vendredi, août 30, 2013

Un certain parfum


Mieux que saint Paul, accoster le bon rivage.
La mémoire passe par le nez, souvenirs diffus, indicible haleine du lac au tournant de la saison, un parfum à la fois vivant, chaud et vert. Le long des quais, après avoir passé le temple, se joignent quelques notes florales déjà mûres. En point de mire, j’aperçois la colline d’Échichens. Le jour décline à peine, une lumière dorée-claire vient renforcer le parfum, réminiscence. Qu’importe la période exacte, ni âge, ni date mais une connivence … immémoriale ! Je suis bien de retour à Morges.
Nul n’est prophète en son pays, dit l’adage ; je le serai quand même un peu la semaine prochaine, Le Livre sur les Quais, le salon des auteurs qui se déroule à Morges, sous mes fenêtres, un salon auquel j’ai été convié parmi des brassées d’auteurs talentueux, connus et reconnus. J’y suis convié pour mon dernier essai, Tous les États de la mélancolie bourgeoise, dans lequel je n’en finis pas de liquider l’enfance, les origines, le milieu, etc. Il s’agira d’être présent, faire des dédicaces, participer à une table ronde, « décaper la surface », à la Fondation Bolle. Suis-je un auteur abrasif ?
Cette promenade, au bord de la fatigue, au bout de l’été, les canards en pleine toilette, les plates-bandes luxuriantes, les arbres au feuillage dense, le tableau et l’instant, tout n’est que douceur, et je la perçois parfaitement, la moindre fibre de ma personne y goûte profondément. La production d’écrits acerbes me serait-elle curative, une manière d’évacuer l’acidité ?

samedi, août 24, 2013

Retour du Sud


J’ai hésité, parler de Zürich et de la façon dont les Zürichois (soit des actifs au physique parfait de 20 à 30 ans, soit des adolescents solaires ou des retraités patelins) sourient comme dans une publicité américaine. Ville parfaite à la perfection indiscutable. J’ai hésité, parler de la concurrence entre Zürich et Bâle, l’humanisme, l’ouverture, la culture de cette dernière. Sous un ciel nocturne clair, l’éclat profond du Rhin qui lui court sur la gorge comme un précieux bijou.
 
 Et puis le Sud, la côte méditerranéenne, le Languedoc-Roussillon, le canal du Midi, là où s’effiloche la culture française, où s’ensable avec paresse toute réforme, tout rebond, tout avenir à la culture dite … française. Agde, Béziers, et jusqu’aux portes d’Avignon, une faillite merveilleuse sous un soleil toujours triomphal. Il n’y a pas une rue sans que l’on n’y trouve un immeuble de rapport ou un hôtel particulier clos et en vente. Des commerces au rideau baissé, défoncé, ou une vitrine béante,  des gravats à l’intérieur. La région n’est pas à proprement parler en faillite, elle n’est pas même en déroute. Elle s’est assoupie. Le Sud est une somptueuse guenille mitée, faite d’une étoffe hors d’âge et d’un luxe désuet. Le tourisme – de masse – fait plus ou moins tourner la boutique et durer une légende bien trop lourde à porter pour de pauvres épaules latines. Qu’importe. Entretenir le mythe.
 
Par Béziers, Agde et plus encore au Cap d’Agde, on rencontre cette sorte de foule estivante : papa-maman-les-enfants, la gentille famille française, une autre fable, la projection d’un idéal qui n’a plus cours que dans l’imaginaire collectif. La République bourgeoise et française est aussi mitée que le Sud. Elle se vend, à qui paie le moins mal, faire patienter les fournisseurs, régler les notes les plus urgentes. Et par bonheur l’été, les vacances, un peu d’oubli, l’autoroute du soleil, son bitume fatigué, ses installations usées et la fameuse sculpture en vieux design eighties’ : Les Portes du Soleil. Je ne connais pas de plus belle route à la déroute. Ce Sud sera peut-être la réponse, l’abandon de nos idéaux universalistes, grandeur passée. Assis sur un fauteuil, tapisserie éfrangée, presque absent à soi, la pénombre d’une chambre, un mas silencieux, il est permis de s’imaginer tout petit et de réinventer cette culture à sa mesure.

mercredi, août 14, 2013

Coming out teutonique



La Montagne magique, début de lecture, l’assurance de quelques semaines en compagnie du grand Thomas. Et déjà l’évocation de cette bonne vie allemande à travers le personnage de Hans Castorp, le jeune homme « moyen », le jeune patricien hambourgeois avec son physique agréable d’homme du Nord, sa nonchalance et ses bonnes manières, ses principes d’hygiène et sa pudeur.

J’aimerais tant me reconnaître dans cette figure d’une si belle banalité allemande. Qu’importe si le personnage s’avère être niais, sans malice, j’y vois encore une vertu germanique, cette belle franchise un peu carrée, conçue par les tenants de la culture latine comme un manque de finesse patent. L’imagerie populaire, la caricature nous peignent une Allemagne rustaude en casque à pointe. « Thomas Mann », « Hambourg », « bonne vie allemande » m’évoquent l’idéal wilhelminien, la société de 1870 à 1914, l’extrême fin XIXème dans son miracle et sa perfection, le modèle à suivre, le modèle que nous avons perdu de vue.

Je parle en … auteur allemand, de langue française. L’étiquette semble étrange, toutefois elle recouvre au mieux ma sensibilité littéraire, mes convictions sociales, mes goûts et mon univers symbolique. Considérez, chers lecteurs, ce billet comme mon « coming out teutonique »




samedi, août 03, 2013

Impression de Copenhague

Scène du Théâtre en plein air, Tivoli
Surprendre le lever entre les rideaux de soie rebrodés, une chambre à Copenhague, les fenêtres à petites espagnolettes, comme du temps du roi Christian. Surtout surprendre le lever du jour à cause du chant des oiseaux et jouir de cette paix du nord dans une chambrette accueillante. La ville est sous le charme d’une imperceptible brume, profiter de l’instant pour rêver les yeux ouverts à la vie d’ici. La ville se révèle et s’invite dans le roman sur lequel je travaille à présent.

« … Steve va retrouver le petit garçon qu’il était alors et lui demande d’ouvrir les yeux, les autres yeux, ceux qui voient et permettent de savoir. Il l’emmène, lui fait grâce de la centrifugeuse et de l’effroi du monde suspendu. Il le prend par la main et ils vont faire quelque chose dont ils n’ont jamais eu l’habitude. Ils vont dans un merveilleux parc d’attraction de leur côté de la réalité; ils vont à Tivoli, par une fin d’après-midi, été danois, une foule aimable, cette belle présence au monde. Ils regardent tous deux le grand huit, le tapis volant, l’ascenseur à air comprimé, les moulinets d’une sorte d’avion au bout d’un bras articulé. Ils regardent au travers de douces larmes d’émotion. Ils observent curieux et attendris les canards, les pigeons, deux oies et leur couvée duveteuse. Ils s’assoient sur un banc, près d’un bassin, ils n’ont pas envie de glace. Il y a, à côté d’eux, la maison de Petzi, un manège pour les tous petits. Ils aimeraient bien mais n’osent tout de même pas. Ils ont tout vu du parc, veulent sortir discrètement par un portail dérobé, la voie n’est pas praticable. Ils devront passer par le porche monumental et devant le théâtre en plein air où la surprise d’une pantomime les arrête, une Cendrillon version Arlequin et Colombine. Ils n’oublieront jamais les toiles peintes qui se déroulent à vue, les tableaux, les acrobaties ni le public bon enfant, si loin du pathétique mi-sordide dans lequel ils baignent dans leurs quotidiens. Il faut voir les numéros défiler, Cendrillon et ses fouettés enchaînés entre deux danseurs de Capoeira, un « moonwalker » et un hip-hop. C’est le monde en gentil qui s’offre à eux, c’est une création façonnée par des enfants éternels. Steve a raccompagné celui qu’il était alors jusqu’à son lit, sa chambre aux tapisseries déchirées, le désordre plus ou moins maîtrisé en cartons affaissés, le couvre-lit vert à volant et motifs ridicules soigneusement replié, au pied du lit. Un jour, quand il sera grand, petit Stevy retournera à Copenhague, à Tivoli, pour se rappeler qu’il n’était pas seul, qu’il ne sera jamais seul et que, de loin en loin, Steve ou d’autres Steve veilleront toujours sur lui. Ils reviendront régulièrement l’emmener vers tous ces ailleurs qui le feront grandir et lui permettront de choisir sa vie. »