une définition, un recueil de poésie pour s'émouvoir, on lit Madame Bovary, de l'autofiction ou un blog afin de se revêtir de la sensibilité de son auteur, de "passer" son regard, des lunettes qui focalisent et colorent, une autre façon de voir ce qui vous semblait commun.
 
Y a-t-il de l'exhibitionnisme dans la tenue d'un journal littéraire en ligne ? Autant que dans un annuaire où l'on donne au regard public une chose aussi intime que son numéro de téléphone et parfois même sa profession ! Croyez bien qu'un professionnel de l'écriture ne manque pas de mettre en scène son propos, de se théâtraliser. La comédie se donne à voir mais la coulisse et les loges restent dissimulées aux spectateurs. J'ai la prétention de croire que je peux offrir à mon improbable lectorat de l'émotion, du rire et des expériences qui leur seraient utiles, voire une parole réconfortante. Par exemple, tout le monde sait que je partage ma couche avec ... des cochons en peluche ! Combien d'amoureux de la gent porcine grâce à moi ne se sentiront plus seul ni honteux de leur penchant; je compte du reste bientôt lancer une pig-pride.
 
Blague à part, on me parle de "justification", je dirai plutôt réflexion à froid, observation, c'est un re-play image par image qui permet de comprendre la mécanique du sentiment, de l'évènement, qui permet d'isoler les ingrédients d'une atmosphère. J'ai un regard et une sensibilité particulière à faire partager. Dans cette activité, les lettres françaises ont une brillante référence ! Je le répète, je ne suis ni Flaubert, ni Mme Bovary, je ne suis pas Mme de Staël non plus, Dieu m'en garde (quoique je commence à avoir une certaine sympathie pour elle), je ne suis pas Guibert et ni même Montaigne. Oui, Montaigne, avec ses Essais à la première personne du singulier; un auteur qui s'est directement impliqué, commentant lectures, événements publics ou privés. Il commence par l'adresse suivante :
"C'EST icy un livre de bonne foy, lecteur. Il t'advertit dés l'entree, que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privee : je n'y ay eu nulle consideration de ton service, ny de ma gloire : mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. Je l'ay voüé à la commodité particuliere de mes parens et amis : à ce que m'ayans perdu (ce qu'ils ont à faire bien tost) ils y puissent retrouver aucuns traicts de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent plus entiere et plus vifve, la connoissance qu'ils ont eu de moy. Si c'eust esté pour rechercher la faveur du monde, je me fusse paré de beautez empruntees. Je veux qu'on m'y voye en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans estude et artifice : car c'est moy que je peins. Mes defauts s'y liront au vif, mes imperfections et ma forme naïfve, autant que la reverence publique me l'a permis. Que si j'eusse esté parmy ces nations qu'on dit vivre encore souz la douce liberté des premieres loix de nature, je t'asseure que je m'y fusse tres-volontiers peint tout entier, Et tout nud. Ainsi, Lecteur, je suis moy-mesme la matiere de mon livre : ce n'est pas raison que tu employes ton loisir en un subject si frivole et si vain. A Dieu donq."
De Montaigne, ce 12 de juin 1580.
 
Tout est dit ! On pourrait m'objecter deux ou trois choses, Montaigne écrit pour ses proches, il se montre sans fard ... mmoui ... je ne reviendrai pas sur les principes de l'énonciation mais dès qu'il y a production d'écrit à caractère littéraire, il y a diffusion, tripatouillage, pose et paradoxalement sincérité. La blogosphère, telle que je la pratique, procède de Montaigne, Flaubert et Guibert.