vendredi, décembre 23, 2016

The Young Pope


Série choc, véritable événement télévisuel, « The Young Pope » est une merveille de dix épisodes, casting de grande classe, photographie impeccable, dialogues ciselés, bande originale subtile et éclectique, le tout au service d’un message coup de point. Du grand art produit par Canal+ et réalisé par Paolo Sorrentino.

Un léger coup de mou, comme une impression d’être crucifié de l’intérieur, et c’était avant Berlin, ciel bas, la saison m’a fait refluer dans la paix de mes petits appartements, au lit, sous une sainte famille par Pierre et Gilles, avec le chien sur ou sous la couette et les dix épisodes de « The young Pope », coffret DVD disponible à la vente dès le 10 décembre, pile le jour quand j’ai reçu la commande passée en ligne quelques jours plus tôt.

Sorrentino, évidemment, « La grande Bellezza », le goût d’une mise-en-scène sophistiquée, onirique et touchante … prophétique. En tête de gondole, on trouve Jude Law en jeune pape sexy-pétasse réactionnaire, grand amateur de la pompe à la Pie XII, rite tridentin, éventails, baldaquin, trône porté à épaules d’homme et tout le tralala de brocart de la garde-robe pontificale. Il est secondé par la religieuse qui l’a élevé, Sœur Mary interprétée par Diane Keaton. Gravitent autour de Sa Sainteté une responsable de la communication (Cécile de France), l’épouse d’un garde suisse (Ludivine Sagnier). On peut encore citer une tripotée de cardinaux, entre l’ex-mentor amer car coiffé au poteau dans sa course à la tiare papale (James Cromwell), un cardinal secrétaire d’Etat, Voiello (Silvio Orlando), le véritable maître du Vatican, et comme un petit air de Joseph Bergoglio le goût du faste en plus. Il y a aussi le doux cardinal Gutierrez (Javier Cámara), effrayé face au monde, légèrement porté sur la bouteille et gay.

Et que fait tout ce petit monde ? Il cherche Dieu, il l’invoque, le convie, interprète ses silences et s’enivre de ses miracles. Le Saint Père est peut-être le plus incrédule de tous. Il déambule dans les jardins, les couloirs, clope au bec, et foudroie qui un cardinal, un proche, une religieuse dévouée à son service avec la même violence que le Yahvé du deutéronome, privilège de la jeunesse aimante et jalouse. Il se cache quelques mini-intrigues entre deux déclarations lapidaires de Sa Sainteté. Lorsqu’il ne fait pas la chasse aux gays, il excommunie les femmes qui ont avorté. Il prend le peuple des fidèles de haut, se moque de tout plan marketing et reste obnubilé par la recherche de ses parents, qui l’ont abandonné à l’âge de huit ans. C’est un homme tour à tour malheureux, saint thaumaturge, philosophe de l’amour ou cynique comme deux Dr. House.

Où se posent les après-midis de mai ? Ici, répond la Vierge désignant une chapelle vaticane. Et, entre deux démonstrations d’intolérance, sectarisme, la grâce d’une révélation, quelques paroles, simples, une image, délicate, douce, évidente et belle comme une promesse réalisée, la grâce que, nous, le peuple des croyants, les baptisés au sein de Notre Sainte Mère l’Eglise, recevons, parfois, lors de la messe, les petits riens de notre relation au Christ. « The young Pope » nous les offre avec quasi la même charge mystique. Et quel décor ! quelle composition, l’œil et le goût infaillible de Sorrentino.


L’Eglise a pour devoir d’aller vers l’autre, le tout autre, y compris le pécheur, surtout le pécheur, et le sourire de Dieu pour seule réponse, entre ironie et amusement face aux interdits de la morale catholique. On ne ressort pas indemne de « The young pope », à la fois blessé et guéri, touché et interrogé. Je ne sais pas ce qu’en dit l’Eglise, le Saint Siège, une fiction de plus, une sorte de conte émerveillé et peut-être la meilleure préparation à la venue de Notre Sauveur … Un conte pour l’Avent.

lundi, décembre 12, 2016

Westworld, saison 1


Il fallait forcément s’attendre à quelque chose de spectaculaire et de … mystique avec la société de production « Bad Robot » qui comptait déjà le coup d’essai d’Alias, les coups de maître de Lost, Fringe et Person of interest. Avec Westworld, on monte en puissance. Les amateurs de fantastique … les vieux amateurs de fantastique qui ont un minimum de mémoire se rappelleront le film « Mondwest » de Michael Crichton avec Yul Brynner dans un rôle principal d’androïde de divertissement assassin.  La signature de Bad Robot, son fonds de commerce : nous suggérer que quelque chose se cache de l’autre côté, là, juste derrière et le papier peint se met à décoller. Il ne s’agit pas d’un simple effet de scénario mais d’une réflexion nourrie dans laquelle résonne la question fondamentale : où se situe la réalité de l’essence humaine ? Avec Lost, entre les tours et détours du scénario, le téléspectateur était invité à visiter la réalité fantasmatique d’une troupe de défunts, de leur accident d’avion jusqu’à leur glorieuse prise de conscience et leur départ pour une vie d’éternité. Fringe explorait la théorie des cordes, des mondes parallèles et quasi simultanés, la possibilité de soumettre le passé, de le piller comme une lointaine colonie. Person of interest, avec sa première saison poussive, a rapidement pris de la vitesse et nous interrogeait sur la réalité de la conscience artificielle, « big brother is watching you » en petite musique de fond et le machiavélisme de la fin justifiant les moyens en garniture.

Westworld, donc, un parc d’attraction version western où vous pouvez vous taper tous les androïdes que vous voulez ou les buter un peu, comme ça, par jeu, on s’en fout, on a payé pour. La vraie vie comme aux temps bénis et obscurs des pionniers, l’idéal pour une société trop policée, trop cadrée. Dommage, je n’aime pas les westerns mais le « Mondwest » de 1973, avec  Yul, m’avait tout de même plu. On ne jouait que sur les aspects flippants de robots humanoïdes avec des guns à la main, genre « qui a peur de l’homme noir », et ça courait de-ci, de-là en gueulant avec quelques scènes de flingage en gros. Mouais. Mais, avec Westworld, on passe un cran au-dessus. Une distribution haut de gamme, une réalisation de Jonhatan Nolan, LE Jonhatan Nolan d’Interstellar, ça vous pose de suite les bases d’une série haut-de-gamme.

Au cours de cette première saison, nous suivons William (Jimmi Simpson) faisant ses premiers pas dans ce disneyland avec sexe, sang et alcool. William n’est pas seul, il est accompagné de son très riche beau-frère Logan (Ben Barnes), un sale gamin gâté qui saute sur tout ce qui bouge, une bouteille de whisky à la main. Les deux jouvenceaux ne sont pas là pour la gaudriole mais pour affaire ; la compagnie de papa, beau-papa compte acheter des parts du parc. William est un jeune homme réservé, doux, fragile, attachant et paumé, rôle que son physique sert admirablement bien. Il va rencontrer et tomber amoureux de Dolores Abernathy (Evan Rachel Wood), une hôtesse (ainsi que sont nommés les androïdes). En parallèle, on suit les aventures de Maeve Millay (Thandie Newton), une mère maquerelle au port de reine, une hôtesse aussi, dotée de certaines facultés supplémentaires à celles accordées à la majorité des androïdes. Son personnage est certainement le plus attachant et le plus complexe. Chez les dirigeants du parc, on trouve Anthony Hopkins alias Dr. Robert Ford, l’un des deux fondateurs, le second s’est suicidé avant l’ouverture du parc. Dans la coulisse s’activent, entre autres, Therea Cullen (Sidse Babett Knudsen) et Bernard Lowe (Jeffrey Right). Ce monde de l’ombre est traversé de luttes de pouvoir, est régulièrement bouleversé par les lubies du grand maître. Rien de glorieux dans les ateliers où l’on rafistolent les hôtes butés par jeu par les clients ; on se les tape en passant, comme un petit air de nécrophilie. Miam-miam.

" Nous sommes notre propre piège ", sur ces mots se termine la saison une et, accessoirement sur un retournement de situation spectaculaire, typique de la marque « Bad Robot », un indice tout de même : réfléchissez au temps de la narration. Tout, du reste, est affaire de narration. Les hôtes développent leur conscience sur la base d’une petite histoire se rapportant à leur première implication dans une mise-en-scène. Effacez leur mémoire à chaque réaffectation mais donnez-leur la faculté de rêver et ils se mettront à être hantés par leurs vieux démons, leur prime personnalité. Et si nous n’étions que des machines, les jouets d’un petit récit formateur inculqué par …les parents, l’école, la société, les mythes, la télévision, les groupe djihadistes, les luttes politiques ?! A suivre. Voir la prophétie de la saison 2.

mercredi, novembre 16, 2016

Motif - évocation en filigrane du 13 novembre

L’autre soir, la lumière orangée d’un haut réverbère, le froid léger et pénétrant, la triste guérite d’un arrêt de bus, le temple de Morges, un croisement. Je porte Lou’ dans son sac, je suis en retard, préparation du Conseil Communal au bar de l’Hôtel de la Fleur du Lac. Je tiens là un « motif », moins qu’un instant, au-delà de la banalité. Pourquoi en dire plus ? Il suffirait d’allumer une clope mais j’ai arrêté de fumer, c’est con. Même si j’en rallumais une, cela n’empêcherait pas que j’ai arrêté, j’ai rompu avec une certaine qualité de désespoir. Le crépitement du tabac, la moiteur d’une salle bondée, un sous-sol quelconque, une boîte, et la musique qui noie et agglomère tout : l’envers du susmentionné motif. Eviter le pire, car il y a pire, le désespoir d’un boulanger d’origine maghrébine, sa boutique dans le quartier du Bataclan, son incrédulité, sa foi douloureuse, la posture sordide de la double … de la triple victime innocente ! Violence aveugle, honte des siens, honte de ses propres limites à comprendre le monde. Quoiqu’il arrive, je sais qu’il y aura dans l’air nocturne piquant de l’hiver, la lumière orangeasse écrasante d’un réverbère au-dessus de l’affreuse guérite d’un arrêt de bus, l’arrêt « Temple », desservi par le 701 et le 702. A quoi bon comprendre monde, dans la fatigue de la fin du jour, le début de la nuit, lorsque les rues se sont vidées. L’heure de la prière pour le boulanger maghrébin ? Trop tard ? je n’en sais rien, ça change tous les mois, la sixième prière doit avoir lieu peu avant la fermeture des commerces quoiqu’à Morges les magasins ferment à l’ancienne, à 18h30, 20h le vendredi. Puis la solitude de la guérite, le temple en arrière plan, sa silhouette élégante, clocher à bulbe, façades néo-classiques, de belles proportions, un  édifice protestant authentique et pas l’une des églises catholiques captées et détournées par l’occupant bernois, les pasteurs à sa botte. J’y venais enfant, quand on me comptait encore parmi les fidèles à temps très partiel de la foi réformiste. Je n’étais pourtant pas baptisé.

            A l’heure de mon « motif », le boulanger maghrébin doit se morfondre chez lui,  derrière le téléjournal, goûtant au réconfort d’une cigarette, un café ou un thé trop sucré, un cachet et hop au lit. J’ai aussi été désespéré étant jeune, quand je fumais encore, et parfois l’angoisse cédait parmi l’oubli de la musique, les corps qui se frôlent et vibrent, à moins que ce ne fussent les cachets qui faisaient effet. Séduire, danser, se faire aimer, sur place ou chez lui, celui qui … mieux que moi et à ma place, et peut-être ne plus avoir peur. Mon « motif » ne me fait pas peur. Je goûte de manière perverse à sa banalité, sa solitude, je partage ce « non-instant » qui ne connaîtra jamais de suite de soirée en boîte, les corps, l’oubli. Je peux faire une place dans ma vie à de tels motifs, je peux les accueillir, j’arrive même à faire redémarrer mon récit intime à partir de ce léger sordide. J’ai de la religion, comme le boulanger maghrébin, je n’ai pas besoin d’un almanach pour connaître les horaires de ma pratique religieuse, je sais que Saint-François de Sales est ouvert, et bien jusqu’à 19 heures le vendredi, il y a vêpres comme je l’ai appris. Par le même hasard qui m’a fait rencontrer mon « motif », j’ai voulu m’asseoir dans la pénombre enveloppante de la nef. J’ai hésité dans le vestibule, la procession des offrandes venait juste de se terminer. Je suis tout de même entré, me suis assis parmi l’assistance, suivre la fin de la célébration. C’était la chose la plus naturelle à faire, la plus évidente : vivre la gratuité de la foi, son évidence. N’importe où, dans n’importe quelle ville, quel pays, je me serais assis de la même manière, avec le même naturel et j’aurais suivi la fin de la messe quelle que fût la langue du prêtre. Quoiqu’il arrive, même si des attentats venaient à me réduire au désespoir du boulanger artisanal des alentours du Bataclan, je saurais trouver le banc d’une église, le miracle de la Communion.

lundi, octobre 24, 2016

La conversion de saint Louis, récit d'une conversion anti-carniste


 
Mais qui, par pitié, fera fermer et interdire les abattoirs ?! Quel gouvernement et/ou instances morales, religieuses fera interdire le génocide de milliers d’êtres sensibles dans des conditions de violence et d’inhumanité que nous croyions disparues depuis la libération des camps de la mort ?

Il y a une année de cela, comme vous le savez si nous sommes amis sur les réseaux sociaux, un petit chien est entré dans ma vie ; avec Cy. nous avons accueilli un petit être adorable, intelligent et capable de sentiments variés. Il s’appelle Lou’. Dans les faits, ses papiers indiquent Lôo. Nous n’avons pas changé son nom, il y répondait et nous ne nous sentions pas le droit de le débaptiser. A ce propos, ayant toujours de l’eau bénite à la maison, j’ai procédé au baptême de notre Lou’. Cela n’est pas très orthodoxe ni même catholique mais, dans l’absolu, chacun peut donner le baptême. Je lui ai donc donné – au nom du Père, du Fils et du saint Esprit –  le prénom de Louis, en référence à saint Louis, Lou’ en est la contraction même si parfois je l’appelle Wolfi. Mon geste tient en partie de la plaisanterie anodine … Quoique…  Profondément, j’ai toujours considéré les êtres animaux comme des amis, des individus sincères, des alliés, des témoins muets de la gloire du Très Haut. Leur affection indéfectible est certainement la meilleure image de l’amour de Dieu pour les hommes.

J’ai été fumeur, j’ai été carniste. Autant je ne regrette aucune cigarette fumée - je garde tout de même de beaux souvenirs de cette relation destructrice, autant chaque bouchée de mammifères et d’ovipares terrestres avalée me pose problème, pèse sur ma conscience et fait de moi si ce n’est un assassin du moins un complice d’assassinat. Le « je ne savais pas » ne représente qu’une vague circonstance atténuante. Dès l’âge de raison, je pouvais faire le lien entre la chaire baignant dans le gras de sauce à la mode française que je trouvais dans mon assiette et l’être assassiné qui l’avait fournie. Aujourd’hui, je sais ; aujourd’hui, j’ai décidé de ne plus détourner le regard ; aujourd’hui, j’assume ma culpabilité et ai décidé de m’amender.

Heureux les végétariens, végétaliens, véganes qui n’aimaient pas la viande. Combien sont-ils à nous raconter leur martyr, enfant, lorsqu’on les forçait à manger de la VIANDE ! Personnellement, j’ai toujours été un omnivore, un omni omnivore, goûtant, essayant, mangeant de tout. Légumes bizarres, préparations improbables, abats étranges, tout, avec une prédilection pour la bonne charcuterie vaudoise, le saucisson, la saucisse aux choux, au foie, les petits pâtés savoureux, le boutefas et le salami tessinois, la viande séchée des Grisons, la coppa, etc. Je ne regrette pas de ne plus en manger mais je conserverai ma vie durant une nostalgie de ces délices particuliers et barbares. J’aimais beaucoup les émincés, celui de porc, et la chasse, la volaille. La viande rouge, les steaks, romsteaks, aiguillettes, entrecôtes et autres passaient plus difficilement. J’aimais la viande rouge quasi incinérée. Les végétariens, végétaliens et autres véganes  qui n’aimaient pas la viande n’ont donc que peu de mérite. Même si la qualité d’un choix moral ne repose pas sur une méritocratie ou ne donne pas droits à de bons points. Les susmentionnés désignés pourraient faire preuve de plus de compréhension vis-à-vis de leurs nouveaux amis carnistes repentis qui, toutefois, mangent encore qui du poisson, des laitages, des œufs. En dépit de tout ce que l’on dit un changement de régime, de comportement aussi radical est difficile à mettre en œuvre, à vivre tous les jours. Pas impossible mais difficile.

Je me perds dans les étiquettes. Quand j’étais enfant, il y avait les végétariens ; c’étaient des gens qui ne mangeaient pas de viande mais du poisson, des œufs, des laitages. A l’époque, ces « hurluberlus » semblaient réaliser un incroyable tour de force tellement il y avait de la viande dans tout, partout. Aujourd’hui, l’intégrisme et la bienpensance véganienne ne leur jetterait qu’une vague étiquette de flexiste à la tête. Allez donc trouver votre dose de protéines quand les cantines, les restaurants, le commerce de détails ne savent toujours pas ce qu’est une légumineuses et ne savent rien vous proposer de préparé, prêt à manger, composé de tofu, des fruits à coques, d’humus, etc. Pour les ploucs carnistes – le pendant du serré-du-cul végane – un sandwich végétarien c’est une feuille de salade entre deux tranches de pain ! Merci l’équilibre.

Je me fous des étiquettes. Elles sont réductrices et contradictoires. Je suis catholique, gay, membre de l’UDC (N.D.R. parti populiste suisse pour mes lecteurs non-suisses) … Mises bout à bout, ces étiquettes n’ont aucun sens. Je suis gay, question de nature, comme j’ai les yeux bruns, même si je me suis entendu dire par un merdeux d’élève sous l’influence perpétuelle du THC que « c’était dans la tête » ! Je suis catholique suite à un épisode de révélation suivi du choix de mon  baptême et de la confirmation ; j’ai rejoint les rangs de l’UDC un peu par boutade, fanfaronnade et parce que dans le canton de Vaud, c’est un parti minoritaire avant tout motivé par le bon sens (combien ça coûte ? à quoi ça sert ?). C’est dans cette même logique que j’ai abandonné la viande. Connaissez-vous la théorie des cercles ?
 
 
L’anti-spécisme est fondé sur cette théorie de l’ouverture aux cercles suivants. Soi (le premier cercle), les parents et le conjoint, la famille, les proches, amis, connaissances, la ville, la région, le pays, la zone culturelle, le continent, les autres continents, la Création … Les animaux –  êtres sensibles non-humains – interpénètrent ces cercles de manière plus ou moins importante. Afin de justifier d’une différence de traitement radicale, ils sont classés dans l’ordre des animaux de compagnie ou des animaux d’élevage, de bouche, à fourrure, etc. Ces cercles, dans les premières civilisations organisées, ne s’adressaient qu’aux hommes, évidemment. Les femmes en étaient exclues, et je ne parle pas même des esclaves. Le tabou de l’anthropophagie entrave aujourd’hui encore l’archéologie et l’anthropologie ; bouffer l’autre était vraisemblablement plus répandu qu’on ne l’imagine. On parle de rites … de pratiques guerrières … Il s’agit juste de manger de la chair. Remarquez, si vous avez ce penchant pervers, qui vous dit que votre semblable ne va pas vous mettre à son menu un de ces quatre ? Bon, on va éviter de manger les gens de sa tribu, les hommes libres s’entend, puis les prisonniers de guerre, les vaincus du village voisin, les esclaves ; bref, on a évité de manger des individus humains. De nos jours, dans la civilisation occidentale carniste, il est hors de question de manger du chat, du chien, du cheval pour certains, du cochon d’Inde pour d’autres. A propos d’Inde, les vaches ayant un statut sacré, hors de question d’y consommer du bœuf et, en Chine, on mange de tout, mais vraiment de tout, on raconte même qu’on y mangerait des fœtus.

Notre civilisation occidentale judéo-chrétienne s’est bâtie sur de solides fondations de violence et d’obscurantisme (dont les « Lumières » ne sont pas exemptes). On revient de très loin. Chronologie express : Rome, la république puis l’empire, est un Etat de droit depuis 450 av. JC ; au XVIIIème siècle, l’empereur Léopold décida que tous les citoyens juifs de ses Etats jouiraient des mêmes droits que les chrétiens ; la France interdit enfin l’esclavagisme en 1848, sous la présidence de Louis-Napoléon Bonaparte, futur Napoléon III ; le droit de vote au niveau fédéral fut accordé aux femmes suisses en 1971 ; en ce début de XXIème siècle, après l’horreur génocidaires nazie et stalinienne, l’opinion publique prend enfin conscience du droit à la vie et au respect des êtres sensibles non-humains. Il y a encore du travail, ne nous cachons pas la vérité, toutefois les choses changent, par bonheur.

Pratiquement, comment vivé-je cette conversation végéto-végano-végétatruc ? Sous l’ironie de vieux cons, l’incompréhension de mes proches, la hauteur des véganes ultras. L’un d’eux, l’une plus exactement, sympathique au demeurant, je la rencontre souvent lors de la promenade du Lou’, mon Louis, la dame sort aussi deux petits chiens. Je lui explique ma conviction du respect de la vie animale, je ne mange plus de viande, des œufs tout de même, pas de lait, du poisson parfois … « Mais vous n’êtes pas végétariens, vous n’êtes rien ! » Hors l’église point de salut, la jeune dadame excuse tout de même ce « rien », du fait de mon grand âge (elle doit avoir 25-28 ans mal conservés). « Il est plus facile pour des gens jeunes de changer de régime », poursuit-elle. J’abonde dans son sens, « surtout que pour des jeunes gens comme vous, avant d’adopter une alimentation végane, vous avez surtout été habitués à manger n’importe quoi, de la junkfood, des produits industriels, on quitte bien plus facilement ce type d’alimentation. » Et toc, bécasse, cela s’appelle la réponse de la bergère au berger.

Pratiquement, donc, je ne mange plus de viande de mammifères, ni de volaille ou de n’importe quel oiseau, du poisson parfois, même si les poissons sont aussi des êtres sensibles, je ne me suis pas encore ouvert à leur cercle. Je mange des œufs issus de coopératives, des volailles élevées en plein air qui finissent assurément assassinées lorsqu’elles ne sont plus assez productives ... Et les produits laitiers ? Le lait ? berk mais difficile d’échapper au fromage, d’autant plus lorsqu’on a arrêté le saucisson mais je ne supporte plus l’assassinat des veaux ni la manière dont ils sont retirés à leurs mères. Je limite, drastiquement, il est vraiment urgent que je m’achète des livres de cuisine végane. Je n’arrêterai jamais le miel, produit par les ruches communales ou ma « Heilpraktikerin » berlinoise ou n’importe quel producteur non industriel. Et le cuir ? La laine ? La soie ? Je ne vais pas jeter mes sacs en cuir, j’en prends soin, ils ont été produits avec la peau d’êtres sensibles, si je me débarrassais de tous mes accessoires en cuir, ces êtres seraient mort deux fois. Quant à les vendre d’occasion ou les donner, leur repreneur n’en ferait peut-être pas grand cas. Autant les conserver. Et les chaussures ? comment être élégant sans de belles chaussures en cuir ? Je viens de faire l’acquisition de ma première paire « végane »,  faite d’une sorte de caoutchouc bleu filigrané, semelles en gomme. J’ai encore – beaucoup – de stock et le temps de voir venir, de trouver … chaussure à mon pied. Cela fait longtemps que je ne crois plus au 100% pure laine vierge. La rayonne, la viscose (fibres de bois), le polyester, le coton, l’acrylique, l’élasthanne, le chanvre, le lin, la sparte, le raphia, les céramides, le pet (laine polaire), tous les mélanges sont possibles pour toutes les textures et tous les usages. La laine n’est souvent maintenue en proportion négligeable qu’à des fins marketing.   

J’ai arrêté de fumer le 1er novembre 2001, suite à une grosse bronchite de trop. Mon médecin avait noté cette date, « vous serez heureux de vous en rappeler dans dix ans ». C’était le 3 ou le 4 et je me suis dit que, jamais plus, je n’arriverais à écrire. Je fumais partout et à tout propos. La cigarette était la compagne de mes petits et grands heurs. Il ne se passe pas un jour sans que je constate à quel point l’exploitation animale et la violence qui en découle est présente dans nos moindres habitudes, toutes celles dont il faudra se défaire. La tâche paraît aussi impossible que, pour le fumeur, de renoncer à la première clope avec le café matinal, autant arrêter le café ! Avant-hier encore, je me suis demandé de quoi était composée exactement l’encre de ma plume ? s’il me faudrait passer au crayon ? et si c’est animal, existe-t-il un moyen de prélever cette encre sans faire de mal ? Non, évidemment, l’exploitation reste de l’exploitation. Les textes bibliques ne m’offrent pas de réponse, il n’est question dans l’Ancien Testament que d’étripage de bovidés et d’ovins pour les livrer « en holocauste » à Yahvé. Vous me direz qu’on y génocidifie gaillardement le Philistin et les Égyptiens premiers nés de même. Accessoirement, dans la brocante du Deutéronome, on y condamne à mort celui qui porte un vêtement fait de deux textiles différents (laine et lin par exemple). Il y a, heureusement, le Nouveau Testament qui renouvelle l’Alliance sans appel au meurtre, sans razzia, sans sacrifice. Il y a l’Aimé, le Très Doux qui chasse les marchands (de bêtes sacrificielles entre autres) du Temple, qui cueille des figues, glane du blé avec les apôtres, mange un poisson grillé avec eux encore après sa résurrection. Ni oiseaux, ni mammifères à son menu et on ne sait pas si les sandales étaient en cuir ou en sparte ? Et sa tunique ? ou le saint Suaire ? du lin, blanc, virginal, assurément. Il ne manque que l’exégèse anti-carniste des Évangiles. Le pape François a récemment consolé une petite fille suite à la mort de son chien (ou son chat ? son canari ?), lui assurant que le petit être aimé était à présent au paradis. A chaque fois que je croise le corps inerte d’un oiseau défunt, d’un petit rongeur, chat victime de la circulation, hérisson, autres,  j’ai une prière à saint François, qu’il accueille l’âme de cet être au paradis des animaux. J’assure aussi les maîtres éplorés d’animaux décédés de l’intercession du saint d’Assise qui prêchait aux oiseaux. Au même chapitre, on trouve saint Antoine de Padoue qui, lui, s'adressait aux poissons … Je crois que je vais aussi arrêter d'en manger.

 








mardi, octobre 11, 2016

Séance d'installation du conseil communal (selon un conseiller lambda)

La brève suivante a été rédigée pour le 25ème numéro de « Reflets » , le bulletin d’information de la ville de Morges. Je vous livre  la version originale, la version à paraître a été modifiée, simplifiée non sans élégance, rapport au lexique trop sophistiqué ! Prochaine sortie de « Reflets » en fin d’année, mes lecteurs morgiens pourront donc comparer.

Séance d’installation du conseil communal (selon un conseiller lambda)

Premier devoir de vice-président du Conseil Communal (second devoir plutôt, le premier a consisté à trancher du saucisson à l’occasion du Caf’Conc’ fin août), devoir donc du premier vice (car il y a un second vice … -président) : raconter cette belle séance d’installation de l’intérieur. Ne connaissant pas le conseiller Lambda, je ne sais pas même à quel parti il appartient, je vais donc vous la faire façon exercice de style.

Version courte : c’était en juin, il faisait beau, un peu trop chaud dans la salle, on a pris un verre à la fin.

Version ironique : toute l’assemblée était sur son trente-et-un et chacun sur une chaise de concert modèle empilable, le casino de Morges, la grande salle de spectacle, nos édiles, la préfette, une pasteure, un peu de musique et des discours dans lesquels on a filé la métaphore avec des bonheurs divers ; c’était juste un peu trop long, histoire de marquer la solennité du moment.
Version emphatique : les élus tout nimbés de leur légitimité électorale ont officiellement prêté serment, se mettant ainsi au service de la collectivité, oublieux de leurs intérêts particuliers, au nom des valeurs ancestrales et démocratiques de notre pays !


Le sentiment de chacun se situait quelque part entre ces trois versions, ou un peu des trois à la fois. Mais tous, assurément, nous ne voulions et ne voudrons qu’une chose : travailler au bien de Morges et des Morgiens.

samedi, octobre 01, 2016

"L'homme sans qualité", work in progress

1200 pages, un bon tiers de plus que pour le premier volume, pas très pratique mais l’éditeur se fiche de l’aspect pratique, qui peut bien lire Musil ? On l’achète encore, on l’étudie parfois mais le lire ?! Je ne sais pas exactement ce qui m’a plu chez son héros, Ulrich, sa nationalité peut-être ? autrichienne de chez K und K. J’aime aussi son indécision, ça le rend touchant, et son milieu, un garçon bien né, sans fortune excessive, juste de quoi rester rentier et dépenser son temps en activités au-dessus de ça … Le « ça » fourre tout des sociétés libérales, ses petits avantages pratiques et son rang sans gloire.

C’est à peine si Musil a déguisé son personnage, il est cet Ulrich, pas même un patronyme, quelques circonstances et un regard distancié sur le monde, ce qu’il essaie d’en connaître. Ulrich s’en fait une idée comme on regarde la télévision. Il n’est pas nécessaire d’épiloguer, peut-être évoquer quelques figures dont le texte parcourt les mondes. Il y a les inflexibles, les garants de l’ordre des choses … mais quelles choses ? Ces choses qui font la société enfin, cela tient de la probité, de la morale, du sens de la dignité et de la mesure ; quitte à étirer le canevas ancestral jusqu’aux aspects les plus novateurs du temps. Musil raconte si bien le désarroi sexuel des femmes honnêtes qui rejettent simplement l’idée de la fatalité, de la farce bourgeoise de Monsieur et ses maîtresses, Madame et ses amants et les quelques mots aimables que l’on s’échange à la table du petit-déjeuner. La psychiatrie et ses ravages précoces sont passés par là. La belle Diotime en fait les frais alors qu’elle pourrait simplement coucher avec Ulrich, son cousin. Son statut d’égérie et de dame patronnesse en chef de l’Action parallèle, une organisation mollette chargée officieusement de donner un thème au jubilé du règne interminable de Franz-Joseph, ce statut donc la remplit aussi sûrement que des ballonnements.

Parmi la galerie exposée, on trouve le général versé dans la chose à caractère culturel, l’homme d’affaire philosophant ou le philosophe faisant des affaires, une altesse de secours, genre « roue de secours », la sœur d’Ulrich, sa passion manquée et son second mariage qui la dégoûte ; une paire d’amis, elle abusée par un « penseur de son temps », lui abusé par la musique de Wagner et combien d’autres « déçus de la vie », selon une logique de télé-réalité. Ici réside le double … le triple intérêt que je peux porter à cette œuvre : le témoignage historique des petits riens de la vie à Vienne sous l’empire, le goût néo-autofictif du récit et la promotion discrète des vertus de la double royauté et empire. On est dans la demi-teinte, la délicatesse, une touche de nostalgie et pas de pieds sales, de d’jeunes qui dégueulent partout, de pouilleux qui veulent crier qui ils sont …


J’allais oublier de dire un mot de l’anti-héros, l’assassin Moosbrugger, une force primale et violente, une force d’une vitalité éclatante, un contre-point si séduisant aux sociétés raisonnables et policées, une envie agacée de s’encanailler, cela rappelle la douleur légère d’une gencive irritée que l’on ne peut s’empêcher de travailler au cure-dents, à croire que l’on peut en extirper cette délicieuse douleur.

mardi, septembre 13, 2016

"Frantz" de François Ozon


Un jour, François Ozon est apparu au monde, il m’est apparu parmi ce monde, nimbé d’une aura paradoxale, comme si l’on devait toujours évoquer son nom avec quelques clins d’œil. C’était à Berlin, évidemment, en automne je crois ; j’ai assisté avec Chris. à la projection en « avant-première » de Angel, le récit fougueux et pathétique d’un auteur au début du XXème siècle, une jeune femme venue aux lettres du simple fait de son immense talent et de sa propension à vouloir échapper à l’univers étriqué, petit-bourgeois et pense-menu de son milieu, sa mère tenait une épicerie. La séance avait lieu au Kino International, une salle mythique. Depuis cette lointaine soirée d’automne, je porte toujours sur moi le motif de la pugnacité de l’auteur à vouloir plier le monde à son récit, quitte à se mentir, jusqu’à la ruine, jusqu’à la mort.

Les critiqueux cinématographesques dont j’ai eu fait partie ont apparemment oublié Angel alors qu’ils y vont de leurs commentaires sur Frantz, le dernier Ozon, « premier film en costume du réalisateur ». Je vous l’ai dit, les critiqueux ont la mémoire courte ou manque de culture. L’histoire débute en Allemagne, Queldingburg, Sachsen-Anhalt, une jeune fille en noir, visite au cimetière et quelques fleurs sur la tombe de feu son fiancé ; on est en 19, ou en 20. Les fleurs ont été déposées par un inconnu, un homme qui se glissera dans le rôle d’un ami français du défunt – Frantz ayant étudié à Paris. Se méfier des faux-semblants, ne pas se raconter un scénario trop joliment écrit ; je ne sais rien de M. Ozon mais je le connais, je connais sa pétulance, l’ivresse de l’aisance et sa maîtrise à la façon de … qui il veut. Le jeune homme français, Adrien Rivoire (Pierre Niney), n’est pas celui qu’on croit, c’est un saint, c’est un monstre, un fou tel qu’il se conçoit.

Il y a l’Allemagne aussi, son meilleur rôle muet ; il y a Hans (Ernst Stötzner) et Magda (Marie Gruber), les Hoffmeister, les parents de Frantz, et la presque veuve, Anna (Paula Beer). Parfaits. Tout tombe juste, jusqu’au service à café en Strohblumenmuster au milieu de tant de douleur mutique. Les vieux parents voient dans la personne de cet ami du fils disparu un peu de celui-ci, retour d’une timide douceur, et Adrien tient si bien le rôle. On s’imagine déjà Anna l’épousant. La guerre leur a pris Frantz, la France leur rend un fils et un promis. Jusqu’à l’Eglise catholique de cette bonne Allemagne trahie et dépecée qui sait trouver les mots apaisants. Le scénario est en miroir. A la quête d’Adrien en Allemagne répond la quête d’Anna. Les mêmes vexations, la même suspicion. Toutefois, le vainqueur roule des mécaniques ou joue de la fausse ingénuité, grotesquement drapé dans l’étendard de sa victoire à la Pyrrhus dans les deux cas, vous reprendrez bien un peu de cocorico, et de la muflerie en prime.

Angel se terminait sur la mort de la protagoniste, ultime parade pour ne pas déchoir au destin qu’elle s’était écrit ; Frantz se termine sur la fin des illusions et une rédemption pour Anna au final. La guerre est condamnée dans les deux cas, la Première s’entend, comme le lieu où s’est noué le malentendu. Ni la peinture, ni la musique, ni la littérature, la poésie toutes quatre présentes dans les deux films ne réussissent à disperser ce fameux malentendu. Frantz, un film à voir de préférence dans une BELLE salle, au Kino International par exemple ou, plus proche, à l’Odéon (Morges).

dimanche, août 28, 2016

Retour de Berlin (août 2016)

Je me fends, traditionnellement, d’une bafouille sur mon blog lorsque je rentre de voyage, donner mes impressions en matière de proto-sociologie, impressions, ressenti, état des lieux à propos d’un pays, d’une ville, une région. Je l’ai fait un certain nombre de fois à propos de Berlin et je chantais son charme, sa liberté, son agrément, etc. Cela fait plus d’une semaine que j’en suis rentré, fatigué, lassé peut-être, il y a tout de même eu de très bons moments, le pique-nique à l’ambassade de Suisse, la rencontre avec Mme l’ambassadrice, le thé au Café Einstein de la Friedrichstrasse avec Frau Dr. B. D., responsable d’un cours à la Humboldt Universität, la messe à St. Thomas ou St. Ludwig, la superbe soirée au Literarisches Colloquium, le lieu surtout, deux ou trois menus bonheurs… Plus d’une semaine, donc, et pas un billet, pas la moindre envie d’en parler … Il y a eu les deux pauvres filles, dans les vingt ans, moches, biscornues, trop nourries, mais surtout moches de leur médiocrité gourmande, leurs réflexions toutes faites, « ça me soûle trop », leur manière hargneuse d’être au monde et toujours leur médiocrité. Si la présence de ces deux bécasses lausannoise ou environ s’était signalée dans le 100 ou le 200, deux lignes de bus à toutous, je n’eusse pas été choqué mais elles siégeaient dans leur graisse et leur stupidité parmi les premiers rangs de l’impériale du M85, montées à Steglitz, là où normalement on ne rencontre pas ce genre de bestiau ! Je me suis retrouvé dans le cauchemar d’une ligne des TL (Transports Lausannois). En descendant à Kleist Park, j’a regardé un peu autour de moi et me suis aperçu que Berlin était devenue une ville comme une autre. Elle n’a plus besoin de moi, de ma plume tout du moins. On ne va pas épiloguer ; se surimprime une course d’une journée au Römerholz, la villa  Reinhart, Winterthur. Parti à 10h, rentré à 19h, à peu près, trois heures aller, trois heures de visite, trois heures retour. J’étais, une fois de plus, le « wanderer » de ma propre représentation du monde qui trouva, par un mercredi après-midi peu fréquenté, la paix nécessaire à la cicatrisation de ses plaies … des égratignures en fait. J’ai pu me raconter des histoires tout à loisir devant le portrait de Mateu Fernández de Soto par Picasso, période bleue, une patte post-vangoghienne, et un bouquet dans un vase transparent par Manet, quasi toute l’histoire de la peinture parmi ces fleurs, quelques Van Gogh, pas de grande émotion picturale, un certain confort esthétique, et le café sur la terrasse, la demi-solitude du petit parc, le chemin de retour vers la gare à pieds ; à un croisement, quelques objets proposés, donnés, offerts, proprement disposés dans un carton, une gentille petite villa, des vêtements d’enfant sur cintre, une pancarte polie, comment vider un fond de placard et faire des heureux. Je suis reparti avec un verre, une coupe, cristal vraisemblablement, , et un livre de chants illustré, « Kindersang, Heimatklang », mon Allemagne idéale, celle que je connus à Berlin et à travers les « Buddenbrooks », fin XIXème, avant l’erreur, fondamentale ; le XIXème s’est achevé en 1918 …

vendredi, août 05, 2016

Quelque chose à dire, second extrait de "Credo"

 
Le passé est un thé noir, profond, genre Assam, qu’il faut travailler longtemps avant qu’il ne puisse déployer son arôme complet. Je ne sais pourquoi je me suis souvenu de Maigret au retour du sauna, ni même de mon désir de banalité d’alors ? Le souvenir était cueilli, fermenté, séché, conditionné et ma mémoire l’a infusé, et quand le thé est infusé, il faut le boire ! Toujours mieux que de « boire le bouillon ». Trêve de métaphore, jeux de mots, calembours, ‘ y a un truc qui, néanmoins, reste coincé. Herr Dr. au cigare l’attend ; quant à vous, je n’en sais trop rien, peut-être par curiosité mal-placée ? L’autofiction est un genre qui repose sur le lavage de linge sale en public, sur la révélation crac-boum et quelques effets lacrymaux. Pour preuve, cette quiche d’Edouard Belle-Gueule qui nous a raconté du haut de ses vingt ans sa jeunesse de prolo gay victime de son milieu mais qui baisait à qui mieux-mieux avec son cousin à grosse teub. Dans un second opus, il nous racontait comment il avait été violé une nuit de Noël, par un jeune Arabe beau comme un astre ! Dans le troisième, il va nous annoncer sa séropositivité ? son mariage avec une femme enceinte de lui dans le quatrième ? le divorce fracassant dans le cinquième ? la garde des enfants dans le sixième ? sa tentative de suicide dans le septième ? ses regrets dans le huitième, assorti de la VRAIE vérité ? On a de quoi tenir. Remarquez, avec moi aussi, d’ici que j’aie fait halte dans toutes les bonnes villes d’Allemagne et du reste du Saint-Empire ! Et les croisières, la Thaïlande qui forcément arrivera, la Bretagne, Saint-Pétersbourg en solo, plus toutes les expositions de peinture. Ha ! J’ai plus de coffre que l’autre petit affabulateur.
 
Depuis la Café Kandler bruissant du claquement de dentiers de retraitées en rosâtre ou orangeasse, j’ai la vue sur la Marktplatz, le grand et très cher magasin Breuninger. Je bois une petite théière de « Theodore Fontane », un mélange de ce qu’il y a de mieux en Assam, Ceylan et Darjeeling. Voilà mon idéal : les livres de Fontane, un emballage pseudo-romanesque, quasi pas d’intrigues, des personnages bien campés mais, surtout, le témoignage de son temps. Je n’ai rien à raconter de spécial, je suis incapable de nouer la moindre intrigue, je n’y crois pas. Je vois les éléments s’aligner, se juxtaposer mais ça ne vous tricote pas le moindre bout d’histoire. J’empile, comme la vaisselle, des images, des instants, des situations, des atmosphères ; je réalise parfois des assemblages mais rien de percutant, pas le moindre secret, ni amant, meurtre, vice inavouable, rien ! Je vais vous laisser un instant, le temps de me rendre au « Museum der bildende Kunst », poursuivre l’empilage et le rien … Je laisse la place alors qu’un stabilo géant, 28-30 ans (pantalon pomme, sweat à  capuche vert fluo, chaussettes moutarde à pois, baskets bleues à lacets turquoise) vient de s’attabler face à moi. Il est d’un physique avenant, blond, yeux bleus, une alliance acier et noir, gay plus qu’assurément. Il a certainement, lui, des choses difficiles à raconter … avec une telle attifée. Il parle discrètement à une blonde, cinq kilos de trop, même âge, de la confidence, un truc qui doit lui plomber le moral et, thérapeutiquement, il s’entoure de couleurs criardes.
 
La folie de Lovis Corinth ! Voilà un type qui en avait à raconter, avec ses six ou huit mioches, son goût des grands formats, l’énergie de son trait et un penchant pour la boisson, présumé-je. Je le retrouve dans une salle du Museum précité, une petite salle où se réunissent quatre toile du maître, scène de descente de croix, portrait de Jean le Baptiste, Salomé avec la tête du précédent et portrait de Mme Douglas, bien comme il faut, correcte, assise sur une chaise, chapeau, robe de mousseline, collier de perles de dame vraiment très comme il faut mais le regard ! Des yeux cernés profond de bleu, comme une tête de lendemain d’hier. Le regard pèse une tonne et elle est sur le point de nier. C’est bien elle qui a servi de modèle pour Salomé, les seins offerts, le regard embué car elle avait bu ou pris de l’opium. Elle portait des fleurs dans les cheveux, comme une prostituée, l’ivresse afin de supporter le client ; et que je vous trifouille la tête, la paupière du défunt encore chaud, en deux parties, le corps aux pieds tordus qu’on débarrasse et le chef dans un large plat, offert à l’autre garce ; une dame de sa suite fait de l’œil au bourreau, bon boulot, qui lui rend l’œillade sans s’arrêter sur les nichons exhibés et ballotant de la trop stone. Le bourreau, comme tous les mecs qui aiment le cul, veut une femme vivante, pas un orifice passif … Elle doit avoir à en raconter, Mme Douglas. Couche-t-elle avec Lovis ? Voudrait-elle coucher avec lui ? Corinth le géant que je conçois croyant et fidèle à son épouse a-t-il joué de l’autre pinceau dans le feu de l’action ?

samedi, juillet 23, 2016

"Interlude", extrait de "Credo"

Interlude. J’en ai le droit. Je suis l’auteur et blablabla … Je l’ai déjà écrit dans « Escales », je m’en souviens, suis pas encore gâteux. Villa Noailles, et tout serait dit, l’été, la vue sur Hyères, le souvenir de Marie-Laure, décédée en 1970, l’année de ma naissance. Accessoirement, j’ai 46 ans aujoud’hui. Le lieu est simplement beau, le luxe de l’évidence mais un malaise diffus, la France tout alentour peut-être ? la vanité des visiteurs ? Je leur ai damé le pion, j’ai moi-même fait selfies et autoportraits placés illico sur les réseaux sociaux parce que je me suis offert un forfait roaming 4G pour les vacances. Ni Cy., ni ses parents ne m’ont accompagné, On n’allait pas laisser le chien seul. Tant mieux. J’aime la visite solitaire des lieux de culture. Qu’ont fait les Noailles durant la guerre ? me demandé-je. La seconde, il s’entend ; le second volet de la Guerre mondiale et ça n’est pas, à mon avis, encore terminé. Ce n’est pas là l’origine de mon trouble. J’ai tant aimé la France, sa culture, Mitterrand, etc. L’impression d’avoir été trahi … on s’est bien foutu de nous ! Je n’en suis pas encore à l’abhorration, un dégoût toutefois, vous reprendrez bien un peu de dessert ? Burp. Il y a quelque chose de pourri au royaume de France, peut-être son anti-germanisme primaire et passé, son universalisme passé … son passé ?!

En matière de politique et /ou de société, on considère mes propos comme émanant de la bouche du dernier des débiles, on fait mine de ne pas m’entendre dans le fil de la conversation, je ne suis pas assez ceci ou cela, consensuel-mou du genou, couille-molle hypocrite, faux-cul flagorneur, courtisan en somme. J’ai eu adhéré au grand bazar paneuropéen, ça m’a vite passé, comme la mitterrandie. Depuis, j’ai un petit peu creusé la chose et de manière critique, l’histoire en indépendant, inculte à ses débuts. Bref, l’Europe Unie : non ! Le Saint-Empire dans sa dernière forme, l’Empire austro-hongrois : oui et virez-moi la perfide Albion qui s’est exclue d’elle-même du bazar, et la France peut sortir ; elle n’a aucun intérêt dans le Saint-Empire, elle peut y avoir une place d’allié privilégié mais son centralisme cocoricotant, son économie d’État ne sont pas adaptés à une collaboration sincère avec la nouvelle couronne des Césars, ou son avatar paneuropéen. Comment ce pays, à l’origine du démantèlement scandaleux de l’Autriche-Hongrie, pourrait se soumettre à l’évidence d’un nouvel empire. Elle porte la responsabilité du diktat de Versailles. Sans parler de sa coupable laïcité qui laisse la porte ouverte à une sorte de probabilisme religieux duquel n’émerge que la voix de celui qui gueule le plus fort. Sans le démantèlement de l’Autriche-Hongrie, il n’y eût pas eu de Seconde Guerre mondiale, ni de guerre des Balkans. Je ne lis pas notre réalité politique et sociale sur les trente, quarante dernières années, je la déchiffre dans le dégagement d’un profond champ narratif.

          
On s’est fourvoyé ! Quand je dis « on », je pense « eux », les baby-boomers, ceux qui nous ont tout bien bouffé nos perspectives d’avenir. Tant pis, j’assume pour eux, leur inculture, leur avidité, leur paresse et j’en passe. Surtout leur courte-visée et leur nature jouisseuse, l’orgueil des nantis, leur impiété aussi. Ah ! La villa Noailles, ses jardins, j’observe Hyères en contrebas ; on passe me prendre. Le grand soleil du Sud exalte le parfum des fleurs et enlumine l’horizon. Il faut se concentrer pour percevoir ces odieux clapiers à lapins concentrationnaires, du logement de pauvres, surtout du logement de méprisés, alors que la ville est si belle. Comment ne pas échapper à l’humiliation par la voie de la violence ? J’ai grandi dans une telle horreur, ma mère y vit encore. Avec la gentrification des quartiers prolos morgiens, ça a presque l’air élégant. On aurait pu faire mieux, tellement mieux pour guère plus cher. Tasser de la populace dans un clapier de pauvres me semble la marque ultime du dédain, surtout lorsque le politique vous antiphone les psaumes de la sainte laïcité républicaine. « Tous égaux mais vous êtes de la merde » semblent proclamer crânement les barres d’immeubles à la lisière de la ville historique de Hyères. Si l’on avait été injuste au nom de principes non-démocratiques, ça passerait mieux , style : voyez les Noailles, leur belle villa avant-gardiste, etc., c’est normal, ils étaient nobles, riches et catholiques, les trois à la fois … et pas vous !  

vendredi, juillet 08, 2016

"La Lumière des Césars", premier extrait.




"La Lumière des Césars", projet uchronique, se divise en trois romans, dans un premier temps, il y en aura peut-être d'autres. "L'Affaire Julia" est le premier roman de cette saga en devenir, prise de contact avec le personnage central, son univers, ses origines. Le passage ci-dessous et le tout début de ce texte.

« Le grand Thomas a dit sans les mains, le grand Thomas a dit sans les dents, le grand Thomas a dit avec la langue … » Steeve se soulève violemment de son oreiller, repousse les draps, reprend son souffle en se tenant la tête. « Merde ». Il entend encore la voix nasillarde lui crier les ordres d’un jeu obscène. Il jette une main devant lui, disperser la grimace d’un faciès de Grand-Guignol. Il fait trop chaud dans cette chambre, fenêtres fermées, store baissé. On entend nettement la musique qui s’échappe des voitures arrêtées aux feux, en contrebas. La circulation n’est pas plus dense que d’habitude. Steve se lève et renverse une bassine qui roule sous le lit. Le jour touche à son extrême fin. « L’heure bleue », susurre-t-il, « l’heure exquise des amants secrets … » Un « cinq-à-sept » pense-t-il in fine et reste nu dans la pénombre, ruisselant de sueur, aussi trempé que son plancher. Hier au soir, le couple de vieux maboules du dessus l’a inondé. Vieilles carnes négligées par leurs enfants pas loin d’être aussi grabataires qu’eux. A eux deux, les maboules font dans les 189 ans. Elle est sourde et prend de puissants somnifères ; lui a une ouïe encore bonne mais souffre de démence sénile. Chaque nuit, il déplace les meubles, joue avec le mixer, essaie du peu de force qui lui reste de mettre en fuite la mort qui passe des moments de plus en plus longs auprès de lui. Hier soir, à plus de 2h du matin, il n’a rien trouvé de mieux que de faire couler l’eau en cataracte. La colonne d’évacuation de la maison étant sclérosée par près de soixante-dix ans de vaisselle graisseuse et de restes alimentaires, l’évier des maboules du dessus a débordé jusque dans l’appartement de Steeve.

mercredi, juin 22, 2016

Installation

Cela avait un peu plus d’allure que ma première assermentation, le ton était plus proche de l’entrée de Thomas Buddenbrook au parlement lübeckois. Mardi 14 juin, installation des nouvelles autorités morgiennes, séance au casino, la belle salle roccoco-Art Nouveau. J’ai changé de groupe (voir mes précédents billets « La veste » et « Lettre ouverte aux (politiques) morgiens/nes »), je me tiens au premier rang, comme à la messe, une habitude, personne ne veut jamais occuper ces places. Je me tiens donc au premier rang, tout à la gauche … donc à la droite de la municipalité. Cy. et ma mère sont aussi entrés au conseil communal, situation amusante, il ne manque que le chien et du thé pour être à la maison.

Au cours de la cérémonie, assermentation du Conseil, des autorités municipales, bafouille d’une pasteuse (pasteur au féminin) qui file la métaphore sur « faites vos jeux », rapport au casino, je ne sais pas si elle est sérieuse ? Sait-elle que ce casino, comme toutes les salles de spectacles multi-fonctions de Suisse romande, porte ce nom de « casino » en référence à la maison de divertissement que les princes faisaient construire au fond du jardin, une petite maison, « casino » en italien, une sorte de « Trianon » où l’on va danser, écouter de la musique, dîner entre amis et, accessoirement, jouer aux cartes. « Kursaal » en allemand, salle de cure, le lieu de divertissement dans les villes thermales et balnéaires. Le terme allemand collerait mieux au monument morgien, le principal édifice des quais que l’on faillit démolir avant une rénovation complète et une exploitation bradée à un privé pour 50 ans ou plus.

Je me perds un peu dans ces réflexions, Mme la préfette préside et anime adroitement la cérémonie. Elle termine en « installant » le jeune et élégant président du Conseil Communal, une charge annuelle, précédée d’un mot de présentation par un membre de son parti, portrait aimable, élection tacite, chaque parti propose à tour de rôle un deuxième vice-président, qui deviendra un premier vice-président puis président sur un cycle de trois ans. Je m’apprête à commencer en tant que premier « vice », le petit groupe que j’ai rejoint m’a proposé le rôle … le poste. Le petit groupe que j’ai quitté a passé son tour, personne n’a envie d’aller aux charbons. Vient donc mon tour, mon élection à bulletin secret, certains hésitent à bouffer le billet, d’autres à se moucher dedans, des distraits ne tracent que mon patronyme … Il y a deux Vallotton au Conseil à présent. Bref, je suis élu, avec un score … minable, le second vice avec un score stalinien – qu’il ne manquera pas de signaler sur les réseaux sociaux dans un style documentaire dont il sure à peine une pointe d’orgueil. La présidente de mon groupe me demande si j’ai envie de dire quelques mots, « non », ne pas rallonger la cérémonie. Le vice bis, après la proclamation de son résultat, je l’observe en coin, fait déjà mine de se lever pour remercier l’assemblée ; le nouveau président pense pareil que moi, avancer dans cette séance festive, soit, mais un peu longuette. Il passe au point suivant, le second vice se rassoit. Je me dis que je vais écrire quelque chose à propos de mon expérience politique, cela s’intitulera « Berlin sur Morges » ou « La dignité lémanique du sénateur Buddenbrook », rien du secret de la fonction ne sera dévoilé, je me contenterai de relever les circonstances, de déterminer des caractères.

Après la partie officielle, une verrée chichement dînatoire nous est offerte. Cy. rejoint notre amie L., nouvelle élue socialiste. Ma mère s’est éclipsée, rentrer chez elle. Nous n’occupons – pas encore – un hôtel particulier au centre ville, selon le modèle buddenbrookien. Une « amie », élue socialiste, vient immédiatement me saluer et m’expliquer que mon mauvais résultat s’explique par le fait que beaucoup d’élus n’apprécient pas que les gens changent de parti, et surtout pas pour l’UDC. Je lui réponds que mon mauvais résultat s’explique surtout par le fait que beaucoup n’ont écrit que « Vallotton » sur le bulletin, confusion entre Frédéric et Jacqueline, le tout avec un grand sourire. La dame passe son chemin ; j’adore l’excuse que je viens de sortir. Je sens que je vais bien m’amuser dans mon travail d’observation. Entre les Tartuffe, les faux humbles, les faux simples, tous les souriants qui ont des idées qui leur dépassent de derrière la tête, je sens que j’ai vais pouvoir écrire un pavé.

Nous avons « fait la fermeture » avec Cy., L. et l’un de ses collègues de parti, le jeune B. Nous avons encore pris un dernier verre à la maison, conversation animée sur les différentes orientations de la gauche, j’avoue souvent partager les opinions tranchées de la gauche de la gauche. Le vin faisant, Cy. et L. en viennent à proposer au jeune B. de jouer dans ma pièce métaphysique anti-théâtre. Je lui ai envoyé le texte, pas de nouvelles, c’était prévisible une fois les vapeurs du vin dissipées. Ce soir, en retirant mes boutons de manchettes, l’intimité de mes « petits appartements », m’est venu à l’esprit l’expression « Dieu vomit les tièdes ». Je me fendrai d’une bafouille au Conseil, rapport à mon élection, histoire de faire pendant au mot de remerciements que le second vice’ ne manquera pas de faire … des devoirs de l’humilité dirons-nous. Je commencerai  donc le mot inaugural de ma vice-présidence par cette extrapolation de la parole de saint Jean dans l’Apocalypse 3:15.






samedi, juin 11, 2016

"Les Chevaux sauveurs" de Pierre Yves Lador

La littérature est une émotion qui repose sur elle-même, une sorte de cinquième goût, LE cinquième goût que l’on nous révèle tous les mois, en sus du sucré, salé, amer et acide. On nous sort le glutamate, le gras, le je-ne-sais-trop-quoi … En vérité, je vous le dis, et saint Mathieu de même, le cinquième goût, c’est la littérature ! « What else ?! » et tout le reste n’est que garniture, à savoir l’intrigue, le suspens, les scènes de turlutes, les révélations, etc. Le dernier Lador est hors d’atteinte, hors circuit, hors temps et donc parfaitement essentiel. « Les chevaux sauveurs » ou le recueil ultime de notre très nécessaire PYL, ou les meilleures nouvelles d’une plume d’une délicieuse incontinence.

Plus sérieusement, les amateurs y reconnaîtront le savoir-faire du maître, les néophytes découvriront une introduction aux univers ladoriens. Le verbe est efficace, propre à susciter émotions et réflexion, à inviter à la poursuite de la composition de ces mondes, à suivre le regard de Pierre Yves sur les riens de ses promenades, des riens auxquels s’attache son esprit. Le maître n’a plus rien à prouver à personne, il n’a pas besoin du coup de gueule ou d’éclat qui le fera appeler sous la lumière aveuglante des plateaux télé, faire le singe savant, évoquer un parcours « atypique ». Ah ! le journalisme prêt-à-porter et ses formules toutes faites qui vont quasi à tout le monde et bien à personne. Il pourrait choisir un vêtement ou une posture fétiche, une maque, un logo … Sa barbe fleurie en mode Charlemagne ?! Pas mal. A charge des éclairagistes de la RTS de rendre le modelé, le ciselé de la chose avec la même exactitude que l’auteur a à nous raconter la moindre anfractuosité rencontrée au fil de ses déambulations.

Il y a de la bibliothèque universelle chez Lador, celle qu’il compose et redéfinit chaque jour que Dieu lui prête, comme un cheminement innovant qu’il imagine à l’attention du lecteur-promeneur de son œuvre et de celle de tous les autres. Déformation pédagogique du bibliothécaire, sagesse bienveillante de l’instruit et tant plus que nous autres, les bonnes troupes de la littérature romande. Qui pourra jamais rendre à Lador ce qu’il a donné sans compter aux lettres de ce coin de pays. Il en a découvert des jeunets prêt à bouffer le monde (et il l’ont bouffé), des sauvages, des lointains, des rêveurs, etc. Pas un, je vous le dis et saint Mathieu de même, qui n’ait un souvenir avec PYL le Grand, le débonnaire, pas un qui ne lui doive un coup de pouce, une attention, un mot encourageant. Et notre auteur nous signe un recueil de nouvelles aussi frais que la prose d’un nouveau venu. On souhaite que cela continue ; à quand le suivant ? A quand sa prochaine visite, mine de rien, verdeur perpétuelle et mot taquin. Que ferait-il des honneurs ? Un roman homérique ou une aimable page, un peu de cette littérature savoureuse dont il a le secret et dont nous sommes tous friands.





mardi, mai 31, 2016

"Mémoires de Hongrie" de Sándor Márai

Le texte s’ouvre sur l’une de ces scènes de confortable vie K und K, un dîner, Buda, la ville, le pays sous la coupe nazie mais l’intelligentsia n’est pas dupe ; en 44, l’issue de la guerre ne fait aucun doute. Et quel avenir pour la Hongrie ? Vaisselle de Meissen, vin du Balaton, cuisine frugale mais toutefois bourgeoise et, chic du chic, un chandelier de cristal français ! Toutes les opinions circulent autour de la table, la bonne assure un service discret, plusieurs des onze convives ne survivront pas à la fin de la guerre.

Sándor (à prononcer Chandor, je le tiens de Libussa, une amie berlinoise dont la mère est Serbe de la Voïvodine, donc magyarophone), Sándor, donc, nous raconte une ville, un pays, une histoire … une tragédie ! Pas d’atermoiements gratuits néanmoin, on n’est pas dans du récit commémoratif à caractère auto-satisfait, suivez mon regard, oui, à l’Ouest, tout à l’Ouest du continent, du côté par là où on a déjà bradé la Hongrie – entre autres – à la fin de la Première Guerre mondiale. Bref, Sándor et son épouse ont traversé les violences nazies, la collaboration des Croix fléchées puis l’insurrection russe. Sur ce dernier point, notre auteur raconte les événements avec la précision d’un entomologiste, observant le nouvel occupant dans ses exactions, sa déshumanisation, ses tics, manies, fétichismes, violences gratuites, mode de fonctionnement. Sándor nous rappelle par la bande que le monde n’est pas tartiné d’une populace protéiforme mondialisée mais de peuples, de groupes d’individus façonnés par l’histoire, la langue, la culture. Certaines de ces logiques sont irréconciliables. Sortir de l’angélisme universaliste démocratoc … tique.

« Mémoires de Hongrie », les bien nommés, racontent ce pays trois fois martyres : l’occupation turque et l’holocauste qui s’en suivit (1541-1699, quasi trois millions de Hongrois déportés dans l’empire ottoman et réduits en esclavage), le « coupachage » allié consécutif au Diktat de Versailles (traité dit de paix signé en 1919, imposé par la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis) et la honte de l’abandon de tout l’Est de l’Europe à la dictature stalinienne, abandon validé par le précédent trio qui n’est pas à ça près. Márai vient nous rappeler sans rage ni pathos le destin malheureux de son « petit peuple », des vertus qu’il porte, de sa singularité. Accessoirement, il permet au lecteur contemporain de mettre en perspective l’attitude du gouvernement hongrois actuel : conservatisme fascisant, euro-scepticisme, etc. La Hongrie requiert la compassion européenne, les excuses de certains des membres de l’Union européenne et une parole libératrice plutôt qu’une condamnation verticale de la bien-pensance commune. Que l’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas le propos de notre auteur. Il a fait ses adieux à la Hongrie, à l’Europe, se sauvant vers les Etats-Unis, sauvant surtout ce qu’il représente et porte du patrimoine de la langue hongroise.


Accessoirement, Márai témoigne d’un après, l’après 39-45, une brève visite en Suisse dont l’opulence l’oppresse mais il loue toutefois l’adresse et la résistance du pays qui a su se maintenir hors de la catastrophe et n’a pas à avoir honte de sa réussite. L’Italie ravagée lui réchauffe le cœur. A Paris, il se souvient de sa jeunesse échevelée et impécunieuse, il en profite pour évoquer les grands noms de la littérature d’alors. Il prend conscience – ou reprend conscience – de son sacerdoce, la langue hongroise, la littérature hongroise, une dimension qui dépasse sa simple personne. Rentrer au pays. Il s’imagine dans un premier temps qu’on le laissera garder le silence dans la Hongrie communiste jusqu’à ce qu’il comprenne que l’autorité fantoche à la tête du pays le récupérera d’une manière ou d’une autre ; il se résout donc à l’exil. Lire Sándor Márai ou rendre à la Hongrie ce que l’on attribuait à César.  

mardi, mai 24, 2016

Nouveau retour de Berlin (et un mot sur Mannheim)

On ne mesure jamais le monde qu’à l’aune de nos propres perceptions ; le sédentaire concevra le lointain selon ses craintes, ses sympathies et une bonne dose de clichés … Quoique, dans la grande tradition des « anthropologues en chambre », il est possible d’avoir une idée précise de l’ailleurs sans y avoir mis les pieds. Personnellement, je crois au génie de l’instant, à la rencontre, au ressenti comme instrument de précision. Il y a dix ou douze ans, je rencontrai Berlin. Je ne peux articuler une date exacte : la capitale allemande est entrée dans ma légende, tant personnelle que littéraire. Les circonstances sont toutefois précises, je peux revivre mentalement mes premiers pas dans la ville, les premières heures, les premiers jours, de quelle manière s’est nouée notre relation.
 
Retour de Berlin, un de plus, le lien est indéfectible, le rite est installé, et je mène dans la capitale allemande une vie qui évolue dans des formes sans cesse renouvelées. De nouveaux points de chute, de nouveaux cafés, de nouvelles priorités. Je me refuse à la complainte du « c’était mieux avant ». Soit, la ville se normalise, enfin ! je me permets de rappeler que la guerre est finie depuis 1945, un peu plus de soixante ans, il est donc temps pour Berlin de retrouver un tissu urbain « raccommodé », « reprisé » dans le respect de sa structure d’avant les bombardements. Tout ne me plaît pas, la spéculation immobilière tient absolument à refaire d’Alex la brocante urbanistique qu’elle était avant 42. Cette même spéculation multiplie les appartements de luxe, rase les habitations populaires ou rénove à grands frais pour une clientèle étrangère aisée qui regarde Berlin comme un vaste parc d’attraction pour adultes.
 
Il y a les mieux évidents, le secteur de Nordbahnhof par exemple, sinistre il y a quatre-cinq ans, quelques bâtiments d’habitation limite sordides, ni café, ni commerce, un désert social sur lequel aujourd’hui a refleuri un quartier peuplé de vraies gens, des Berlinois de souche ou débarqués. Néanmoins, peu de touristes, il n’y a rien à voir, il y a tout à vivre, la banalité de la grande ville, la petite musique de l’anonymat confortable, si loin de la période héroïque de la reconstruction, les grands chantiers, l’espace, la créativité brouillonne. Moins de panache. C’eût été parfait pour moi, je n’ai plus trente ans, ni même trente-cinq, terminé le petit genre « jeune adulte » à fond dans l’événement. Cette fois-ci, je suis descendu dans un hôtel dans Schöneberg, un établissement … « hétéro-friendly », une chambre noiraude, une sorte de grande salle de bains avec jeux de transparence et le lit dans un coin. Effet grotesque garanti … ou en néo-lupanard. Mauvais choix.
 
Oserai-je évoquer mon séjour à Mannheim il y a quelques semaines de cela, une ville qui ne va pas si bien en dépit de son aisance économique. Un centre-ville abandonné par les classes moyennes, une place historique et centrée, rien que des restaurants turcs ou quasi, il est 23h, envie d’un künefe, avec un verre de blanc. Je rentre dans l’un de ces restaurants, je m’installe, peu ou pas de femmes dans la salle, un serveur aimable, je passe ma commande et demande un verre de vingt blanc sec. « Quelle eau minérale voulez-vous ? » Je répète, « VIN BLANC SEC ». Le serveur attrape rageusement une carte des boissons, le doigt sur la liste des eaux minérales. Je cherche une page consacrée aux vins, rien, je comprends que je suis dans un restaurant sans alcool, un établissement tenu par un patron pieux, destiné à une clientèle pieuse, même le fait d’évoquer le nom du breuvage interdit est péché ! Je commande donc un thé turc et soupire après Hasir, ma bonne cantine turque de la Maassenstrasse, Berlin, où l’on prend un peu le client occidental de haut mais où coulent le vin rouge, blanc et la bière. Je repense à un mot de Chris., une citation « baise la main que tu ne peux éloigner de toi », un conseil de réalpolitique qui en dit long sur la situation à Mannheim. 
 
Retour à Berlin, le temps se couvre, la météo l’avait prévu ; la ville offre de nombreux abris, des restaurants confortables et honnêtes, regarder tomber une pluie métaphorique depuis l’une des banquettes de velours cramoisi du Kant Café, bonne carte et nombreux journaux. La spéculation et les touristes compliquent la vie des Berlinois, dénaturent le charme de la ville mais elle y retrouve de sa nature cosmopolite, un phare pour tout l’Est du continent, une certaine pensée du monde et de la bonne vie, celle que nous finirons par mener à nouveau, attablés en terrasse, sous un soleil renouvelé.

mercredi, mai 04, 2016

"Kaamelott", la série au-delà des répliques culte

Désopilant, tordant, piquant, à mourir de rire ! Et quoi d’autres ? Extrêmement touchant, sensible, émouvant et jusqu’aux larmes. Le sentiment est toujours juste, porté de main de maître par Alexandre Astier. Je veux parler de Kaamelott, bien évidemment. 2005-2010, six saisons, du format sketch à des épisodes de trois-quarts d’heure pour la dernière livraison. La relecture de la légende arthurienne, sous des aspects décalés, à coup de dialogues haut en couleurs s’avère des plus justes, certainement plus proche de ce quelle était au XIIème siècle, la petite histoire des relations humaines dans un groupe d’individus fédérés par un projet total, idéal, la recherche du Graal !

 On commence tout en douceur, histoire de faire connaissance avec la petite bande, en vrac et dans le désordre : Arthur (Alexandre Astier) en honnête homme porté sur la turlute et néanmoins conscient de son destin ; Guenièvre (Anne Girouard) sa cruche/potiche d’épouse et néanmoins amoureuse ; Léodagan et dame Séli (Lionnel Astier et Joëlle Sévilla), les beaux-parents en couple infernal franchouille âpre aux gains, bête et méchant ; Perceval et Karadoc (Franck Pittiot et Jean-Cristophe Hembert) Laurel et Hardy médiévaux ; Yvain le beauf’ ado’ attardé (Simon Astier) ; Lancelot (Thomas Cousseau), le pur, le courageux chevalier blanc dont il faudrait toujours se méfier (trop parfait) et Merlin (Jacques Chambon) en enchanteur version Lagaffe. Il faut rajouter, au fil des livres (chaque saison représente un nouveau livre, un certain nombre de récurrences, du paysan geignard à l’inquisiteur sadique, du légionnaire romain au bandit de grand chemin, du tavernier boutiquier à l’acariâtre mère d’Arthur. Au début, à moins que vous ne soyez médiéviste, hormis Arthur, vous patinez un peu parmi les noms et les rôles, pourtant vous ne perdez rien du cocasse des situations ni du sens, de la finesse des répliques. C’est le premier effet Astier !

Après trois saisons, vous retenez que le gros dégueu qui bouffe tout le temps se nomme Karadoc et que son pote débile, fidèle et attaché à la personne du roi comme un chien stupide – stupide car il prend les « coups de pieds au cul » métaphoriques d’Arthur pour des marques d’affection se nomme Perceval. Sans oublier Bohort, la chochotte dont on n’a jamais vu la femme. Bref, après une période d’accoutumance, le plus dispersé des téléspectateurs est prêt à entrer dans le cœur-même de la légende arthurienne. D’autant plus que le jeu des acteurs est fluide, la connivence certaine. Vous aurez remarqué une forte présence de la tribu Astier à l’écran ; le père, la mère, le frère d’Alexandre « à la ville » tiennent des rôles de premier plan, la dynamique ne s’essouffle jamais. Deuxième effet Astier.

Le scénario reprend les grands thèmes de la légende arthurienne telle que portée par la tradition française et le XIXème siècle. Lorsqu’on l’observe dans le détail, la narration s’avère bien plus subtile qu’il n’y paraît, multi-référencée, frottée de légendes anglo-normandes, du style galant à la mode d’Aquitaine, de christianisme primitif. Alexandre Astier, au fil des livres, y incorpore aussi de fréquents clins d’oeil à la culture populaire  de la seconde moitié du XXème (cinéma, bande dessinée) ; il est donc en parfaite adéquation avec le folklore des récits de la table ronde, chacun accommandant les aventures arthuriennes à sa sauce, histoire de faire passer l’amertume des déceptions humaines. Troisième effet Astier.

Ce n’est pas la bonne poilade d’une série à sketchs qui m’a poussé à prendre le clavier pour évoquer Kaamelott. Soit, on rit, beaucoup, intelligemment, du premier au dernier épisode. On rit de la bêtise des uns, du grotesque de la situation des autres, de dialogues d’anthologie, d’expressions colorées et percutantes, de remarques décalées, du désespoir d’un roi maladroit mais le sentiment général est nettement plus nuancé. Au détour d’une tirade, d’une engueulade homérique, tombe une réplique d’un regret poignant, blessure intime, délicatesse froissée. Une scène de repas, le roi, ses proches, le duc d’Aquitaine, venu à Kaamelott retirer l’épée qu’Arthur a replantée dans le rocher. Dame Séli apporte le dessert, aspect étrange, Léodagan chipote, le roi de même, le duc d’Aquitaine en dépit de l’aspect peu engageant de la chose et des protestations de son hôte, se résout à manger, par politesse, et c’est bon. Dame Séli conclut contre son propre intérêt qu’elle souhaiterait que le duc retire l’épée et devienne roi, ça changerait des brutes malapprises qui l’entourent, enfin quelqu’un avec un minimum d’usage ! Le compliment, gratuit, est un cri du cœur, la petite humiliation, voir nos actes anodins toujours déconsidérés, critiqués, l’usure du reproche.


Il y a aussi la recherche éperdue d’Arthur, une éventuelle descendance, tournée des maîtresses, des coups d’un soir et sa profonde tristesse lorsqu’il apprend avoir été le père d’une petite fille, morte quelques mois après sa naissance. A froid, platement raconté, ça n’a l’air de rien, tout juste de quoi faire pleurer Margot mais imaginez Guenièvre à ses côtés, silencieuse et tellement honteuse de ne pas arriver à consoler son Arthur à qui elle pardonnera jusqu’au secret de son mariage – d’amour – romain. Les masques tombés, les déguisements retirés, la pantomime terminée, il reste le désarroi humain, la sortie de scène et le téléspectateur lambda se retrouve dépositaire d’une tragédie … de LA tragédie alors qu’il avait signé en 2005 pour une pantalonnade plutôt bien tournée.

dimanche, mai 01, 2016

Extrait de "La Lumière des Césars", triptyque uchronique

Le café est prêt, Richie a enfin cessé de se balancer. Il a posé l’une de ses grandes pattes sur la chaise voisine, bottine bordeaux étroite hybride de richelieu dont la claque est marquée de la célèbre découpe. « Frimeur » lui dit Wesley ce à quoi l’intéressé répond qu’il a près de trente-cinq et qu’il ne passe pas son temps au gymnase. Ça fait pas mal de temps que Richie s’approche des trente-cinq ans, son horloge tourne au ralenti. Autre bizarrerie, il n’a quasi pas le sens du goût, très peu, le café, le tanin, la viande rôtie, le chocolat et la note fraîche du melon ou de la pastèque, un petit défaut de nidification qui explique sa maigreur, son peu d’intérêt pour la nourriture. Il ne peut pas s’empêcher de regarder Wesley en caleçon avec un regard de maquignon, les scaphandres se sont pas mal améliorés, il y a du progrès … « Hey, c’est fini de me regarder comme un canasson !? », le ton est amusé, Wesley sait qu’il n’y a rien de louche dans cette manière d’être maté ; il aime bien se trouver beau dans le regard de son pote, son « associé », un boulot de couverture, Wesley gère une boutique de vêtements pour homme dont Richie est le propriétaire. Il y a des dizaines d’entreprises plus ou moins bidon de ce genre à Neu York, Mexico-Stadt, Schikago, Neu Orleans, San Francisco, sur tout le continent ; toutes soutenues par l’Agence. Richie a décidé d’offrir aux Allemands des Etats-Unis du Mexique la mode qui plaît chez les déclassés du pays, les anglo-américains, la minorité anglophone stigmatisée, il faut dire que leurs ancêtres n’ont pas eu le beau rôle. Wesley a du reste choisi ce prénom-là par toquade, l’habitude d’être en minorité, d’être du mauvais côté de la barrière. La couleur (Wesley est noir) n’est pas tant le critère discriminant mais bien plutôt lorsqu’il parle anglais dans la rue. Ça ne dérange pas franchement, ça surprend tout de même les badauds qui passent d’une manière encore plus anonyme que d’habitude.

Sortir de chez soi pour courir ou se promener, ou faire des courses était déjà une aventure en soi. Richie lui offre vraiment le grand frisson, mine de rien, et pas une once d’équivoque non plus dans son ressenti. Le monde version Oméga est une sorte de Disneyland eighties' oscillant toujours entre folklore ploum-ploum tralala et une Amérique idéalisée, celle des couchers de soleil infinis, des immenses avenues, des perspectives glorieuses et des grands espaces. Richie lui explique les mille riens qu’il ne pouvait pas connaître dans sa bulle surprotégée de « transitaire ». A Omégaland, la subversion s’appelle Rick Astley, sans rire, même bonne frimousse, même énergie, même look, et la chevelure royale rousse et le sourire, mi-taquin, mi-gourmand, un grand gamin au déhanché souple et aux vestons croisés super-épaulés. Il est aussi chanteur mais pas dans le genre crooner pour grande surface : il dénonce la ségrégation dont les wasps sont victimes sur tout le territoire mexicain, le mépris dont les autorités font montre face à la minorité anglophone. Dans les petites agglomérations des Etats du Sud, il n’est pas rare que l’on refuse de servir des anglophones dans les magasins ou les cafés, on leur interdit l’accès aux transports publics ; on raconte même que les enfants anglophones sont interdits d’école. Astley est devenu le porte-drapeau des réprouvés, des rejetés que la jeunesse bien comme il faut d’ascendance germanique écoute avec passion. Il est leur idole, leur espoir d’un « monde plus juste » et tous veulent adopter son style vestimentaire, exactement ce que Wesley vend dans la boutique de Richie et ce n’est pas une idée de l’Agence qui s’est montrée enthousiasmée par la crédibilité de la couverture. Pour Richie et Wesley, ils ont si bien nidifiés, que ça n’a rien d’un exercice en « comme si », c’est pour de vrai, pour de bon et  ils comptent changer ce monde parfait pour le rendre un peu moins parfait, un peu plus proche d’Alphaland, question de nostalgie peut-être ou d’expérience de quantité négligeable.